Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pour une nouvelle alliance : Europe-Pays en développement et émergents

Le samedi 16 février,  dans le cadre du « Forum pour un autre monde  » sous l’égide du journal l'Humanité avec BEUR FM et plusieurs organisations (voir page 37) s'est tenu un atelier sur le thème :

« Que  peut  la politique, en liaison avec le mouvement social, face aux marchés financiers et aux multinationales », avec la participation de : Paul Boccara, économiste, Julio C. Gambina, président d’ATTAC Argentine, Maria Angel Martinez Castell professeur d’économie à l’Université de Barcelone, Bernard Sanders, de la revue allemande Socialismus, Nasser Mansouri Guilani, directeur du centre confédéral d’études économiques de la CGT et membre du Haut Conseil de la Coopération. Nous publions leur contribution à cet atelier ainsi qu'un compte rendu des interventions.

 

Les interventions préliminaires

POUR UN AUTRE MONDE : CRÉDIT, EMPLOI ET FORMATION EN COOPÉRATION

Paul Boccara

Avec la mondialisation il n’y a pas de transformation profonde    dans    chaque pays sans son articulation  à une autre construction  mondiale. On doit  affronter  la domination  des marchés financiers et des groupes monopolistes   mondialisés   sur  toute  la vie humaine. Cet affrontement est conditionné  par les ambivalences de la révolution informationnelle, et de ses exigences de coopération transnationale  très intimes :

– au  plan  économique,  soit  domination  des  marchés financiers et des entreprises multinationales monopolistiques, rivales réclamant la rentabilité financière avant tout, soit coopération  de co-développement  des populations  et des entreprises  avec la création  de moyens financiers et de critères correspondant ;

– au  plan  politique,  soit  domination  de  constructions pluri-étatiques , soit démocratie participative et d’interventions directes, décentralisées  et concertées  du local au national, au zonal et au mondial.

La crise présente de la croissance mondiale exaspère les défis de créativité sur tous les plans. Elle est caractérisée par une suraccumulation financière formidable à l’échelle du monde face à l’insuffisance du développement des populations  de toute la planète, leur demande et leur capacité  productive  par l’emploi, la formation, le partage des recherches.  D’où l’opposition à une croissance  réelle forte, avec la remontée du chômage massif et de la précarité partout.  En particulier,  les attractions  de capitaux  formidables du monde entier aux Etats-Unis, passant par la domination du dollar et les pressions sur toutes les autres monnaies, deviennent  beaucoup  plus  intolérables,  en  pesant aussi contre  la croissance  réelle du reste  du monde. Elles contribuent,  aux insuffisances des stocks matériels, réels, informationnels et humains, à des degrés divers mais dans tous les pays du monde, y compris parmi les pays les plus développés comme ceux de l’Union européenne. Cela participe au chômage et aussi à la sous-activité dans  tous les pays du monde, y compris avec le chômage massif bien plus important  dans  les  pays  de  l’union européenne   qu’aux Etats-Unis malgré les cascades de dominations. Cela se relie à l’hégémonie politique et culturelle des Etats-Unis à l’échelle de la planète.

Promouvoir une alliance nouvelle

D’où les défis de s’émanciper à la fois de la domination des marchés financiers et aussi de la super domination des Etats-Unis et notamment du dollar, sans pour autant reculer sur les coopérations internationales bien au contraire.

D’où l’enjeu crucial, sur lequel je veux insister, d’une alliance  nouvelle des pays de l’Union européenne avec les pays émergents et en voie de développement.

Au plan économique, elle s’appuierait sur des coopérations et un financement cherchant  à s’émanciper de la domination  des marchés  financiers et du dollar, avant  tout  grâce à une tout autre  utilisation  de l’euro pour  un tout  autre  crédit.  Bien sur, si je limite mon propos à insister sur cette autre utilisation de l’euro pour un autre  crédit  partagé  en faveur des populations,  ce n’est pas du tout la clé unique, même au plan économique. Mais c’est un chaînon décisif. Par exemple, une taxe sur les flux internationaux  de capitaux financiers comme la taxe Tobin serait utile, mais elle ne répondrait pas au besoin d’un financement en grande partie alternatif. Une réduction, à plus forte raison une annulation, des dettes  extérieure  des pays en voie de développement serait très appréciable, mais cela ne dirait rien des besoins de financements futurs.

Une question cruciale est celle d’une création monétaire pour un autre crédit mais qui soit peu inflationniste.

En effet, l’inflation excessive  du crédit,  liée à ses  gâchis antérieurs dans les anciennes constructions étatiques nationales et avec les anciennes technologies, a contribué puissamment dans tous les pays, de la France à l’Argentine, à la domination des marchés  financiers mondialisés. C’est pourquoi, cette nouvelle création d’euros serait à la fois fondée sur des potentiels  réels de nombreux pays et d’autre part  viserait une efficacité sociale des financements. Plus précisément, la création d’euros par la Banque Centrale Européenne (BCE) permettrait des refinancements  de crédits  sélectifs  des  banques  ordinaires.  Les taux  d’intérêt, pour des crédits  à moyen et long terme, seraient  d’autant plus abaissés jusqu’à des taux zéro et même négatifs, avec des subventions, que les investissements ainsi financés programmeraient  de l’emploi associés  à de la formation et à des coopérations informationnelles pour des partages  des coûts de recherche-développement. Et les taux d’intérêt seraient au contraire relevés pour les placements proprement financiers.

Cela interviendrait à l’intérieur de chaque pays européen, mais surtout  entre  pays européens  et aussi, et c’est très important, entre les pays européens  et les pays émergents ou en développement. On viserait à favoriser partout, avec une autre  coopération,  l’avancée vers ce que nous avons appelé en France un système de Sécurité d’emploi et de formation, ainsi que vers de nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale des entreprises  économisant les capitaux et favorisant  les capacités  humaines  en coopération.  Ainsi, dans une sorte de plan Marshall, mais non dominateur, de purs dons en euros et aussi des prêts sans intérêt de la BCE à des Banques centrales  des pays émergents et en voie de développement  permettraient des refinancements, par ces banques  centrales,  de crédits  sélectifs longs, à taux très abaissés pour favoriser l’emploi et la formation ainsi qu’une nouvelle coopération  pour l’efficacité sociale. Ils viseraient à favoriser des achats  d'équipements  de ces pays, notamment au pays  de l’Union européenne,  pour  la croissance réelle, l’emploi, la formation des deux côtés. Cela pourrait concerner les pays du sud de la Méditerranée, d’Afrique, de l’Europe de l’Est, d’Amérique Latine etc.

En même temps ces rapprochements favoriseraient  une action commune, graduelle mais immédiate pour commencer à démocratiser  la direction du FMI afin de l’émanciper de la domination des Etats-Unis et du dollar, et surtout pour une nouvelle création monétaire pour le co-développement.

Il s’agirait de développer considérablement les droits de tirage spéciaux, pour en faire une véritable monnaie commune mondiale.

Ces droits  de tirer, par une banque  centrale participante,  de la monnaie d’une autre banque centrale pour acheter à son pays seraient attribués en fonction des besoins de soutenir  l’emploi, la formation et la coopération dans tous les pays du monde. Cela se relierait à la création et à l’utilisation de monnaie zonale dans les divers sous-continents.

On peut prendre le cas de la crise financière et sociale en Argentine dont d’autres parleront ici. L’Argentine a été longtemps considérée comme un des meilleur élève du FMI. En 1991, il y a été instauré un système de parité fixe où un peso égale un dollar, et où les peso sont créés en fonction des réserves  en dollar. Cela visait surtout  l’attraction des capitaux financiers, avec la privatisation radicale du grand secteur public. Ainsi, entre  1994 et 2001, les investissements étrangers se sont élevés à 98 milliards de dollars. Les Etats-Unis sont en tête, mais, si on ajoute la France et l’Espagne, à elles deux, elles sont en tête au-dessus des Etats-Unis. Et aussi les riches Argentins ont exporté énormément de dollar aux Etats-Unis (environ 100 milliards de dollars).

Au début de décembre 2001, alors que l’Etat ne peut rembourser les créances de la dette extérieure énorme arrivant à échéance sans le soutien du FMI, celui-ci refuse le versement sollicité. Le chômage atteint environ 20%. Les restrictions  de  sortie  de  liquidités  des  banques  mettent  aussi, après  les chômeurs  sur les routes,  les couches  moyennes dans la rue. Finalement, le moratoire de la dette est décrété, on abandonne  l’équivalence du peso et du dollar, tout en disant mettre en cause le modèle libéral.

Mais la forte dévaluation du Peso et la crise économique entraînent   des  difficultés et  aussi  des  pressions  et  des enjeux de relations  nouvelles  pour  les entreprises  étrangères industrielles, de service, de banque, et notamment les espagnoles et les françaises qui sont très importantes.  Ces pressions  s’articulent à celles du FMI, contre les dépenses publiques et en faveur des créanciers étrangers.

Cependant, questions  cruciales dont on parlent peu,   la  partie du mouvement politique et sociale la plus avancée se réclame, à sa façon bien sûr, de la proposition  que nous avons faite en France d’une Sécurité d’emploi et de formation. Et le large Front National de Lutte contre la Pauvreté, avec la CTA, Centrale des travailleurs argentins, 2ème centrale syndicale, des organisations  politique de gauche, des associations   culturelles,   religieuses…  a  organisé   une consultation sur une « Seguro de empleo y formacion » qui a obtenu environ 3 millions de voix en décembre  2001, plus que tous les partis de gauche aux élections.

Toutefois, ces propositions sont de premières avancées, à la fois adaptées aux conditions nationales mais aussi encore réductrices.   Il  s’agirait d’une  sorte  de  revenu  minimum garanti aux chefs de famille (hommes et femmes) et  d’une allocation  pour  l’éducation  des  enfants.  Et, en  outre,  le financement renvoi essentiellement  à la fiscalité. En réalité, alors que la question  économique  centrale  est  celle d’un financement émancipé  de la dictature  des marchés  financiers et du dollar, il faut relier les objectifs sociaux et les moyens monétaires. On peut progresser  vers la proposition d’ententes nouvelles avec les pays de l’Union européenne  à partir  d’autres  relations,  notamment  avec l’Espagne et la France, tout particulièrement  pour des aides en euros de la BCE pour  un tout  autre  crédit.  Ainsi on pourrait  avancer vers une pleine Sécurité d’emploi et de formation, c’est à dire avec l’attribution non seulement de revenus mais d’activités d’emplois et de formations, comme certains le réclament déjà.

Des actions des travailleurs et de leur organisation en France pour d’autres relations, à partir de nombreuses entreprises européennes, françaises et espagnoles surtout mais aussi allemandes etc.,  et des organisations de coopérations  de  luttes  et  d’échanges  d’expériences  des  deux côtés,  pourraient  immédiatement  contribuer  à des  avancées dans ce sens. De même, des aides immédiates favorisant un nouveau crédit, pourraient être réclamées de la part de  la BCE et  de  la Banque européenne  d’investissement (BEI) à partir du Parlement européen, des parlements et des gouvernements nationaux ,  de mobilisations sociales et politiques. On pourrait aussi demander des aides publiques bilatérales  de la part  de la France et de l’Espagne notamment. Cela pourrait  intervenir à l’occasion des rencontres urgentes pour de nouveaux accords de coopération avec l’Argentine et le Mercosur, comme aussi  avec toute l’Amérique Latine. Cela pourrait  constituer  des  avancées pour  une autre  construction  mondiale effective, ne négligeant pas le rôle décisif du crédit comme beaucoup de protestations  contre la mondialisation libérale, aux côtés d’autres avancées possibles vers les pays du Sud et de l’Est de l’Union européenne.

 

SOLIDARITÉ ENTRE LES PEUPLES ET MOUVEMENT  POPULAIRE POUR UNE SÉCURITÉ D’EMPLOI ET DE FORMATION

Julio C. Gambina

Mon ami Paul Boccara connaît bien la situation en  Argentine. Il  vous  a donné  une  bonne  image  de  la situation   économique  de  notre Pays.

Le fait principal de la situation  économique  en Argentine c’est la participation  populaire. Paul Boccara a mentionné que la consultation  populaire a réuni 3 millions de votants. Cet élément a permis que des organisations populaires, syndicales, de producteurs, d’agriculteurs, de petites entreprises, d’organisations de droits humains, ATTAC Argentine soient reçues par le Président  actuel. Il ne reçoit, ou tout autre Président, personne qui n’ait un pouvoir politique.

Le problème  argentin  c’est l’absence d’alternative  politique face aux politiques économiques qu’on appelle « néolibérales » qui ont été menées ces 25 dernières années. Il n’y a pas de politique alternative parce qu’il y a eu un véritable terrorisme d’Etat avec 30 000 disparus. Ensuite, il y a eu un terrorisme  économique  avec  l’hyper inflation mais aussi une répression patronale qui continue aujourd’hui. Les entreprises  qui dominent  l’Argentine sont  nord-américaines, espagnoles, françaises, allemandes, suédoises mais aussi argentines. La terreur  d’Etat et la terreur  des entreprises ont engendré une peur dans la société, une peur qui paralyse... et, au cours des 25 dernières années, il y a eu une véritable impunité pour les entrepreneurs. Et, à l’inverse de ce que beaucoup pensent, il n’y a pas moins d’Etat, il a une autre fonction, il est au service de l’accumulation des profits, des richesses,  des pouvoirs  pour  les grands  groupes qui dominent.

C’est pour cela que le fait le plus important est la mobilisation populaire qui contribue à la résolution des fractures du mouvement populaire. Jusqu’en décembre  2001, les travailleurs au chômage luttaient de leur côté, les travailleurs dans l’emploi du leur, les agriculteurs d’un autre et les petits  entrepreneurs d’un autre  encore.  En décembre2001, il y a eu une véritable explosion et le dialogue a commencé dans la même langue, en regroupant  l’ensemble des revendications  bien qu’elles soient  différentes. Mais tous savent que la politique hégémonique actuelle ne sert qu’un groupe réduit de bénéficiaires.

Pour me faire comprendre,  la chute  des dépôts  du système financier argentin a été de 20 milliards de dollars en 2001, c’est un chiffre comparable  en ce qui concerne  la baisse des réserves  de devises. Durant toute l’année 2001, les couches dominantes de l’économie argentine ont retiré l’argent des banques et l’ont fait sortir d’Argentine. C’est un processus  qui s’est déroulé durant  25 ans dont le gouvernement  avait connaissance.  Cependant,  il n’a jamais rien fait.  Entre  le  27 et  le  29 novembre  2001, les  couches moyennes   ont   retiré   massivement   leurs   dépôts   des banques. C’est alors que le gouvernement argentin est intervenu en empêchant que les petits épargnants puissent retirer leur argent des banques. Quand les grands spéculateurs faisaient sortir l’argent du pays, l’Etat n’a rien dit. Mais il est intervenu pour « défendre » le système financier au moment où les petits déposants  ont voulu retirer leurs économies.

Ce système financier est à 51% dans des mains étrangères (banques  nord-américaines,  espagnoles,  françaises).  Pour défendre les banques  transnationales, le système financier a des réserves  de l’ordre de 60 milliards de dollars mais l’argent des argentins à l’étranger est de l’ordre de 100 milliards de dollars et certaines  études  parlent  même de 150 milliards de dollars. Il  faut défendre  le système  financier argentin,  mais  il existe  un  système  financier  argentin  à l’étranger qui est supérieur à celui  d’Argentine.

Existe-t-il une crise économique en Argentine ou une manipulation politique dans le cadre de l’accumulation transnationale de capital ?

L’Argentine continue à produire des richesses. Elles partent vers l’étranger. c’est la nouvelle forme de dépendance.  Il continue à y avoir une production de richesses  et une expropriation  de plus-value mais cette plus-value  n’est  pas  accumulée  pour  le  développement local, mais elle sert  pour  augmenter  la concentration  de capitaux dans les firmes transnationales.

Face à cette situation économique, les couches dominantes argentines ont proposé  deux solutions : la dévaluation de la monnaie ou la dollarisation. Chacune des ces propositions est fonctionnelle pour une partie du capital. Le résultat  est une dévaluation dont certains  tirent bénéfices et dont  d’autres  pâtissent.  Deux exemples : les Argentins qui ont de l’argent à l’étranger, 100 milliards de dollars, ont désormais multiplié par deux leur pouvoir économique intérieur  et  ils peuvent  accroître  leur  patrimoine.  C’est une bonne affaire. Les travailleurs  dans l’emploi reçoivent, en moyenne, un salaire de 600 pesos. En décembre 2001, cela représentait 600 dollars, désormais  seulement 300 dollars. Personnellement,  pour venir à cette rencontre,  j’ai changé 200 pesos contre 100 dollars. Il y a un mois j’aurais eu 200 dollars. L’économie a gagné en « compétitivité » contre  les salaires. Il y a donc eu une amélioration pour les capitaux spéculatifs et une détérioration pour les travailleurs et l’économie intérieure.

Il y a eu cette dévaluation. Et il pourrait y avoir beaucoup d’inflation. Les banques,  les entreprises  privatisées  continuent  à se battre  pour  une dollarisation  et ils s’appuient pour cela sur la pression  des gouvernements de leur pays d’origine dont le plus agressif est José Maria Aznar, le 1er ministre espagnol, car les entreprises  espagnoles sont très présentes.   La première  entreprise   est  REPSOL.  En septembre 2001, elle a gagné presque 2 milliards de dollars de bénéfice au niveau mondial, dont 60% en Argentine.

Alors, y-a-t-il une crise économique en Argentine ? Je sais que c’est une question  piégée, mais comme le thème  de notre rencontre  est de savoir ce que la politique peut faire, il me semble que c’est le fait le plus important. Ce n’est pas une question  de chiffres mais de masses  qui entrent  dans l’action. Je suis un des acteurs auteurs de la Sécurité d’emploi et de formation dont a parlé Paul Boccara, et , dans certains secteurs  de gauche, nous étions critiqués  car c’était

une proposition  « très  réformiste »  comme la taxe Tobin. Nous avons répondu que l’important n’est pas le caractère prétendument réformiste ou révolutionnaire de la proposition parce que même les augmentation des salaires peuvent être considérées  comme réformistes. Ce qui importe, c’est le nombre de celles et ceux qui entrent  dans l’action pour réclamer, exiger et obtenir des améliorations des conditions de vie pour la majorité de la population. Si nous sommes capables d’engendrer cette action de masse pour transformer le pouvoir, le pouvoir économique, nous arriverons  à une action révolutionnaire.

Pour finir, comment peut-on faire depuis la France, l’Europe ou toute autre partie du monde ? En premier lieu, je veux vous remercier pour la solidarité du peuple français qui s’est exprimé de plusieurs manières. Je pense qu’il faut continuer  dans cette  voie. Mais une des formes d’actions importantes est d’exiger du gouvernement français de jouer son rôle dans les organisations internationales, par exemple au FMI, présidé par un Allemand. Nous savons que les EtatsUnis dominent le FMI, mais quelle peut être la voie alternative dans le FMI ? Quelqu’un pourra dire que c’est une utopie mais il faut développer ce type d’action au FMI, à l’ONU et dans tous les lieux où c’est possible. En mai 2002 aura lieu un sommet Europe-Amérique Latine. Nous organiserons le sommet des peuples  où il est normal que nous protestions, mais où il serait  important  qu’un gouvernement  de gauche plurielle fasse pression  pour  que le sommet  propose  des solutions  alternatives  à ce que propose  la politique hégémonique traditionnelle. Est-ce une utopie ? c’est au moins une proposition  de lutte en France pour contribuer à disputer l’hégémonie du capitalisme global en encourageant la lutte des peuples.

Il  y a  un  point  commun  entre  l’Europe et  l’Amérique Latine, c’est la lutte contre l’OMC, d’une part, et contre   le  traité  de  libre-échange  de  l’ALCA  qui  propose  la même chose que l’OMC, d’autre part. Je pense qu’il faut articuler ce que réclament les peuples européens,  l’annulation de la dette, et que nous, en Amérique Latine, nous disons en fait : « il ne faut pas payer cette  dette ». Ce n’est pas la même chose mais cela va dans le même sens. En ce qui concerne la  taxe  Tobin,  lors  du  dernier   Forum  social,  ATTAC Argentine a proposé que les recettes de la taxe soient administrées par des organisations issues du mouvement populaire lui-même, par exemple le Forum social, avec un mécanisme déterminé  par les peuples.  Nous avons conscience que le produit de cette taxe ne peut provenir que des principales places  financières. C’est une forme de rétribution face à des années d’exploitation capitaliste.

RIPOSTER À L’OFFENSIVE LIBÉRALE

Maria Angels
Martinez Castell

Que peut la politique, en liaison avec le mouvement social, face aux multinationales et aux marchés financiers?

Notons tout d’abord que le mouvement social c’est aussi la politique, et que les multinationales, les  marchés  financiers  ne  sont pas à la marge de la politique. En effet, on nous a beaucoup trompé avec l’idée, d’ailleurs très académique, que l’économie et la politique sont des domaines complètement différents.

Le fait d’envisager l’économie sans appréhender la politique serait particulièrement nuisible à nos efforts.

Il existe une expression classique du léninisme qui nous rappelle que la politique est une expression concentrée  de l’économie et qu’il ne faut pas accepter,  comme le libéralisme tente de l’imposer actuellement, la soumission de la politique à l’économie. Accepter une telle division serait accepter  qu’il existe, d’un côté, un espace public qui serait celui de la politique où l’on peut exiger l’égalité, des droits et des devoirs équitables  pour tous et, d’un autre coté, le droit et la logique de l’existence séparée du royaume de l’inégalité et de l’exploitation.

C’est à partir  de l’acceptation de cette  cassure  que les apôtres  du néolibéralisme peuvent demander  que les gouvernements  renoncent  à toute intervention dans la vie des entreprises  et des  marchés  financiers. Puisqu’il s’agit de domaines différents, affirment-ils, le meilleur c’est la pureté, pas de mélange. La production  de marchandises  doit répondre uniquement au mandat de la maximisation du profit. L’impact d’un tel objectif sur l’emploi, les salaires, les cotations  boursières,  la spéculation financière n’ont rien à voir avec la politique. Il existerait une ligne Maginot entre les  deux  car  il n’y aurait  rien  de  pire  pour  la  « bonne marche » de l’économie que l’intromission de la politique, c’est-à-dire des autres, ceux qui ne sont pas les multinationales, les spéculateurs. La perte de l’équilibre du marché et la crise seraient  la conséquence  de cette  immixtion de la volonté de la grande majorité de la population.

L’urgence  de l’intervention pour freiner les avancées du capital, des multinationales et de la Finance :

l’extension du salariat a accompagné les avancées , sans entrave, des multinationales  sur presque  toute la planète. Il y a de moins en moins de peuples et de personnes  à la marge des relations capitalistes de production tant du point de vue géographique que des couches sociales. La révolution technologique a servi de point d’appui à cette expansion du capital : communications quasi instantanées  grâce aux réseaux informatiques interconnectés, nouveaux matériaux, énergie à bon marché qui sert aussi à justifier les guerres  en Irak, en Afghanistan. Tout cela contribue  à de nouvelles formes d’organisation et de déstructuration du travail, par exemple avec l’invasion de l’exploitation jusque dans  nos vies personnelles  ou avec la reconstruction de  « workhouse » de l’aube du capitalisme. Les multinationales choisissent leurs implantations en fonction de la législation du travail la moins contraignante  imposant aux pays colonisés par leurs investissements  la répression  syndicale, le retour  au travail des  enfants,  l’exploitation intégrale  des femmes. Et à côté de ces grands traits, l’utilisation des nouvelles technologies a introduit de nouvelles inégalités entre personnes, entre générations, entre urbains et ruraux, entre hommes et femmes, entre riches et pauvres…

Que peut alors la politique ? Elle peut beaucoup et même tout en réalité.

En Europe nous devons discuter des mesures nécessaires  à prendre tout particulièrement  à partir des thèmes  que Paul Boccara a pointé et qu’il a beaucoup mieux expliqué que je ne saurais le faire. Il faut, c’est primordial,  reconquérir   les  instruments   de  la  politique monétaire et financière. Il faut, bien sûr, libérer les budgets des Etats de la coercition du Pacte de Stabilité et de l’objectif de « déficit zéro ». En Espagne, avec le gouvernement Aznar du Parti Populaire, la pression fiscale globale a diminué de trois points mais cette politique a coûté aux salariés.

En effet, c’est l’impôt sur le revenu des plus riches  qui a baissé,  celui des  salariés  a augmenté.  Et malgré tout  on continue de parler de « déficit zéro ». Désormais ce sont les plus riches qui bénéficient de l’action publique. L’Espagne s’est orientée vers ce qu’on appelle la troisième voie. Mais c’est un alibi importé  des Etats-Unis afin de diminuer les aides aux personnes  les plus faibles de la société, et qui a été introduit  en Europe par le soi-disant social-démocrate Tony Blair.

Dans nos axes de luttes nous devons être attentifs au travail des femmes, à celui des enfants, aux lois sur  l’immigration et à la protection de l’environnement, par exemple avec  les mouvements de capitaux sont liés à d’importants niveaux de corruption  aux sommets de l’Etat. De la même manière, le commerce  entre  multinationales  doit être  mis sous surveillance afin d’éviter les pratiques  de dumping social. Pour finir, la politique publique doit pouvoir se fixer deux objectifs non traditionnels qui sont les activités « invisibles », la répartition  des tâches entre hommes et femmes que les multinationales ont réussi à modifier avec l’allongement des temps de transport,  le délitement de la vie citoyenne, l’affaiblissement des liens sociaux de proximité. Il s’agit aussi de la lutte pour le pluralisme face à une pensée  dominante  néo-libérale  qui cherche  à évacuer  toute idée alternative.

 

LES PROFONDES MUTATIONS DU CAPITALISME

Bernhard Sanders

Premier point. Aujourd’hui, nous sommes dans une récession  mondiale. Seuls les pays capitalistes qui mènent une politique « keynésienne » ont maintenu une certaine croissance. La situation  économique mondiale   donnant   l’idée  que nous  serions  dans  une nouvelle  vague de  prospérité  portée  par les nouvelles technologies et un nouveau système financier. Qu’entend-on par là ? Depuis l’abandon de la référence à l’or du dollar, les gouvernements nationaux ont toujours plus libéralisé leur système  financier. Cela a permis aux entreprises   d’accumuler  d’importantes   réserves   monétaires. Cette accumulation a conduit à une augmentation de l’épargne qui a cherché  des investissements  toujours plus rentables.  Les « investisseurs  institutionnels »  ont rationalisé leurs investissements  en installant dans l’industrie de nouveaux dirigeants.  Ceux-ci mettent  en œuvre  des  décisions dans le but d’accroître leur attractivité en augmentant les perspectives  de profit.

Autrefois, le manager du fordisme se limitait à maîtriser le processus  d’exploitation par la mise en place de grands conglomérats actifs dans les branches les plus diverses, compensant  ainsi les difficultés conjoncturelles  dans  une branche par son activité dans un autre secteur.

Aujourd’hui, la direction  des banques  allemandes, de Daimler, ou de Vivendi ont comme objectif de trouver  un investisseur potentiel afin de gagner de l’argent le plus vite et le plus possible dans l’intérêt des actionnaires. Tant que « l’argent frais »  arrive dans  ces entreprises,  le cours  des actions augmente rendant  plus facile l’obtention de crédit pour acheter de nouvelles actions. C’est au Japon que cette logique a été poussée la plus loin. Tant que les profits ont permis de payer les dividendes, tout semblait bien fonctionner. Désormais, nous sommes entrés dans une phase où cet argent part en fumée parce que la production a été poussée bien au-delà de la demande comme on le constate dans la téléphonie mobile. Depuis mars, la valeur en Bourse des entreprises de télécommunication s’est effondrée alors qu’elle constituait l’exemple même de la réussite des privatisations. Les pertes ont été bien supérieures  à celles de la crise asiatique de la fin des années quatre-vingt-dix. Cette baisse de valeur des actions est la plus importante  depuis 1973-1974.

Deuxième point. Les effets du nouveau système financier sont souvent  comparés  à ceux des nouvelles technologies de la révolution informationnelle. On ne peut pratiquement pas  séparer  la révolution  informationnelle  et  la mise en place de la  nouvelle philosophie de management. Avec les nouvelles technologies, des monopoles se constituent de nouveau. Les « global player » se concentrent  sur leur métier principal. On tend ainsi vers des positions  de domination afin de permettre  des taux de rendements  de 12 à 20%. Ce qui entraîne la destructuration de l’appareil de production.

Les entreprises  sont  dépecées.  Certaines  parties  de la chaîne de production  sont vendues. Les fournisseurs  sont intimement  liés aux souhaits  de  leurs  clients.  Le travail dans l’entreprise et dans les secteurs  rattachés  est révolutionné. La division du travail de Taylor et Ford est partiellement  rompu.  Certaines  fonctions  de direction  superflues sont remplacées par des cercles de qualité, la flexibilité du travail, par une participation forcée à l’amélioration du processus de production.

Les coûts des transactions ont été diminués avec les nouvelles technologies,  mais aussi tous les coûts  nécessaires au-delà du  salaire,  pour  la coordination,  la logistique, le marketing. Il n’y a pas de « one best way » mais partout des tentatives  pour  trouver  des  solutions.  Tentatives  limitées par les actionnaires et la valeur boursière des entreprises.

D’un côté, la mise en place des  nouvelles technologies permet des gains de productivité énormes et de l’autre les attentes  spéculatives traversent  ce secteur.

Où sont les limites ? aujourd’hui, on achète les produits au lieu de les produire,  on achète  une start-up au lieu de développer  la recherche.  Les dépenses  de formation sont insuffisantes pourtant on cherche à trouver ailleurs les salariés  formés.  Ainsi, en  Allemagne, on  a fait venir  10 000 informaticiens  asiatiques,  des  milliers d’infirmières polonaises.

L’OUVERTURE À LA CONCURRENCE ET LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT

Nasser Mansouri Guilani

La mondialisation est une réalité indéniable de notre temps.  D’aucuns ne  voient  dans ce phénomène que des aspects  négatifs ; la mondialisation serait synonyme du libéralisme économique, de la généralisation de la concurrence...

Cette vision dépasse largement les clivages politiques. En France des partisans et des adversaires de cette mondialisation se trouvent aussi bien dans les rangs de droite et d’extrême droite, que dans les rangs de gauche et d’extrême gauche. Pour construire des propositions alternatives, un travail de clarification est
d’autant plus nécessaire que la vision précitée de  la mondialisation est aussi présente dans les rangs des salariés.

Ce travail de clarification a deux dimensions qui sont intimement liées et se nourrissent mutuellement. Un débat de fond sur les enjeux de notre temps est nécessaire pour chercher des pistes alternatives. En même temps nous devons chercher des solutions immédiates lorsque les salariés sont confrontés aux problèmes graves comme les délocalisations

Le développement économique et social comme le critère fondamental

Pour nous, la mondialisation n’est, en soi, ni mauvaise ni bonne. Tout dépend de la manière dont on profite des occasions  qu’elle crée  pour  mieux répondre  aux attentes  des citoyens. Comme le rappelle le CNUCED, la mondialisation reste potentiellement un instrument puissant et dynamique de croissance.

La question est de savoir comment profiter de la mondialisation pour permettre  à tous les citoyens de profiter des avancées scientifiques, de s’épanouir et de vivre en paix et en sécurité.

Nous partons de trois observations fondamentales :

1°) De nos jours, aucun pays ne peut prétendre  pouvoir vivre en  autarcie. Des relations avec le reste du monde sont à la fois souhaitables  et  indispensables.  Cette relation est  nécessairement à double  sens.  Mais il n’est pas  certain qu’elle soit équilibrée. Autrement dit, ce qui est en cause, ce n’est pas l’ouverture sur l’extérieur, mais la façon dont elle est organisée.

2°) Nous partons  aussi  d’un constat  accablant  : notre monde  se trouve  dans  une situation  paradoxale  : on n’a jamais créé autant  de richesses  et pourtant  des milliards d’êtres humains continuent  à souffrir de la faim, de la mal-nutrition,  de  l’absence  de  l’eau potable  et  des  maladies infectieuses.

Le monde  est  considéré  par  les firmes multinationales (FMN) comme un « espace privé » qui leur est réservé, alors qu’en  réalité  il  est  un  « espace  public »   où  le  sort  de l’Humanité se dessine par notre capacité à traiter des problèmes   fondamentaux   ayant   le  caractère   de   « biens publics » : le développement durable, l’effet de serre, le partage des savoirs, etc.

Le traitement  de ces problèmes exige une vision de long terme qui doit donner la priorité aux besoins des peuples. Or, actuellement,  il n’y a pas de lieu ouvert de discussion avec et entre les peuples de ces problèmes majeurs.

3°) Enfin, l’existence d’écarts de développement considérables à travers le monde conduit parfois à diviser le monde en deux blocs séparés  : le Nord et le Sud. Cette vision met, de fait, en opposition les populations et les salariés de ces deux blocs. En réalité, il y a du Nord dans le Sud et du Sud dans  le Nord. Dès lors  la question  est  de  chercher  des points de  convergence qui rapprochent les populations  et surtout les salariés partout dans le monde.

La libre circulation  des capitaux et la concentration  du capital sont des réalités indéniables. Elles conduisent à une globalisation des normes  de rentabilité.  Ainsi en est-il du rôle que jouent, dans le monde, des fonds communs de placement et autres « hedge funds » et fonds de pension.

Cette vision dépasse largement les clivages politiques. En France des partisans  et des adversaires  de cette mondialisation se trouvent  aussi bien dans les rangs de droite et d’extrême droite, que dans les rangs de gauche et d’extrême gauche. Pour construire  des propositions alternatives, un travail de clarification est d’autant plus nécessaire  que la vision précitée  de la mondialisation est aussi présente  dans les rangs des salariés.

Ce travail de clarification a deux dimensions qui sont intimement liées et se nourrissent  mutuellement. Un débat de fond sur les enjeux de notre temps est nécessaire pour chercher des pistes alternatives.  En même temps nous devons chercher des solutions immédiates lorsque les salariés sont confrontés  aux problèmes  graves  comme  les  délocalisations.

pendant le capital a aussi des bases nationales sur lesquelles il s’appuie. C’est là l’un des paradoxes de cette mondialisation : les États favorisent la circulation des capitaux et sa concentration à travers le monde ; ce faisant, ils contribuent à affaiblir leur pouvoir face aux FMN. Il n’en demeure pas moins que du point de vue des salariés, ces firmes cherchent  partout  un  rendement  supérieur.  Cela crée  fondamentalement des intérêts communs entre les salariés dans le monde, alors qu’apparemment ces intérêts semblent parfois entrer en contradiction  les uns avec les autres

Être acteur de la mondialisation plutôt que la subir

Ces observations  nous amènent à aborder  autrement  la question  de la mondialisation. celle-ci ne devrait  pas être considérée  comme quelque chose qui nous est imposée et que nous subissons  ; nous devons, au contraire,  nous inscrire dans ce processus  pour en faire un levier du développement économique et de la promotion des droits sociaux et des droits fondamentaux au travail.

Aussi paradoxal que cela puisse apparaître,  les partisans et les adversaires  de la vision précitée de la mondialisation se rejoignent en fin de compte, car les deux considèrent  la mondialisation   comme   un   phénomène   exogène.   Au contraire, nous croyons que nos entreprises,  comme notre État, participent  à ce mouvement. Nous sommes aussi des acteurs de cette mondialisation.

Selon les tenants  de l’idéologie libérale, la concurrence par le marché est le meilleur moyen d’assurer la croissance économique car elle permet d’assurer  la réallocation optimale  des  ressources,   y compris  au  plan  mondial.  Nous avons de sérieux doutes  sur la pertinence  de ce postulat. Sur le plan théorique,  ce postulat  repose  sur  l’existence d’un marché pur et parfait ; en particulier, il ne doit pas y avoir d’asymétrie de l’information. A l’évidence, ces conditions ne sont pas toujours réunies.

Mais la critique n’est pas seulement théorique.  Des exemples confirment que l’ouverture de l’économie à la concurrence  peut accélérer la croissance économique. Toutefois, des contre-exemples sont plus nombreux. L’ouverture de l’économie et la généralisation de la concurrence  ne garantissent  pas nécessairement une croissance forte. Ainsi, les pays les moins avancés se rangent parmi les économies les plus ouvertes du monde ; et pourtant ils n’occupent qu’une place marginale et décroissante dans les échanges mondiaux.

L’expérience  montre  que  l’ouverture  de  l’économie ou des secteurs  d’activité à la concurrence  sera d’autant plus efficace que l’économie y est préparée.  Sinon, l’ouverture pourrait  déstabiliser  l’économie ou les secteurs  d’activité (ex: l'ouverture du système financier en Asie).

Nous croyons  que la meilleure façon d’assurer  la croissance durable  est de laisser aux peuples  le choix de leur développement  ; aussi nous privilégions le codéveloppement à la généralisation de la concurrence.

L’histoire montre  que tous  les pays dits  développés  se sont donnés des moyens avant de se lancer dans la course à la concurrence  généralisée. Les débats actuels autour de la propriété  intellectuelle montrent que ce principe reste valable, en dépit de toutes les mesures de déréglementation appliquées depuis plusieurs décennies. Néanmoins, aujourd’hui les interdépendances des économies nationales sont plus  fortes.  Par  ailleurs,  des  institutions  internationales sont en mesure de définir, parfois de façon arbitraire,  des stratégies de développement à la place des peuples.

Le monde a besoin de pilotage

La mondialisation sert d’alibi pour minimiser, voire nier, la possibilité d’une nouvelle régulation des relations internationales.

Nous considérons  que l’économie mondiale a besoin de « pilotage »,  d’instances  internationales  permettant  à l’action sociale et politique de s’affirmer dans les choix économiques  et  financiers. Il  faut débattre  de  la finalité de  la « gouvernance  mondiale ». Selon nous, celle-ci devrait respecter le choix des peuples ; c’est la règle de la démocratie.

Nous sommes confrontés à deux thèses. D’aucuns considèrent  qu’il faut renforcer  les institutions  internationales existantes   et  notamment   celles  issues  des  accords  de Bretton Woods dans leur logique actuelle. A l’opposé, ceux que l’on qualifie d’anti-mondialistes proposent la disparition pure et simple de ces institutions. Nous plaidons pour une transformation  profonde de la logique des institutions existantes.

Pour nous, il est indispensable  que les institutions  internationales respectent les chartes et conventions internationales  (droits   fondamentaux  au  travail,  les  droits   de l’Homme et l’environnement…). Une telle obligation transformerait  la  logique  de  fonctionnement  des  institutions comme le FMI, la Banque mondiale et l’OMC parce qu’elle modifie profondément   leurs  choix  et  leur  approche   de conditionnalité.   Elle permettrait  d’enrichir  le  débat   en  posant la question à un niveau plus fondamental.

Plusieurs questions sont posées :

– quel devrait être le champ d’action de chaque  institution internationale ?

– comment articuler ces actions ?

– enfin, quel contrôle démocratique  et social à établir sur ces institutions ?

La question de la démocratisation des institutions  inter nationales qui est d’une importance  majeure pour le mou vement  syndical, appelle  trois  remarques.  D’abord, il est notoire  que  les institutions  internationales  les plus puissantes  et notamment  le FMI et la Banque mondiale, mais aussi l’OMC, sont dominées par les grandes puissances économiques. La démocratisation de ces institutions ne signifie pas le partage des dominations avec quelques  pays émergeants. Il faut donner à tous les pays les moyens de profiter pleinement de leur participation à ces institutions. Ensuite, la démocratisation ne peut  être  réduite  à la participation  des populations, des salariés, des forces sociales à l’exécution des politiques édictées  par les institutions  internationales en l’absence des peuples. Enfin, la démocratisation de ces institutions n’est pas synonyme de leur privatisation.

Des champs possibles de solidarité internationale

Compte tenu du rôle déterminant  de la finance internationale,  une  première  question  est  de  savoir  comment mettre la finance au service de l’emploi et de la promotion des droits sociaux. Trois facteurs peuvent jouer un rôle crucial : a) les créations  monétaires  régionales et internationales par le système des banques centrales régionales et le FMI ; b) les apports financiers publics (et notamment le respect de l’objectif d’aide publique au développement fixé par les Nations-Unies) et privés (investissement direct) épaulés par les mesures d’allègement de la dette des pays en développement après examen des responsabilités des différents acteurs ayant contribué à l’endettement de ces pays ; c) les mesures permettant  de combattre la spéculation internationale et les circuits financiers du terrorisme et du crime organisé ; il s’agit notamment  de la levée des secrets  bancaires, de la lutte contre les paradis fiscaux et de la taxation des mouvements spéculatifs.

Une deuxième question  importante  est  de savoir  comment établir des règles équitables  dans le commerce mondial : comment assurer la stabilité des prix des matières premières et éviter la dégradation des termes de l’échanges ? Comment établir un contrôle effectif sur les FMN et les obliger à respecter les normes sociales et environnementales  ? Comment assurer  la stabilité des taux de change entre les grandes monnaies internationales  afin de réduire les incertitudes et les aléas qui pénalisent les entreprises  ?

Enfin, une troisième question majeure est de savoir com ment  assurer  le partage  des  connaissances   à  travers  le monde  pour  favoriser  le  développement   de  tous  les peuples ; il s’agit notamment  des  questions  relatives  à la recherche-développement publique, au transfert de technologies appropriées  et aux coopérations entre  les services publics.

Promouvoir les droits sociaux dans l’espace des firmes multinationales

Les firmes multinationales  sont  les principaux  vecteurs de la mondialisation. Elles mettent en concurrence  les systèmes socio-productifs. La construction  d’une alternative à la mondialisation libérale ne peut ignorer ce niveau fondamental d’action pour les salariés et le mouvement syndical, mais également pour la Société civile. Il s’agit, ici également, de  s’appuyer  sur  des  moyens  existants  et  profiter  des atouts des FMN pour les mettre au service du développement économique et social.

Par exemple, l’existence des Comités de groupe au sein des firmes multinationales implantées dans plusieurs pays favorise l’action pour la défense et la promotion des droits des salariés ; ces comités peuvent être aussi des moyens de pression   pour  obliger  les  FMN à  respecter  les  normes sociales et environnementales  auxquelles la Société civile se montre de plus en plus sensible.

De manière plus générale, le contrôle effectif des activités des FMN est un enjeu majeur pour le mouvement syndical. Cette question a deux dimensions :

– qui devrait  définir des  normes  sociales  et environnementales et selon quels critères  ? Une meilleure coordina-tion des institutions  internationales  est certes  nécessaire  ; il convient d’établir des procédures,  à l’instar de celles de l’OIT, permettant  aux acteurs sociaux de participer à la définition de ces normes ;

– qui devrait contrôler  les FMN et quels mécanismes de sanction faut-il prévoir pour obliger les FMN à respecter ces normes. Les codes de bonnes conduites de l’OCDE restent largement insuffisants. Selon nous, les salariés, leurs représentants  devraient  participer  au contrôle  des FMN. Aussi nous demandons  un renforcement  des droits  des salariés dans le cadre des comités de groupe, notamment en ce qui concerne le droit d’alerte et le droit d’expertise.

Pour le codéveloppement

Les écarts de niveaux de développement  s’expriment, en dernière  analyse, par la disparité  des salaires à travers  le monde. L’argument des pays à bas salaires est largement utilisé par les chefs d’entreprises et les décideurs politiques pour justifier des délocalisations et des licenciements, notamment dans les industries à forte intensité de main d’œuvre.

Nous sommes persuadés  que ces mouvements ne profitent qu’aux firmes et entreprises  multinationales. Pour sortir de cette impasse, nous militons pour une véritable coopération avec les pays en développement.

Face à l’ampleur des délocalisations  et des souffrances qu’elles provoquent,  l’idée d’instauration  d’une taxe supplémentaire sur les importations en provenance des pays à bas  salaire  est  avancée  et défendue,  y compris  dans  les rangs syndicaux. Nous sommes persuadés  que cette  idée n’est qu’une fausse solution, car pour leur développement, ces  peuples  ont  aussi  besoin  de  produire  et  d’exporter. Nous militons pour  que soient  établies  des  règles empêchant la sortie des capitaux et les délocalisations dès lors que l’unique objectif visé est l’amélioration de la rentabilité des entreprises.

La seule solution est  de coopérer  avec ces pays. Cette coopération devrait être relayée par des financements appropriés.

De ce point de vue, l’Union européenne  et particulièrement la France ont une énorme  responsabilité.  L’une des questions  nouvelles posées par l’introduction de l’euro est relative à la représentation de l’Union européenne dans des instances internationales.

Il est évident que si les pays de l’Union européenne  réus sissent à adopter des politiques favorables à l’emploi et à la promotion  des  droits  fondamentaux  au travail, ils seront mieux à même d’infléchir les orientations  des institutions internationales.

Le mouvement social exige de l’État français de peser de son poids au sein des instances  européennes  et internationales pour exiger une nouvelle régulation des relations économiques internationales.  ·