Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Les 50 ans d'Economie et Politique

C’est un public nombreux, de toutes générations, à l’image de celles et ceux qui ont contribué et contribuent à la revue, qui est venu participer le merc redi 26 janvier à la soirée d’anniversaire organisée pour fêter les 50 ans de la revue. Placée sous la présidence d’André Lajoinie, directeur de la revue, avec la par ticipation de Marie-George Buffet , secrétaire nationale  du PCF, cette soirée qui c’est conclue par un moment artistique de grande qualité avec le Sextuor Arabesque a été l’occasion de multiples retrouvailles,  d’échanges et Economie et Politique oblige de débats ! Avec les trois introductions de ceux-ci, ainsi que de larges extraits de l’intervention prononcée par M.-G. Buffet, nous avons sorti quelques petits extraits des nombreuses interventions.  Nous mettrons prochainement à disposition l’intégralité de cette soirée sur le site de la revue.

Une aventure militante et intellectuelle

Introduction de Jean Magniadas

Économie et  Politique à cinquante  ans. Ce n'est pas rien pour une revue militante et q ui n' a s û reme nt pa s épu is é e  s a  t ra je ct oi re . Fondée par une initiative audacieuse et heureuse du P a rti communiste français, son avènement fut fort bien accueilli par les militants et, notamment par les commu- nistes militants à l'entreprise, en particulier les syndicalistes - je ne suis pas trop mal placé pour m'en souvenir. Placée sous le signe de l'économie et de la politique, se situant, explicitement sous le drapeau du marxisme, son existence ne fut pas nécessairement celle d'un fleuve tranquille. La table ronde que, dans sa dernière livraison la revue a consacrée à ces cinquante années ne le cache pas. Vous l'avez lu. Vous l'avez entre les mains. J'en tire, pour ma part, la leçon que la novation en politique, comme en économie, aussi primordiale  soit-elle, n'est ni facile, ni nécessairement simultanée. Des échos assez nombreux reçus par la revue établissent que cet examen ouvert et critique a été bien accueilli, tant par les lecteurs actuels que par ceux, nombreux - plusieurs sont présents, ici, ce soir - qui ont été associée à sa rédaction,  à sa vie au cours des cinquante années durant, y compris de camarades qui s'en sont éloignés. J'ai recueilli personnellement plusieurs  de ces témoignages et l'indication que cette table ronde, reconnue comme substantielle, n'avait sûrement pas épuisé le sujet. Une demande d’approfondissement, dans la sérénité, existe.

Cet examen permet de mieux évaluer l'apport d'Economie et Politique, les novations qu'elle a cherché à promouvoir. Au milieu d’autres, citons cette novation majeure que constitua la théorie du capitalisme monopo- liste d'état, de sa crise, initiée et portée par Paul Boccara . Elle irriguera, notamment après la Conférence Internationale de Choisy-le-Roi de la fin mai 1946, le travail de la section économique et de la revue, servira de points d'appui à la réflexion et à l'activité communiste. Elle permettra notamment de donner de nouveaux fondements théoriques à la nationalisation démocratique et dégager ce concept de la gangue réformiste  qui enfermait ses potentialités.

C'est sans doute cette inscription dans le militantisme communiste qui lui valu de disposer au cours de ces cinq décennies d'existence de très nombreux collaborateurs. On a recensé au moins 1500 personnes  qui , sous une forme ou sous une autre, ont contribué à sa rédaction. Certains devant adopter des pseudonymes pour échapper à la répression. A sa rédaction furent toujours associés des syndicalistes. Le jeune Henri Krasucki, pas encore Secrétaire Général de la CGT donna  dans les premiers numéros de la revue un article sur les procédés patronaux en matière de formes du salaire, alors au cœur des pratiques pour diviser les salariés. La plupart des collaborateurs de la revue participaient activement à la section économique du PCF avec laquelle la revue vivait dans une synergie étroite et bénéfique sans pour autant se priver de l'apport d'autres collaborations particulièrement en ce qui concerne la politique extérieure, les questions agraires, l'action à l'entreprise. Dans les rangs de la section économique et de la revue se sont formés des centaines d'hommes et de femmes. Plusieurs ont accédé à de hautes responsabilités dans le Parti communiste d'autres malgré la répression et les ostracismes de la guerre froide ont finalement accédé à de grandes  responsabilités dans l'université ou dans l'Administration. Parmi tous ceux qui ont contribué à l'existence d'Economie et Politique, il y avait des révolutionnaires convaincus et des gens de talent. Je ne les énumèrerais pas craignant par oubli d'être injuste. Je le serais certainement si je ne mentionnait pas la personnalité remarquable de modestie, d'ouverture, d'intelligence, d'humanité, du militant révolutionnaire, dirigeant communiste et syndicaliste que fut Henri Jourdain. Le temps est limité pour dire plus mais je crois savoir que l'historien Claude Willard qui a fait un très beau livre sur et avec Jourdain évoquera, ce soir, son rôle, si éminent.

De ces élaborations fructueuses sont sortis les critères de gestion qui à la vision essentiellement quantitative et étatiste opposaient celle de critères de gestion économiques et sociaux qui permettaient de donner une base sérieuse à l’aspiration autogestionnaire. L’idée de la monnaie commune, en opposition à la monnaie unique, dont on peut mesurer les dégâts, la portée de la révolution informationnelle, l’accent mis sur la maîtrise du crédit  et le contrôle des fonds régionaux ont été portés par la revue, souvent  seule. Ce qui a permis à l’extérieur  de les ignorer, de les dévoyer, de les récupérer pour en nier la portée. N’est-ce pas, ce à quoi on assiste avec la très novatrice proposition  de Sécurité d’emploi et de formation. Novatrice et décisive, non seulement parce qu’elle s’attaque frontalement à la tare fondamentale du capitalisme, mais aussi parce que l’emploi conditionne les salaires, les conditions de travail, si malmenés et, plus généralement  les rapport s de force dans la société.

Economie et Politique peut être fière de son passé. C’est un acquis robuste, sachons le projeter dans le présent et dans l’avenir. Empruntant à Eluard j’ai envie de dire, en terminant : le «ce qui a été compris existe» et, d’ajouter, mais ne se valide que dans l’avenir. Il faut y penser mais agir pour le permettre.

Débat n°1

Francette Lazard

Economie et Politique et la section économique ont aussi été une école d'audace intel- lectuelle et de responsabilité individuelle qui ont profondément marqué tout ceux qui y ont participé quelque soit par ailleurs l’itinéraire ultérieur de chacun…

… comment arriver à construire  du commun, à construire  de nouveaux rapports dans le respect des singularités des re c h e rches et des élaborations politiques ? Et comment trouver de nouvelles cohérences qui incitent au développement  de ces créativités sans raccourci, sans aplatissement, sans instrumentalisation  ? Cette élaboration,  l'histoire d'Economie et Poli- tique nous incite à la pousser aujourd'hui…

Claude Willard

Henri Jourdain a eu la volonté de souder la section économique, de la réunifier et de faire de la revue l'expression publique de ses recherches théoriques (…) de parvenir  à ce que la section et la revue contribuent efficacement à l’élaboration, non seulement de la politique économique du parti, mais aussi à sa politique tout court. En essayant de lier recherche et action…

Paul Boccara

A propos de l'histoire de la revue, le plus important, ce sont les leçons pour le présent et pour l'avenir:

1 - sur notre orientation  et notre progression :

Face à l'effondrement de nos anciens repères révolutionnaires étatistes et dogmatiques et face aux transformations historiques, nous avons cherché la mise en liaison entre un déve- loppement créateur de la théorie marxiste et les luttes. Dans ce va-et-vient, il s'agissait de ne pas céder sur les idées novatrices:

2 - sur les obstacles à surmonter:

- l'opposition et le rejet de la nouveauté,

- malgré le succès des idées nouvelles, la récupération et la déformation conservatrice par d'autres et même dans le PCF.

- la phraséologie et la répétition d'une formule, au lieu de la concrétisation et du dévelopement dans les luttes, comme cela persiste pour la sécurité d'emploi ou de formation,

- l'insuffisance aussi de nos apports et le besoin de passer à d'autres apports,

- l'immaturité de la situation objective par rapport à nos espérances…

3 - sur l’expérience  de ce qui a trop manqué dans l'élaboration  avec d'autres forces. Il s'agit du besoin d'efforts persévérants de clarification publique sur les exigences objec- tives de transformation en articulation avec des luttes immédiates, dans leur direction…

Jean Charles Dubart

…Une des grandes périodes d'activité fut la bataille sur la grande crise pétrolière de la fin des années soixante (….) Nous avons mené une bataille pour la gazéification souterraine qui a d'ailleurs  abouti à ce qu'il se fasse des choses à Charbonnages de France (…) les idées sur la question énergétique portées dans la section économique marquent encore le paysage dans la France d'aujourd'hui  et restent dans les enjeux actuels avec la tentative de privatisation d'EDF…

Yvette Lucas

… Jean Fabre et Henri Jourdain ont ouvert largement la section au niveau de la variété des participants. Il y avait évidemment des militants politiques et syndicaux, des économistes, mais aussi des historiens, des psychologues, moi j'étais sociologue. Plus tard il y a eu des ingé- nieurs et des hauts fonctionnaires et nous avions un nombre de groupes de travail important. Nous y rencontrions des capacités de réflexion, de stimulation, d'inventivité et de créativité remarquables…

Catherine Mills

La section économique et Economie et Politique ont été une école extraordinaire au plan théorique, notamment les recherches sur la régulation systémique du capitalisme, au plan du m a rxisme. C’est aussi grâce à cette école que nous sommes formés (…). Il y a beaucoup d’espoir avec les travaux récents sur le contrôle des fonds publics, la sécurité d’emploi ou formation ou les Fonds régionaux pour l'emploi et la formation. Il y a beaucoup de potentialités…

Max Cohen

Je voulais simplement rappeler le rôle du trio joué par Henri Jourdain, Jean Fabre, Paul Boccara. Chacun avec sa compétence. Mais je dois dire qu'il y avait un souci chez chacun d'eux qui était d'assurer matériellement la liaison théorie, politique et social (…) une réflexion mêlant ceux qui étaient sur le terrain et proches des informations,  mais en même temps s'intéressant à la théorie et ceux qui étaient plus à même de théoriser en prenant en compte des réalités soulignées pas les autres…

L’apport de la revue à la politique du PCF

Intervention de Marie-George Buffet

Je tenais à être là pour re n d re   h o m ma g e   à Economie et Politique, à ceux qui l'ont fait vivre et alimenté, mais il ne faut pas qu e l'on ait qu 'un r e g a rd  s u r  l e  p a s s é , même si ce passé a été et est extraordinaire par sa ca pacité d'innovation.

Le premier enseignement que je vois, c’est l’importance de l'outil présent. On ne peut pas être un grand parti national si on n'a pas un travail théorique qui nous permet de donner à voir la compréhension des mécanismes, des logiques en place et surtout qui nous permet en perm anence une adaptation de nos analyses, une innovation.

Ce que j'ai entendu fait penser qu'il faut, au-delà d'Economie et Politique qui continue, sur d'autres domaines que nous fassions le même effort de trava i l . On en a besoin.

On ne peut pas construire une audience, un rayonnement simplement avec des petites phra s e s, simplement avec des passages médiatiques, et il faut que nous obtenions une crédibilité politique sur un projet. Cela se construit à partir d'un travail intellectuel très important. Pour ce travail nous avons besoin de compétences communistes et nous avo n s besoin de confronter ces compétences à d'autres compétences

Le deuxième enseignement que je veux faire concerne ce rapport que vous avez tous souligné entre ce trava i l théorique et l'action. Ce travail théorique et sa concrétisation. Ce travail théorique et les luttes.

C'est-à-dire comment nous arriverons à faire en sorte que l'action, les élus soient nourris à tout moment par une réflexion et un travail intellectuel. Lorsque l'on entend, aujourd'hui, ce que l'on appelle les hommes politiques, en général, on a l'impression qu'il y aurait ceux qui détiendraient le savoir économique d’un côté et la politique politicienne de l’autre (…)Cette séparation que l'on veut nous installer entre l'intervention politique et ce qui relève rait des gens responsabl e s et sérieux, les contingences économiques, ce raisonnement, a nourri une pédagogie du renoncement chez les gens et dans l'action politique elle-même. On a petit à petit, comme une peau de chagrin, rabougri le champ de l'intervention politique. Comme s'il y avait le champ de l'économie intouchable et celui de la politique qui jouerait en marge. Le politique serait cantonné aux questions sociétales.

Je crois que cette volonté que vous avez eu et que vous avez aujourd'hui dans l’équipe d'Economie et Politique pour faire en sorte que les luttes et l'action politique soient nourries par ce travail est extrêmement remarquable.

La troisième remarque, c'est le travail que nous avons à faire en tant que parti révolutionnaire pour aider chaque homme et chaque femme à comprendre la complexité aujourd'hui des mécanismes en place et du monde. (.…) celui d'éducation populaire, vous avez parlé de formation. Economie et Politique comme un lieu de formation. (…)

Notre capacité à donner à voir exactement les mécanismes de la construction actuelle de l'Europe libéra l e, le contenu de ce projet de constitution, est nécessaire, pour que les femmes et les hommes se saisissent d'un tel dossier et se rassemblent sur le «non». Mais ce «non» sera d'autant plus large qu'il y aura une perception de cette autre Europe que nous voulons construire. Et là encore nous avons besoin d'un travail important sur l'alternative en Europe pour montrer que (…) la mondialisation capitaliste et l'Europe libérale ne sont pas des contraintes fatales que l'on ne pourrait pas renverser pour ouvrir d'autres possibles.

Cela est aussi vrai sur d'autres sujets (…) comme la Sécurité d’emploi ou de formation. N'en faisons par un slogan. N'en faisons pas trois lettres «S.E.F». Ce serait nier la richesse qu'il y a dans cette innovation (…).

Je voudrais vous dire avec beaucoup de sincérité : bonne route. Parce que c'est devant nous et non pas derrière nous, que nous avons besoin de cet effort d'innovation et merci.