L'explosion de la crise financière et économique ainsi que du mouvement social et national en Argentine à la fin de 2001 et au début de 2002 nous interpelle de façon radicalement nouvelle. C’est qu’elle aussi est radicalement nouvelle. Elle met en cause, avec une mobilisation sociale et politique sans précédent, le modèle économique néo-libéral exacerbé, dans le pays émergent longtemps considéré comme le meilleur élève du FMI. Elle ébranle aussi ses relations avec la mondialisation dominée par le capital financier et, plus précisément, avec les Etats-Unis et le dollar, les pays de l’Union européenne et l’euro.
Pour nous, il ne s’agirait pas de simple solidarité de lutte avec le peuple et les travailleurs argentins.
Dans le cadre de la nouvelle crise très profonde de ralentissement mondial et de relance du chômage et même de récession des économies les plus importantes (Etats-Unis, Allemagne, Japon), ce sont nos propres défis de luttes transformatrices qui sont directement en question. Ces défis sont concernés de façon objective, avec l’articulation entre construction nationale et constructions zonales et mondiales alternatives, ainsi qu’avec l’affrontement entre monnaie et crédit pour le capital financier ou monnaie et crédit pour le social et l’emploi, alors que les entreprises et banques françaises ou espagnoles installées là-bas sont en première ligne. Mais nous sommes aussi interpellés de façon subjective. En effet, la partie la plus avancée du mouvement social et politique argentin se réclame, à sa façon particulière, des propositions d’origine française de « Sécurité d’emploi et de formation ». Ainsi, le très large « Front National Contre la Pauvreté » avec 150 organisations provinciales a organisé en décembre une consultation sur un système de « Seguro de empleo y formacion », qui a obtenu plus de 3 millions de voix dans ce pays dont la population est de 37 millions.
La spécificité de la crise économique argentine réside dans l’exemplarité d’un modèle hyper-libéral de pays émergent, développé au maximum dans les années 1990, mais qui s’effondre aujourd’hui en liaison avec la récente crise à l’échelle mondiale.
En effet, en 1991, notamment pour briser l’hyper inflation du système étatiste, a été instauré un système monétaire de parité fixe légale, où un peso argentin est égal à un dollar, tandis que la monnaie argentine est créée obligatoirement en fonction des réserves en dollar, du moins de façon prédominante. Cela visait surtout à favoriser l’attraction des capitaux financiers, tout particulièrement des Etats-Unis et de l’Union européenne, en liaison avec une privatisation radicale du très important secteur public et avec des réformes du droit du marché du travail pour le maximum de flexibilisation, des pressions considérables sur les salaires et sur les oppositions entre salariés. Cela se situait dans la phase mondiale des années 1990 où d’abord coexistent les attractions de capitaux financiers vers les pays émergents et vers les Etats-Unis.
Cependant, avec la crise de 1997-99 des pays émergents, surtout ceux d’Asie du Sud-Est, ces derniers ont abandonné leur alignement, d’ailleurs moins institutionnalisé, sur le dollar, en liaison avec le reflux relatif des capitaux financiers et leurs restructurations de crise, mais pas l’Argentine.
En même temps, les capitaux financiers mondiaux se sont principalement dirigés vers les nouvelles technologies. Ils ont été exportés surtout aux Etats-Unis, accaparant des capitaux du monde entier, et secondairement à l’intérieur de l’Union européenne, avec un recul temporaire du chômage des pays développés. Mais ces exportations de capitaux ont persisté de façon relativement importante pour certains pays émergents comme l’Argentine.
Ainsi, rien qu’entre janvier 1994 et octobre 2001, les investissements étrangers en Argentine se sont élevés à environ 98 milliards de dollars (109 milliards d’euros). Arrivent en tête les Etats-Unis, avec 31 milliards. Mais si on ajoute l’Espagne, 26 milliards et la France, plus de 10 milliards ; ces deux seuls pays européens (sans compter l’Italie, l’Angleterre, l’Allemagne, etc.) passent au premier rang. L’Espagne aurait investi 41 milliards dans les années 1990. En même temps, l’Espagne, avec l’euro, bénéficiait des capitaux européens, notamment allemands. D’où le recul plus important de son chômage qu’en France, même avec son gouvernement de droite.
Cela renvoyait à une cascade de dominations, fondées sur les bas salaires relativement à la qualification, de l’Allemagne à l’Argentine.
Mais aussi, les argentins riches, grâce au peso égalé au dollar, ont eux-mêmes exporté des capitaux, surtout vers les Etats-Unis. Et ils posséderaient quelque 100 milliards de dollars à l’étranger. Cela a renforcé les besoins d’endettement extérieur de l’Argentine.
Dans ces conditions, malgré les créations d’emplois importantes, le chômage massif s’est maintenu et a progressé en Argentine. Le chômage s’y est élevé d’autant plus qu’à l’insuffisance relative de la demande intérieure, du fait de la surexploitation de flexibilisation et des sorties de profits, se sont ajoutées les difficultés grandissantes du modèle exportateur de pays émergent, en raison notamment des prix élevés en dollars. Alors que le peso ne s’est pas décroché du dollar en 1997-99, la récession s’est installée depuis 1999 malgré la croissance mondiale. Mais quand le ralentissement mondial est survenu en 2001, le système s’est tendu jusqu’à exploser. Les nouvelles difficultés d’exportations ont été encore renforcées ; pour les ventes à l’Union européenne par le relèvement du dollar vis-à-vis de l’euro, et pour les ventes au Brésil par la dévaluation du real brésilien dans le cadre de l’Union commerciale du Mercosur de l’Argentine avec le Brésil.
Ainsi, plus de 300 000 emplois ont été supprimés d’octobre 2000 à octobre 2001 : Le chômage massif, déjà élevé, se serait relevé aux alentours de 19 % à la fin 2001 avec, diton, un chômage réel d’environ 40 % dans plusieurs provinces, sans compter la sous-activité et la précarisation considérables.
Les aides répétées du FMI, pour soutenir le service des créanciers et le système hyper-libéral, ont encore augmenté la dette internationale, tout en étant accompagnées de recommandations d’austérité budgétaire pour réserver le plus de recettes publiques aux créanciers. Mais ces mesures d’austérité ont renforcé en définitive l’insuffisance de la demande et les difficultés sociales, participant à l’aggravation de la récession.
Avec la baisse des recettes publiques liée à la récession, le service (intérêts et remboursement) de la dette publique, énorme et grandissant encore rapidement, est devenue impossible, tandis que la ressource des privatisations était tarie. Fin 2001, la dette publique fédérale s’élève à 132 milliards de dollars soit 46 % du PIB. A quoi il faut ajouter la dette des Provinces de quelque 22 milliards. La dette privée est aussi très importante avec plus de 40 milliards.
Pour complaire au FMI, le gouvernement a adopté en 2001 des mesures de restrictions budgétaires draconiennes dans le cadre d’un objectif dit de « déficit zéro », avec notamment des réductions des salaires et des retraites des fonctionnaires. D’où, en liaison avec l’aggravation du chômage, le durcissement du mouvement social avec des grèves générales très suivies.
Mais au début de décembre, alors que l’Etat ne peut rembourser les créances de la dette arrivant à échéance sans le soutien du FMI, celui-ci refuse le versement sollicité. D’ailleurs, on venait d’assister à une fuite de plus d’un milliard de dollars des comptes bancaires argentins.
Le gouvernement prend alors les très graves mesures de restrictions de sortie d’argent liquide des comptes bancaires. Cela touche durement les couches moyennes, amplifiant le mouvement social des salariés, des retraités et des chômeurs. Après les coupures de routes par les chômeurs et l’opposition de nombreux gouverneurs de Province, les mobilisations dans la rue, des concerts de « casseroles » aux pillages de magasins et émeutes (avec au moins 31 tués le 20 décembre), précipitent l’effondrement politique et l’effondrement du modèle économique. Le moratoire est décrété sur la dette. Puis on abandonne enfin l’équivalence du peso.
On assiste à un aiguisement extrême des affrontements politiques, renvoyant à des affrontements économiques et sociaux très profonds et nouveaux. A l’effort de reprise en main par des éléments de la droite sociale nationale et autoritaire péroniste, se disant opposée au modèle ultra-libéral mais cherchant une conciliation avec le capital financier américain et européen, s’opposent une progression et une radicalisation sans précédent du mouvement à la fois social et politique à gauche, rejoignant nos propres luttes en France et en Europe.
Déjà, le péroniste Carlos Menem, rallié à l’ultra-libéralisme, après l’effondrement de la dictature, avait, au bout d’une dizaine d’année, en 1999, dû céder la place à un président de centre-gauche, dans une coalition avec des éléments se disant socialdémocrate, mais qui avait maintenu le modèle ultra-libéral jusqu’à rappeler l’ancien ministre de l’économie de Menem. Cependant, les élections à l’Assemblée d’octobre 2001, voient une forte progression de la gauche proprement dite et même radicale, outre celle des abstentions et votes blancs ou nuls et la victoire relative de la droite sociale péroniste (parti justicialiste). Déjà en minorité, le président doit quitter précipitamment le pouvoir, après les affrontements du 20 décembre. Puis le péroniste Saa, élu président par intérim, après avoir suspendu le paiement de la dette, doit aussitôt démissionner. Le péroniste Duhalde qui s’était affirmé contre l’ultra-libéralisme est élu président et met fin à l’alignement sur le dollar.
En octobre 2001, les divers partis de gauche proprement dit ont connu une forte progression, y compris le PC argentin formant avec quelques petites formations la « gauche unie » (I.U.) ou aussi un parti détaché de façon critique du centre gauche, ou encore un parti d’extrême-gauche.
Ces partis de gauche sont impliqués dans le mouvement social du Front National contre la pauvreté qui a obtenu en décembre 3 millions de voix à la consultation sur la « sécurité d’emploi et de formation », c’est-àdire plus que toute la gauche aux élections. Ce Front comprend surtout la Centrale des Travailleurs Argentins (CTA), à l’origine de l’initiative, deuxième centrale syndicale, de gauche et opposée à la CGT péroniste (elle-même divisée), mais aussi diverses organisations et personnalités associatives, religieuses, culturelles, coopératives et politiques, du PC aux autres partis de gauche.
L’origine de la proposition provient directement des analyses marxistes françaises sur la sécurité d’emploi et de formation, depuis les nombreuses discussions en Argentine à partir des communications de l’économiste Carlos Mendoza dans des colloques de la CTA. Il s’appuyait notamment sur le petit livre « Un nuevo programa economico de cambio social, la revolucion informacional y la intervencion de los trabajadores en la gestion parauna regulacion economica de nuevo t po » de Paul Boccara et Carlos Mendoza, Buenos-Aires, 1997, ou sur la publication en Argentine de mon intervention au colloque d’Espaces Marx sur le Manifeste du Parti communiste, etc. Cependant, ces propositions sont traitées comme de premières avancées, de façon à la fois adaptées aux conditions argentines mais aussi réductrices de manière discutable. Or, les évènements récents poseraient la question de leur développement plus transformateur et cohérent, tout particulièrement face aux enjeux de l’articulation entre les problèmes monétaires et les problèmes de l’emploi. Ces enjeux de radicalité rassembleuse, de dépassement
des contradictions et des dérives des tentatives d’issue à la crise du nouveau pouvoir argentin par une construction alternative, concerneraient les objectifs sociaux, les moyens financiers, la dimension internationale de la construction, en rejoignant nos propres enjeux.
En ce qui concerne les objectifs sociaux, les propositions de la CTA et du Front National contre la Pauvreté
concernent des allocations dites de sécurité d’emploi-formation, mais comme une sorte de revenu garanti
d’insertion pour les chômeurs chefs de familles, hommes ou femmes, assortis d’allocations pour les moins
de 18 ans pour leur éducation. Le sous-développement social relatif en Argentine contribuerait à rendre compte de ce type de réduction. Cependant, la référence explicite à un système de « sécurité d’emploi et de
formation» ” fait que des participants au Front comme Mendoza et son équipe d’économistes marxistes roposent d’avancer vers l’attribution effective d’emplois ou de formations à partir de ce revenu assuré (1). Cela rencontrerait la promesse faite par les nouveaux dirigeants péronistes de création d’un million d’emplois, en utilisant notamment les financements du service suspendu de la dette publique. Au contraire, les pressions
réactionnaires, notamment du capital financier international, pour de simples soutiens sociaux alimentaires
des plus pauvres afin de faire supporter la gravité du chômage, tout en faisant encore pression sur les salaires des travailleurs en emploi, ne permettraient ni la solution des graves problèmes de chômage et des privés d’emploi, ni une relance forte et durable de la demande et des conditions de production efficaces, avec
emploi et qualification. D’ailleurs progressent, notamment dans le CTA, tout particulièrement à partir des interventions de Mendoza et des économistes de la revue Tesis 11 (du nom de la 11ème thèse de Marx sur
Feuerbach sur « le monde à transformer ») les idées d’intervention des travailleurs dans les gestions des
entreprises avec de nouveaux critères d’efficacité sociale. Tandis que des Argentins font appel à nos expériences de luttes en direction d’une Sécurité d’emploi et de formation, les deux avancées françaises,
concernent la loi sur le contrôle des fonds publics pour l’emploi et les nouveaux pouvoirs des comités d’entreprises de propositions d’emplois alternatives aux licenciements, pourraient faire l’objet d’un échange d’expériences de luttes, comme d’ailleurs dans toute l’Europe.
En ce qui concerne les moyens financiers, on rencontre deux alternatives liées : 1) moyens traditionnels de la fiscalité ou rôle d’un très nouveau crédit ; 2) ancienne solution des seules dépenses budgétaires sociales ou dépenses de progrès social émancipé des charges de l’endettement public, du capital financier et du dollar,
grâce à un crédit très nouveau. Ainsi, la proposition d’allocation de revenus d’insertion dits de « sécurité
d’emploi et de formation » est fondée essentiellement, encore pour le moment, sur des propositions de fiscalité
nouvelle. Mais les problèmes nationaux les plus cruciaux renvoient aux relations entre difficultés sociales
extrêmes et éclatement des antagonismes du système monétaire, bancaire et financier.
Plus précisément, la suspension du paiement de la dette publique et l’abolition de l’équation peso = dollar
posent les deux difficultés graves de la négociation avec les créanciers extérieurs et du poids de la dévaluation sur les banques étrangères installées en Argentine et sur les entreprises étrangères. Parmi elles-ci, aux côtés de celles des Etats-Unis, sont très importantes les espagnoles mais aussi les françaises. Ces banques qui dominent environ 90 % du système bancaire et ces entreprises, développées surtout à partir de la privatisation (électricité, gaz, pétrole, téléphones, eau, péages) ont fait d’énormes sur-profits. Mais elles seraient atteintes par de graves pertes, liées non seulement à la récession (avec par exemple les réductions d’activité de Renault), mais à la dévaluation de décrochement par rapport au dollar.
« La loi d’urgence » dévalue le peso de 29 % à 1,40 pesos pour 1 dollar pour le commerce extérieur et il flotte pour les autres opérations (déjà 37,5 % de dévaluation sur le marché), en attendant un flottement général. Les entreprises des services publics privatisées, dont les tarifs étaient fixés en dollar et indexés sur le coût de la vie aux Etats-Unis, vont voir encore baisser leurs recettes, avec des tarifs en peso. Et surtout, les banques, dont les plus exposées sont les espagnoles, puis les états-uniènes, puis les françaises, comme le Crédit Agricole et le Crédit Lyonnais, vont devoir réduire en peso leurs créances sur les crédits accordés en dollar jusqu’à 100 000 dollars. Et elles vont devoir rembourser en dollars les dépôts au-delà de 100 000 dollars. Les pertes qui s’ensuivraient seraient, selon la loi d’urgence, compensés par des impôts nouveaux sur les exportations des hydrocarbures, d’où les plaintes des pétroliers (comme l’espagnol Repsol ou le français Total Fina Elf). Mais ces impôts ne donneraient qu’environ 1 milliard de dollars contre 5 à 6 milliards de pertes. D’où les pressions des entreprises et banques étrangères américaines et européennes contre les mesures qui les atteignent. Cela rejoint les pressions du capital financier international, qu’il soit investi directement ou qu’il détienne des titres de la dette publique. Mais d’où aussi, si ces pressions l’emportent, non seulement l’aggravation des difficultés sociales en Argentine, mais celles de la relance de l’économie réelle, ainsi que leur participation à toutes les difficultés réelles actuelles des pays émergents, avec leurs contrecoups sur les pays développés et davantage encore sur les pays européens et leurs emplois.
Ainsi, on pourrait considérer l’opposition des pressions du capital financier et plus particulièrement des Etats-Unis et du FMI aux intérêts du peuple argentin. Mais ces pressions s’exercent également sur les travailleurs et les peuples européens. Dans ces conditions, des convergences des luttes pour des transformations de progrès social en Argentine comme en France et dans les autres pays de l’Union européenne pourraient viser la perspective d’émancipation du capital financier et aussi de la domination des Etats-Unis avec de nouveaux rapports entre pays européens et l'Argentine. Au contraire, les capitaux financiers mondialisés s’appuient sur les divisions non seulement entre les salariés d’un même pays mais entre pays comme entre zones internationales.
A ces divisions se relie une cascade de dominations depuis les capitaux les plus dominants, ceux des Etats-Unis. Mais aussi la crise actuelle de la croissance mondiale révèle l’exaspération des antagonismes de ce type de mondialisation. De nos jours éclatent comme jamais l’opposition entre la suraccumulation des capitaux financiers et les refoulements de la demande et des capacités de la production de toute la population mondiale, du fait des pressions sur les emplois, les qualifications, les dépenses sociales. Les pays dominants eux-mêmes subissent les contre-coups de ces antagonismes et bien plus encore les pays européens ou le Japon que les Etats-Unis.
Dans tous les pays du monde, à des degrés divers, les prélèvements formidables des importations de capitaux des Etats-Unis font pression contre les stocks matériels et sociaux, pour le sous-emploi et la sous-activité des populations.
Pour de nouvelles constructions dépassant ces antagonismes, la question la plus cruciale comme le montre encore le cas de l’Argentine, concerne l’utilisation de la monnaie. Cela renvoie à la domination du dollar sur le monde permettant les prélèvements de capitaux sur le monde entier par les Etats-Unis et la concurrence de leurs rendements financiers, mais aussi au rôle possible d’une tout autre utilisation de l’euro que son utilisation actuelle.
Ainsi, pour l’Argentine, comme avec des urgences et des modalités diverses pour tous les pays en voie de développement et émergents, se pose la question d’un financement alternatif à celui des marchés financiers par une utilisation nouvelle du crédit fondé sur la création monétaire pour le développement humain et sans les exigences des rendements financiers actuels. Taxer les mouvements de capitaux financiers serait utile mais ne créerait pas un financement alternatif. Et réduire, voire parvenir à supprimer la dette passée comme certains le proposent, ne signifierait pas un autre financement futur.
Il faut certes immédiatement renégocier la dette en réduisant ses charges le plus possible. Mais la solution fondamentale serait un très nouveau crédit, à moyen et long terme, à très bas coût, voire sans intérêt, pour financer le développement social et une croissance réelle efficace fondée sur la promotion des capacités humaine.
La principale objection vient de ce que l’ancienne utilisation de la création monétaire et de crédit de type étatiste dans chaque pays isolé a abouti à des excès et des gâchis inflationnistes. Les fortes inflations ont entraîné des désordres internes, des baisses de valeur réelle des revenus monétaires, de graves spéculations contre la monnaie et des fuites désastreuses de capitaux.
D’où finalement, la solution du recours aux marchés financiers mondialisés nouveaux. Mais ceux-ci ont imposé leurs critères d’utilisation des nouvelles technologies pour la rentabilité financière, avec une surexploitation du travail, la mise en concurrence des populations et les poussées du chômage massif jusqu’à la crise actuelle de la croissance mondiale. Ils ont en outre permis aux Etats-Unis d’importer massivement des capitaux du monde entier grâce au rôle mondial du dollar. Cela a eu pour conséquence des insuffisances de développement relatif de tous les autres pays du monde, y compris des pays dominants comme les pays européens avec leur chômage massif, durable très supérieur à celui des Etats-Unis.
C’est pourquoi, on peut proposer un autre type de création monétaire pour de nouveaux crédits. Ceux-ci seraient désormais partagés au plan international entre un grand nombre de pays et fondés sur les capacités réelles de très grands ensembles internationaux, tout en visant une efficacité productive supérieure par la promotion des capacités humaines et par des coopérations très intimes notamment pour partager la recherche-développement. Cette création monétaire pourrait être ainsi non inflationniste. Il s’agirait de partir d’une autre utilisation de l’euro. La création d’euros, fondée sur la production réelle d’un grand ensemble international développé, serait utilisée pour des crédits à des taux d’autant plus abaissés que les investissements ainsi financés favorisent l’emploi, la formation et les coopérations internationales pour développer l’efficacité productive et les débouchés réciproques, non seulement entre pays européens mais avec les pays émergents et en voie de développement.
Ainsi, des dons et des prêts sans intérêt en euros à la Banque centrale d’Argentine, dans une sorte d’aide Marshall non dominatrice, permettrait des crédits à bas taux d’intérêt pour une croissance favorisant l’emploi, la qualification et l’utilisation des nouvelles technologies, en permettant des achats massifs d’équipements et de procédés technologiques aux pays européens, avec des coopérations nouvelles. Cela serait favorable à l’emploi et à la croissance du côté argentin comme du côté européen. La Banque centrale d’Argentine pourrait refinancer avec ces euros des crédits des banques commeciales installées en Argentine à des taux abaissés stimulant l’emploi, la formation, les nouvelles technologies en coopération avec les pays européens.
Une construction interzonale de même nature pourrait être développée avec le Mercosur et avec les différents pays d’Amérique Latine. Ces derniers pourraient développer des coopérations d’un type nouveau entre eux en allant vers une monnaie commune (non unique) pour tous les pays d’Amérique Latine. Ce partenariat monétaire et commercial novateur pour la croissance, l’emploi et la qualification, pour les coopérations réelles et informationnelles s’opposerait à la recherche de nouvelles dominations rivales des capitaux financiers des Etats-Unis et des pays de l’Union européenne en Amérique Latine. Les Etats-Unis visent une nouvelle zone de libre-échange dominée par eux de toute l’Amérique, du Nord au Sud. Et l’Union européenne voudrait des relations étroites, mais dominées par elle, entre l’Union européenne et le Mercosur (Union commerciale entre le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay).
Des relations du même ordre, de dons et de prêts sans intérêt en euros, pourraient être établies avec les pays de l’Europe de l’Est ou avec les pays du Sud de la méditerranée, ou encore avec ceux d’Afrique. La perspective d’une tout autre construction mondiale pourrait être ouverte par ces relations d’intérêt mutuel profondément novatrices de l’Union européenne avec les pays en voie de développement et émergents, y compris en Asie, à l’opposé de la coalition des pays européens avec les Etats-Unis pour la domination des pays en voie de développement et émergents. En même temps, on rechercherait une émancipation du FMI de la domination du dollar et des Etats-Unis. Cela passerait par une démocratisation profonde du Fonds et par une nouvelle création monétaire par le FMI pour favoriser de nouveaux crédits émancipés du marché financier et du dollar. On utiliserait pour cela les Droits de Tirage Spéciaux ou DTS du FMI qui sont déjà l’embryon d’une monnaie commune mondiale. Ces Droits accordés à des banques centrales participant au FMI de tirer des monnaies des autres Banques centrales participantes permettraient un partage de la création monétaire mondiale pour des crédits pour le codéveloppement, la coopération, l’efficacité sociale, l’emploi et la formation de tous les peuples. Cela permettrait de faire reculer graduellement la domination des marchés financiers dont les exigences sont actuellement soutenues par le FMI.
Cependant, cela renvoie à des rapprochements de luttes dans les différents pays pour une autre utilisation de la monnaie et des banques, favorisant la coopération pour l’emploi et la formation et une nouvelle croissance réelle émancipée de la domination des marchés financiers, du local au mondial.
En Argentine, tandis que les affrontements et les mobilisations sociales et politiques se poursuivent, des tentatives de rassemblements nouveaux s’opposent, face à l’écroulement du système monétaire et financier hyperlibéral, aligné sur le dollar et ouvert sans restriction aux marchés financiers, ayant conduit à la faillite économique et sociale. D’un côté, c’est le rassemblement autour du président par intérim Duhalde de retour au péronisme populiste et national de la droite, avec la tentation de pouvoir autoritaire et les dérives répressives possibles, pour tenter de concilier les inconciliables : la défense de l’économie nationale et la tranquillité sociale avec la domination du marché financier.
D’un autre côté, c’est la montée d’un très nouveau regroupement à gauche, réclamant de nouvelles élections, avec le rapprochement entre syndicalistes, associations et partis d’une gauche radicalisée, progressant vers un contenu économique et social novateur et exigeant. Un rapprochement politique et culturel est possible avec nos luttes en France pour la transformation sociale, pour une sécurité d’emploi et de formation avec une autre utilisation de l’argent, du crédit et de l’euro, ainsi que de nouveaux pouvoirs sur les emplois, la formation et les financements. La perspective de nouvelles relations internationales et interzonales comme entre la France, l’Union européenne, l’Argentine et l’Amérique Latine, peut favoriser ces rapprochements pour des avancées convergentes. Nos luttes nationales et zonales respectives peuvent réussir en s’appuyant sur un processus de construction mondiale nouvelle. ·
1. « Le Front National contre Pauvreté » organise la Consultation Populaire pour l’instauration d’une sécurité qui octroierait emploi ou formation à chaque chef de famille chômeur, avec une rémunération de 380 dollars et une allocation de 60 dollars pour chaque enfant mineur de 18 ans, cette dernière articulée à l’éducation et la santé des mineurs « (Carlos Mendoza, » Un voto positivo ”, Tesis 11, novembre-décembre 2001).