La crise systémique de la marchandisation de toute la vie et de l’hyper–libéralisme mondialisés révélerait, avec la profondeur du ralentissement actuel de la croissance, la radicalité des défis de transformation. Comme jamais monte la protestation contre les dégâts sociaux de ce type de mondialisation et la revendication d’un autre monde. Mais les propositions restent faibles. Elles demeurent principalement traditionnelles et non à la hauteur de la nouveauté des enjeux.
On assiste à une nouvelle crise de la croissance à l'échelle mondiale correspondant à l'éclatement de la suraccumulation des capitaux financiers et réels en 2001. Elle se situe dans le cadre de la crise systémique de la longue phase de tendance au freinage de la croissance et au chômage massif qui dure depuis une trentaine d'années. Cette crise systémique renvoie à la contradiction entre la révolution technologique informationnelle et la structure ainsi que la régulation du système capitaliste. Le système pousse cette mutation technique mais tend à la rendre extrêmement perturbatrice.
Cet éclatement de la suraccumulation serait beaucoup plus grave que les précédents : de 1969 - 74, de 1979 - 82 ou de 1990 - 92.
Contrairement aux illusions de la croissance de 1999 et 2000 dans les pays les plus développés prétendant à une « nouvelle économie », on voit que la solution essentiellement technologique, sans transformation sociale systémique, ne permet pas une croissance soutenue durable.
D'ailleurs, les nouvelles technologies ont été touchées de plein fouet. Aussi bien la forte croissance temporaire que la crise récente de fort ralentissement seraient liées aux conséquences de la maturation de la révolution informationnelle.
Ainsi, il y a eu une accélération de la productivité de tous les facteurs dans les années 1990, surtout aux Etats-Unis (1). A l'accélération des économies massives de capitaux matériels fixes et circulants, relativement au produit ou à la valeur ajoutée, dans l’industrie et encore plus dans es services qui ont explosé, s'est ajoutée l'accélération des économies de travail vivant. Ces économies se sont conjuguées à la maturation des pressions de la ren-abilité financière sur les dépenses salariales et les dépenses sociales.
Aussi, après avoir contribué au relèvement de la rentabilité des capitaux et à leur forte accumulation, ces économies et ces pressions ont entraîné une insuffisance considérable de la demande globale. Cela a provoqué des surcapacités réelles très importantes et les excès de leur accumulation, en outre extrêmement amplifiée par les gonflements financiers. D'où la chute de rentabilité et les chutes des titres financiers. La « suraccumulation » est devenue si évidente que l’expression revient dans beaucoup d’analyses.
Cependant, le ralentissement de la croissance pourrait être bien plus durable qu'après les éclatements précédents de suraccumulation à l’intérieur de la crise systémique. Déjà, contrairement aux croyances à la reprise en 2002, il y a un nouveau ralentissement dans la deuxième moitié de l’année. Et, éventuellement une reprise ultérieure pourrait elle-même déboucher sur une croissance molle et insuffisante.
Ce ralentissement plus marqué serait dû à des modifications des processus réels et financiers.
1) Au plan réel, les économies de moyens matériels (incorporant du travail) et de travail vivant seraient devenues plus massives, plus rapides et plus durables. De plus, le stock de moyens matériels anciens aurait été largementrenouvelé. En outre, l'importance des surcapacités renvoie aux surinvestissements concurrents des groupes fusionnés géants visant à dominer tout le marché mondial. D’où sans doute, la limitation bien plus forte de la demande d'investissements matériels et de facteurs de production.
2) Au plan financier, on assiste, d'une part, a des tendances déflationnistes plus marquées tendant à freiner les crédits et le pouvoir d'achat. En effet, les baisses de titres financiers amples et durables font éclater les surendettements de ceux dont les actifs financiers, garantissant les dettes, baissent.
Cela touche les entreprises et les ménages, et donc leur capacité à emprunter. Mais cela concerne aussi la baisse des actifs des banques, face à la montée des créances douteuses. Ainsi, après les énormes difficultés persistantes des banques japonaises, ce seraient les difficultés de la plupart des banques des autres pays, notamment des banques allemandes, et les limitations nouvelles des crédits. Cela touche aussi les surendettements des Etats, tout particulièrement dans les pays en développement et émergents qui avaient déjà connu une baisse des financements extérieurs depuis 1997.
Mais, d'autre part, on est en présence d’un soutien renforcé des marchés financiers par les Etats et par les baisses générales de taux d’intérêt des crédits. Aussi les dégonflements importants des accumulations financières, aux effets dépressifs, n'empêchent pas le maintien d'un gonflement qui reste excessif et qui continue à peser sur la volatilité des titres.
En dernière analyse, l'ampleur de la suraccumulation mondialisée des capitaux renvoie désormais aux limites imposées à la population mondiale : limites de sa demande et de ses capacités productives (par insuffisance du progrès de la formation et par insuffisance d’emploi).
C'est face à ces difficultés du fort ralentissement de la croissance mondiale que monte l'agressivité des Etats-unis. Il ne s'agit pas seulement de répondre au terrorisme d'Al-Quaida, ni même de chercher à contrôler tout le pétrole islamique, mais aussi de stimuler la demande d'armements, de dériver les craintes de l’insécurité sociale sur l'insécurité physique et la violence, d'intimider tous les pays en développement et également les autres pays développés, en faveur de leur « impérial-libéralisme ».
D’où le défi d’une autre construction mondiale sur tous seulement face à cette agressivité et aux dangers d'une guerre en Irak, mais encore pour une véritable coopération mondiale de co-développement avec les pays sousdéveloppés ou émergents, en liaison avec les exigences d’un développement réel et social novateur dans l'Union européenne.
Toutefois, les anciennes solutions keynésiennes de relance, principalement par les investissements productifs et leur financement public, seraient tout à fait insuffisantes. Elles seraient contrariées désormais par les formidables économies accélérées des investissements matériels dans les entreprises, relativement à la production de produits et de services. Ces économies, jointes aux économies sur le travail vivant et aux pressions sur les salaires et les dépenses sociales, entraînent comme jamais la relance de la suraccumulation et du chômage massif, de la précarité des emplois. Mais aussi l’accent mis principalement, comme certains le proposent à gauche, pour une nouvelle croissance, sur des investissements publics très importants financés par les budgets se heurterait aux exigences des entreprises, contrairement à un keynésianisme étroit, considérant strictement la demande globale. Chez Keynes il y avait d’ailleurs une préférence pour le financement public de l'investissement productif, avec donc la considération de la production, à l'opposé de sa conception générale d'une demande indifférenciée y compris celle d'armements, comme d'ailleurs dans la croissance après la deuxième guerre mondiale.
Les exigences incontournables des entreprises renvoient, dans les conditions actuelles, à leur pression contre les fortes fiscalités. Elles renvoient aussi aux besoins de monnaie forte, pour les placements financiers et les contrôles financiers de réseaux d'entreprises, pour les exportations de capitaux comme pour les levées de fonds sur les marchés financiers. Cela vise les nouvelles dépenses, immenses et risquées, de recherche développement de la révolution informationnelle, ainsi que leur partage dans des ensembles monopolistiques mondialisés rivaux. Cela fait pression surtout dans l’Union européenne contre les dépenses et les déficits budgétaires ainsi que pour une création monétaire limitée et subordonnée aux marchés financiers.
Mais même dans des conditions novatrices d'une grande croissance durable fondée sur les nouvelles technologies, les exigences des entreprises concerneraient désormais les dépenses informationnelles prioritaires: non seulement des dépenses beaucoup plus importantes pour la recherche, mais également pour la formation, incomparablement plus massives pour les travailleurs tout au long de la vie. Cela nécessiterait, au delà des besoins d'un budget plus expansif, d'autres types de financements et de pouvoirs, ainsi que d’autres types de critères de gestion et de coopération des entreprises. Cela concernerait le but prédominant nouveau de développement des populations et des capacités humaines, jusqu'à l'échelle planétaire, pour les débouchés comme pour la productivité et pour une vie nouvelle.
désormais, de façon prioritaire, sur le développement des populations elles-mêmes, de leurs capacités productives et de leur formation, de leurs consommations en produits et en services, de leur vie sociale et de leurs activités créatrices.
Cet autre modèle radicalement novateur, pourrait être proposé en raison de la gravité des défis actuels de la construction européenne. Ils concernent :
– le ralentissement nouveau de la croissance et la relance du chômage massif, avec ses exigences politiques de solutions comme on le voit tout particulièrement en France et en Allemagne,
– la mise en cause récente, dans les milieux dirigeants, des contraintes du pacte de stabilité sur les déficits budgétaires et même de la politique monétaire ;
– les perspectives de l'élargissement à l'est de l'Union européenne ;
– les nouvelles pressions des Etats-Unis et des tensions mondiales ;
– la recherche d'une « gouvernance économique » européenne, dans le cadre d'une transformation institutionnelle de l'Union.
Sur cette dernière question, ou peut penser qu' une gouvernance économique bien plus forte dans l'Union est effectivement devenue nécessaire, face à tous les défis.
Mais il s'agirait de sortir aussi bien des tendances à un renforcement, plus ou moins fédéraliste, de la super-délégation des gouvernements à une Commission technocratique, que du rejet d’une coordination, ou encore de la prédominance d'une zone de libre-échange commercial et financier, qu'appuieraient les dirigeants britanniques, plus ouverte à l'impérial-libéralisme des Etats-Unis. Il conviendrait de proposer une autre légitimité démocratique, sociale et internationaliste, ainsi que culturelle et de civilisation. Elle renverrait à une transformation très profonde du modèle social, des moyens monétaires et financiers ainsi que des pouvoirs politiques, ces trois dimensions d'un triangle systémique novateur.
Il convient d'insister sur le rôle moteur d’un progrès radical possible du modèle social européen. Nous avons avancé dans ce sens en France, depuis 1996, le projet d’un système « sécurité d'emploi ou de formation ».
En proposant d'assurer à chacune et à chacun un emploi ou une formation, avec le maintien d’un bon revenu et de passages entre eux maîtrisés par les intéressés, il s'agit aller bien au-delà de ce qu’on a appelé le plein emploi.
En effet, le plein emploi, dans la théorie chez Keynes, comme dans la pratique de la croissance d'après guerre, ne supprime pas le chômage, mais implique un certain un taux de chômage jugé incompressible.
Il ne dit rien de la qualification du travail et de la formation. Il ne traite pas de la sous-activité professionnelle des femmes, des discriminations de genre, de génération (contre les jeunes ou les travailleurs âgés), d'origine nationale ou ethnique.
Il ne considère pas l'élimination des emplois précaires, à temps partiel imposé ou atypiques. Il est d'ailleurs proposé par les sociaux libéraux ou par la droite.
Ensuite, il s'agit de construire un véritable dépassement du chômage. Dépasser cela veut dire arriver à supprimer vraiment (ici le chômage) car on ne nie pas et conserve le problème objectif auquel on veut répondre, mais en lui donnant une autre solution, et en faisant mieux.
Ainsi le chômage, dans l’analyse marxiste authentique du capitalisme, n'est pas seulement un mal terrible économique, social et moral. C’est aussi une grande force, car la suppression d’emploi pousse au changement des activités, favorisant le progrès technique.
On conserverait la forte incitation des suppressions d'emplois, quoique sans tous les maux du chômage, avec non seulement de bons reclassements mais surtout avec le passage de l'emploi à la formation choisie, avec un bon revenu pour revenir à un meilleur emploi. On favoriserait bien davantage ainsi le changement et le progrès technique. Cela s’oppose aux rigidités autoritaires et aux gâchis d'emploi des garanties d’emploi des régimes étatistes qui se réclamaient du socialisme. Il ne s'agit pas non plus d'un revenu d'existence, déconnecté des activités sociales nécessaires, qui tendrait de la sorte vers un minimum.
Il y aurait une mobilité des activités avec la promotion, dans la sécurité, des capacités et des emplois de chacune et de chacun. Et, au delà de l'emploi, la formation viserait la culture pour toute la vie. Enfin, comme on le voit dans mon livre sur « Une sécurité d'emploi ou de formation » (2),
il s'agit de partir des multiples domaines concrets et des diverses situations d'emploi, de précarité, de chômage , d’exclusion, de formation ainsi que des luttes et des problèmes touchant les mesures et les dispositifs existants qui les concernent. Ainsi, dans le livre, j’analyse douze chantiers de construction.
Cependant, ce modèle social radicalement nouveau, outre de nouveaux pouvoirs, exigerait des transformations très profondes au niveau monétaire et financier.
Cela viserait, avant tout, le Système européen de Banques centrales (SEBC) et la Banque centrale européenne (BCE).
Cela serait incomparablement plus décisif qu'un relâchement des contraintes du pacte de stabilité sur les budgets publics. Romano Prodi, en mettant en cause la « stupidité » du caractère rigide du pacte et des contraintes d’un déficit budgétaire qui ne dépasserait pas 3%, contribue à révéler, certes, la gravité de la crise d’orientation économique de l’Union européenne. Toutefois, si les forces de gauche et le mouvement social situaient leurs propositions principalement sur les budgets publics, ils se borneraient au terrain autorisé par les technocrates qui nous gouvernent. Les économistes qui se réclament de la gauche et même d’une gauche alternative tendent, s’ils privilégient le budget, a négliger le monétarisme dominant la Banque centrale européenne pour favoriser les marchés financiers mondialisés avec une révolution informationnelle soumise aux exigences des capitalistes. Le mouvement social et les politiques qui se veulent alternatifs, tout en évoquant la dictature des marchés financiers, ne s’attaquent pas encore en général à la question principale d’un financement alternatif : une autre création monétaire et un autre crédit.
En ce qui concerne les missions de la BCE, conformément à l'article 105 du traité de Maastricht, l'objectif principal du Système européen de Banques centrales est de maintenir la stabilité des prix et il doit l'emporter sur toute autre considération. Au contraire, le Système de Réserve Fédérale des Etats-Unis (FED) a également comme mission la croissance et l'emploi. Certains proposent aujourd'hui de changer dans ce sens les missions du SEBC et de la BCE. D'autres s'y opposent mais suggèrent de passer de la norme de 0 à 2% d’inflation à une norme de 1 à 4 % moins contraignante (3). On critique aussi la prudence et la lenteur de réaction, le suivisme avec retard de la Fed par la BCE. Avec la dernière baisse de taux d’intérêt de la Fed, l’écart des taux s’est encore creusé malgré les baisses précédentes de la BCE. Cependant même un objectif de croissance de l'emploi et une baisse des taux d'intérêt dans cette intention ne suffisent pas du tout.
D'abord, les multiples et fortes baisses des taux d'intérêt depuis 2001 de la Réserve fédérale des Etats-Unis n'ont pas empêché la crise de la croissance et la relance du chômage massif. Ne parlons pas des baisses des taux d'intérêt, extrêmement bas, de la Banque centrale du Japon, qui n'arrivent pas à empêcher les limitations du crédit des banques.
Ensuite, une baisse générale des taux d'intérêt de la BCE tend à favoriser les placements financiers et tout particulièrement les exportations de capitaux aux Etats-Unis, en liaison avec la domination du dollar, leur avance dans les technologies de la révolution informationnelle et leur hégémonie. Elle favorise beaucoup moins dans l'Union européenne qu'aux Etats-Unis les investissements réels, la croissance et l'emploi. C'est pourquoi, c'est une baisse dirigée très sélectivement vers l'emploi et la formation qui serait nécessaire.
La transformation de l'utilisation de la création monétaire et du crédit dans l'Union européenne passe par la suppression de l'indépendance de la Banque Centrale Européenne.
Le président de la BCE doit certes faire rapport au Parlement européen. Mais ce dernier ne dispose que du droit de discours et de persuasion alors que le président de la FED doit rendre compte de son action devant le Congrès des Etats-Unis qui peut même modifier ses statuts (4).
Cependant, il ne suffirait pas d'un simple droit de contrôle du Parlement européen. On devrait pouvoir envisager un contrôle de démocratie décentralisée, participative et d’interventions.
D'une part, la BCE pourrait être contrôlée et orientée par une réunion du Parlement européen et des Parlements nationaux. Et ces derniers pourraient également intervenir par des modulations nationales, avec des bonifications publiques éventuelles prenant en charge une partie des intérêts. D'autre part, des pouvoirs de propositions concernant les emplois et les formation de la part des travailleurs, des citoyens, de leurs organisations
syndicales, associatives ainsi que des élus politiques de terrain, depuis les localités et les entreprises, pourraient être branchés sur la réclamation et l'utilisation des crédits sélectivement abaissés. Et des concertations de ces
interventions directes décentralisées pourraient être organisées au niveau régional puis national et jusqu'au niveau européen, avec éventuellement l’utilisation d'une transformation profonde du Comité économique et social européen ainsi que du Comité des régions.
Mais il convient surtout d'organiser un tout nouveau crédit sélectif afin de favoriser l'emploi et la formation. Il s'agit de pouvoir remplacer, en grande partie du moins, le financement par le marché financier, sans se contenter de taxer les flux financiers internationaux. A cette fin les « refinancements » par la Banque centrale des crédits des banques et institutions financières devraient concerner non seulement le court terme, mais comme jadis, des crédits à moyen terme et même désormais à long terme. Ensuite les taux d'intérêt seraient fortement abaissés jusqu'à des taux 0 et même des taux négatifs (avec des subventions) mais cela d'autant plus que les investissements, bénéficiaires du crédit, programmeraient de l'emploi et de la formation, en recherchant aussi l'efficacité productive et la coopération entre entreprises. Au contraire les taux d'intérêt seraient relevés pour les crédits visant des opérations de placement financier.
Mais aussi, il faudrait organiser des garanties et des mutualisations des risques concernant les nouveaux crédits incitatifs à l'emploi efficace et à la formation. En outre, des pôles publics et sociaux bancaires, regroupant les banques publiques et mixtes, mutualistes et les caisses d'épargne pourraient être institués, comme cela a été suggéré en France. Ils contribueraient à impulser ces orientations nouvelles et ces garanties, avec leur coopération entre les différents pays européens, comme avec les autres banques et institutions financières.
En favorisant systématiquement l'emploi et la formation ce très nouveau crédit contribuerait à l'avancée de matériels et financiers relativement à une croissance soutenue de la production en promouvant les ressources humaines : recherche, formation, qualification de l'emploi, meilleures conditions de travail. Ces critères d'efficacité sociale feraient reculer la rentabilité financière, en concernant en premier lieu mais pas uniquement, les entreprises publiques et mixtes. Ces entreprises publiques, à l'expansion plus responsable socialement et plus sûre grâce à ces nouveaux critères, pourraient connaître des avancées nouvelles, en étant beaucoup ouvertes aux coopérations au plan européen et international. Elles seraient en pointe pour l'utilisation de normes nouvelles, concernant non seulement la qualité et l’impact des productions (au plan écologique, de santé, culturel) comme le réclament à juste titre les mouvements altermondialistes, mais aussi un travail plus créateur, la sécurisation de l'emploi et de la formation, avec de nouveaux pouvoirs des travailleurs et des populations d'intervention dans les gestions.
Enfin, de nouvelles conditions affectant les titres financiers eux-mêmes pourraient être instaurées. Ainsi, le fort déplacement vers la qualité des « titres », en raison des grandes baisses des actions avec l'attraction bien plus forte des obligations publiques, pourrait être utilisé pour conduire à une autre politique sur ces obligations. Elles seraient affectées à des dépenses budgétaires concernant bien davantage les besoins des populations et ce qu’on appelle les ressources humaines (recherche, formation, santé). Ou encore, de façon corrélative, elles seraient utilisées pour de nouvelles prises de contrôle publique, qu'il s'agisse de banques en difficulté ou d’entreprises publiques stratégiques, en vue de promouvoir l'efficacité sociale avec de nouvelles coopérations européennes et internationales. Ces titres publics, visant les « ressources humaines » et l'efficacité sociale des productions, pourraient être soutenus, avec des prises beaucoup plus importantes qu’actuellement, par les Banques centrales.
Le Système européen de Banques centrales pourrait diminuer fortement ses placements en bons du trésor des Etats-Unis.
Les titres publics de propriété dans les entreprises mixtes en partie privatisées, actuellement, pourraient non seulement accroître leur part au lieu qu’elle diminue, mais aussi permettre d’impulser la recherche de critères d'efficacité sociale à l'opposé de leur gestion comme un patrimoine financier et de la poursuite de leur privatisation.
Les actions salariales pourraient aussi être l'objet de réglementations très nouvelles et de soutiens favorisant la recherche d'efficacité sociale. Enfin, les fonds collectifs de placements y compris les fonds de pension étrangers qui commencent à souffrir dangereusement des baisses des titres, pourraient connaître des réglementations profondément transformées. Celles-ci s’opposeraient à la volatilité de leurs apports aux entreprises, baisseraient leur exigences de rendement élevé et spéculatif, tout en contribuant à sécuriser les rendements, en contrepartie d’avancées de recherche d'efficacité sociale.
Il y a une contradiction dramatique entre le progrès mondialisé enthousiasmant des mouvements sociaux et d’une partie grandissante de la jeunesse accusant le système de marchandisation de la vie, réclamant une vie nouvelle, et l’insuffisance des propositions de transformations radicales viables. Le caractère trop souvent traditionnel et non radical des propositions des forces politiques participe à cette contradiction, qui mûrit pourtant. Cela renvoie à la persistance d’idées économiques du passé et même d’un passé édulcoré. Ainsi prédomine à gauche, dans l’Union européenne, outre la capitulation sociale-libérale sur l’apologie des marchés et les pratiques libérales, un keynésianisme superficiel. Ce n’est même pas le keynésianisme authentique et de combat du passé, alors qu’il s’agit d’aller bien au-delà de lui.
Keynes, plus profondément que la « demande globale » insuffisante, pointe le fait que l’investissement public n’exige pas le « rendement commercial », c’est-à-dire la rentabilité capitaliste. On peut aller au-delà avec la proposition de l’avancée de nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale .
Keynes met l’accent sur les risques déflationnistes des taux d’intérêt élevés, des baisses de taux d’intérêt pour inciter les entreprises réelles à investir, les maux du casino des marchés financiers, l’euthanasie possible des rentiers. Nous pouvons aller au-delà, à partir d’une nouvelle création monétaire, un tout autre crédit sélectif, et aussi d’autres types de titres financiers.
Il ne s’agirait pas non plus de rester dans un marxisme superficiel, mais de dépasser la théorie authentique de Marx. Marx montre que le capital n’est pas une simple propriété privée (qui existe dans l’esclavagisme) mais la propriété et l’usage de la monnaie pour le profit monétaire, dominant la production, avec le salariat et l’accumulation en machine-outils de la révolution industrielle.
D’où le dépassement possible, avec la révolution informationnelle par une autre disposition et une autre utilisation de l’argent : avec l’avancée d’autres critères de gestion des fonds des entreprises, un tout autre crédit, le début de dépassement du salariat, accompagnant la prédominance des dépenses de recherche et de formation sur les dépenses en machines, des pouvoirs d’intervention.
Marx souligne la monopolitisation du pouvoir de l’entrepreneur capitaliste sur l’argent et par le chômage : le capital joue des deux côtés sur le marché du travail en demandant de la force de travail et en agissant sur son offre par le chômage. D’où le dépassement par la conquête de ce pouvoir patronal non seulement sur l’argent et les productions, mais sur la création d’emplois et sur le non-emploi, par les travailleurs.
Keynes réclamait une intervention plus massive de l’Etat et une certaine socialisation de l’investissement. La déformation étatiste du marxisme réclamait la direction de la société par l’Etat dit prolétarien. Mais avec les pouvoirs décentralisés et concertés de tous, ce sont les marchés du travail, de l’argent et des productions qui peuvent être maîtrisés et commencer à être dépassés, en s’émancipant vraiment des capitulations social-libérales.
* Nous publions ici les deux premières parties d’un article reprenant des éléments des contributions de Paul Boccara au colloque organisé par le réseau Transform ! à Florence les 4–5–6 novembre 2002. Transform ! : Réseau européen pour une pensée alternative et le dialogue politique, associant : Espace Marx (France), Fondacion de Investigaciones Marxistas (Espagne), Fondation Nicos Poulantzas (Grèce), Fondation Rosa Luxemburg (Allemagne), Sozialismus (Allemagne), Transform Italia ! (Italie) Volksstimme (Autriche).
1. Voir les travaux de Gordon (2000), Jorgensen et Stiroh (2000), Oliner et Sichel (2000), US Concil of Economic Advisers (2001), analysés notamment dans Rentabilité et risque dans le nouveau régime de croissance, Rapport du Commissariat Général du Plan, Groupe présidé par Dominique Plihon, La Documentation française, Paris, 2002, p .148158.
2. Paul Boccara. Une sécurité d’emploi ou de formation. Pour une construction révolutionnaire de dépassement contre le chômage, Le Temps des Cerises, Paris, 2002.
3. Cf. Conseil d’Analyse Economique, La Banque Centrale Européenne, rapports de Patrick Artus et Charles Wyplosz, La Documentation française, Paris 2002.
4. Jean-Paul Fitoussi, La règle et le choix. De la souveraineté économique en Europe, Seuil, Paris, 2002.