Pour financer la hausse des salaires et des revenus sociaux, la construction de logements sociaux, le développement des dépenses de santé, d’éducation, de recherche, la protection de l’environnement, il faudra créer beaucoup plus de richesses. Pour créer des richesses, les entreprises doivent embaucher. Elles doivent également investir pour disposer des usines, des machines, des bureaux, des brevets dont se serviront leurs nouveaux salariés. Pour cela, il faudra mettre fin à la stagnation des investissements des entreprises privées et du secteur public, et donc augmenter les investissements bien au-delà des quelques 200 milliards d’euros qu’ils représentent aujourd’hui.
À l’inverse, nous préconisons un nouveau type de croissance dans lequel les entreprises donnent la priorité à la création de richesses plutôt qu’à l’accumulation de profits et au placement de ces profits sur les marchés financiers.
Une modulation de la fiscalité des entreprises (impôt sur les sociétés, taxe professionnelle) et des cotisations sociales patronales peut constituer une incitation. Mais le principal levier pour financer les investissements réside dans le crédit bancaire. Contrairement aux autres sources de financement (profits, fonds publics, fonds levés sur les marchés de titres financiers), qui utilisent des ressources préalablement accumulées (il faut « prendre l’argent quelque part »), les banques ont le pouvoir de mettre à la disposition de ceux qui ont des projets de l’argent qu’elles n’ont pris nulle part, mais qu’elles créent à partir de rien, sur la seule décision de faire crédit à un client.
Ainsi, utiliser l’argent public, non pas pour financer les investissements à la place des entreprises elles-mêmes mais pour inciter les banques et les entreprises à assumer leurs responsabilités en la matière constituerait un instrument de politique économique très puissant. Au lieu de consacrer 23 milliards d’euros à payer les cotisations sociales à la place des patrons, il serait nécessaire d’utiliser la même somme à baisser le coût des crédits bancaires pour les entreprises qui choisissent de réaliser des investissements favorisant la croissance et l’emploi : c’est la technique des bonifications d’intérêts. En baissant ainsi de deux points le coût de ces crédits, on pourrait décider les banques à déclencher environ 230 milliards de crédits à moyen terme (cinq à sept ans) : un chiffre à comparer au total des crédits à l’investissement aux entreprises non financières, qui atteignait 250 milliards d’euros à la fin 2006. On financerait ainsi au moins 300 milliards d’investissements : une fois et demie le montant total des investissements réalisés chaque année par les entreprises et par le secteur public en France !
Mais la mise en œuvre de ces moyens n’est possible qu’en relation avec la conquête et l’exercice par les travailleurs et les citoyens de nouveaux pouvoirs permettant de mettre ces moyens au service d’objectifs sociaux bien définis. Ces pouvoirs doivent s’exercer à tous les niveaux :
C’est à l’échelon européen que se prennent des décisions parmi les plus déterminantes : politiques de libéralisation des marchés, carcan du « pacte de stabilité » enserrant les politiques économiques, et surtout le pouvoir de la Banque centrale européenne sur la monnaie et le crédit.
La victoire du « non » à la Constitution européenne, en France puis aux Pays-Bas, a exprimé avec une force insoupçonnée l’attente d’une autre construction européenne dans les domaines politique, social, économique et monétaire. On en trouve une trace très affaiblie dans les critiques de Nicolas Sarkozy contre la politique de l’« euro fort » et dans l’intention affichée par Ségolène Royal d’« inscrire dans les statuts de la Banque centrale européenne l’objectif de croissance-emploi » et de « créer un gouvernement de la zone euro ». On voit pourtant qu’il ne s’agit pas de mettre fin à la toute-puissance de la BCE sur l’orientation du crédit en Europe. Que gagnerait-on à soumettre la BCE à un « gouvernement économique européen » si ce gouvernement reste lui-même au service des marchés financiers et à la merci des décisions des détenteurs de portefeuilles de titres ?
On voit donc le besoin de mettre en œuvre des solutions beaucoup plus radicales : un nouveau type de croissance mobilisant les moyens financiers des États, des entreprises et des banques en faveurs d’objectifs sociaux précisément définis – emploi, formation, services publics – en conquérant et en exerçant à cet effet des pouvoirs accrus, à tous les niveaux, pour les travailleurs et les citoyens.
Au niveau européen, cela veut dire négocier un nouveau traité européen pour, en particulier, placer la Banque centrale européenne sous le contrôle du Parlement européen et des Parlements nationaux, instaurer une représentation du monde du travail au sein de ses organes de direction, et inscrire sonaction dans un dispositif d’ensemble au sein duquel elle userait de ses puissants moyens d’action pour inciter les banques européennes à financer les investissements favorables à la croissance, à la création d’emplois qualifiés, à la formation et au développement des nouvelles technologies.
La BCE, à travers le refinancement à taux avantageux qu’elle accorde aux crédits financés par les banques, et à travers des réglementations comme celle des réserves obligatoires, dispose des instruments nécessaires pour mener une telle politique monétaire sélective. Elle pourrait, en particulier, réserver son soutien aux crédits bancaires que les fonds régionaux ou nationaux pour l’emploi et la formation auraient désignés comme particulièrement utiles du point de vue économique et social.
Les banques centrales nationales comme la Banque de France recevraient à cet effet une autonomie d’action au sein du Système européen banques centrales, sous le contrôle des conférences nationales pour l’emploi et la formation.
La Banque européenne d’investissements, élément central d’un pôle public financier européen, serait autorisée à élargir ses opérations en empruntant non seulement sur les marchés financiers mais aussi, directement, à la Banque centrale européenne.
La politique de l’« euro cher » destinée à rivaliser avec Wall Street dans l’attraction des capitaux à la recherche de la rentabilité maximale serait remplacée par une politique de coopération avec les pays du Tiers monde et les pays « émergents » (y compris la Chine) en matière commerciale et monétaire, en vue de mettre fin progressivement au rôle central du dollar et de favoriser le développement de toute la planète avec des prêts à long terme et à faible taux d’intérêt dispensés dans une monnaie commune mondiale dont la création serait régulée par un Fonds monétaire international profondément transformé, où tous les peuples auraient leur juste représentation.
Dès lors, imposer un « pacte de stabilité » destiné à asseoir la crédibilité de la BCE pour les marchés financiers n’aurait plus de sens ; il serait remplacé par un pacte de progrès social pour l’emploi et la croissance qui s’imposerait non seulement aux gouvernements européens, à la Commission de Bruxelles mais aussi à la Banque centrale européenne.
Ce pacte contiendrait en particulier des engagements de solidarité entre gouvernements européens pour interdire le « dumping fiscal », c’est-à-dire l’octroi par un pays donné d’avantages fiscaux aux capitaux susceptibles de s’investir sur son territoire pour les détourner des pays voisins.
Au lieu d’une concurrence mutuellement destructrice, la libération du crédit bancaire et un objectif commun de développement de l’emploi en qualité et en qualité tireraient vers le haut la croissance et l’efficacité économique de tous les territoires européens.
Ainsi, entre septembre 1997 et septembre 2006, la quantité de crédits et autres financements mis à la disposition de l’économie de la zone euro par les banques a presque doublé, augmentant de 4 400 milliards d’euros ; mais dans le même temps la quantité de richesses créées chaque année dans la zone (le produit intérieur brut en volume) n’a augmenté que de 20 %, soit 1 200 milliards d’euros.
Quel manque d’efficacité du crédit ! Une grande partie de cet argent est venue gonfler les prix des titres financiers, les prix immobiliers. Une autre partie s’est échappée hors de la zone sous forme de sorties de capitaux.
Si l’on en juge d’après des expériences antérieures (par exemple le programme d’Amsterdam de soutien aux PME européennes par des bonifications d’intérêts mis en place après la récession de 1993), mettre fin à ces gâchis de crédits permettrait de relancer les économies européennes en créant entre 30 et 40 millions d’emplois à l’échelle de la zone euro : de quoi trouver du travail pour tous les chômeurs recensés, et sécuriser l’emploi de ceux, au moins aussi nombreux, qui vivent dans la précarité
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