Depuis quelque temps, Sarkozy se réclame du «dialogue social». Cette expression à la mode ne va pas sans un certain flou. On admet, généralement, qu’elle englobe des pratiques telles que l’information, la concertation, la consultation ou la négociation, usitées pour caractériser des procédures de relations entre le patronat, les syndicats ouvriers, l’Etat. Ce dernier y joue toujours un rôle important, même s’il n’est pas forcément apparent. Il encadre les négociations par des règles juridiques portant sur le statut et la validité des accords et des conventions, sur la représentativité des organisations «contractantes».
Ces formes de relations ne sont pas sorties du néant. Loin s’en faut. Un peu d’histoire sur leur passé n’est pas inutile pour en comprendre le rôle et les implications et enjeux d’aujourd’hui.
La préférence des patrons va à la fixation unilatérale et individuelle des conditions d’utilisation de la force de travail salariée. C’est l’option libérale type même si elle se couvre du masque du contrat de travail individuel.
En réalité, les formes collectives de relations sociales ont été imposées aux patrons par l’action des salariés. Le plus souvent à la suite d’un important conflit du travail. Ainsi, la négociation de barèmes de salaires (On les nomme alors les tarifs), sans être de pratique courante existe, en France, depuis le début du XIXe siècle. Elle devait être illustrée, en 1831, par la célèbre révolte des canuts lyonnais (il s’agit des tisserands de soie), dont le conflit s’est inscrit comme un grand moment de l’histoire sociale de notre pays. Des fabricants, après que leurs délégués aient accepté un nouveau tarif, ont refusé de l’appliquer provoquant l’insurrection qui sera suivie de l’intervention de l’armée. Elle sera vaincue, mais ses répercussions dans la formation de la conscience de classe et le développement des luttes sociales seront considérables. C’est encore à la suite de conflits que fut signée la première convention collective entre une compagnie minière et le syndicat ouvrier d’une industrie déjà, fortement organisée syndicalement.
La première législation fixant le statut légal des conventions collectives intervient dans la période, fortement conflictuelle, qui suit la fin de la guerre de 1914-1918. C’est une législation assez frustre, peu contraignante, qui offre, d’ailleurs, aux entreprises la possibilité de se dégager de la convention signée par leurs syndicats.
Sous ce régime un petit nombre de conventions seront signées. Mais, dans la période qui suit, elles entreront en désuétude. C’est avec le grand mouvement social de 1936, la pression des grèves, des occupations d’usines qu’interviendront les accords Matignon entre la CGT et la CGPF (ancêtre du MEDEF) qui vont ouvrir au développement de conventions collectives qui comportent des avancées sociales importantes. Avec les lois du Front populaire, elles apportent une réponse importante aux aspirations des salariés avant que le régime de Vichy en annule des effets et dissolve les Confédérations Syndicales. Avec la Libération, les conventions seront rétablies, sauf en ce qui concerne les salaires. Leur fixation, ainsi que les classifications (dites Parodi/Croizat , noms des Ministres du Travail) deviennent alors l’objet, après consultation des organisations syndicales, d’arrêtés ministériels.
Le patronat va réclamer le retour à la «liberté» des salaires en mobilisant tous les arguments de la panoplie libérale.
Dans le contexte politique et social de la fin des années 1950, après la scission de la CGT, avec le début de la guerre froide, va intervenir la loi du 11 février 1950 qui demeure la matrice du système actuel de relations sociales pour le secteur privé. Le patronat qui a retrouvé puissance et arrogance, ne pourra cependant pas imposer tout ce qu’il aurait voulu. Sous la pression syndicale, la loi, va instituer le «Salaire minima interprofessionnel garanti, le SMIG». Encore aujourd’hui, une telle garantie n’existe pas dans la plupart des pays d’Europe.
La politique patronale va rapidement s’attacher à organiser le dépérissement du SMIG. Et, c’est seulement un nombre restreint de conventions collectives qui verront le jour, avec, trop souvent, de très faibles garanties.
Ne pouvant plus s’opposer frontalement, ni totalement à des conventions collectives, des accords de salaires, le gouvernement et le patronat vont utiliser des tactiques manœuvrières. La plus connue est certainement celle de la signature séparée de textes avec des centrales syndicales minoritaires et complaisantes. Dans ce cadre, le patronat recourra souvent à des accords d’entreprise, essentiellement limités à de grandes firmes, là où la situation est souvent plus conflictuelle. Stratégie qui lui permet de priver de garanties unifiées les salariés d’une même branche, d’une même région. Ainsi, de grandes industries n’auront pas de conventions nationales, ni même régionales. C’est le grand mouvement social de mai 1968 qui va obliger le patronat à un relèvement de 35 % du SMIG, à une certaine amélioration de son mode de calcul, à la suppression d’abattements. Il devient le SMIC (salaire minima interprofessionnel de croissance). En étroite conjonction avec le gouvernement, le patronat va s’opposer à sa progression. Sarkozy se situe complètement dans cet héritage en en limitant le relèvement au 1er juillet 2007, à 2,1 %, sans coup de pouce supplémentaire !
Le fiasco politique du CPE, le désaveu public des pratiques gouvernementales pour l’imposer, la crise qui les a suivis, aconduit Chirac à remettre sur la scène publique le dialogue social. Il l’a fait consacrer dans une loi du 31 /01/2007 qui, assortie de quelques restrictions, prévoit que «tout projet de réformes envisagées par le gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives de travail… fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel». Ce texte ne doit pas faire illusion, il s’inscrit dans la vieille idéologie patronale de «collaboration des classes», dont se réclame également la droite, à travers le paternalisme social et en prônant l’association du capital et du travail. Chirac traçant les grandes lignes du projet de loi, dans un discours prononcé au Conseil économique et social, a déclaré, en octobre 2006 : «il faut sortir de la logique du conflit encore trop présente dans notre pays. Il faut fonder une culture de la négociation, du compromis, de la responsabilité». Il a été applaudi par Mme Parisot, présidente du MEDEF qui y a vu une «ouverture majeure».
Comment la nouvelle machinerie du «dialogue social» peut-elle s’exercer ?
La contrainte de voir le législateur intervenir, même après un délai laissé à la négociation, si celle-ci n’aboutit pas, pèsera de toute façon sur les résultats. En cas d’échec, on débouche sur une traduction parlementaire, soumise à la collusion MEDEF/UMP. Cette situation ouvre la voie à une pression sur les organisations réformistes qui, pour plusieurs d’entre elles, font de la négociation un article de foi, une sorte de fétiche, ce qui les amène à faire des concessions et à des renoncements, dont l’histoire sociale de notre pays ne manque pas d’exemples. Il est bien évident que dans tout les cas de figure ce sont les rapports de force qui sont et demeurent décisifs. On ne peut pas penser que le nouveau dispositif améliore nécessairement les négociations pour les salariés. N’oublions pas, que le résultat d’une négociation sociale s’apprécie en fonction de la réponse qu’elle apporte aux besoins sociaux des travailleurs, besoins le plus souvent exprimés par leurs organisations syndicales.
Dans cette question interfère, même si elle ne la résume pas, la question de la représentativité des syndicats. On sait, de plus, que dans les dernières années de nouvelles organisations syndicales se sont constituées. (UNSA, FSU, SUD, etc.). Aujourd’hui, cinq organisations syndicales de salariés (CGT, CFDT, CFE-CGC, CFTC, FO), bénéficient d’une présomption de représentativité dite : «irréfragable», c’est-à-dire qu’on ne peut pas les récuser. Ce qui leur confrère la capacité de négocier des accords au niveau national, interprofessionnel et de branche. Dans les entreprises, elles sont a priori réputées représentatives des salariés. À l’inverse, les organisations qui ne bénéficient pas de cette présomption doivent prouver leur représentativité, en fonction de critères fixés en 1950 dans le Code du travail.
Le MEDEF, sur le plan patronal, s’est arrogé un quasi monopole de la représentation des employeurs, bien qu’il n’ait pas véritablement qualité à en représenter certains (coopératives, mutualité, associations, certains secteurs de l’économie sociale, etc.).
Il est peu contestable que ce dispositif est devenu obsolète. Mais il n’y a pas accord entre les organisations intéressées sur les modalités de son remplacement. Ce qui est clairement apparu lors du débat sur le dialogue social au Conseil économique et social. En faveur d’une représentativité fondée sur le vote des salariés se sont prononcés : la CGT(1) la CFDT, l’UNSA alors que FO, la CFTC et la CFE-CGC se déclaraient, en fait, pour les critères antérieurs. Le groupe des entreprises privées à l’unanimité de toutes ses composantes s’est prononcé, lui aussi, contre l’avis, suivi par celui des professions libérales. Le groupe des entreprises publiques s’est déclaré : partagé !
Cette question est évidemment étroitement liée aux règles qui déterminent la validité des accords collectifs. Ces règles ont déjà été modifiées en 2004(2). Alors, qu’initialement un accord était valide, dès lors qu’il recueillait la signature d’une seule organisation syndicale de salariés représentative, depuis 2004, l’accord pour être valable, doit faire l’objet d’une approbation majoritaire des organisations syndicales représentatives en nombre et en voix.
La préconisation du Conseil économique invite à retenir l’approbation majoritaire par les salariés. C’est-à-dire d’affirmer le principe de l’approbation par une ou des organisations représentant une majorité de salariés en voix et non pas sur une majorité d’organisations en nombre. Elles portent, aussi, sur le développement de la présence syndicale et de la négociation dans les PME.
C’est fin septembre que le projet de loi du gouvernement sur le dialogue social devrait être présenté à la Commission nationale de la négociation collective.
Nicolas Sarkozy, tout en réaffirmant ses intentions d’appliquer ces réformes réactionnaires, dont la limitation du droit de grève dans les services publics est l’exemple manifeste, voudrait bien rassurer les salariés et leurs syndicats. Procédure inédite, le nouveau Président de la République, avant même son entrée officielle en fonction a rencontré, les 14 et 15 mai, les organisations ouvrières et patronales,
Derrière les projets Sarkozy, se cache une volonté d’intégration sociale des travailleurs. François Fillon n’a pas hésité à appeler : «les syndicats à constituer un pôle réformiste». Dans un entretien au quotidien Les Echos, le 30 avril dernier, il considérait même que, pour lui, cela ne l’étonnerait pas que :
«la CFDT en soit l’un des acteurs principaux» et estimait que «ce réformisme des syndicats est synonyme d’un accord avec les thèses défendues par l’UMP», et que l’objectif était de «leur confier plus de responsabilités pour peu que (les syndicats) épousent des évolutions de la société française». Il ne semble pas que la CDFT ait vraiment apprécié cet appel d’autant qu’elle a enregistré une baisse d’influence aux récentes élections professionnelles. Certains commentateurs estiment qu’elle n’en finit pas de payer son soutien à la réforme des retraites conduite par François Fillon.
A l’opposé de cette voie en impasse, de l’intégration, des réformes réactionnaires, de l’affaiblissement du syndicalisme, sous le perfide prétexte de lui donner des responsabilités, il s’agit au contraire de s’engager résolument dans la voie de la démocratie sociale. Ce qui implique de donner des pouvoirs réels aux salariés, aux organisations syndicales, en premier lieu dans l’entreprise, mais aussi aux divers niveaux de la société, au besoin avec de nouvelles institutions. Cela requiert un développement des luttes sociales et politiques et de promouvoir, avec hardiesse et résolution, un projet véritablement novateur. Donc fondamentalement anticapitaliste ■
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(1) Ce qui ne signifie pas forcément une approbation de toutes les considérations ou propositions de cet avis du Conseil économique et social qui portait d’ailleurs également sur d’autres thèmes, liés au dialogue social.
(2)Cette loi doit faire l’objet d’une évaluation en 2007. Certains se sont prévalus de cette disposition pour rejeter l’idée d’une modification des règles édictées par cette loi.
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