Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Une Sécurité d’emploi ou de formation pour une autre Union Européenne

Dans tous les pays de l’Union européenne et plus particulièrement en Allemagne, en France et en Italie, on a assisté en 2003 et 2004 à la relance du chômage massif et de la précarité des emplois. On a subi la réduction des indemnisations du chômage, la mise en cause des droits et institutions sur le chômage, les licenciements et l’emploi. On a assisté aussi à des mesures structurelles voulant faire reculer la protection sociale, des retraites à l’assurance- maladie, sous prétexte de coûts sociaux excessifs contre l’emploi, alors qu’au contraire les dépenses sociales pourraient favoriser la demande, ainsi que la croissance et l’emploi, bases de prélèvements sociaux accrus.

Cette exaspération des défis d’une véritable Europe anti-sociale pour la rentabilité finan- cière des capitaux se conjugue avec l’enjeu de la faiblesse de la croissance et de l’emploi dans les grands pays européens, malgré la reprise de la croissance mondiale depuis la fin de 2003, surtout aux Etats-Unis et dans les pays émergents d’Asie. Cela renvoie à la matu- ration de la crise systémique mondiale, avec l’insuffisance générale de la croissance des emplois industriels et aussi des services.

En quoi les défis actuels  du chômage et de l’emploi dans  l’Union européenne  réclament-ils  un projet  de société tel que celui d’une sécurité d’emploi ou de formation déjà proposé en France ?

La grave crise actuelle du modèle social européen renvoie à une crise politique et culturelle de toute la construction de l’Union européenne. Cette construction a visé avant tout au nom de la coopération, un grand marché unifié et la monnaie unique pour la rentabilité financière des gros capitaux, en aggravant la concurrence entre les salariés, au détriment de l’emploi et des conditions  sociales de beaucoup  d’entre eux surtout dans les pays les plus avancés. Mais les protestations  s’exaspèrent,  face au refoulement des besoins sociaux et ces orientations  se retournent comme jamais contre la croissance de la production elle-même, déjà nettement inférieure à celle des Etats-Unis dans les années 1990. Cette construction  a visé des ententes  au sommet entre gouvernements et des institutions hyper-délégataires, comme la commission de Bruxelles. Et une constitution veut encore renforcer la domination des marchés et l’éloignement des pouvoirs politiques des populations. Mais cela entraîne la désaffection des citoyens, la montée des populismes et de l’extrême-droite. Ce qui fait cruellement défaut, c’est une grande mobilisation des peuples et de la jeunesse pour une avancée de civilisation européenne, face aux défis de construction  d’un autre monde.

L’élargissement de l’Union, dans ces conditions, va encore faire progresser  la concurrence  salariale, sociale et fiscale des pays adhérents de l’Est, avec leurs taux de chômage plus élevés (20% en Pologne) et leurs taux de salaire bien plus bas (salaire horaire minimum 2 euros en Slovaquie), mais aussi les pressions sur eux des pays dominants. Or se poursuiventles ravages des immenses exportations de capitaux favorisés par la Banque Centrale Européenne, surtout aux Etats-Unis, les délocalisations vers eux et vers les pays à bas salaires. Tout cela peut se renforcer encore.

Le défi idéologique et culturel sur les options  de la construction  européenne  prend une ampleur sans précédent. Ainsi, les orientations du Pacte de stabilité contre les déficits budgétaires, publics et sociaux, sont mis en cause dans la pratique  et dans les déclarations  par des pays comme la France ou l’Allemagne et d’autres encore. Mais tout le monde continue à s’y référer, depuis les menaces de la Commission jusqu’au gel effectif des crédits publics, comme en France.

La tromperie  et le désastre  d’une prétendue  « Europe sociale » sous domination des marché et des orientations actuelles de la Banque Centrale Européenne, y compris dans la gauche, du social-libéralisme de Shroeder au PS qui continue à ne pas mettre radicalement en cause la politique monétaire de la BCE sont critiqués comme jamais. Mais ces orientations sont pourtant maintenues.

Dans ces conditions, un projet social très fort et novateur, répondant  radicalement  aux défis du chômage est d’une importance décisive. Il doit à la fois rompre avec les orientations  poursuivies  et ne pas être tourné  vers le passé, mais vers les défis des nouvelles technologies et un dépassement de la flexibilité de pressions pour la surexploitation et de rejets sociaux.

C’est précisément le cas du projet de Sécurité d’emploi ou de formation. Pleinement réalisé, il vise à assurer à chacune et à chacun un emploi ou une formation, pour revenir par la suite à un meilleur emploi, avec une sécurité  de bons revenus et de droits, des passages de l’une à l’autre activité ou encore d’un emploi à un autre maîtrisés par les intéressés. On cherche à supprimer le chômage dans une sécurité d’activité et une mobilité choisie de promotion.

Les nouvelles technologies  de la révolution informationnelle utilisées sous domination de la rentabilité financière font conjuguer les énormes économies de travail et de moyens avec les pressions sur les salaires et les dépenses sociales, entraînant  l’insuffisance de la demande  et les vagues de chômage ou de précarité.  Mais utilisées autrement, avec une immense expansion des dépenses  et activités de formation et non seulement de recherche, elles permettraient des demandes et activités suffisantes pour éradiquer le chômage. Dans une analyse marxiste du dépassement (aufheben en allemand) une suppression réussie suppose de donner une autre solution au problème conservé. Il s’agit ici de supprimer les maux du chômage, tout en gardant sa force et le problème d’incitation à la productivité et au changement d’activité par les suppressions d’emploi, mais avec une mobilité entre emploi ou formation de qualité sans chômage, dans la sécurité d’activité. Cette perspective doit permettre des avancées immédiates rompant  avec les cercles vicieux des orientations actuelles.

Quelles critiques peut-on faire des orientations poursuivies  dans l’Union européenne  au nom de l’emploi ?

Les conceptions, les orientations et les politiques poursuivies dans l’Union européenne,  sous prétexte  de favoriser l’emploi, aggravent en définitive la précarité, en prétendant s’en prendre aux dites « rigidités » du marché du travail. Elles entretiennent le chômage, en voulant abaisser  les coûts salariaux et sociaux et en fait ainsi la demande et les capacités productives.

On peut considérer  quatre  ensembles  : les baisses  de cotisations sociales, les pressions  du « workfare » pour le retour à l’emploi, la prétendue combinaison de flexibilité et de sécurité ou « flexcurity », les « nouveaux départs » et la dite stratégie européenne pour l’emploi.

En ce qui concerne les baisses de cotisations, qui caractérisent fortement la France notamment pour les bas salaires mais aussi d’autres pays comme l’Allemagne en particulier pour les « mini-jobs », elles développent des cercles vicieux. En effet, outre leur ciblage sur les bas salaires, elles poussent à l’abaissement des coûts salariaux et à la pression  sur tous les salaires au détriment de la demande globale interne et des capacités productives.  Cela contribue à relancer le chômage. Cela peut aussi entraîner des cadeaux d’aubaine au patronat  pour certains emplois qu’il aurait pourvu de toute façon.

Les pressions à la baisse des indemnisations du chômage et d’aides sociales pour contraindre à accepter des emplois mal payés, des politiques dites de « workfare » initiées dans le Royaume-Uni, ont été recommandées  et ont tendu à se généraliser dans toute l’Union européenne.  Ces mesures, outre la détérioration des conditions sociales et les « emplois pauvres » auxquels elles incitent, poussent elles aussi avec la baisse des aides sociales et de salaires à l’insuffisance de la demande et des capacités productives, facteurs de relance du chômage.

Avec les incitations  juridiques aux contrats  précaires, les politiques et accords dits de combinaison de la flexibilité et de la sécurité  des emplois ont en fait contribué  à développer la flexibilité de précarisation, dans cette « flexsécurité », « flexcurity » en anglais.

Ainsi, aux Pays-Bas, la loi « Flexibilité et Sécurité » de 1998 a aboli des protections antérieures contre la précarité. Elle a échangé une stabilisation  juridique des emplois précaires contre de petites protections  de cette précarité. En Espagne, l’accord syndicats / patronat de 1997 a échangé un assouplissement des conditions de licenciement économique contre un certain encadrement des emplois temporaires. Au Danemark, qui serait le paradis de la « flecurity », cela signifierait qu’un quart de la population active passe chaque année par le système d’indemnisation du chômage, un paradis en effet mais dit-on avec beaucoup de serpents. En France, le contrat de mission de cinq ans a été proposé pour être généralisé tout particulièrement pour les travailleurs qualifiés par le Rapport de Virville, mais devant les protestations le gouvernement a pour le moment reculé. Ainsi les objectifs désormais  affichés de sécurité  sont complètement dénaturés, à l’opposé des propositions pour avancer vers une mobilité de promotion dans la sécurité des activités et des revenus sans chômage, c’est-à-dire vers un système de sécurité d’emploi ou de formation.

Cela renvoie aux objectifs globaux, affichés officiellement dans l’Union européenne, mais largement trahis en fait, des « nouveaux départs », lancés par le sommet du Luxembourg de 1997 et à la dite « Stratégie européenne pour l’emploi ». Les « nouveaux départs » consistent à offrir à chaque jeune avant 6 mois de chômage et à chaque adulte avant 12 mois de chômage soit un emploi, soit une formation, soit des mesures pour favoriser l’insertion dont un entretien personnalisé. Cette proposition  de 1997 paraît ressembler  à la proposition de Sécurité d’emploi ou de formation avancée dès 1996. Mais en réalité le chômage est maintenu et le troisième terme, les mesures pour favoriser l’insertion (pouvant répondre par ailleurs à un besoin réel), peut servir d’échappatoire, avec pour ainsi dire une sécurité d’emploi ou de formation ou seulement  d’entretien !  Et effectivement, si des plans nationaux d’action pour l’emploi ont été élaborés à partir de cette proposition et dans le cadre de la stratégie pour l’emploi, les Sommets européens ont toujours refusé que les objectifs chiffrés d’amélioration souhaitée de l’emploi, correspondent à des objectifs véritablement contraignants  de création d’emplois. Les objectifs chiffrés avancés, concernant  notamment l’élévation du taux d’emploi dans l’Union européenne ou le recul des discriminations de sexe ou d’âge ou d’origine, sont restés en bonne partie non suivis d’effets massifs, ou même ont pu justifier les contraintes  régressives  du « workfare », supprimant  des aides sociales et poussant éventuellement des emplois pauvres moins coûteux que de bonnes indemnisations ou retraites.

Ainsi la stratégie européenne pour l’emploi a été relancée à Lisbonne pour la période 2003-2006. Mais déjà en janvier 2004, la Commission doit déclarer : « Il est désormais clair que l’Union européenne  n’atteindra pas l’objectif intermédiaire : parvenir en 2005 à un taux d’emploi de 67% ». Et elle préconise de relancer le workfare, pour dit-elle, rendre le travail rémunérateur en réduisant les prestations sociales, ainsi que la flexibilité du marché du travail.

Il convient de souligner qu’alors qu’il y a unité de la politique monétaire  de la BCE et de crédit, ou encore  des contraintes  chiffrées sanctionnées  du pacte de stabilité, l’emploi et la protection sociale restent soumis à la concurrence entre pays européens et aux recommandations sans sanction. Bien sûr, il ne s’agit pas de réclamer une unité d’abaissement de meilleures protections sociales ou conditions pour l’emploi dans tel ou tel pays, mais un socle commun relevé pour des améliorations fondamentales dans une stratégie de progressions réelles et radicales des objectifs sociaux. Ils seraient articulés à une tout autre utilisation des moyens monétaires et financiers communs ainsi qu’à la création de nouveaux droits et pouvoirs, dans de nouveaux triangles institutionnels, objectifs, moyens, pouvoirs.

Quels objectifs  immédiats et pour  des  institutions nouvelles,  au  niveau  de l’Union européenne, pour avancer  vers une Sécurité d’emploi ou de formation  ?

Des objectifs sociaux nationaux d’éradication graduelle mais effective du chômage et de la précarité, avec un dépassement des mobilités dans une sécurité d’activités de promotion de chacun, tel que nous commençons à les avancer en France, peuvent à la fois pousser  des transformations  au niveau de l’Union européenne et dans les autres pays, mais aussi être considérablement  confortés  par de nouvelles luttes, politiques  et institutions  au plan de l’Union ellemême. Des objectifs communs concrets  pourraient  être avancés en relation avec une réalisation effective de ceux des buts globaux valables affichés par la Stratégie européenne pour l’emploi, de relèvement du taux d’emploi, de suppression des discriminations, de formation tout le long de la vie de tous, d’Europe de la connaissance, mais en rejetant les pratiques nocives de baisse des coûts salariaux et sociaux, des pressions du workfare, de flexibilité de précarisation et de rejet. On devrait viser à la racine les différentes situations concrètes  de privation d’emploi et d’insécurité sociale. On peut indiquer quatre ensembles pour des propositions et luttes sur des mesures  immédiates et aussi des avancées institutionnelles  progressives.  Il ne s’agit pas ici de présenter  des solutions toutes ficelées, mais au contraire d’ouvrir le débat et la recherche pour parvenir à élaborer des objectifs à la fois viables et radicaux, pour expérimenter des campagnes de longue haleine, en liaison avec les syndicats, les associations, les élus nationaux et européens.

Cela concerne,  premièrement,  l’indemnisation du chômage et les aides au retour à l’emploi. Comment solidariser les luttes dans les différents pays contre les réductions d’indemnités des chômeurs pour relever les taux d’indemnisation  et toucher  tous les concernés  ? Peut-on développer  une campagne sur la bonne indemnisation comme base de conditions de vie favorisant la réinsertion, ou encore sur l’idée qui monte actuellement en France pour une modulation des cotisations chômage des employeurs, pénalisant  ceux qui développent  la précarité  en faisant subventionner  en quelque sorte les emplois précaires par le système d’indemnisation ? Quant aux mesures dites de retour  à l’emploi, peut-on organiser la lutte en commun pour dénoncer l’idéologie des pressions du workfare voulant faire accepter  des emplois au rabais, au détriment  des exigences de bonne formation pour la promotion des capacités de travail ?

Mais au-delà, ne convient-il pas de proposer une radicalité de transformation progressive, avec la mise année par année de nouveaux contingents de chômeurs en emploi ou en formation de qualité, avec les soutiens matériels et les accompagnements  pédagogiques nécessaire, en utilisant autrement  les Agences pour l’emploi ou institutions  de formation continue publiques et sociales, cela contribuerait à éradiquer graduellement le chômage.

Un deuxième ensemble de mesures se rapporte aux transformations progressives des emplois précaires et des emplois à temps partiel contraint en emplois stables et à temps plein. En France, des mesures législatives viennent d’être proposées concernant les limitations de ces emplois, et leur transformation  graduelle avec l’utilisation de la formation. Ne peut-on proposer des mesures convergentes partout dans ce sens, en visant des directives européennes nouvelles, y compris pour des incitations financières à des contrats transfèrables entre divers employeurs pour permettre  de passer d’un emploi à un autre, au lieu d’être rejetés par un contrat précaire ?

Cela rejoindrait un troisième ensemble fondamental visant la conquête d’un nouveau droit social européen de « sécurisation des parcours professionnels ». On pourrait partir de la problématique  des licenciements, restructurations et délocalisations, pour des alternatives, comme l’a tenté la loi de modernisation sociale en France en partie mise en cause depuis. Des avancées immédiates peuvent viser des moratoires suspensifs de licenciements pour permettre des propositions  alternatives  de maintien en emploi, particulièrement des comités d’entreprise, avec des instances sociales d’arbitrage. Elles peuvent concerner des reclassements effectifs et de qualité pour tous, avec des obligations des entreprises  de participation  à la création  de nouveaux emplois et production dans les territoires affectés par leurs licenciements. Elles peuvent établir surtout  des droits et moyens pour des actions préventives en amont des difficultés avec mise en formation, nouvelles recherchesdéveloppement et coopérations.

Mais au-delà, il s’agirait d’instaurer de nouveaux types de contrats de travail et d’institutions pour organiser le passage d’un emploi à un autre ou d’un emploi à une formation pour revenir à un meilleur emploi sans interruption du chômage. Cela renvoie à un grand développement des tentatives existantes  de groupements  d’employeurs et à leur extension par des accords avec des institutions de formation. Cela renvoie aussi aux propositions  du Sommet européen  de Luxembourg de 1997 du « salariat de pluri-activité » ou de « multi-salariat ». Mais on refuserait  la consolidation,  au nom de ces principes nouveaux, des précarités de passage par le chômage en visant tout au contraire son éradication. Cela viserait des groupements d’employeurs et de formateurs au niveau des bassins et des régions. Mais cela serait aussi possible au niveau de filières industrielles, avec des coopérations pour les recherches-développement jusqu’au plan européen, comme cela a commencé à être proposé en France pour une sécurité d’emploi et de formation dans l’industrie aéronautique, notamment en Ile-de-France.

Cela exigerait sans doute de nouvelles institutions à la fois publiques et mutualisées. Elles contribueraient à soutenir les interventions des travailleurs dans les gestions prévisionnelles des entreprises, à organiser des arbitrages ou encore des emplois et formations de dernier recours. Cela ajouterait une dimension fondamentale nouvelle au regroupement et à la refonte des agences sur l’indemnisation du chômage, le retour à l’emploi et la formation continue, pour des services publics généraux et mutualisés de sécurisation et de promotion des emplois et des formations. Ces services nouveaux pourraient être impulsés à la fois au niveau européen et au plan national, en renvoyant d’ailleurs à l’action de moyens financiers communs comme ceux de la Banque Centrale Européenne ou des Fonds structurels européens. Ces services  refondus  pourraient  être mis en place graduellement  à partir  des trois ensembles  de mesures sociales évoqués sur l’emploi-formation et de leur convergence vers un quatrième ensemble :des objectifs annuels de création ou de transformation  d’emploi ou de formation. Il s’agirait d’objectifs annuels régionaux, nationaux, mais aussi européens  les regroupant,  avec des engagements d’exécution solidaire. De tels objectifs chiffrés et contraignants supposent  la mise en place de nouvelles institutions sociales et des moyens financiers adaptés, dans de nouvelles stratégies européennes et nationales pour l’emploi. Comme on ne vise pas du tout un système  de garanties autoritaires  et centralisées  d’emploi, cela se rapporterait principalement à des incitations financières fortes des entreprises et des formations, en liaison avec des avancées de gestion d’efficacité sociale faisant reculer la rentabilité financière le plus possible.

Mais il faudrait tenir compte du reste des objectifs chiffrés, auxquels les incitations et les nouvelles gestions ne répondraient pas, même avec un nouveau développement des entreprises  publiques et mixtes en coopération  dans l’Union européenne. Cela nécessiterait des mises en formation par des institutions publiques et sociales répondant aux demandes  ainsi que des créations  d’emplois publics ou sociaux pour de nouveaux besoins. Cela inclurait un nouvel essor du secteur des entreprises et associations solidaires d’insertion, non lucratives et publiquement aidées.

Quels moyens financiers pour ces objectifs sociaux et quelles transformations de la construction monétaire et financière européenne?

La construction  monétaire et financière de l’Union européenne a fortement contribué à la croissance  moindre et encore davantage au chômage plus élevé de la zone euro par rapport  aux Etats-Unis, avec ses restrictions  se voulant anti-inflationnistes, afin de favoriser avec un euro fort les marchés financiers et l’exportation des capitaux européens. Cependant, la monnaie commune constitue un atout et un potentiel considérable pour une tout autre croissance et plus précisément une Sécurité d’emploi ou de formation, à condition d’être utilisée tout autrement, avec une expansion d’un crédit émancipateur du marché financier.

A propos du jeu des types de fonds : publics, du crédit, du marché financiers et des entreprises, il convient en effet d’insister sur le rôle nouveau possible des fonds publics et sociaux, et plus encore du système de crédit.

En ce qui concerne les fonds publics, la première question est celle de supprimer le carcan du Pacte de stabilité, restreignant les dépenses budgétaires publiques et sociales, avec notamment le plafond du déficit de 3%. Tandis que ce plafond est aujourd’hui enfoncé par de grands pays et que les mécanismes de sanction  sont suspendus,  on évoque des éventualités de réforme sans encore s’y résoudre.

Ainsi, certains  considèrent  la possibilité d’exclure les dépenses d’investissement d’infrastructure et de recherche pour évaluer le déficit, au nom des besoins  de la croissance, en s’inspirant de l’exemple britannique. Mais l’idéologie européenne dominante s’y oppose encore. Et surtout, pourquoi ne pas exclure aussi, outre l’éducation et la santé, les dépenses  sociales et favorisant l’emploi ? Par ailleurs, comme le fait la Federal Reserve des Etats-Unis, la Banque Centrale Européenne pourrait prendre des titres d’emprunts publics grâce à une création monétaire, tout particulièrement affectée aux dépenses  réelles et sociales utiles évoquées. La deuxième question pour les fonds publics concerne le contrôle démocratique de leur utilisation pour vérifier s’ils ont effectivement permis, dans telle entreprise bénéficiaire, d’augmenter l’emploi, en exigeant notamment un remboursement dans le cas contraire. Cela se rapporterait aux fonds nationaux (plusieurs dizaines de milliards d’euros en France), mais aussi aux Fonds structurels européens (195 milliards d’euros de 2000 à 2006, dont 16 pour la France) visant les régions en retard, les reconversions dans les zones en difficultés, la formation et l’emploi.

Au lieu d’être réduites, les cotisations sociales seraient globalement relevées, mais avec une modification et une modulation de leur assiette. On y ajouterait les profits financiers et on augmenterait plus fortement les prélèvements dans la mesure où l’entreprise fait moins de salaires par rapport à la valeur ajoutée produite dans la branche, ou on les abaisserait relativement dans la mesure où elle fait plus de salaires, par rapport à la valeur ajoutée.

Quant aux financements publics de baisse et d’exonération des cotisations sociales, entraînant des cercles vicieux de pressions en faveur des bas salaires contre la demande et l’emploi, il faut leur opposer  des baisses  de charges financières avec un nouveau crédit favorisant l’emploi. En ce qui concerne de nouveaux types de crédit, ils pourraient d’abord être mis en place au niveau régional et national, comme on a commencé à le proposer  en France. Des Fonds régionaux seraient dotés de financements publics pour prendre en charge tout ou partie des taux d’intérêt et garantir les crédits pour les investissements matériels ou de recherche, avec des taux d’autant plus abaissés (jusqu’à des taux négatifs, c’est-à-dire des réductions  des remboursements) que sont programmés de l’emploi et de la formation efficaces. Ces Fonds, visant d’autres relations  avec les banques, pourraient être soutenus au plan national, avec nos fonds de coordination et une reconversion des fonds publics actuellement gâchés au nom de l’emploi, et aussi par l’institution d’un pôle public et social d’institutions de crédit.

Mais surtout, c’est un tout autre rôle de la Banque centrale européenne qu’il s’agit d’exiger. Avec ses moyens très importants d’une nouvelle création monétaire partagée, elle pourrait « refinancer » des crédits à moyen et long terme des banques pour les investissements réels des entreprises, dont les taux seraient d’autant plus abaissés que sont programmés des emplois et des formations, notamment en coopération. Au contraire, les taux d’intérêt seraient relevés pour les crédits aux placements financiers.

Ces nouveaux types de crédit pourraient  favoriser les avancées d’autres gestions des entreprises, avec des critères d’efficacité sociale, faisant reculer les critères de rentabilité financière, réduisant  les coûts matériels et financiers, en développant, avec les recherches,  les capacités humaines, formation et emploi de qualité, au lieu de faire pression sur les salaires et les dépenses  sociales, jusqu’à jeter les travailleurs. Cela renvoie plus particulièrement  à d’autres coopérations au niveau de l’Union européenne, à l’opposé de la politique de concurrence  destructrice de la Commission. On a commencé à protester contre  ces dégâts en évoquant le besoin de politiques industrielles et de recherches,  mais sans aller jusqu’à les organiser et avec d’autres critères de gestion, d’autres financements, d’autres pouvoirs des travailleurs.

Cela se rapporte  enfin à d’autres coopérations et à un nouveau rôle de l’Union européenne  pour une construction mondiale alternative. Il s’agit notamment  d’aides en euros aux pays du sud, tout particulièrement  ceux du sud de la Méditerranée  pour qu’ils nous achètent  davantage d’équipements, dans l’intérêt de l’emploi et du développement des deux côtés, à l’opposé des concurrences de délocalisation dans les deux sens d’une simple zone de libre échange. Il s’agit encore  d’une refonte du FMI avec une démocratisation et la création  d’une monnaie commune mondiale, à partir  des Droits de Tirages spéciaux des Banques Centrales participantes, pour s’émanciper du dollar et développer des refinancements de crédits pour l’emploi, la formation, le co-développement de tous les peuples.

Quels pouvoirs et droits nouveaux pour cette nouvelle construction européenne  ?

On peut distinguer quatre ensembles.

C’est, tout d’abord, au niveau des entreprises,  le besoin d’une extension des pouvoirs des comités d’entreprises ou conseils d’établissement,  non seulement de participation mais de propositions  alternatives pour les gestion et cela, au-delà des problèmes sociaux, sur les décisions financières et de production les conditionnant. Ils seraient confortés par des instances publiques et sociales de recours et d’arbitrage, développant encore les modèles les plus avancés, comme celui des Pays-Bas. Il s’agit aussi des comités d’entreprise ou de groupes européens, déjà installés par plusieurs centaines de multinationales. Au-delà des droits d’information, voire de consultation, ce sont des pouvoirs de propositions alternatives avec arbitrages  qui devraient être obtenus.  Il en irait de même pour aller au-delà de la directive sur l’information et la consultation des travailleurs pour les entreprises de plus de 50 salariés installées dans un pays de l’Union européenne.

Il s’agit ensuite de nouveaux pouvoirs au niveau des bassins d’emploi et des régions pour les salariés, les populations, et leurs organisations, en concertation avec ceux des CE ou des élus territoriaux. Ils concerneraient  tout particulièrement des objectifs de créations  et de transformation d’emploi ou de formation, jusqu’à leur intégration dans les objectifs nationaux et européens.

Il faut encore  considérer  les institutions  publiques  et mutualisées sur le chômage, l’emploi et la formation. Des pouvoirs d’intervention des intéressés  eux-mêmes et de toutes leurs organisations syndicales et aussi associatives dans les institutions existantes seraient organisés. Ils seraient articulés à ceux à établir dans les entreprises,  et les territoires, ou pour les financements. Ils concerneraient  tout particulièrement les institutions et droits nouveaux pour la sécurisation des parcours professionnels et aussi pour les objectifs annuels de résorption graduelle du chômage et de la précarité.

Au-delà de ces avancées communes possibles de pouvoirs économiques, sociaux et politiques dans les différents pays de l’Union européenne, il convient de considérer leur liaison avec de nouveaux pouvoirs politiques au niveau de l’Union. Ces pouvoirs locaux et nationaux conquis par les travailleurs et les citoyens permettraient déjà de rapprocher le plan local et le national du plan européen,  dans la mesure  où ils permettent  de populariser et d’expérimenter le conditionnement pratique  des actions locales par les orientations européennes.  Mais aussi ces pouvoirs locaux et nationaux se poursuivraient par des participations et des consultations déterminant des décisions sur des directives, institutions, orientations et stratégies de sécurisation de l’emploi et de la formation dans l’Union européenne. Cela nécessiterait des refontes du Conseil économique et social européen et du Comité des régions, élargissant leur contrôle par le bas et leurs pouvoirs vers le haut. Et cela s’appuierait sur l’organisation de consultations décisionnelles des populations sur ces questions du Parlement européen et des Parlements nationaux, avec le suivi en continu des débats  par les travailleurs et les citoyens.

Enfin, alors qu’un mouvement national pour aller vers un système de Sécurité d’emploi ou de formation commence à être organisé en France, depuis les régions, c’est un véritable mouvement européen qu’il faudrait lancer. Il s’agirait d’un vaste mouvement décentralisé, avec des formes variables suivant les pays, mais aussi des coordinations, des rencontres, des débats, des élaborations et des campagnes convergentes ou communes, entre acteurs sociaux et politiques. ■