Le samedi 16 février, dans le cadre du « Forum pour un autre monde » sous l’égide du journal l'Humanité avec BEUR FM et plusieurs organisations (voir page 37) s'est tenu un atelier sur le thème :
« Que peut la politique, en liaison avec le mouvement social, face aux marchés financiers et aux multinationales », avec la participation de : Paul Boccara, économiste, Julio C. Gambina, président d’ATTAC Argentine, Maria Angel Martinez Castell professeur d’économie à l’Université de Barcelone, Bernard Sanders, de la revue allemande Socialismus, Nasser Mansouri Guilani, directeur du centre confédéral d’études économiques de la CGT et membre du Haut Conseil de la Coopération. Nous publions leur contribution à cet atelier ainsi qu'un compte rendu des interventions.
Les interventions préliminaires
Avec la mondialisation il n’y a pas de transformation profonde dans chaque pays sans son articulation à une autre construction mondiale. On doit affronter la domination des marchés financiers et des groupes monopolistes mondialisés sur toute la vie humaine. Cet affrontement est conditionné par les ambivalences de la révolution informationnelle, et de ses exigences de coopération transnationale très intimes :
– au plan économique, soit domination des marchés financiers et des entreprises multinationales monopolistiques, rivales réclamant la rentabilité financière avant tout, soit coopération de co-développement des populations et des entreprises avec la création de moyens financiers et de critères correspondant ;
– au plan politique, soit domination de constructions pluri-étatiques , soit démocratie participative et d’interventions directes, décentralisées et concertées du local au national, au zonal et au mondial.
La crise présente de la croissance mondiale exaspère les défis de créativité sur tous les plans. Elle est caractérisée par une suraccumulation financière formidable à l’échelle du monde face à l’insuffisance du développement des populations de toute la planète, leur demande et leur capacité productive par l’emploi, la formation, le partage des recherches. D’où l’opposition à une croissance réelle forte, avec la remontée du chômage massif et de la précarité partout. En particulier, les attractions de capitaux formidables du monde entier aux Etats-Unis, passant par la domination du dollar et les pressions sur toutes les autres monnaies, deviennent beaucoup plus intolérables, en pesant aussi contre la croissance réelle du reste du monde. Elles contribuent, aux insuffisances des stocks matériels, réels, informationnels et humains, à des degrés divers mais dans tous les pays du monde, y compris parmi les pays les plus développés comme ceux de l’Union européenne. Cela participe au chômage et aussi à la sous-activité dans tous les pays du monde, y compris avec le chômage massif bien plus important dans les pays de l’union européenne qu’aux Etats-Unis malgré les cascades de dominations. Cela se relie à l’hégémonie politique et culturelle des Etats-Unis à l’échelle de la planète.
D’où les défis de s’émanciper à la fois de la domination des marchés financiers et aussi de la super domination des Etats-Unis et notamment du dollar, sans pour autant reculer sur les coopérations internationales bien au contraire.
Au plan économique, elle s’appuierait sur des coopérations et un financement cherchant à s’émanciper de la domination des marchés financiers et du dollar, avant tout grâce à une tout autre utilisation de l’euro pour un tout autre crédit. Bien sur, si je limite mon propos à insister sur cette autre utilisation de l’euro pour un autre crédit partagé en faveur des populations, ce n’est pas du tout la clé unique, même au plan économique. Mais c’est un chaînon décisif. Par exemple, une taxe sur les flux internationaux de capitaux financiers comme la taxe Tobin serait utile, mais elle ne répondrait pas au besoin d’un financement en grande partie alternatif. Une réduction, à plus forte raison une annulation, des dettes extérieure des pays en voie de développement serait très appréciable, mais cela ne dirait rien des besoins de financements futurs.
En effet, l’inflation excessive du crédit, liée à ses gâchis antérieurs dans les anciennes constructions étatiques nationales et avec les anciennes technologies, a contribué puissamment dans tous les pays, de la France à l’Argentine, à la domination des marchés financiers mondialisés. C’est pourquoi, cette nouvelle création d’euros serait à la fois fondée sur des potentiels réels de nombreux pays et d’autre part viserait une efficacité sociale des financements. Plus précisément, la création d’euros par la Banque Centrale Européenne (BCE) permettrait des refinancements de crédits sélectifs des banques ordinaires. Les taux d’intérêt, pour des crédits à moyen et long terme, seraient d’autant plus abaissés jusqu’à des taux zéro et même négatifs, avec des subventions, que les investissements ainsi financés programmeraient de l’emploi associés à de la formation et à des coopérations informationnelles pour des partages des coûts de recherche-développement. Et les taux d’intérêt seraient au contraire relevés pour les placements proprement financiers.
Cela interviendrait à l’intérieur de chaque pays européen, mais surtout entre pays européens et aussi, et c’est très important, entre les pays européens et les pays émergents ou en développement. On viserait à favoriser partout, avec une autre coopération, l’avancée vers ce que nous avons appelé en France un système de Sécurité d’emploi et de formation, ainsi que vers de nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale des entreprises économisant les capitaux et favorisant les capacités humaines en coopération. Ainsi, dans une sorte de plan Marshall, mais non dominateur, de purs dons en euros et aussi des prêts sans intérêt de la BCE à des Banques centrales des pays émergents et en voie de développement permettraient des refinancements, par ces banques centrales, de crédits sélectifs longs, à taux très abaissés pour favoriser l’emploi et la formation ainsi qu’une nouvelle coopération pour l’efficacité sociale. Ils viseraient à favoriser des achats d'équipements de ces pays, notamment au pays de l’Union européenne, pour la croissance réelle, l’emploi, la formation des deux côtés. Cela pourrait concerner les pays du sud de la Méditerranée, d’Afrique, de l’Europe de l’Est, d’Amérique Latine etc.
En même temps ces rapprochements favoriseraient une action commune, graduelle mais immédiate pour commencer à démocratiser la direction du FMI afin de l’émanciper de la domination des Etats-Unis et du dollar, et surtout pour une nouvelle création monétaire pour le co-développement.
Ces droits de tirer, par une banque centrale participante, de la monnaie d’une autre banque centrale pour acheter à son pays seraient attribués en fonction des besoins de soutenir l’emploi, la formation et la coopération dans tous les pays du monde. Cela se relierait à la création et à l’utilisation de monnaie zonale dans les divers sous-continents.
On peut prendre le cas de la crise financière et sociale en Argentine dont d’autres parleront ici. L’Argentine a été longtemps considérée comme un des meilleur élève du FMI. En 1991, il y a été instauré un système de parité fixe où un peso égale un dollar, et où les peso sont créés en fonction des réserves en dollar. Cela visait surtout l’attraction des capitaux financiers, avec la privatisation radicale du grand secteur public. Ainsi, entre 1994 et 2001, les investissements étrangers se sont élevés à 98 milliards de dollars. Les Etats-Unis sont en tête, mais, si on ajoute la France et l’Espagne, à elles deux, elles sont en tête au-dessus des Etats-Unis. Et aussi les riches Argentins ont exporté énormément de dollar aux Etats-Unis (environ 100 milliards de dollars).
Au début de décembre 2001, alors que l’Etat ne peut rembourser les créances de la dette extérieure énorme arrivant à échéance sans le soutien du FMI, celui-ci refuse le versement sollicité. Le chômage atteint environ 20%. Les restrictions de sortie de liquidités des banques mettent aussi, après les chômeurs sur les routes, les couches moyennes dans la rue. Finalement, le moratoire de la dette est décrété, on abandonne l’équivalence du peso et du dollar, tout en disant mettre en cause le modèle libéral.
Mais la forte dévaluation du Peso et la crise économique entraînent des difficultés et aussi des pressions et des enjeux de relations nouvelles pour les entreprises étrangères industrielles, de service, de banque, et notamment les espagnoles et les françaises qui sont très importantes. Ces pressions s’articulent à celles du FMI, contre les dépenses publiques et en faveur des créanciers étrangers.
Cependant, questions cruciales dont on parlent peu, la partie du mouvement politique et sociale la plus avancée se réclame, à sa façon bien sûr, de la proposition que nous avons faite en France d’une Sécurité d’emploi et de formation. Et le large Front National de Lutte contre la Pauvreté, avec la CTA, Centrale des travailleurs argentins, 2ème centrale syndicale, des organisations politique de gauche, des associations culturelles, religieuses… a organisé une consultation sur une « Seguro de empleo y formacion » qui a obtenu environ 3 millions de voix en décembre 2001, plus que tous les partis de gauche aux élections.
Toutefois, ces propositions sont de premières avancées, à la fois adaptées aux conditions nationales mais aussi encore réductrices. Il s’agirait d’une sorte de revenu minimum garanti aux chefs de famille (hommes et femmes) et d’une allocation pour l’éducation des enfants. Et, en outre, le financement renvoi essentiellement à la fiscalité. En réalité, alors que la question économique centrale est celle d’un financement émancipé de la dictature des marchés financiers et du dollar, il faut relier les objectifs sociaux et les moyens monétaires. On peut progresser vers la proposition d’ententes nouvelles avec les pays de l’Union européenne à partir d’autres relations, notamment avec l’Espagne et la France, tout particulièrement pour des aides en euros de la BCE pour un tout autre crédit. Ainsi on pourrait avancer vers une pleine Sécurité d’emploi et de formation, c’est à dire avec l’attribution non seulement de revenus mais d’activités d’emplois et de formations, comme certains le réclament déjà.
Des actions des travailleurs et de leur organisation en France pour d’autres relations, à partir de nombreuses entreprises européennes, françaises et espagnoles surtout mais aussi allemandes etc., et des organisations de coopérations de luttes et d’échanges d’expériences des deux côtés, pourraient immédiatement contribuer à des avancées dans ce sens. De même, des aides immédiates favorisant un nouveau crédit, pourraient être réclamées de la part de la BCE et de la Banque européenne d’investissement (BEI) à partir du Parlement européen, des parlements et des gouvernements nationaux , de mobilisations sociales et politiques. On pourrait aussi demander des aides publiques bilatérales de la part de la France et de l’Espagne notamment. Cela pourrait intervenir à l’occasion des rencontres urgentes pour de nouveaux accords de coopération avec l’Argentine et le Mercosur, comme aussi avec toute l’Amérique Latine. Cela pourrait constituer des avancées pour une autre construction mondiale effective, ne négligeant pas le rôle décisif du crédit comme beaucoup de protestations contre la mondialisation libérale, aux côtés d’autres avancées possibles vers les pays du Sud et de l’Est de l’Union européenne.
Mon ami Paul Boccara connaît bien la situation en Argentine. Il vous a donné une bonne image de la situation économique de notre Pays.
Le fait principal de la situation économique en Argentine c’est la participation populaire. Paul Boccara a mentionné que la consultation populaire a réuni 3 millions de votants. Cet élément a permis que des organisations populaires, syndicales, de producteurs, d’agriculteurs, de petites entreprises, d’organisations de droits humains, ATTAC Argentine soient reçues par le Président actuel. Il ne reçoit, ou tout autre Président, personne qui n’ait un pouvoir politique.
Le problème argentin c’est l’absence d’alternative politique face aux politiques économiques qu’on appelle « néolibérales » qui ont été menées ces 25 dernières années. Il n’y a pas de politique alternative parce qu’il y a eu un véritable terrorisme d’Etat avec 30 000 disparus. Ensuite, il y a eu un terrorisme économique avec l’hyper inflation mais aussi une répression patronale qui continue aujourd’hui. Les entreprises qui dominent l’Argentine sont nord-américaines, espagnoles, françaises, allemandes, suédoises mais aussi argentines. La terreur d’Etat et la terreur des entreprises ont engendré une peur dans la société, une peur qui paralyse... et, au cours des 25 dernières années, il y a eu une véritable impunité pour les entrepreneurs. Et, à l’inverse de ce que beaucoup pensent, il n’y a pas moins d’Etat, il a une autre fonction, il est au service de l’accumulation des profits, des richesses, des pouvoirs pour les grands groupes qui dominent.
C’est pour cela que le fait le plus important est la mobilisation populaire qui contribue à la résolution des fractures du mouvement populaire. Jusqu’en décembre 2001, les travailleurs au chômage luttaient de leur côté, les travailleurs dans l’emploi du leur, les agriculteurs d’un autre et les petits entrepreneurs d’un autre encore. En décembre2001, il y a eu une véritable explosion et le dialogue a commencé dans la même langue, en regroupant l’ensemble des revendications bien qu’elles soient différentes. Mais tous savent que la politique hégémonique actuelle ne sert qu’un groupe réduit de bénéficiaires.
Pour me faire comprendre, la chute des dépôts du système financier argentin a été de 20 milliards de dollars en 2001, c’est un chiffre comparable en ce qui concerne la baisse des réserves de devises. Durant toute l’année 2001, les couches dominantes de l’économie argentine ont retiré l’argent des banques et l’ont fait sortir d’Argentine. C’est un processus qui s’est déroulé durant 25 ans dont le gouvernement avait connaissance. Cependant, il n’a jamais rien fait. Entre le 27 et le 29 novembre 2001, les couches moyennes ont retiré massivement leurs dépôts des banques. C’est alors que le gouvernement argentin est intervenu en empêchant que les petits épargnants puissent retirer leur argent des banques. Quand les grands spéculateurs faisaient sortir l’argent du pays, l’Etat n’a rien dit. Mais il est intervenu pour « défendre » le système financier au moment où les petits déposants ont voulu retirer leurs économies.
Ce système financier est à 51% dans des mains étrangères (banques nord-américaines, espagnoles, françaises). Pour défendre les banques transnationales, le système financier a des réserves de l’ordre de 60 milliards de dollars mais l’argent des argentins à l’étranger est de l’ordre de 100 milliards de dollars et certaines études parlent même de 150 milliards de dollars. Il faut défendre le système financier argentin, mais il existe un système financier argentin à l’étranger qui est supérieur à celui d’Argentine.
L’Argentine continue à produire des richesses. Elles partent vers l’étranger. c’est la nouvelle forme de dépendance. Il continue à y avoir une production de richesses et une expropriation de plus-value mais cette plus-value n’est pas accumulée pour le développement local, mais elle sert pour augmenter la concentration de capitaux dans les firmes transnationales.
Face à cette situation économique, les couches dominantes argentines ont proposé deux solutions : la dévaluation de la monnaie ou la dollarisation. Chacune des ces propositions est fonctionnelle pour une partie du capital. Le résultat est une dévaluation dont certains tirent bénéfices et dont d’autres pâtissent. Deux exemples : les Argentins qui ont de l’argent à l’étranger, 100 milliards de dollars, ont désormais multiplié par deux leur pouvoir économique intérieur et ils peuvent accroître leur patrimoine. C’est une bonne affaire. Les travailleurs dans l’emploi reçoivent, en moyenne, un salaire de 600 pesos. En décembre 2001, cela représentait 600 dollars, désormais seulement 300 dollars. Personnellement, pour venir à cette rencontre, j’ai changé 200 pesos contre 100 dollars. Il y a un mois j’aurais eu 200 dollars. L’économie a gagné en « compétitivité » contre les salaires. Il y a donc eu une amélioration pour les capitaux spéculatifs et une détérioration pour les travailleurs et l’économie intérieure.
Il y a eu cette dévaluation. Et il pourrait y avoir beaucoup d’inflation. Les banques, les entreprises privatisées continuent à se battre pour une dollarisation et ils s’appuient pour cela sur la pression des gouvernements de leur pays d’origine dont le plus agressif est José Maria Aznar, le 1er ministre espagnol, car les entreprises espagnoles sont très présentes. La première entreprise est REPSOL. En septembre 2001, elle a gagné presque 2 milliards de dollars de bénéfice au niveau mondial, dont 60% en Argentine.
Alors, y-a-t-il une crise économique en Argentine ? Je sais que c’est une question piégée, mais comme le thème de notre rencontre est de savoir ce que la politique peut faire, il me semble que c’est le fait le plus important. Ce n’est pas une question de chiffres mais de masses qui entrent dans l’action. Je suis un des acteurs auteurs de la Sécurité d’emploi et de formation dont a parlé Paul Boccara, et , dans certains secteurs de gauche, nous étions critiqués car c’était
une proposition « très réformiste » comme la taxe Tobin. Nous avons répondu que l’important n’est pas le caractère prétendument réformiste ou révolutionnaire de la proposition parce que même les augmentation des salaires peuvent être considérées comme réformistes. Ce qui importe, c’est le nombre de celles et ceux qui entrent dans l’action pour réclamer, exiger et obtenir des améliorations des conditions de vie pour la majorité de la population. Si nous sommes capables d’engendrer cette action de masse pour transformer le pouvoir, le pouvoir économique, nous arriverons à une action révolutionnaire.
Pour finir, comment peut-on faire depuis la France, l’Europe ou toute autre partie du monde ? En premier lieu, je veux vous remercier pour la solidarité du peuple français qui s’est exprimé de plusieurs manières. Je pense qu’il faut continuer dans cette voie. Mais une des formes d’actions importantes est d’exiger du gouvernement français de jouer son rôle dans les organisations internationales, par exemple au FMI, présidé par un Allemand. Nous savons que les EtatsUnis dominent le FMI, mais quelle peut être la voie alternative dans le FMI ? Quelqu’un pourra dire que c’est une utopie mais il faut développer ce type d’action au FMI, à l’ONU et dans tous les lieux où c’est possible. En mai 2002 aura lieu un sommet Europe-Amérique Latine. Nous organiserons le sommet des peuples où il est normal que nous protestions, mais où il serait important qu’un gouvernement de gauche plurielle fasse pression pour que le sommet propose des solutions alternatives à ce que propose la politique hégémonique traditionnelle. Est-ce une utopie ? c’est au moins une proposition de lutte en France pour contribuer à disputer l’hégémonie du capitalisme global en encourageant la lutte des peuples.
Il y a un point commun entre l’Europe et l’Amérique Latine, c’est la lutte contre l’OMC, d’une part, et contre le traité de libre-échange de l’ALCA qui propose la même chose que l’OMC, d’autre part. Je pense qu’il faut articuler ce que réclament les peuples européens, l’annulation de la dette, et que nous, en Amérique Latine, nous disons en fait : « il ne faut pas payer cette dette ». Ce n’est pas la même chose mais cela va dans le même sens. En ce qui concerne la taxe Tobin, lors du dernier Forum social, ATTAC Argentine a proposé que les recettes de la taxe soient administrées par des organisations issues du mouvement populaire lui-même, par exemple le Forum social, avec un mécanisme déterminé par les peuples. Nous avons conscience que le produit de cette taxe ne peut provenir que des principales places financières. C’est une forme de rétribution face à des années d’exploitation capitaliste.
Que peut la politique, en liaison avec le mouvement social, face aux multinationales et aux marchés financiers?
Notons tout d’abord que le mouvement social c’est aussi la politique, et que les multinationales, les marchés financiers ne sont pas à la marge de la politique. En effet, on nous a beaucoup trompé avec l’idée, d’ailleurs très académique, que l’économie et la politique sont des domaines complètement différents.
Il existe une expression classique du léninisme qui nous rappelle que la politique est une expression concentrée de l’économie et qu’il ne faut pas accepter, comme le libéralisme tente de l’imposer actuellement, la soumission de la politique à l’économie. Accepter une telle division serait accepter qu’il existe, d’un côté, un espace public qui serait celui de la politique où l’on peut exiger l’égalité, des droits et des devoirs équitables pour tous et, d’un autre coté, le droit et la logique de l’existence séparée du royaume de l’inégalité et de l’exploitation.
C’est à partir de l’acceptation de cette cassure que les apôtres du néolibéralisme peuvent demander que les gouvernements renoncent à toute intervention dans la vie des entreprises et des marchés financiers. Puisqu’il s’agit de domaines différents, affirment-ils, le meilleur c’est la pureté, pas de mélange. La production de marchandises doit répondre uniquement au mandat de la maximisation du profit. L’impact d’un tel objectif sur l’emploi, les salaires, les cotations boursières, la spéculation financière n’ont rien à voir avec la politique. Il existerait une ligne Maginot entre les deux car il n’y aurait rien de pire pour la « bonne marche » de l’économie que l’intromission de la politique, c’est-à-dire des autres, ceux qui ne sont pas les multinationales, les spéculateurs. La perte de l’équilibre du marché et la crise seraient la conséquence de cette immixtion de la volonté de la grande majorité de la population.
l’extension du salariat a accompagné les avancées , sans entrave, des multinationales sur presque toute la planète. Il y a de moins en moins de peuples et de personnes à la marge des relations capitalistes de production tant du point de vue géographique que des couches sociales. La révolution technologique a servi de point d’appui à cette expansion du capital : communications quasi instantanées grâce aux réseaux informatiques interconnectés, nouveaux matériaux, énergie à bon marché qui sert aussi à justifier les guerres en Irak, en Afghanistan. Tout cela contribue à de nouvelles formes d’organisation et de déstructuration du travail, par exemple avec l’invasion de l’exploitation jusque dans nos vies personnelles ou avec la reconstruction de « workhouse » de l’aube du capitalisme. Les multinationales choisissent leurs implantations en fonction de la législation du travail la moins contraignante imposant aux pays colonisés par leurs investissements la répression syndicale, le retour au travail des enfants, l’exploitation intégrale des femmes. Et à côté de ces grands traits, l’utilisation des nouvelles technologies a introduit de nouvelles inégalités entre personnes, entre générations, entre urbains et ruraux, entre hommes et femmes, entre riches et pauvres…
En Europe nous devons discuter des mesures nécessaires à prendre tout particulièrement à partir des thèmes que Paul Boccara a pointé et qu’il a beaucoup mieux expliqué que je ne saurais le faire. Il faut, c’est primordial, reconquérir les instruments de la politique monétaire et financière. Il faut, bien sûr, libérer les budgets des Etats de la coercition du Pacte de Stabilité et de l’objectif de « déficit zéro ». En Espagne, avec le gouvernement Aznar du Parti Populaire, la pression fiscale globale a diminué de trois points mais cette politique a coûté aux salariés.
En effet, c’est l’impôt sur le revenu des plus riches qui a baissé, celui des salariés a augmenté. Et malgré tout on continue de parler de « déficit zéro ». Désormais ce sont les plus riches qui bénéficient de l’action publique. L’Espagne s’est orientée vers ce qu’on appelle la troisième voie. Mais c’est un alibi importé des Etats-Unis afin de diminuer les aides aux personnes les plus faibles de la société, et qui a été introduit en Europe par le soi-disant social-démocrate Tony Blair.
Dans nos axes de luttes nous devons être attentifs au travail des femmes, à celui des enfants, aux lois sur l’immigration et à la protection de l’environnement, par exemple avec les mouvements de capitaux sont liés à d’importants niveaux de corruption aux sommets de l’Etat. De la même manière, le commerce entre multinationales doit être mis sous surveillance afin d’éviter les pratiques de dumping social. Pour finir, la politique publique doit pouvoir se fixer deux objectifs non traditionnels qui sont les activités « invisibles », la répartition des tâches entre hommes et femmes que les multinationales ont réussi à modifier avec l’allongement des temps de transport, le délitement de la vie citoyenne, l’affaiblissement des liens sociaux de proximité. Il s’agit aussi de la lutte pour le pluralisme face à une pensée dominante néo-libérale qui cherche à évacuer toute idée alternative.
Premier point. Aujourd’hui, nous sommes dans une récession mondiale. Seuls les pays capitalistes qui mènent une politique « keynésienne » ont maintenu une certaine croissance. La situation économique mondiale donnant l’idée que nous serions dans une nouvelle vague de prospérité portée par les nouvelles technologies et un nouveau système financier. Qu’entend-on par là ? Depuis l’abandon de la référence à l’or du dollar, les gouvernements nationaux ont toujours plus libéralisé leur système financier. Cela a permis aux entreprises d’accumuler d’importantes réserves monétaires. Cette accumulation a conduit à une augmentation de l’épargne qui a cherché des investissements toujours plus rentables. Les « investisseurs institutionnels » ont rationalisé leurs investissements en installant dans l’industrie de nouveaux dirigeants. Ceux-ci mettent en œuvre des décisions dans le but d’accroître leur attractivité en augmentant les perspectives de profit.
Autrefois, le manager du fordisme se limitait à maîtriser le processus d’exploitation par la mise en place de grands conglomérats actifs dans les branches les plus diverses, compensant ainsi les difficultés conjoncturelles dans une branche par son activité dans un autre secteur.
Aujourd’hui, la direction des banques allemandes, de Daimler, ou de Vivendi ont comme objectif de trouver un investisseur potentiel afin de gagner de l’argent le plus vite et le plus possible dans l’intérêt des actionnaires. Tant que « l’argent frais » arrive dans ces entreprises, le cours des actions augmente rendant plus facile l’obtention de crédit pour acheter de nouvelles actions. C’est au Japon que cette logique a été poussée la plus loin. Tant que les profits ont permis de payer les dividendes, tout semblait bien fonctionner. Désormais, nous sommes entrés dans une phase où cet argent part en fumée parce que la production a été poussée bien au-delà de la demande comme on le constate dans la téléphonie mobile. Depuis mars, la valeur en Bourse des entreprises de télécommunication s’est effondrée alors qu’elle constituait l’exemple même de la réussite des privatisations. Les pertes ont été bien supérieures à celles de la crise asiatique de la fin des années quatre-vingt-dix. Cette baisse de valeur des actions est la plus importante depuis 1973-1974.
Deuxième point. Les effets du nouveau système financier sont souvent comparés à ceux des nouvelles technologies de la révolution informationnelle. On ne peut pratiquement pas séparer la révolution informationnelle et la mise en place de la nouvelle philosophie de management. Avec les nouvelles technologies, des monopoles se constituent de nouveau. Les « global player » se concentrent sur leur métier principal. On tend ainsi vers des positions de domination afin de permettre des taux de rendements de 12 à 20%. Ce qui entraîne la destructuration de l’appareil de production.
Les entreprises sont dépecées. Certaines parties de la chaîne de production sont vendues. Les fournisseurs sont intimement liés aux souhaits de leurs clients. Le travail dans l’entreprise et dans les secteurs rattachés est révolutionné. La division du travail de Taylor et Ford est partiellement rompu. Certaines fonctions de direction superflues sont remplacées par des cercles de qualité, la flexibilité du travail, par une participation forcée à l’amélioration du processus de production.
Les coûts des transactions ont été diminués avec les nouvelles technologies, mais aussi tous les coûts nécessaires au-delà du salaire, pour la coordination, la logistique, le marketing. Il n’y a pas de « one best way » mais partout des tentatives pour trouver des solutions. Tentatives limitées par les actionnaires et la valeur boursière des entreprises.
D’un côté, la mise en place des nouvelles technologies permet des gains de productivité énormes et de l’autre les attentes spéculatives traversent ce secteur.
Où sont les limites ? aujourd’hui, on achète les produits au lieu de les produire, on achète une start-up au lieu de développer la recherche. Les dépenses de formation sont insuffisantes pourtant on cherche à trouver ailleurs les salariés formés. Ainsi, en Allemagne, on a fait venir 10 000 informaticiens asiatiques, des milliers d’infirmières polonaises.
La mondialisation est une réalité indéniable de notre temps. D’aucuns ne voient dans ce phénomène que des aspects négatifs ; la mondialisation serait synonyme du libéralisme économique, de la généralisation de la concurrence...
Cette vision dépasse largement les clivages politiques. En France des partisans et des adversaires de cette mondialisation se trouvent aussi bien dans les rangs de droite et d’extrême droite, que dans les rangs de gauche et d’extrême gauche. Pour construire des propositions alternatives, un travail de clarification est
d’autant plus nécessaire que la vision précitée de la mondialisation est aussi présente dans les rangs des salariés.
Ce travail de clarification a deux dimensions qui sont intimement liées et se nourrissent mutuellement. Un débat de fond sur les enjeux de notre temps est nécessaire pour chercher des pistes alternatives. En même temps nous devons chercher des solutions immédiates lorsque les salariés sont confrontés aux problèmes graves comme les délocalisations
Pour nous, la mondialisation n’est, en soi, ni mauvaise ni bonne. Tout dépend de la manière dont on profite des occasions qu’elle crée pour mieux répondre aux attentes des citoyens. Comme le rappelle le CNUCED, la mondialisation reste potentiellement un instrument puissant et dynamique de croissance.
La question est de savoir comment profiter de la mondialisation pour permettre à tous les citoyens de profiter des avancées scientifiques, de s’épanouir et de vivre en paix et en sécurité.
1°) De nos jours, aucun pays ne peut prétendre pouvoir vivre en autarcie. Des relations avec le reste du monde sont à la fois souhaitables et indispensables. Cette relation est nécessairement à double sens. Mais il n’est pas certain qu’elle soit équilibrée. Autrement dit, ce qui est en cause, ce n’est pas l’ouverture sur l’extérieur, mais la façon dont elle est organisée.
2°) Nous partons aussi d’un constat accablant : notre monde se trouve dans une situation paradoxale : on n’a jamais créé autant de richesses et pourtant des milliards d’êtres humains continuent à souffrir de la faim, de la mal-nutrition, de l’absence de l’eau potable et des maladies infectieuses.
Le monde est considéré par les firmes multinationales (FMN) comme un « espace privé » qui leur est réservé, alors qu’en réalité il est un « espace public » où le sort de l’Humanité se dessine par notre capacité à traiter des problèmes fondamentaux ayant le caractère de « biens publics » : le développement durable, l’effet de serre, le partage des savoirs, etc.
Le traitement de ces problèmes exige une vision de long terme qui doit donner la priorité aux besoins des peuples. Or, actuellement, il n’y a pas de lieu ouvert de discussion avec et entre les peuples de ces problèmes majeurs.
3°) Enfin, l’existence d’écarts de développement considérables à travers le monde conduit parfois à diviser le monde en deux blocs séparés : le Nord et le Sud. Cette vision met, de fait, en opposition les populations et les salariés de ces deux blocs. En réalité, il y a du Nord dans le Sud et du Sud dans le Nord. Dès lors la question est de chercher des points de convergence qui rapprochent les populations et surtout les salariés partout dans le monde.
La libre circulation des capitaux et la concentration du capital sont des réalités indéniables. Elles conduisent à une globalisation des normes de rentabilité. Ainsi en est-il du rôle que jouent, dans le monde, des fonds communs de placement et autres « hedge funds » et fonds de pension.
Cette vision dépasse largement les clivages politiques. En France des partisans et des adversaires de cette mondialisation se trouvent aussi bien dans les rangs de droite et d’extrême droite, que dans les rangs de gauche et d’extrême gauche. Pour construire des propositions alternatives, un travail de clarification est d’autant plus nécessaire que la vision précitée de la mondialisation est aussi présente dans les rangs des salariés.
Ce travail de clarification a deux dimensions qui sont intimement liées et se nourrissent mutuellement. Un débat de fond sur les enjeux de notre temps est nécessaire pour chercher des pistes alternatives. En même temps nous devons chercher des solutions immédiates lorsque les salariés sont confrontés aux problèmes graves comme les délocalisations.
pendant le capital a aussi des bases nationales sur lesquelles il s’appuie. C’est là l’un des paradoxes de cette mondialisation : les États favorisent la circulation des capitaux et sa concentration à travers le monde ; ce faisant, ils contribuent à affaiblir leur pouvoir face aux FMN. Il n’en demeure pas moins que du point de vue des salariés, ces firmes cherchent partout un rendement supérieur. Cela crée fondamentalement des intérêts communs entre les salariés dans le monde, alors qu’apparemment ces intérêts semblent parfois entrer en contradiction les uns avec les autres
Ces observations nous amènent à aborder autrement la question de la mondialisation. celle-ci ne devrait pas être considérée comme quelque chose qui nous est imposée et que nous subissons ; nous devons, au contraire, nous inscrire dans ce processus pour en faire un levier du développement économique et de la promotion des droits sociaux et des droits fondamentaux au travail.
Aussi paradoxal que cela puisse apparaître, les partisans et les adversaires de la vision précitée de la mondialisation se rejoignent en fin de compte, car les deux considèrent la mondialisation comme un phénomène exogène. Au contraire, nous croyons que nos entreprises, comme notre État, participent à ce mouvement. Nous sommes aussi des acteurs de cette mondialisation.
Selon les tenants de l’idéologie libérale, la concurrence par le marché est le meilleur moyen d’assurer la croissance économique car elle permet d’assurer la réallocation optimale des ressources, y compris au plan mondial. Nous avons de sérieux doutes sur la pertinence de ce postulat. Sur le plan théorique, ce postulat repose sur l’existence d’un marché pur et parfait ; en particulier, il ne doit pas y avoir d’asymétrie de l’information. A l’évidence, ces conditions ne sont pas toujours réunies.
Mais la critique n’est pas seulement théorique. Des exemples confirment que l’ouverture de l’économie à la concurrence peut accélérer la croissance économique. Toutefois, des contre-exemples sont plus nombreux. L’ouverture de l’économie et la généralisation de la concurrence ne garantissent pas nécessairement une croissance forte. Ainsi, les pays les moins avancés se rangent parmi les économies les plus ouvertes du monde ; et pourtant ils n’occupent qu’une place marginale et décroissante dans les échanges mondiaux.
L’expérience montre que l’ouverture de l’économie ou des secteurs d’activité à la concurrence sera d’autant plus efficace que l’économie y est préparée. Sinon, l’ouverture pourrait déstabiliser l’économie ou les secteurs d’activité (ex: l'ouverture du système financier en Asie).
Nous croyons que la meilleure façon d’assurer la croissance durable est de laisser aux peuples le choix de leur développement ; aussi nous privilégions le codéveloppement à la généralisation de la concurrence.
L’histoire montre que tous les pays dits développés se sont donnés des moyens avant de se lancer dans la course à la concurrence généralisée. Les débats actuels autour de la propriété intellectuelle montrent que ce principe reste valable, en dépit de toutes les mesures de déréglementation appliquées depuis plusieurs décennies. Néanmoins, aujourd’hui les interdépendances des économies nationales sont plus fortes. Par ailleurs, des institutions internationales sont en mesure de définir, parfois de façon arbitraire, des stratégies de développement à la place des peuples.
La mondialisation sert d’alibi pour minimiser, voire nier, la possibilité d’une nouvelle régulation des relations internationales.
Nous considérons que l’économie mondiale a besoin de « pilotage », d’instances internationales permettant à l’action sociale et politique de s’affirmer dans les choix économiques et financiers. Il faut débattre de la finalité de la « gouvernance mondiale ». Selon nous, celle-ci devrait respecter le choix des peuples ; c’est la règle de la démocratie.
Nous sommes confrontés à deux thèses. D’aucuns considèrent qu’il faut renforcer les institutions internationales existantes et notamment celles issues des accords de Bretton Woods dans leur logique actuelle. A l’opposé, ceux que l’on qualifie d’anti-mondialistes proposent la disparition pure et simple de ces institutions. Nous plaidons pour une transformation profonde de la logique des institutions existantes.
Pour nous, il est indispensable que les institutions internationales respectent les chartes et conventions internationales (droits fondamentaux au travail, les droits de l’Homme et l’environnement…). Une telle obligation transformerait la logique de fonctionnement des institutions comme le FMI, la Banque mondiale et l’OMC parce qu’elle modifie profondément leurs choix et leur approche de conditionnalité. Elle permettrait d’enrichir le débat en posant la question à un niveau plus fondamental.
Plusieurs questions sont posées :
– quel devrait être le champ d’action de chaque institution internationale ?
– comment articuler ces actions ?
– enfin, quel contrôle démocratique et social à établir sur ces institutions ?
La question de la démocratisation des institutions inter nationales qui est d’une importance majeure pour le mou vement syndical, appelle trois remarques. D’abord, il est notoire que les institutions internationales les plus puissantes et notamment le FMI et la Banque mondiale, mais aussi l’OMC, sont dominées par les grandes puissances économiques. La démocratisation de ces institutions ne signifie pas le partage des dominations avec quelques pays émergeants. Il faut donner à tous les pays les moyens de profiter pleinement de leur participation à ces institutions. Ensuite, la démocratisation ne peut être réduite à la participation des populations, des salariés, des forces sociales à l’exécution des politiques édictées par les institutions internationales en l’absence des peuples. Enfin, la démocratisation de ces institutions n’est pas synonyme de leur privatisation.
Compte tenu du rôle déterminant de la finance internationale, une première question est de savoir comment mettre la finance au service de l’emploi et de la promotion des droits sociaux. Trois facteurs peuvent jouer un rôle crucial : a) les créations monétaires régionales et internationales par le système des banques centrales régionales et le FMI ; b) les apports financiers publics (et notamment le respect de l’objectif d’aide publique au développement fixé par les Nations-Unies) et privés (investissement direct) épaulés par les mesures d’allègement de la dette des pays en développement après examen des responsabilités des différents acteurs ayant contribué à l’endettement de ces pays ; c) les mesures permettant de combattre la spéculation internationale et les circuits financiers du terrorisme et du crime organisé ; il s’agit notamment de la levée des secrets bancaires, de la lutte contre les paradis fiscaux et de la taxation des mouvements spéculatifs.
Une deuxième question importante est de savoir comment établir des règles équitables dans le commerce mondial : comment assurer la stabilité des prix des matières premières et éviter la dégradation des termes de l’échanges ? Comment établir un contrôle effectif sur les FMN et les obliger à respecter les normes sociales et environnementales ? Comment assurer la stabilité des taux de change entre les grandes monnaies internationales afin de réduire les incertitudes et les aléas qui pénalisent les entreprises ?
Enfin, une troisième question majeure est de savoir com ment assurer le partage des connaissances à travers le monde pour favoriser le développement de tous les peuples ; il s’agit notamment des questions relatives à la recherche-développement publique, au transfert de technologies appropriées et aux coopérations entre les services publics.
Les firmes multinationales sont les principaux vecteurs de la mondialisation. Elles mettent en concurrence les systèmes socio-productifs. La construction d’une alternative à la mondialisation libérale ne peut ignorer ce niveau fondamental d’action pour les salariés et le mouvement syndical, mais également pour la Société civile. Il s’agit, ici également, de s’appuyer sur des moyens existants et profiter des atouts des FMN pour les mettre au service du développement économique et social.
Par exemple, l’existence des Comités de groupe au sein des firmes multinationales implantées dans plusieurs pays favorise l’action pour la défense et la promotion des droits des salariés ; ces comités peuvent être aussi des moyens de pression pour obliger les FMN à respecter les normes sociales et environnementales auxquelles la Société civile se montre de plus en plus sensible.
De manière plus générale, le contrôle effectif des activités des FMN est un enjeu majeur pour le mouvement syndical. Cette question a deux dimensions :
– qui devrait définir des normes sociales et environnementales et selon quels critères ? Une meilleure coordina-tion des institutions internationales est certes nécessaire ; il convient d’établir des procédures, à l’instar de celles de l’OIT, permettant aux acteurs sociaux de participer à la définition de ces normes ;
– qui devrait contrôler les FMN et quels mécanismes de sanction faut-il prévoir pour obliger les FMN à respecter ces normes. Les codes de bonnes conduites de l’OCDE restent largement insuffisants. Selon nous, les salariés, leurs représentants devraient participer au contrôle des FMN. Aussi nous demandons un renforcement des droits des salariés dans le cadre des comités de groupe, notamment en ce qui concerne le droit d’alerte et le droit d’expertise.
Les écarts de niveaux de développement s’expriment, en dernière analyse, par la disparité des salaires à travers le monde. L’argument des pays à bas salaires est largement utilisé par les chefs d’entreprises et les décideurs politiques pour justifier des délocalisations et des licenciements, notamment dans les industries à forte intensité de main d’œuvre.
Nous sommes persuadés que ces mouvements ne profitent qu’aux firmes et entreprises multinationales. Pour sortir de cette impasse, nous militons pour une véritable coopération avec les pays en développement.
Face à l’ampleur des délocalisations et des souffrances qu’elles provoquent, l’idée d’instauration d’une taxe supplémentaire sur les importations en provenance des pays à bas salaire est avancée et défendue, y compris dans les rangs syndicaux. Nous sommes persuadés que cette idée n’est qu’une fausse solution, car pour leur développement, ces peuples ont aussi besoin de produire et d’exporter. Nous militons pour que soient établies des règles empêchant la sortie des capitaux et les délocalisations dès lors que l’unique objectif visé est l’amélioration de la rentabilité des entreprises.
La seule solution est de coopérer avec ces pays. Cette coopération devrait être relayée par des financements appropriés.
De ce point de vue, l’Union européenne et particulièrement la France ont une énorme responsabilité. L’une des questions nouvelles posées par l’introduction de l’euro est relative à la représentation de l’Union européenne dans des instances internationales.
Il est évident que si les pays de l’Union européenne réus sissent à adopter des politiques favorables à l’emploi et à la promotion des droits fondamentaux au travail, ils seront mieux à même d’infléchir les orientations des institutions internationales.
Le mouvement social exige de l’État français de peser de son poids au sein des instances européennes et internationales pour exiger une nouvelle régulation des relations économiques internationales. ·