Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le projet pour l’École de l’UMP au service de choix de société basés sur l’injustice (2e partie)

Nous l’avons vu dans le numéro 628-629, la politique éducative de la droite se traduit par des baisses de moyens qui vont de pair avec une mise en concurrence des établissements, des enseignants, des territoires. Mais la politique UMP ne vise pas seulement à économiser, elle porte des choix éducatifs qui sont des choix pour l’homme et pour la société.

Face à la révolution informationnelle : développer et non contingenter l’éducation

Depuis l’invention de l’écriture, les découvertes et les expériences des hommes ont progressivement été objectivées (1) en savoirs qui ont acquis une autonomie par rapport  au contexte  de leur invention. Mais immédiatement,  les nouveaux savoirs et l’écriture ont été accaparés par des castes de scribes d’intellectuels ou de prêtres dans les sociétés concernées (2).

La révolution industrielle (3) a reposé  notamment  sur le remplacement par la machine-outil du travail objectivé de la main de l’homme. Ce formidable moyen d’augmenter les capacités  de production  et de maîtrise de la qualité du produit s’est traduit en même temps, dans la société capitaliste, par la réduction de la masse des hommes à la fonction de bouche-trou de la chaîne de production, là où l’activité humaine n’avait pas été objectivée et remplacée. Avec la révolution informationnelle, ce sont maintenant  des opérations intellectuelles du cerveau humain qui sont objectivées notamment grâce aux ordinateurs : calculs, croisement d’informations… développement  qui s’appuie sur l’accumulation sans précédent de savoirs objectivés par les générations humaines antérieures.

Quand les savoirs et les découvertes  s’accumulent et sont objectivés comme jamais, quand les opérations simples du cerveau humain sont ainsi remplacées par les machines, le citoyen comme le travailleur est conduit à développer des activités intellectuelles nouvelles, encore plus réflexives, pour confronter les informations, les articuler, et pour conceptualiser  lui-même par l’analyse de sa propre  expérience de nouveaux savoirs et les conclusions qu’il faut en tirer. Autrement dit, le développement  de la société a un besoin sans précédent  de cerveaux qui aient développé des capacités d’abstraction, de théorisation, d’interprétation, et ce, grâce à l’appropriation et au dépassement du patrimoine de savoirs objectivés constitué par les générations précédentes de l’humanité. Même les travailleurs les moins qualifiés, que le capitalisme veut déposséder de leurs capacités de réflexion, doivent aujourd’hui assumer des opérations intellectuelles plus complexes (4).

L’éducation ne peut qu’être marquée par ces exigences, la crise de l’école résulte largement des contradictions que ces évolutions font peser sur le système scolaire. L’humanité est donc face à de nouveaux défis et les choix politiques engagent des réponses  contradictoires aux questions  posées.

La droite (5) et le patronat voudraient limiter la part d’éducation qui développe chez chacun ces capacités réflexives : elle encourage une école à plusieurs vitesses où les futurs « dirigeants » (pas recrutés au hasard !) se verraient offerts des parcours dans lesquels ces capacités seraient stimulées et développées grâce à l’enseignement de programmes notionnels et ambitieux, tandis que les futurs « exécutants » seraient  cantonnés  à la maîtrise minimale de ce qui est requis d’un « employable » à bas salaire.

En même temps, le capitalisme ne peut pas tenir ce choix jusqu’au bout : il a trop besoin d’alimenter en partie le « vivier » des travailleurs  formés pour que de nouvelles inventions lui permettent  d’ouvrir des marchés  et d’alimenter sa course sans fin au maintien de son taux de profit, de faire des savoirs une marchandise  et un pouvoir accaparés par quelques uns.

D’où le dosage par « l’orientation » qui développe des rancœurs, des espoirs déçus… que le pouvoir cherche à canaliser (la récente commission nommée par Villepin sur l’enseignement supérieur  conclut comme par hasard  que les revendications du mouvement anti-CPE résultent d’espoirs déçus de promotion  sociale… donc qu’il faut arrêter  de susciter de l’espoir et orienter plus tôt les étudiants hors des études longues !)

Au-delà même de l’économie, c’est un enjeu social, de pouvoir. Quand les savoirs s’accumulent, se pose d’abord la question  de leur répartition,  parce qu’ils permettent  de comprendre  le monde, donc d’agir sur lui, parce que leur acquisition signifie simultanément  le développement  de capacités de réflexions nouvelles pour chaque apprenant. 

Mais la droite privilégie la formation d’un citoyen moralisé/discipliné. Ce sont des conceptions  de l’humain qui s’opposent : permettre  le plein développement de chacun ou le limiter aux intérêts du capitalisme.

Face aux défis nouveaux, plutôt que de contingenter l’éducation, il est besoin de l’accroître en tant que formation initiale qui développe les capacités de réflexion par l’appropriation des savoirs, et qui prépare les conditions d’une formation continue réussie. En ce sens, l’école est un des lieux où la lutte des classes est aujourd’hui exacerbée bien qu’opacifiée.

Contre l’« égalité des chances », créer les conditions de l’égale réussite face aux savoirs

Le slogan « égalité des chances » est une invention gaulliste reprise aujourd’hui par l’UMP sur tous les tons : contraint dans les années 1960 de permettre l’accès à l’enseignement secondaire de tous les élèves (jusqu’alors réservé aux enfants de la bourgeoisie et à une minorité de boursiers), le pouvoir d’alors limite cet accès en faisant de la scolarité une compétition pour l’obtention des diplômes et par là de métiers inégalement rémunérés.

Derrière le terme d’égalité pointe en fait la volonté d’imposer une vision de la société où les individus seraient  mis en concurrence  généralisée dès le plus jeune âge, en faisant croire que les compétiteurs  sont sur une même ligne de départ (donc officiellement pas injuste).

Cette bataille pour l’accès de chacun  à l’enseignement secondaire (puis supérieur) était pertinente et l’est toujours (par exemple le risque de quitter l’école sans qualification reste 10 fois plus élevé pour un enfant d’ouvrier que pour un enfant de cadre ; et les filières du lycée ont un recrutement social très inégal). Mais 40 ans plus tard, force est de constater  que « l’accès à » ne suffit pas.

Dans les mêmes salles de classe, face aux mêmes enseignements (dans la scolarité unique ou au-delà), il y a de forts écarts entre élèves dans les acquisitions de savoirs. L’école se trouve de fait à répartir  les individus dans les futurs métiers et les classes sociales, en apparence de façon neutre mais en réalité ces écarts recoupent largement les origines sociales. Au-delà des constats statistiques largement vérifiés depuis (6), des recherches commencent à s’accumuler (7) qui permettent de comprendre comment des enseignants de bonne volonté, des élèves et des familles de milieux populaires motivés pour la réussite scolaire peuvent ensemble « reproduire » les inégalités dans la salle de classe.

D’abord, les savoirs scolaires sont ainsi constitués d’une part des découvertes que les générations antérieures ont objectivées et intégrées dans une culture littéraire, scientifique ou technique. Les classes sociales exploitées économiquement sont aussi celles qui sont privées de l’accès, de la maîtrise et de la familiarité avec ces savoirs complexes de la culture écrite, partie bien spécifique du patrimoine culturel, que la bourgeoisie a longtemps accaparée.

Dans le lycée au recrutement ségrégatif d’autrefois, l’enseignement s’adressait à des élèves qui avaient grandi dans la familiarité avec le type de langage et d’activité intellectuelle bien spécifique lié à ces savoirs. Le défi de la démocratisation scolaire consiste donc à permettre non seulement « le contact » avec ces savoirs, mais aussi leur appropriation par chacun. Or, du fait de la pénurie de la formation des maîtres comme de la recherche  en éducation, les modèles éducatifs qui s’imposent aux enseignants, s’ils ont évolué, ne se sont pas attaqué à ce qui fait la racine des inégalités d’acquisition de savoirs : l’enseignement repose  sur des pré-requis, des évidences, bref sur « des délits d’initiés de la culture scolaire » ; sans que les professeurs ne le sachent, les programmes, les manuels et les pédagogies utilisés laissent dans l’ombre l’activité intellectuelle réellement sollicitée pour que l’élève réussisse.

Ensuite, tout en accueillant un public plus large, le niveau scolaire de ce qui est enseigné, contrairement  aux idées reçues, n’a cessé de croître sous les effets des évolutions de société : en histoire on n’enseigne plus « la vie du temps de Louis XIV » mais le concept de « monarchie absolue ». En français, dès le plus jeune âge, les élèves sont face à des éléments de savoirs qui révèlent la morphologie des contes de fée ou les schéma narratifs… Bien plus notionnels, les contenus de savoirs objectivent des phénomènes complexes. Le niveau d’exigence est aussi monté quand l’école ne se contente plus de demander une mémorisation-restitution comme autrefois, mais une appropriation, une compréhension, une capacité de l’élève à conceptualiser  lui-même le savoir caché dans l’activité pour « le découvrir, le construire ».

Cette élévation de niveau est en partie irréversible dans une société de plus en plus cultivée. Mais alors, il appartient à l’école de développer chez chacun les processus intellectuels indispensables  à la réussite  scolaire. Or, pour l’instant, l’école se contente de mettre les élèves en présence de ces savoirs cachés sans être garante de l’acquisition.

Longtemps, la droite a « justifié » les écarts de réussite par de supposés « dons » innés. Comme par hasard, les enfants de cadres seraient toujours plus doués que les enfants d’ouvriers et d’employés !  Cet argument-là persiste  dans les discours de la droite, déguisé sous le terme de « mérite ».

Certes on ne doit pas faire croire aux élèves que les choses tombent « toutes cuites » du ciel, mais une telle insistance sur le « mérite individuel » traduit une volonté de masquer le caractère socialement marqué des inégalités de réussite scolaire et des règles truquées de l’idéologie de la compétition scolaire. Cet argument est revenu dans les propos du PS dans les années 1980 avec l’idéologie des « rythmes scolaires », comme si les enfants de familles populaires étaient voués à apprendre  moins vite que les enfants de familles longuement scolarisées  !  Ces « explications » par le « fatalisme biologique » sont à combattre  avec autant de vigueur que celles par le « fatalisme sociologique » que porte l’idéologie du « handicap socio-culturel ».

Si dans le premier cas l’écart culturel entre l’école et les enfants de familles populaires est nié, dans le second cet écart est essentialisé, considéré comme insurmontable. La droite fait son lit sur ces lectures  fatalistes : elle ne se fatigue pas à revendiquer une école inégale mais part systématiquement du constat fataliste, cela ne servirait à rien de mettre des moyens pour une école égalitaire et il faudrait rabaisser  les exigences pour les enfants de milieux populaires. Les déclarations  de pure forme des socialistes pendant 30 ans, qui ne se sont pas attaqués à la racine des inégalités, n’ont fait qu’exaspérer les contradictions  : il ne suffit pas de déclarer naïvement que l’on croit en l’éducabilité de chaque enfant. Il est nécessaire de créer les conditions de sa mise en œuvre.

Car tous les élèves peuvent apprendre,  mais pas à n’importe quelles conditions d’enseignement et d’étude. Mais alors, il faut s’attaquer à la conception même de « l’égalité des chances » et développer  des espaces  d’entraide des professeurs  en lien avec la recherche  pédagogique pour identifier les délits d’initiés de la culture scolaire, pour faire émerger de nouvelles façons d’enseigner qui ne reposent plus, pour l’essentiel, sur des pré-requis.

Culture commune et développement individuel : ne pas opposer mais articuler

L’attaque contre le bac, repoussé par le mouvement lycéen, procédait  d’une stratégie  de dévalorisation  du diplôme symbole de la démocratisation scolaire, qui reste un diplôme national, donc égal sur le territoire, sanctionnant la maîtrise de savoirs de la « culture scolaire commune ». De même, les réformes sur le « socle commun » visent bien à limiter l’étendue du programme enseigné à tous les enfants, quelles que soient leurs origines sociales. Il y a certes  un vrai problème comme on l’a dit quand l’ambition maintenue en parole n’est pas suivie d’une politique de mise en œuvre effective. Mais renoncer à l’objectif même d’enseigner une culture ambitieuse à tous procède d’un choix inégalitaire.

La droite l’argumente par des « dons différents ». Raffarin vantait « l’intelligence de la main » pour les enfants d’ouvriers mais sans jamais envisager que les enfants de bourgeois la développent aussi ! Or une culture technique de haut niveau si elle est prise au sérieux ne peut être ignorée de personne.

Les discours de Sarkozy qui vantent une plus grande valorisation  de la culture  à l’école sont aussi inégalitaires. Jamais il n’y est question de développer  le goût pour la culture chez tous les enfants, de créer les conditions de l’appropriation : il s’agit de permettre seulement que ceux qui ont des « goûts »  prononcés  dans un domaine trouvent matière à « s’expri-mer »…

Or on sait que le goût pour certaines pratiques culturelles est largement développé dans les milieux longuement scolarisés tandis que les familles qui ont été privées de connivence avec la « culture cultivée » ne peuvent que beaucoup plus rarement  transmettre la maîtrise des codes esthétiques qui font que l’on a ce goût plutôt qu’un autre.

C’est au fond une opposition profonde de conception  de l’éducation et de l’humain : l’école doit elle seulement « confirmer » ce qu’est le jeune dans sa famille en y ajoutant seulement un peu d’instruction, ou doit-elle au contraire permettre de dépasser, de s’affranchir de l’horizon forcément limité de ce qu’un couple de parents peut montrer ?

La droite a choisi la première  optique, plus à même de maintenir les inégalités face aux savoirs et à la culture. Fort logiquement, la droite oppose  ainsi culture commune et réalisation de l’individu. Pour elle, il n’y a que deux choix. Soit l’individu doit s’opposer à la société pour s’épanouir et toute contrainte  ne peut que le brider : on retrouve là la conception libérale anti-institutionnelle, anti-scolaire, où il faudrait laisser chacun faire son parcours en laissant bienévidemment les inégalités culturelles initiales des familles prédestiner  les inégalités de parcours entre élèves. Soit au contraire,  pour les élèves de milieux populaires  qui ne partageraient pas spontanément  les évidences de la bourgeoisie en matière de culture et de comportement, l’individu devrait être hyper-contraint dans une optique bien conservatrice.

Ces deux faces de l’éducation de droite sont en fait complémentaires  : la droite est incapable d’imaginer la culture commune, c’est-à-dire le patrimoine de la société, comme un support de l’éducation et du développement individuel, un point d’appui qu’il faut maîtriser pour le dépasser,  pour pouvoir créer, inventer à partir de l’existant que l’on s’approprie et se construire subjectivement.

Au contraire,  Marx critique Feuerbach (dans  l’Idéologie Allemande) en disant que « le monde sensible qui entoure [l’homme] est le produit  de l’industrie et de l’état de la société, et cela en ce sens qu’il est un produit historique, le résultat de l’activité de toute une série de générations, dont chacune se hissait sur les épaules de la précédente… »

Finalement, les revirements de Ségolène Royal ne rompent pas avec cette logique. En tant que secrétaire d’État d’Allègre, elle vilipendait les programmes scolaires « trop chargés » en plaignant les enfants trop contraints… son modèle implicite de l’enfant étant hélas, souvent celui de l’enfant de la bourgeoisie qui, entraîné  par l’éducation familiale de type scolaire, n’a pas besoin de travailler autant pour apprendre à l’école.

Mais devant les difficultés, les désillusions face à l’échec à trouver  sa place et à s’approprier  la culture, survient le rejet par les enfants en échec scolaire de celle-ci, Ségolène Royal comme autrefois Chevènement ne voit plus que la contrainte et les solutions militaires.

Face à cette crise de l’école et aux projets de la droite, on ne peut pas se contenter de mesurettes. Il faut transformer les logiques de fond, sinon on est happé  par les logiques actuelles.

Pour les candidats de la bourgeoisie, l’évidence est qu’il n’y a pas de contraintes qui puissent être intelligentes et formatrices : il faut éviter les contraintes dans une optique libérale ou les multiplier de façon étroite pour ceux qui n’acceptent pas de perdre dans les règles du « jeu » de notre société…

On voit aussi le double langage de la droite qui dit vouloir restaurer  l’ambition et la maîtrise du niveau acquis par les élèves, quand elle veut cantonner l’appropriation du patrimoine aux privilégiés ou à son respect  soumis pour les pauvres. Idem quand, avec le plan Borloo, elle veut substituer les intervenants extérieurs de « sport » aux enseignants d’« Éducation Physique et Sportive » pour les élèves qui ont le plus de difficulté : fini alors le développement des capacités réflexives sur le corps et le physique… seuls le défoulement et l’occupation des agités compteraient.

Démagogiquement, la fondation pour l’innovation de l’UMP veut encourager les différentes formes de réussite personnelle : pour les enfants de pauvres, on qualifierait de « réussite » une niveau d’acquisition moins élevé, et le tour de passe-passe serait joué !

Si parfois l’école est trop scolaire au sens où l’accomplissement de tâches peut prendre le pas sur la mise en réflexion des élèves, il ne faut pas se tromper : les arguments antiscolaires à la mode masquent souvent, pour la droite et la pensée sociale libérale une volonté de lâcher sur l’ambition d’enseigner les savoirs objectivés à tous.

C’est pour cela que dans l’enseignement secondaire  le ministre encourage la bivalence : le prof est encouragé à énoncer des savoirs dans lesquels il n’est pas formé, qu’il ne maîtrise pas puisqu’ils ne sont pas de sa discipline, car dans cette conception  il ne s’agit pas d’éduquer l’esprit par les savoirs !  C’est la suite logique de la suppression programmée de l’école maternelle qui, plutôt que de développer des capacités d’appropriation des savoirs scolaires chez tous les élèves y compris ceux issus des familles les moins familières des logiques intellectuelles  scolaires et de la culture écrite, serait remplacée par des garderies où l’on se contenterait  de socialiser hors des savoirs.

Au contraire,  il nous semble nécessaire  de privilégier le développement  de la réflexion par des savoirs objectivés, que chacun ne pourra jamais tous découvrir dans sa propre expérience.

Prendre à revers les logiques d’externalisation/culpabilisation des difficultés scolaires

À chaque étape de la démocratisation scolaire, quand les dirigeants ont été contraints d’accueillir davantage de population à chacun des degrés successifs du système scolaire, des dispositifs sélectifs ont été mis en place. La filiarisation général-technologique-professionnel leur a permis d’endiguer les flots en se dédouanant de l’orientation officiellement relevant de « l’échec » dans la scolarité antérieure.

Cette argumentation par « l’échec » ou « le mérite », bref par les effets de la compétition à « égalité des chances » est la tête de proue de l’idéologie capitaliste en matière scolaire. Les « perdants » de la compétition, en plus d’être pénalisés par des salaires étranglés, sont culpabilisés de leur soi-disant « échec » personnel. Ce n’est jamais l’échec de l’institution scolaire et encore moins les effets du caractère  de classe de l’école.

Comme on l’a vu dans la première partie, tout tend à culpabiliser les élèves, les parents et les enseignants (donc à les opposer entre eux) les résultats sont présentés  comme individuels alors qu’ils sont marqués  par les effets des contradictions  qui travaillent tout le système  scolaire et toute la société.

Face à ces difficultés, bien réelles pour que chaque élève s’approprie les savoirs de la culture scolaire commune, la culpabilisation s’accompagne d’une externalisation du traitement de la difficulté. Les élèves sont envoyés vers des filières de relégation, ils sont considérés comme des « cas » spécifiques qu’il faudrait traiter  isolément et surtout  pas considérer comme un révélateur de la crise de l’école, pour anticiper et prévenir la formation de difficultés scolaires.

Si en attendant  que des moyens soient dégagés pour que cette réflexion ait lieu, il est bien nécessaire  d’utiliser les dispositifs existants pour faire au mieux, il est suicidaire de poursuivre  la fuite en avant sans s’interroger sur ce qui permettrait en amont à chaque élève de n’être pas mis en difficulté par l’appropriation des savoirs scolaires.

Or la droite et certains  au PS, oscillent entre deux positions inégalitaires. D’un côté, ils vantent les mérites de l’accompagnement scolaire « à la place » de l’école, comme si cette dernière était dessaisie, incapable de relever le défi.

De l’autre, ils disent que les enseignants doivent accueillir plus longtemps les élèves pour remédier à l’échec... mais en faisant autre chose qu’enseigner ! Comme si, avec les enfants de pauvres, la solution à l’échec scolaire résidait moins en l’appropriation de savoirs qu’en une moralisation, en occupation et divertissements.  Mais pour nombre de familles, seule l’école peut permettre  de s’approprier  la culture écrite, littéraire, scientifique, technologique.

Si les dispositifs actuels d’accompagnement scolaire sont à soutenir dans le cadre d’un service public tant qu’il sera besoin de lieux pour accueillir hors l’école la réalisation de devoirs (et protéger  de l’emprise d’organisations prosélytes), nous considérons  que c’est à l’école d’assurer  de A à Z les conditions  nécessaires  à la réussite  scolaire, à commencer par le travail d’étude et de révision. Pour cela, il faut des postes  et des moyens plutôt que d’entonner le refrain méprisant des enseignants qu’il faut faire trimer davantage !

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(1) Par objectivation, il faut entendre qu’un savoir ou une activité sont abstraits de leur pratique pour acquérir une autonomie, ils deviennent identifiables comme des « objets », indépendants du savoir-faire personnel.

(2) Lahire Bernard, Culture écrite et inégalités scolaires, Lyon, PUL, 1993. Terrail Jean-Pierre, De l’inégalité scolaire, Paris, La Dispute, 2002.

(3) Ce paragraphe et cette partie en général se réfèrent à : Paul Boccara, « Révolution informationnelle, dépassement du capitalisme et enjeux de civilisation », Économie & Politique, no 626-627, septembre-octobre 2006.

(4) Jean Lojkine, L’adieu à la classe moyenne, La Dispute, Paris, 2005.

(5) Voir la partie 1 de cet article pour les références des documents de l’UMP sur lesquels nous nous fondons.

(6) Bourdieu Pierre & Passeron Jean-Claude, La Reproduction, Paris, Minuit, 1970.

(7) Nos propos se fondent sur la recherche : Bonnéry Stéphane, « Inégalités scolaires et conscience de classe », in Cours-Saliès Pierre, Lojkine Jean, Vakaloulis Michel, Nouvelles luttes des classes, PUF/Actuel Marx, 2006.

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