Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Europe : rouvrir en grand le débat populaire

Sans enthousiasme,  le quotidien  espagnol El Pais explique  que l’accord de Bruxelles «permet de dépasser le traumatisme du non français et néerlandais à la Constitution européenne». Ce Conseil européen et l'accord sur le futur traité à minima avaient effectivement pour objet premier d'effacer le Non et d’éviter un nouveau référendum. Il y avait plusieurs réponses possibles aux inquiétudes  et aux attentes exprimées  dans ces votes et largement partagées au delà des deux pays. Qu'est-il répondu aux questions de fond posées par les peuples d'Europe, qu'ils aient été consultés ou non ? Avec le futur traité quelles réponses sont apportées aux questions sociales qui furent au cœur des débats sur la constitution,  et qui taraudent les confrontation  politiques dans tous les pays de l’union ? On «tourne la page» et on continue dans la même direction. La prétendue remise sur rails conduit à une voie de garage.

Les raisons de la crise de confiance et de légitimité sont toujours là

Ceux qui ne veulent pas voir avec lucidité que le Non français et néerlandais au traité constitutionnel n'est pas la cause de la crise, mais son expression, prennent la responsabilité d’aggraver le fossé entre les peuples et le projet européen. Les orientations  ultralibérales des politiques européennes ont abouti à une crise de confiance et de légitimité.  Ce n'est pas avec un tour de passe-passe ni avec un traité au rabais qu'on comblera le déficit démocratique et de confiance.

Il est abusif comme on l'entend maintenant de faire porter la responsabilité de ce déficit à ceux qui, à partir des réalités des politiques et du texte constitutionnel, appelaient à une réorientation en profondeur de la construction  européenne. Qu’on ne nous accuse pas de maximalisme ou d’être anti-européens. Avec l'élargissement à 27 et pour permettre l'élaboration plus démocratique et plus efficace de politiques communes il y a un besoin évident de réformes y compris institutionnelles.  Mais le problème n'est pas fondamentalement institutionnel.  Les transformations dans le monde, la mondialisation,  conjuguées aux conséquences de l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale appellent des réformes structurelles.

Pour s’attaquer à la crise de légitimité qui traverse la construction européenne il faut prendre la mesure des changements et des ruptures opérés depuis une vingtaine d’années dans le monde. Il faut une autre ambition pour l'Europe. Toutes les problématiques initiales de l’après-guerre puis de la guerre froide – la réconciliation franco-allemande, l’intégration  atlantique, la reconstruction – qui ont légitimé dans les opinions la construction  européenne ont volé en éclat. L'Union européenne ne protège pas de la puissance dévastatrice du capitalisme financier et mondialisé : elle est au contraire perçue comme le cheval de Troie du néolibéralisme qui pousse à la déréglementation, au sacrifice des secteurs publics, à la mise en concurrence sur la base du moins-disant social ou fiscal. Elle ne protège pas, elle déstabilise et génère anxiété et insécurité. Or loin de saisir l’opportunité que représentait le coup d’arrêt donné aux logiques libérales par le Non, les dirigeants européens n'avaient qu'une obsession: conjurer tout nouveau risque de rejet et un débat public ouvert. Nicolas Sarkozy explique que «la France apporte les clés pour sortir de la crise européenne en élisant un président qui a eu le courage (sic) de s’engager sur une ratification parlementaire». Tout le discours, toute la mise en scène sont construits sur cet objectif.

Changer les règles sans changer le fond

Comment faire passer l’essentiel de la constitution rejetée ? La méthode «consiste à faire semblant de modifier les règles du jeu en surface sans rien changer en profondeur. A maquiller les apparences pour mieux faire passer l'essentiel. Les juristes communautaires ont déployé une énergie farouche pendant le sommet européen pour infliger à la défunte Constitution un caviardage juridico-politique en règle. A modifier les intitulés, supprimer  des symboles, biffer des termes jugés inconvenants, diminuer physiquement le volume du nouveau traité, renvoyer les articles indélicats à des protocoles annexés» relève une analyse des Echos.

Pour faire accepter le futur traité, les chefs de gouvernement ont donc modifié l’habillage. Ainsi, «grande victoire !», Nicolas Sarkozy a obtenu qu’on supprime des objectifs de l’Union «la concurrence libre et non faussée». Cette insistance montre combien nous avions touché juste, au cœur de la logique du traité. Mais le retrait de cette allusion ne change rien aux réalités : le droit de la concurrence reste le socle juridique. Et la référence revient à treize reprises dans le projet de traité! La réponse de Neelie Kroes, la commissaire européenne chargée de la concurrence n’a pas tardé : «Le protocole annexe est une confirmation juridiquement contraignante : un système de règles assurant une concurrence  sans distorsion est une partie intégrante du marché intérieur.»

Le maintien de la Charte des droits fondamentaux, même en annexe, mais avec un caractère contraignant,  était une revendication insistante des syndicats européens. Ce peut être un point d'appui pour les salariés, notamment dans les pays aux législations les plus rétrogrades. Mais elle trouve ses limites structurelles dans l'affirmation du socle libéral de la concurrence, des législations qui favorisent le dumping social et fiscal. De même le «coup de chapeau» aux services publics ne modifie absolument en rien le fond des orientations de libéralisation. Et de quelle «protection» parle-t-on ? Au même moment le chef de l’état et le gouvernement détricotent les systèmes publics de protection sociale et préparent un contrat de travail qui entérinerait la précarité pendant que la Commission publie début juillet un livre blanc du marché de l’emploi qui généralise la flexicurité ?

Quant à la BCE, son rôle et sa politique, on n’en parle plus. Oubliées les rodomontades des candidats. Déjà le silence de Nicolas Sarkozy lors de la récente augmentation des taux d’intérêt valait consentement.

Un calendrier accéléré

Pour empêcher tout débat public, il faut aller vite. La présidence portugaise qui prend le relais de la présidence allemande le 1er juillet convoquera dès le 23 juillet au Portugal la Conférence intergouvernementale  (CIG) chargée du nouveau traité pour qu'il soit adopté, au sommet des 18 et 19 octobre  à Lisbonne. Telle est du moins l'intention. Les représentants des Etats ont pour seule mission la mise en forme du mandat élaboré à Bruxelles. Puis en France, le Parlement, sans doute réuni en Congrès, ratifierait début 2008 le traité. A entendre nombre de commentateurs en France, l’affaire serait d’ores et déjà bouclée. Il ne s’agit pas de refaire à l’identique la campagne du référendum. Mais l’accord de Bruxelles clôt d’autant moins le débat sur le devenir de l’Europe et sur ce que doit être un «autre» traité qu’il n’apporte aucune réponse de fond aux inquiétudes populaires et aux défis d’une Europe élargie. Au contraire.

Dans la période qui s'ouvre, jusqu'à l'automne, nous devrons faire tout ce qui est notre pouvoir pour informer, et peser jusqu’au bout sur les choix de la conférence intergouvernementale, en cherchant toutes les convergences au niveau européen. Nous ferons monter la pression pour que les français soient consultés par référendum sur la ratification. A nouveau traité nouveau référendum. Cette demande grandit dans d’autres pays. Il ne s’agit pas seulement du respect du vote de 2005. Il s’agit aussi fondamentalement de permettre la participation effective des citoyens aux choix qui les concernent, jusque dans leur dimension européenne, au-delà des déclarations lénifiantes et des petits arrangements cosmétiques. Le prochain traité ne pourra pas être adopté en catimini. Et chaque force politique sera devant ses responsabilités.

La feuille de route

Cette exigence démocratique  sera d’autant  plus crédible qu’elle appuie la critique sur une vision alternative, sur une perspective, sur des propositions  fortes de changements et de ruptures. Il faut remettre au cœur du débat les grandes réformes à entreprendre pour la réorientation en profondeur du projet européen. Ce débat  il faut le mener à partir de la vie réelle, des attentes, des inquiétudes, des espoirs, des luttes, sociales, syndicales, citoyennes.

On voit bien les axes de la feuille de route. Redonner une place dynamique aux services publics, en s'appuyant sur la contestation de la directive sur la Poste. Côté énergie, l'ouverture totale du marché de l’électricité, avec la confrontation sur la privatisation de Gdf, permet de poser avec efficacité la contradiction entre libéralisme et politique  énergétique, avec pour objectif une remise à plat des directives. Quant aux dossiers Eads et Galileo, chacun à sa manière, ils sont exemplaires de la contradiction critique entre l'ambition d'une politique industrielle, l'impératif de financement et de maîtrise publics, et les exigences financières.

Bruxelles pousse les feux de la «flexicurité» avec la publication du Livre blanc sur l'emploi. Objectif: le conseil européen de décembre. Le débat est ouvert en Europe, convergeant en France avec celui sur le contrat unique de travail. Il appelle et permet une montée en charge de la confrontation, sociale, idéologique, politique sur une véritable sécurisation de l’emploi/formation pour inverser la spirale de la précarisation généralisée.

Comment parler d'Europe sociale, et mettre en œuvre un nouveau modèle de développement, social et écologique, sans de grandes réformes qui contestent la puissance des marchés financiers et la politique de la BCE ?

Le projet de «bouclier anti-missile» met les européens face à la contradiction entre une solidarité atlantique et une politique indépendante pacifique conforme à nos intérêts  de sécurité. Mais l'urgence des urgences, c'est le Proche-orient. Chaque jour qui passe hypothèque dramatiquement la perspective d'un Etat palestinien viable, et donc d'une solution juste pour une paix durable.

Avec la décision du conseil européen nous voilà dans une nouvelle phase de l’action pour la réorientation sociale, démocratique, écologique de l’Europe. Nous voilà renvoyés par là-même à la question stratégique : comment avancer réellement sans impliquer effectivement les citoyens, les peuples au projet et aux enjeux  européens  ? C'est à cela qu’il faut travailler, sans attendre, pour les échéances de l'automne, avec en perspective la présidence française du deuxième semestre 2008 et les élections  européennes  de 2009 ■

Daniel Cirera

chargé des questions européennes à la direction du PCF

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