Le «Non» signifie le rejet du traité, mais aussi l’exigence d’une autre construction de l’Union. Une nouveauté du non des électeurs de gauche est que toute cette mouvance, y compris le PCF et l’extrême gauche, est désormais acquise au besoin d’une Union européenne, mais pour une autre Union. Le niveau des discussions, l’émancipation des média dominants ont été remarquables.
Les divisions de la gauche sur la résignation à la domination exacerbée des marchés, ont commencé à reculer. Cela renvoie à des rapprochements entre catégories de salariés, qualifiés et peu qualifiés, par le bas, avec la progression du chômage et de la précarité et par le haut avec le besoin de formation et de maîtrise de son sort, face aux défis du démantèlement du modèle social et du refoulement des aspirations nouvelles.
D’où le rejet de cette construction hyper libérale : avec la concurrence dite libre et non faussée, c’est-à-dire sans maîtrise démocratique, entre salariés, avec les délocalisations, contre les ser vices publics, avec la Banque centrale européenne pour les marchés financiers contre l’emploi. D’où l’idée de renégociation pour un autre traité. Le vote a contribué au Non des Pays-Bas. Il a eu un grand retentissement dans tous les pays européens. Il ouvre une nouvelle phase possible de prise en mains par les peuples de la construction européenne. Il interpelle les forces du non de gauche pour la poursuite du combat mais aussi celles de gauche qui ont voté «oui».
Les forces de droite qui ont fait campagne pour le «oui» tentent de gagner du temps, pour faire passer quand même, sous une forme ou une autre, l’essentiel du Traité. Pour les forces de gauche ayant prôné le «oui», la contradiction monte entre le maintien de leur orientation et le besoin de se démarquer de la droite avec des exigences sociales. Après les référendums français et néerlandais, le Traité, qui exige l’unanimité est devenu caduc. Pour que le Président de la République respecte le vote, il devrait :
1) avec le retrait de la signature de la France, demander l’engagement d’un processus de renégociation pour un autre Traité,
2) organiser un processus de consultation des Français sur les axes d’un nouveau traité, en relation avec des processus analogues de consultation des peuples européens.
Giscard d’Estaing propose de se limiter à un texte dit strictement constitutionnel, reprenant les parties I et II du Traité, en laissant de côté la partie III sur les principes économiques et monétaires. Cela maintiendrait les dispositions déjà en vigueur de la partie III, celle sur la BCE du Traité de Maastricht ou celle du Pacte de stabilité, opposées à l’emploi, aux dépenses publiques, au progrès social, avec le tabou sur les orientations économiques.
Les exigences de renégociation pour un autre traité, de consultation des Français sur les axes de cette renégociation et des contenus de ces axes doivent faire partie des enjeux des élections de 2007. Dès maintenant, des luttes, déjà porteuses des nouvelles exigences, peuvent être déployées.
De Villepin, avec son «plan d’urgence pour l’emploi», tente de récupérer de l’influence, et de contourner l’exigence d’un autre traité. Il redouble de démagogie et de dispositions archi-libérales : flexibilisation et baisse des cotisations sous prétexte d’inciter aux embauches.
Le contrat «nouvelle embauche», à la période d’essai, de licenciements très faciles, étendue à deux ans, introduit cette casse du droit pour les «très petites entreprises» d’abord. L’embauche des moins de vingt-cinq ans ne compte plus dans les seuils de 10 salariés, pour avoir des délégués du personnel, et de 50, pour un comité d’entreprise. Les contrats aidés publiquement pour jeunes dans les secteurs public et associatif, avec leurs bas salaires et leur précarité, tels les «contrats d’accompagnement vers l’emploi», sont amplifiés, comme les «contrats initiative emploi» analogues pour le secteur privé.
Pour les baisses des charges sociales sur les bas salaires, les poussant et tirant tous les salaires vers le bas, sans contrepartie en emploi mais déprimant la demande, on veut ajouter quelques milliards de fonds publics à la vingtaine déjà gâchés et les supprimer complètement en 2007 au niveau du SMIC.
Pour que les chômeurs acceptent n’importe quel emploi, c’est la carotte et le bâton : la prime de mille euros, l’aggravation des suppressions d’allocations en cas de refus. On pousse le cumul «emploi-retraite». Les faveurs aux emplois de services aux particuliers, par les baisses de cotisations, les «chèques emploi», les rémunérations à la tâche, se bercent d’illusions sur les résultats, alors que les emplois dans les services publics pourraient avoir une tout autre ampleur.
Face aux échecs des politiques menées depuis une trentaine d’années, il faut des changements radicaux. On a dit «on a tout essayé». Puis Le Monde du 7 juin découvre la «Sécurité sociale professionnelle» de la CGT, en la rabaissant au maximum et en cachant qu’une de ses sources est notre proposition d’ «Une Sécurité d’emploi ou de formation» (1).
Celle-ci veut éradiquer le chômage. Les économies de travail et de moyens matériels de la révolution technologique le relancent sans cesse, avec les pressions capitalistes contre les salaires et les dépenses sociales. Mais la révolution informationnelle exige des dépenses de recherche et de formation. Beaucoup plus massives, elles fourniraient demande et activité.
Pleinement réalisé, un système de Sécurité d’emploi ou de formation assure, à chacune et chacun, un emploi ou une formation, avec une continuité de bons revenus et droits, des passages de l’une à l’autre activité maîtrisés par les intéressés. Cela permettrait un « dépassement » du chômage : sa suppression réussie, car si on enlève son mal, on garde sa force, la suppression d’emploi pour le changement technique, mais par la mise en formation avec un bon revenu.
Pour commencer, il faudrait un retour à l’emploi choisi des chômeurs avec d’autres soutiens, des pouvoirs de propositions des comités d’entreprise contre les licenciements, des conversions d’emplois précaires en stables, des objectifs annuels de créations d’emploi et de formation, une autre utilisation des fonds publics.
Avancer vers un système de sécurité d’emploi ou de formation suppose des moyens financiers et des pouvoirs novateurs au niveau européen. Cela renvoie au cœur économique et monétaire hyper-libéral du Traité rejeté.
La Banque Centrale Européenne doit être contrôlée par les Parlement européen et nationaux et avoir une mission primordiale emploi. Il faut une «baisse sélective» des taux d’intérêt du «refinancement» des banques par la BCE, jusqu’à des taux zéro, pour les crédits aux investissements, matériels et de recherche, avec des taux très abaissés, d’autant plus qu’est programmé de l’emploi efficace, avec des formations. Déjà, en France des Fonds régionaux pourront prendre en charge une partie des intérêts des crédits, en exigeant des contreparties en emplois, en abaissant les charges financières au lieu des charges sociales
Contre le Pacte de Stabilité s’opposant aux dépenses publiques, un Pacte de progrès favoriserait les recherches avec la formation, une expansion industrielle et des services. La BCE doit soutenir les dépenses publiques utiles par des prises de titres d’emprunts publics.
Une démocratie participative permettrait d’utiliser ces moyens, avec des pouvoirs des citoyens et des travailleurs dans les entreprises, les services publics et les localités, leurs concertations, aux niveaux régional, national et européen, avec les assemblées élues. Cela déboucherait sur une autre construction mondiale : une refonte du FMI et une monnaie commune mondiale pour de nouveaux financements, une démocratisation des institutions internationales pour le co-développement des peuples. •
(*) Au Patriote Côte d’Azur Hebdo du 24/06/05 au 30/06/05.
(1) Paul Boccara, Une sécurité d’emploi ou de formation, Éditions «Le Temps des Cerises», Pantin, 2002.