Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La crise, l’Europe, le monde Défis de radicalité des solutions*

La crise systémique de la marchandisation de toute la vie et de l’hyper–libéralisme mondialisés révélerait, avec la profondeur du ralentissement actuel de la croissance, la radicalité des défis de transformation. Comme jamais monte la protestation contre les dégâts sociaux de ce type de mondialisation et la revendication d’un autre monde. Mais les propositions restent faibles. Elles demeurent principalement traditionnelles et non à la hauteur de la nouveauté des enjeux.

1) Maturation  de la crise systémique et gravité du ralentissement actuel

On assiste à une nouvelle crise de la croissance  à l'échelle mondiale correspondant à l'éclatement de la suraccumulation des capitaux financiers et réels en 2001. Elle se situe dans le cadre de la crise systémique de la longue phase de tendance au freinage de la croissance et au chômage  massif  qui  dure  depuis  une  trentaine  d'années. Cette crise systémique renvoie à la contradiction  entre la révolution technologique informationnelle et la structure ainsi que la régulation du système capitaliste. Le système pousse cette mutation technique mais tend à la rendre extrêmement perturbatrice.

Cet éclatement de la suraccumulation  serait beaucoup plus grave que les précédents  : de 1969 - 74, de 1979 -  82 ou de 1990 - 92.

Contrairement aux illusions de la croissance de 1999 et 2000 dans les pays les plus développés prétendant  à une « nouvelle économie », on voit que la solution essentiellement  technologique,  sans  transformation  sociale  systémique, ne permet pas une croissance  soutenue  durable.

D'ailleurs, les nouvelles technologies ont été touchées de plein fouet. Aussi bien la forte croissance temporaire  que la crise récente  de fort ralentissement  seraient liées aux conséquences de la maturation de la révolution  informationnelle.

Ainsi, il y a eu une accélération  de la productivité  de tous les facteurs dans les années 1990, surtout aux Etats-Unis (1).  A  l'accélération  des  économies  massives  de capitaux matériels fixes et circulants, relativement au produit ou à la valeur ajoutée, dans l’industrie et encore plus dans  es services qui ont explosé, s'est ajoutée l'accélération des économies de travail vivant. Ces économies se sont conjuguées à la maturation  des pressions  de la ren-abilité financière sur les dépenses salariales et les dépenses  sociales.

Aussi, après avoir contribué au relèvement de la rentabilité des capitaux et à leur forte accumulation, ces économies et ces pressions ont entraîné une insuffisance considérable de la demande globale. Cela a provoqué des surcapacités réelles très importantes  et les excès de leur accumulation, en outre extrêmement amplifiée par les gonflements financiers. D'où la chute de rentabilité  et les chutes  des  titres  financiers. La « suraccumulation »  est devenue si évidente que l’expression revient dans beaucoup d’analyses.

Cependant, le ralentissement  de la croissance  pourrait être  bien plus durable  qu'après  les éclatements  précédents  de suraccumulation  à l’intérieur de la crise systémique. Déjà, contrairement  aux croyances à la reprise en 2002, il y a un nouveau ralentissement  dans la deuxième moitié de l’année. Et, éventuellement  une reprise  ultérieure pourrait elle-même déboucher  sur une croissance molle et insuffisante.

Ce ralentissement  plus marqué serait dû à des modifications des processus  réels et financiers.

1) Au plan réel, les économies  de moyens matériels (incorporant  du travail) et de travail vivant seraient devenues  plus  massives,  plus  rapides  et  plus  durables.  De plus, le stock de moyens matériels anciens aurait été largementrenouvelé. En outre, l'importance des surcapacités  renvoie  aux  surinvestissements  concurrents  des groupes fusionnés géants visant à dominer tout le marché mondial. D’où sans doute, la limitation bien plus forte de la demande d'investissements matériels et de facteurs de production.

2) Au plan financier, on assiste, d'une part, a des tendances  déflationnistes  plus marquées  tendant  à freiner les crédits  et le pouvoir d'achat.  En effet, les baisses de titres financiers amples et durables font éclater les surendettements de ceux dont  les actifs financiers, garantissant les dettes, baissent.

Cela touche les entreprises  et les ménages, et donc leur capacité à emprunter.  Mais cela concerne aussi la baisse des actifs des banques, face à la montée des créances douteuses.   Ainsi, après  les  énormes  difficultés persistantes des banques japonaises, ce seraient les difficultés de la plupart  des banques  des autres  pays, notamment des banques allemandes, et les limitations nouvelles des crédits. Cela touche aussi les surendettements des Etats, tout particulièrement  dans les pays en développement et émergents qui avaient déjà connu une baisse des financements extérieurs depuis 1997.

Mais, d'autre part, on est en présence d’un soutien renforcé  des  marchés  financiers  par  les  Etats  et  par  les baisses générales de taux d’intérêt des crédits. Aussi les dégonflements importants des accumulations financières, aux effets dépressifs,  n'empêchent  pas le maintien d'un gonflement qui reste excessif et qui continue à peser sur la volatilité des titres.

En dernière  analyse, l'ampleur de la suraccumulation mondialisée des capitaux renvoie désormais  aux limites imposées à la population mondiale : limites de sa demande  et  de  ses  capacités  productives  (par  insuffisance du progrès de la formation et par insuffisance d’emploi).

C'est face à ces difficultés du fort ralentissement  de la croissance  mondiale  que  monte  l'agressivité  des  Etats-unis. Il ne s'agit pas seulement de répondre au terrorisme d'Al-Quaida, ni même  de  chercher  à  contrôler  tout  le pétrole islamique, mais aussi de stimuler la demande d'armements, de dériver les craintes  de l’insécurité sociale sur  l'insécurité physique et la violence, d'intimider tous les pays en développement  et également les autres pays développés,  en  faveur  de  leur  « impérial-libéralisme ».

D’où le défi d’une autre construction  mondiale sur tous seulement  face à cette  agressivité et aux dangers  d'une guerre en Irak, mais encore pour une véritable coopération mondiale de co-développement avec les pays sousdéveloppés ou émergents, en liaison avec les exigences d’un développement  réel et social novateur dans l'Union européenne.

Toutefois, les anciennes solutions keynésiennes de relance, principalement  par les investissements  productifs et leur financement public, seraient tout à fait insuffisantes.  Elles seraient  contrariées  désormais  par les formidables économies accélérées des investissements matériels dans les entreprises,  relativement à la production de produits  et de services.  Ces économies, jointes aux économies sur le travail vivant et aux pressions  sur les salaires et les dépenses sociales, entraînent comme jamais la relance de la suraccumulation  et du chômage massif, de la précarité  des emplois. Mais aussi l’accent mis principalement, comme certains le proposent à gauche, pour une nouvelle croissance, sur des investissements publics très importants financés par les budgets se heurterait aux exigences des entreprises, contrairement à un keynésianisme étroit, considérant strictement la demande  globale. Chez Keynes il y avait d’ailleurs une préférence pour le financement public de l'investissement productif, avec donc la considération  de la production,  à l'opposé de sa conception  générale d'une demande indifférenciée y compris celle d'armements, comme d'ailleurs dans la croissance après la deuxième guerre mondiale.

Les exigences incontournables des entreprises  renvoient,  dans  les  conditions  actuelles,  à  leur  pression contre  les  fortes  fiscalités.  Elles renvoient  aussi  aux besoins de monnaie forte, pour les placements financiers et les contrôles financiers de réseaux d'entreprises, pour les exportations de capitaux comme pour les levées de fonds sur les marchés  financiers. Cela vise les nouvelles dépenses, immenses et risquées, de recherche développement de la révolution informationnelle, ainsi que leur partage  dans  des ensembles  monopolistiques  mondialisés rivaux. Cela fait pression  surtout  dans l’Union européenne  contre  les dépenses  et  les déficits budgétaires ainsi que pour une création  monétaire  limitée et subordonnée aux marchés financiers.

Mais  même  dans  des  conditions   novatrices   d'une grande croissance  durable fondée sur les nouvelles technologies, les exigences des entreprises  concerneraient désormais   les  dépenses   informationnelles  prioritaires: non seulement des dépenses  beaucoup plus importantes pour la recherche,  mais également pour la formation, incomparablement  plus  massives  pour  les  travailleurs tout au long de la vie. Cela nécessiterait,  au delà des besoins d'un budget plus expansif, d'autres types de financements et de pouvoirs, ainsi que d’autres types de critères  de  gestion  et  de  coopération  des  entreprises. Cela concernerait  le but prédominant  nouveau de développement des populations et des capacités humaines, jusqu'à l'échelle planétaire, pour les débouchés comme pour la productivité et pour une vie nouvelle.

 

2) Pour un autre modèle social, d’autres  financements et d’autres pouvoirs dans l’union européenne

désormais, de façon prioritaire, sur le développement des populations elles-mêmes, de leurs capacités  productives et de leur formation, de leurs consommations en produits et en services, de leur vie sociale et de leurs activités créatrices.

Défis européens

Cet autre modèle radicalement  novateur, pourrait  être proposé en raison de la gravité des défis actuels de la construction  européenne. Ils concernent  :

– le  ralentissement   nouveau  de  la  croissance   et  la  relance du chômage massif, avec ses exigences politiques de solutions comme on le voit tout particulièrement  en France et en Allemagne,

– la mise en cause récente, dans les milieux dirigeants, des contraintes  du pacte de stabilité sur les déficits budgétaires et même de la politique monétaire ;

– les perspectives  de l'élargissement à l'est de l'Union européenne  ;

– les nouvelles pressions des Etats-Unis et des tensions mondiales ;

– la recherche  d'une « gouvernance économique » européenne,  dans  le cadre  d'une  transformation  institutionnelle de l'Union.

Sur cette  dernière  question,  ou peut  penser  qu' une gouvernance économique bien plus forte dans l'Union est effectivement devenue  nécessaire,  face à tous les défis.

Mais il s'agirait de sortir  aussi bien des tendances  à un renforcement, plus ou moins fédéraliste, de la super-délégation des gouvernements à une Commission technocratique, que du rejet d’une coordination,  ou encore  de la prédominance d'une zone de libre-échange commercial et  financier,  qu'appuieraient  les  dirigeants  britanniques, plus  ouverte  à  l'impérial-libéralisme  des  Etats-Unis. Il conviendrait  de proposer  une autre  légitimité démocratique, sociale et internationaliste,  ainsi que culturelle et de civilisation. Elle renverrait  à une transformation  très profonde  du modèle social, des  moyens monétaires  et financiers  ainsi que  des  pouvoirs  politiques,  ces  trois dimensions d'un triangle systémique novateur.

Pour une sécurité d’emploi ou de formation dans l’Union européenne

Il convient d'insister sur le rôle moteur d’un progrès radical possible du modèle social européen.  Nous avons avancé dans ce sens en France, depuis 1996, le projet d’un système « sécurité d'emploi ou de formation ».

En proposant  d'assurer   à  chacune  et  à  chacun  un emploi  ou  une  formation,  avec  le  maintien  d’un  bon revenu et de passages entre eux maîtrisés par les intéressés,   il s'agit aller bien au-delà de ce qu’on a appelé le plein emploi.

En effet, le plein emploi, dans la théorie  chez Keynes, comme dans la pratique de  la croissance d'après guerre, ne supprime pas le chômage, mais implique un certain un taux de chômage jugé incompressible.

Il ne dit rien de la qualification du travail et de la formation. Il ne traite pas de la sous-activité professionnelle des femmes, des discriminations de genre, de génération (contre les jeunes ou les travailleurs âgés), d'origine nationale ou ethnique.

Il ne considère pas l'élimination des emplois précaires, à temps partiel imposé ou atypiques. Il est d'ailleurs proposé par les sociaux libéraux ou  par la droite.

Ensuite, il s'agit de construire un véritable dépassement du chômage. Dépasser cela veut dire arriver à supprimer vraiment (ici le chômage) car on ne nie pas et conserve le problème objectif auquel on veut répondre, mais en lui donnant une autre solution, et en faisant mieux.

Ainsi le chômage, dans l’analyse marxiste authentique du capitalisme, n'est pas seulement un mal terrible économique, social et moral. C’est aussi une grande force, car la suppression d’emploi pousse  au changement  des activités, favorisant le progrès technique.

On conserverait  la forte  incitation  des  suppressions d'emplois, quoique sans tous les maux du chômage, avec non seulement de bons reclassements mais surtout  avec le passage de l'emploi à la formation choisie, avec un bon revenu pour revenir à un meilleur emploi. On favoriserait bien davantage  ainsi le changement  et le progrès  technique.  Cela s’oppose  aux  rigidités  autoritaires   et  aux gâchis d'emploi des garanties d’emploi des régimes étatistes qui se réclamaient du socialisme. Il ne s'agit pas non plus  d'un  revenu  d'existence,  déconnecté  des  activités sociales  nécessaires,   qui  tendrait  de  la sorte  vers  un minimum.

Il y aurait une mobilité des activités avec la promotion, dans la sécurité, des capacités et des emplois de chacune et de chacun. Et, au delà de l'emploi, la formation viserait la culture pour toute la vie. Enfin, comme on le voit dans mon livre sur « Une sécurité d'emploi ou de formation » (2),

il s'agit de partir des multiples domaines concrets  et des diverses situations  d'emploi, de précarité,  de chômage , d’exclusion, de formation ainsi que des luttes et des problèmes touchant  les  mesures et les dispositifs existants qui les concernent.  Ainsi, dans  le livre, j’analyse douze chantiers de construction.

Cependant,  ce  modèle  social  radicalement  nouveau, outre  de  nouveaux  pouvoirs,  exigerait des  transformations  très  profondes  au  niveau  monétaire  et  financier.

Cela viserait, avant tout, le Système européen de Banques centrales (SEBC) et la Banque centrale européenne (BCE).

Cela serait incomparablement  plus décisif qu'un relâchement des contraintes du pacte de stabilité sur les budgets publics.  Romano Prodi, en mettant  en cause  la « stupidité » du caractère  rigide du pacte et des contraintes d’un déficit budgétaire qui ne dépasserait pas 3%, contribue à révéler, certes, la gravité de la crise d’orientation économique de l’Union européenne.  Toutefois, si les forces de gauche et le mouvement social situaient  leurs  propositions principalement  sur les budgets publics, ils se borneraient au terrain autorisé par les technocrates qui nous gouvernent.  Les  économistes   qui  se  réclament  de  la gauche et même d’une gauche alternative  tendent,  s’ils privilégient le budget,  a négliger le monétarisme  dominant  la Banque centrale  européenne  pour  favoriser les marchés financiers mondialisés avec une révolution informationnelle  soumise  aux exigences des  capitalistes.  Le mouvement social et les politiques qui se veulent alternatifs, tout en évoquant la dictature des marchés financiers, ne s’attaquent pas encore en général à la question principale  d’un  financement  alternatif  :  une  autre  création monétaire et un autre crédit.

Quelles missions pour la BCE ?

En ce qui concerne  les missions de la BCE, conformément à l'article 105 du traité de Maastricht, l'objectif principal du Système européen  de Banques centrales  est de  maintenir  la stabilité  des  prix et  il doit  l'emporter  sur toute  autre  considération.  Au contraire,  le Système de Réserve  Fédérale  des  Etats-Unis (FED) a  également comme mission la croissance et l'emploi. Certains proposent aujourd'hui de changer dans ce sens les missions du SEBC et de la BCE. D'autres s'y opposent  mais suggèrent de passer de la norme  de 0 à 2% d’inflation à une norme de 1 à 4 % moins contraignante  (3). On critique aussi la prudence et la lenteur de réaction, le suivisme avec retard de la Fed par la BCE. Avec la dernière baisse de taux d’intérêt de la Fed, l’écart des taux s’est encore creusé malgré les baisses  précédentes de la BCE. Cependant même un objectif de croissance  de l'emploi et une baisse des taux d'intérêt dans cette intention ne suffisent pas du tout.

D'abord, les multiples et fortes baisses des taux d'intérêt  depuis  2001 de  la Réserve  fédérale  des  Etats-Unis n'ont pas empêché la crise de la croissance  et la relance du chômage massif. Ne parlons pas des baisses des taux d'intérêt,  extrêmement  bas,  de  la Banque  centrale  du Japon, qui n'arrivent  pas à empêcher  les limitations du crédit des banques.

Ensuite, une baisse  générale  des  taux d'intérêt  de la BCE tend à favoriser les placements financiers et tout particulièrement les exportations de capitaux aux Etats-Unis, en liaison avec la domination du dollar, leur avance dans les technologies de la révolution informationnelle et leur hégémonie. Elle favorise beaucoup  moins dans  l'Union européenne  qu'aux Etats-Unis les investissements  réels, la croissance  et l'emploi. C'est pourquoi, c'est une baisse dirigée très  sélectivement  vers l'emploi et la formation qui serait nécessaire.

Pour un contrôle politique et social de la BCE

La transformation  de l'utilisation de la création monétaire et du crédit dans l'Union européenne  passe  par la suppression de  l'indépendance  de  la Banque  Centrale Européenne.

Le président  de  la BCE doit  certes  faire rapport  au Parlement européen.  Mais ce dernier ne dispose  que du droit de discours et de persuasion  alors que le président de la FED  doit rendre  compte  de son  action devant  le Congrès des Etats-Unis qui peut même modifier ses statuts (4).

Cependant,  il ne  suffirait  pas  d'un  simple  droit  de contrôle du Parlement européen. On devrait pouvoir envisager un contrôle de démocratie décentralisée, participative et d’interventions.

D'une part, la BCE pourrait  être contrôlée  et orientée par   une   réunion   du   Parlement   européen    et   des Parlements  nationaux. Et ces derniers  pourraient  également intervenir par des modulations nationales, avec des bonifications  publiques  éventuelles  prenant  en  charge une partie des intérêts. D'autre part, des pouvoirs de propositions  concernant  les emplois et les formation de la part des travailleurs, des citoyens, de leurs organisations

syndicales, associatives  ainsi que des élus politiques de terrain, depuis les localités et les entreprises,   pourraient être branchés  sur la réclamation et l'utilisation des crédits sélectivement abaissés. Et des concertations de ces

interventions   directes   décentralisées   pourraient   être organisées  au niveau régional puis national et jusqu'au niveau européen,  avec éventuellement  l’utilisation d'une transformation profonde du Comité économique et social européen ainsi que du Comité des régions.

Un nouveau crédit sélectif à long terme

Mais il convient  surtout  d'organiser  un tout  nouveau crédit sélectif afin de favoriser l'emploi et la formation. Il s'agit de pouvoir remplacer, en grande partie du moins, le financement par le marché financier, sans se contenter de taxer  les flux financiers  internationaux.  A  cette  fin les « refinancements » par la Banque centrale des crédits des banques  et institutions  financières  devraient  concerner non seulement le court terme, mais comme jadis, des crédits à moyen terme et même désormais à long terme. Ensuite les taux d'intérêt  seraient  fortement  abaissés jusqu'à des taux 0 et même des taux négatifs (avec des subventions)  mais cela d'autant  plus que les investissements, bénéficiaires du crédit, programmeraient  de l'emploi et de la formation, en recherchant aussi l'efficacité productive   et  la  coopération   entre   entreprises.   Au contraire  les taux d'intérêt  seraient relevés pour les crédits visant des opérations  de placement financier.

Mais aussi,  il faudrait  organiser  des  garanties  et des mutualisations des risques concernant  les nouveaux crédits  incitatifs  à l'emploi efficace et  à la formation.  En outre, des pôles publics et sociaux bancaires, regroupant les  banques   publiques  et  mixtes,  mutualistes   et  les caisses d'épargne pourraient être institués, comme cela a été suggéré en France. Ils contribueraient à impulser ces orientations  nouvelles et ces garanties, avec leur coopération entre  les différents pays européens,  comme avec les autres banques et institutions financières.

D’autres critères de gestion et d’autres titres financiers

En favorisant  systématiquement  l'emploi et la formation ce très nouveau crédit contribuerait à l'avancée de  matériels et financiers relativement à une croissance soutenue de la production en promouvant les ressources humaines : recherche,  formation, qualification de l'emploi, meilleures conditions  de travail. Ces critères  d'efficacité sociale feraient reculer la rentabilité financière, en concernant  en premier lieu mais pas uniquement, les entreprises  publiques et mixtes. Ces entreprises publiques, à l'expansion plus responsable  socialement et plus sûre grâce à ces nouveaux critères, pourraient connaître des avancées nouvelles, en étant beaucoup ouvertes  aux coopérations au plan européen  et international.  Elles  seraient   en  pointe  pour  l'utilisation  de normes nouvelles, concernant non seulement la qualité et l’impact des productions  (au plan écologique, de santé, culturel)  comme  le réclament  à juste  titre  les  mouvements altermondialistes,  mais aussi un travail plus créateur, la sécurisation de l'emploi et de la formation, avec de nouveaux pouvoirs des travailleurs et des populations d'intervention dans les gestions.

Enfin, de nouvelles conditions affectant les titres financiers eux-mêmes pourraient  être instaurées. Ainsi, le fort déplacement  vers la qualité des « titres », en raison des grandes  baisses  des  actions  avec l'attraction bien plus forte des obligations publiques, pourrait être utilisé pour conduire à une autre politique sur ces obligations. Elles seraient affectées à des dépenses budgétaires concernant bien davantage les besoins  des populations  et ce qu’on appelle les ressources humaines  (recherche,  formation, santé). Ou encore, de façon corrélative, elles seraient utilisées pour de nouvelles prises de contrôle publique, qu'il s'agisse   de  banques  en  difficulté  ou  d’entreprises publiques stratégiques,  en vue de   promouvoir l'efficacité sociale avec de nouvelles coopérations européennes  et internationales.  Ces titres publics, visant les « ressources humaines »  et l'efficacité sociale des productions,  pourraient  être  soutenus,   avec  des  prises  beaucoup  plus importantes  qu’actuellement, par les Banques centrales.

Le Système européen de Banques centrales pourrait diminuer  fortement  ses  placements  en bons  du  trésor  des Etats-Unis.

Les titres  publics  de  propriété  dans  les  entreprises mixtes  en  partie  privatisées,  actuellement, pourraient non seulement accroître leur part au lieu qu’elle diminue, mais  aussi permettre  d’impulser la recherche  de critères d'efficacité sociale à l'opposé de leur gestion comme un patrimoine financier et de la poursuite  de leur privatisation.

Les actions  salariales  pourraient  aussi être  l'objet de  réglementations  très nouvelles et de soutiens favorisant la recherche  d'efficacité sociale. Enfin, les fonds collectifs de placements y compris les fonds de pension étrangers qui commencent  à souffrir dangereusement  des baisses des titres, pourraient  connaître des réglementations profondément  transformées.   Celles-ci s’opposeraient   à  la volatilité de leurs apports  aux entreprises,  baisseraient leur exigences de rendement  élevé et spéculatif, tout en contribuant  à sécuriser  les rendements,  en contrepartie d’avancées de recherche  d'efficacité sociale.

Il y a une contradiction dramatique entre le progrès mondialisé enthousiasmant des mouvements  sociaux et d’une partie grandissante  de la jeunesse accusant le système de marchandisation de la vie,   réclamant une vie nouvelle, et l’insuffisance des  propositions  de transformations radicales viables. Le caractère  trop souvent traditionnel et non radical des propositions  des forces politiques participe à cette contradiction, qui mûrit pourtant. Cela renvoie à la persistance  d’idées économiques  du passé  et même d’un passé  édulcoré. Ainsi prédomine  à gauche, dans  l’Union européenne,  outre  la capitulation sociale-libérale  sur  l’apologie des marchés  et  les  pratiques  libérales,  un keynésianisme  superficiel. Ce n’est même pas le keynésianisme authentique  et de combat du passé, alors qu’il s’agit d’aller bien au-delà de lui.

Keynes, plus profondément  que la « demande globale » insuffisante,  pointe  le  fait que  l’investissement  public n’exige pas  le « rendement  commercial »,  c’est-à-dire la rentabilité capitaliste.  On peut aller au-delà avec la proposition  de  l’avancée de  nouveaux  critères  de  gestion d’efficacité sociale .

Keynes met l’accent sur les risques déflationnistes des taux d’intérêt élevés, des baisses  de taux d’intérêt pour inciter  les  entreprises   réelles  à  investir,  les  maux  du casino des marchés financiers, l’euthanasie possible des rentiers.  Nous pouvons aller au-delà, à partir d’une nouvelle création monétaire, un tout autre crédit sélectif, et aussi d’autres types de titres financiers.

Il ne s’agirait pas non plus de rester dans un marxisme superficiel, mais de dépasser  la théorie  authentique de Marx. Marx montre  que le capital n’est pas une simple propriété  privée (qui existe dans l’esclavagisme) mais la propriété  et l’usage de la monnaie pour le profit monétaire, dominant la production,  avec le salariat  et l’accumulation en machine-outils de la révolution industrielle.

D’où le dépassement possible,  avec la révolution  informationnelle par une autre disposition et une autre utilisation de l’argent : avec l’avancée d’autres critères  de gestion des  fonds des  entreprises,  un tout  autre  crédit,  le début de dépassement du salariat, accompagnant  la prédominance  des dépenses  de recherche  et de formation sur les dépenses  en machines, des pouvoirs d’intervention.

Marx souligne la monopolitisation  du pouvoir de l’entrepreneur capitaliste sur l’argent et par le chômage :  le capital joue des deux côtés sur le marché  du travail en demandant  de la force de travail et en agissant sur son offre  par  le  chômage.  D’où le  dépassement  par  la conquête  de ce pouvoir patronal non seulement sur l’argent et les productions,  mais sur la création d’emplois et sur le non-emploi, par les travailleurs.

Keynes  réclamait  une  intervention   plus  massive  de l’Etat et une certaine socialisation de l’investissement. La déformation  étatiste  du marxisme réclamait la direction de la société par l’Etat dit prolétarien. Mais avec les pouvoirs décentralisés  et concertés  de tous, ce sont les marchés du travail, de l’argent et des productions qui peuvent être maîtrisés et commencer à être dépassés,  en s’émancipant vraiment des capitulations social-libérales.

* Nous publions ici les deux premières parties d’un article reprenant des éléments des contributions de Paul Boccara au colloque organisé par le réseau Transform ! à Florence les 4–5–6 novembre 2002. Transform ! : Réseau européen pour une pensée alternative et le dialogue politique, associant : Espace Marx (France), Fondacion de Investigaciones Marxistas (Espagne), Fondation Nicos Poulantzas (Grèce), Fondation Rosa Luxemburg (Allemagne), Sozialismus (Allemagne), Transform Italia ! (Italie) Volksstimme (Autriche).

1. Voir les travaux de Gordon (2000), Jorgensen et Stiroh (2000), Oliner et Sichel (2000), US Concil of Economic Advisers (2001), analysés notamment dans Rentabilité et risque dans le nouveau régime de croissance, Rapport du Commissariat Général du Plan, Groupe présidé par Dominique Plihon, La Documentation française, Paris, 2002, p .148158.

2. Paul Boccara. Une sécurité d’emploi ou de formation. Pour une construction révolutionnaire de dépassement contre le chômage, Le Temps des Cerises, Paris, 2002.

3. Cf. Conseil d’Analyse Economique, La Banque Centrale Européenne, rapports de Patrick Artus et Charles Wyplosz, La Documentation française, Paris 2002.

4. Jean-Paul Fitoussi, La règle et le choix. De la souveraineté économique en Europe, Seuil, Paris, 2002.