Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Choc fiscal : Noël avant l’heure pour les beaux quartiers !

Sans attendre  le résultat des élections législatives ( ce qui présume du comportement des électeurs ), François Fillon, le Premier Ministre, a détaillé  certaines des mesures que le Gouvernement serait amené à prendre dès le début de la législature. L’annonce du «choc fiscal» destiné à développer la confiance et à permettre la relance de l’activité économique appelle, c’est le moins que l’on puisse dire, quelques observations.

La réduction des déficits publics mise en question

La première, et non la moindre, c’est que les mesures annoncées, qui tendent toutes à réduire les recettes fiscales et sociales, marquent une sensible inflexion des politiques budgétaires les plus récentes, marquées par le souci de réduire les déficits publics.  Une pause dans la réduction des déficits est donc annoncée, argument qui ne peut manquer d’étonner.
Combien de fois en effet les parlementaires communistes, républicains et apparentés ont-ils proposé la réduction de certains impôts, et combien de fois leur a-t-on opposé que leurs propositions risquaient de creuser le déficit des comptes publics ?
Mais, à en croire François Fillon ou Eric Woerth, nous pourrions nous permettre cette «pause» dans la réduction des déficits, les lendemains à venir ayant tellement tendance à chanter que la florissante croissance économique qui nous attend effacera sans difficulté cette entorse temporaire aux principes européens !
Car ce n’est pas de la «petite bière» ce qui nous est annoncé pour le collectif budgétaire de cet été, comme pour la loi rectificative de financement de la Sécurité sociale qui prendra en compte le fameux système de défiscalisation des heures supplémentaires.
Les effets d’annonce sont nombreux, les coups de trompe et de clairon suffisamment sonores pour qu’on soit amené à se pencher plus précisément sur chacune des mesures concernées.

Détail des mesures

A dire vrai, la première impression qui se dégage des dispositions annoncées est qu’elles se positionnent dans le droit il de ce qui s’est déjà fait ces cinq dernières années.
Tout se passe en effet comme si le sillon ouvert par la réforme de l’impôt sur le revenu (dont tous les déclarants se rendent bien compte qu’elle n’a que peu d’impact si l’on est un salarié modeste et moyen et beaucoup d’effet si on est titulaire de très importants revenus de capitaux) était creusé encore plus profond.

Le choix d’alléger  les droits de succession, par exemple, est l’illustration parfaite de ce que l’on voulait faire de longue date dans les cercles les plus rétrogrades  de la bourgeoisie française.

Les mesures portant sur la fiscalité des successions et donations ont en effet été multiples depuis plusieurs années et ont consisté, notamment en favorisant les donations (transmissions anticipées de patrimoines), à permettre aux plus gros revenus et fortunes de ce pays de procéder à une judicieuse optimisation  de leurs biens.
Les droits fiscaux perçus par l’Etat en matière de successions et de donations sont aujourd’hui une composante non négligeable des recettes fiscales.
En 2005, les réseaux comptables du Trésor et des Impôts ont ainsi collecté  1428 millions  d’euros au titre des donations et 7338 millions d’euros au titre des successions. Ces sommes  sont surtout recueillies sur des parties du territoire national bien déterminées : on perçoit ainsi 530 millions de droits sur les donations  en Ile-de-France (dont 356 millions  sur la seule ville de Paris) et 2388 millions de droits de succession (dont 1123 sur la seule ville de Paris). En clair, la région capitale fournit exactement 37 et 32 % des droits de mutation perçus par l’Etat dont l’essentiel dans la capitale elle-même (près du quart des droits perçus sur donation et 15 % du volume des droits de succession). Le «palmarès» de la répartition des droits de mutation est d’ailleurs sans la moindre équivoque.
Si l’on prend les donations, les dix premiers départements de collecte sont Paris, les Bouches du Rhône, les Hauts de Seine, le Rhône et les Alpes Maritimes, les Yvelines, le Var, la Gironde, la Haute Savoie et l’Isère.

 S’agissant des droits sur succession, l’ordre est le suivant : Paris ( très loin devant avec 1123 millions  de droits), les Hauts de Seine (373 millions), les Alpes Maritimes (292 millions),  les Bouches du Rhône, les Yvelines, le Rhône, le Val de Marne, le Var, le Nord et la Gironde.
Il est donc évident que la fortune et les gros patrimoines sont clairement identifiables dans des endroits bien précis du pays, huit départements étant communs aux deux «classements».
Cette répartition de la fortune, qui recoupe évidemment celle de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune, est bien entendu à apprécier, dans chaque cas, au regard des réalités locales.
La concentration de très hauts patrimoines domiciliés à Paris ne peut faire oublier que cette «répartition» n’est pas la même selon que l’on se trouve dans le quartier de la Goutte d’Or et dans celui du Palais Royal, ou dans le quartier de Belleville et dans celui de la Muette…
Ce qui est sûr, par contre, c’est que l’allégement des droits de succession va profondément favoriser des ménages n’ayant déjà pas besoin de tant de sollicitude.
Rappelons en effet pour mémoire que sur 540 000 décès enregistrés dans notre pays, 350 000 conduisent  à l’ouverture  d’une succession et moins de 145 000 au paiement de droits par les héritiers ou conjoints survivants.
Ce qui signifie, soit dit en passant, que le montant moyen de droits acquittés par succession effectivement imposée est d’un peu plus de 50 000 euros.
Une réduction de moitié des droits concernés, comme cela semble être la logique du dispositif gouvernemental, c’est donc un cadeau de plus de 25 000 euros qui sera, en moyenne, accordé.
Plus concrètement,  il semble cependant pratiquement acquis que la formulation  choisie (sans doute un relèvement des abattements par part de patrimoine transféré) visera à exonérer de droits les patrimoines plus faiblement imposés, c'est-à-dire ceux transférés de manière générale, par les couches moyennes (cadres supérieurs) dont l’essentiel du patrimoine découle de leur activité professionnelle.
Autre chose est la situation des fortunes de caractère dynastique qui bénéficieront évidemment des mesures de relèvement des abattements,  sans toutefois parvenir à l’exonération.
Pour être clair, plus de droits à payer pour un grand nombre des successions aujourd’hui faiblement ou moyennement imposées (aux alentours de 70 000 dossiers  annuels), moins de droits à payer pour les grosses successions (une quinzaine de milliers de cas annuels regroupant en effet la moitié ou peu s’en faut des droits perçus).

Poursuivant sur cette démarche,  le Gouver nement annonce également une réforme de l’ISF (une de plus !) en créant un crédit d’impôt imputable sur la cotisation de 50 000 euros pour financement  direct  des petites et moyennes entreprises.

Un examen de la réalité de l’impôt de solidarité sur la fortune montre le véritable caractère de la mesure : une disparition quasiment programmée de cet impôt, disparition évidemment inavouée, parce qu’elle ferait mauvais effet dans le paysage politique…
Si l’on prend en compte le nombre de contribuables de l’ISF, on constatait qu’ils étaient un peu moins de 400 000 fin 2005.
Ils ont acquitté un impôt global de 3076 millions  d’euros, soit un impôt moyen d’un peu moins de 8000 euros…
En clair, la mesure qui nous est présentée n’est ni plus ni moins qu’une mesure de liquidation  pure et simple de l’ISF, dont on peut d’ailleurs se demander si elle jouit de la moindre pertinence économique.
Pour atteindre la somme de 50 000 euros à payer au titre de l’ISF, il faut tout de même disposer d’un patrimoine plus ou moins proche de 5,7 millions  d’euros…
De fait, comme pour la mesure précédente, elle se détermine comme une mesure tendant à répondre aux angoisses des nouveaux et «petits» contribuables de l’impôt de solidarité sur la fortune, tout en réservant, bien entendu, la pleine mesure de ses effets aux contribuables les plus riches et les moins nombreux.
La mesure est donc une mesure d’affichage politique destinée aux couches moyennes nouvellement touchées par l’application  du barème de l’ISF, même si l’essentiel de son produit est évidemment perçu par les plus importants contribuables de l’impôt.
Dans l’hypothèse  où tous les contribuables de l’impôt concerné se délesteraient de leur cotisation avec le crédit d’impôt institué, on peut estimer que l’apport de fonds pour les PME serait d’environ 3,2 milliards d’euros, montant bien éloigné, c’est le moins qu’on puisse dire d’une véritable solution de financement des entreprises…

La mesure sur l’ISF s’avère d’ailleurs  quelque  peu surabondante  avec celle touchant le bouclier fiscal ramené à 50 % des revenus.

Là, c’est un peu le beurre et l’argent du beurre ( nous n’osons dire la suite ) !
L’examen des premiers dossiers de contribuables ayant bénéficié du bouclier  fiscal est sans équivoque : ce n’est pas sur autre chose que d’une réduction de leur impôt de solidarité sur la fortune que l’essentiel de ces contribuables a bénéficié.
Quand le taux maximal d’imposition sur le revenu est de 40 % du revenu net global imposable, il faut effectivement encore beaucoup d’efforts pour parvenir au fameux seuil de 60 % avec la taxe d’habitation,  la taxe foncière touchant l’habitation principale et l’impôt de solidarité sur la fortune !
Et cet effort, c’est évidemment celui qui découle de l’existence de l’impôt sur la fortune !
Le bouclier fiscal, dans la pratique, c’est tout de même l’allégement de la fiscalité pesant sur l’immobilier de rapport, lors même qu’il est à peu près évident que cela n’a pas le moins du monde fait baisser le niveau  des loyers  !
Ce fut un cadeau pour les multi-propriétaires  immobiliers de Paris, de la Côte-d’Azur ou des beaux quartiers de Lyon ou Bordeaux, comme pour les heureuses héritières des grandes familles du commerce et de l’industrie, cela va devenir une mesure pratiquement indécente.
En baissant le bouclier fiscal à 50 % des revenus et en ajoutant au «panier» d’impositions  prises en compte la CSG et la CRDS, on risque fort de rendre les plus riches de nos concitoyens en situation de se faire rembourser leur contribution légitime au financement de la Sécurité sociale !
C’est là une rupture caractérisée de l’égalité des citoyens devant l’impôt (le caractère fiscal de la CSG ayant été acté), c’est une rupture avec le pacte républicain lui-même !
Le bouclier fiscal, c’est un peu comme si on rétablissait, au détour de quelques articles anodins de collectif budgétaire, les privilèges abolis il y a maintenant plus de deux cents ans !
On notera d’ailleurs que la mesure portant sur le «bouclier fiscal» est annoncée sans la moindre évaluation de la pertinence de la mise en œuvre de sa première mouture…
A vouloir aller trop vite, parfois…

Que pèsent dans ce contexte les deux autres mesures phares qui nous ont été annoncées, portant sur la déductibilité  des intérêts d’emprunts immobiliers et la défiscalisation des heures supplémentaires  ?

Sans doute, pas autre chose, là aussi, qu’une forme d’affichage politique visant à masquer la nature profonde de la politique annoncée, accordant  une indécente primauté aux mesures les plus favorables aux hauts revenus et aux plus gros patrimoines.
Il s’agirait, si l’on peut dire, de penser quelque peu aux pauvres…
La mesure portant sur les crédits immobiliers part d’un constat objectif de la réalité. Les ménages, et singulièrement les ménages de salariés, sont de plus en plus endettés. Cet endettement trouve naturellement  sa source dans la progression de l’endettement immobilier, résultant du sensible relèvement des prix de l’immobilier, malgré une relative modération des taux d’intérêt dans la dernière période.
Or, le marché immobilier souffre aujourd’hui d’une relative atonie, et de la croissance d’un stock de plus en plus significatif de logements non vendus parce qu’évidemment trop chers pour nombre de ménages.
Un risque de déflation existe sur les prix, risque que l’on souhaite parer par mise en place de cette mesure trompeusement incitative à l’achat.
Dès le mois d’octobre 2005, un rapport d’information sénatorial, rédigé sous la direction de Philippe Marini, rapporteur général du Budget et maire de Compiègne (l’un des partisans les plus acharnés du libéralisme économique sans rivages ni frontières), pointait le risque d’un retournement de tendance de l’immobilier conduisant à une baisse des prix.
Le facteur essentiel de cette tendance «baissière» résultait de la contrainte de solvabilité des ménages et de leur capacité d’acquisition,  deux questions se posant évidemment au premier chef pour les primo acquéreurs de logement, bien plus que pour les investisseurs fortement incités par les dispositifs de Robien et Borloo…
Ce n’est donc pas innocent que de constater que c’est en direction des primo acquéreurs que la mesure est conçue, et qu’elle toucherait, semble t il, tout type de logement (neuf ou ancien), quelqu’en soit le financement.
Nous sommes donc bien loin des mesures de même nature prises dans le passé (années 70 et 80) et qui portaient fondamentalement sur l’accession sociale à la propriété. Là, il ne s’agit pas d’aider les ménages accédant à la propriété, il s’agit de fluidifier le marché immobilier, de lui permettre d’éviter la déflation et la baisse des prix et, accessoirement, de donner l’occasion aux établissements de crédit (les banques en particulier) de relever sans risques majeurs les taux d’intérêt associés à leurs prêts immobiliers.
Déjà que ce sont les organismes de crédit qui touchent l’incitation fiscale relative aux prêts à taux zéro !

La mesure relative aux heures supplémentaires défiscalisées a déjà beaucoup fait parler.

Elle doit être ramenée à son juste niveau. Evidemment, elle sera ressentie par les salariés concernés comme la promesse d’amélioration de leur situation financière immédiate. Evidemment, oui mais…Faisons quelques remarques. Si l’on base le calcul du rendement de ces heures supplémentaires sur le contingent annuel aujourd’hui autorisé, c'est-à-dire 220 heures et qu’on y applique le taux de 25 % au dessus du SMIC horaire, on aboutit, pour l’année, à une majoration salariale de 2275 euros environ.
Il faudrait toutefois supposer que le salarié en question n’ait pas effectué d’heures supplémentaires l’année précédente. Mais quand bien même, cela représente un peu moins de 200 euros nets mensuels. Si l’on défiscalise, le gain fiscal de la mesure en termes d’impôt sur le revenu est faible et peut être évalué à un peu plus de 110 euros au maximum, soit moins de 10 euros par mois ! Quel magnifique cadeau fiscal! Surtout qu’il va probablement concerner des contribuables d’ores et déjà non imposables, de par la stricte application du barème de l’impôt sur le revenu. On est en tout cas bien loin des cadeaux effectués en direction  des grosses successions, des gros patrimoines et des hauts revenus évoqués un peu plus haut.
Et comme il est fort probable que l’équilibre des comptes publics passe rapidement  par la création de la «TVA sociale», il y a fort à parier qu’une part importante de l’aumône fiscale accordée aux salariés modestes ne servira qu’à financer la hausse des prix découlant de l’instauration de cette «TVA sociale»…

En guise de conclusion

Le caractère profondément  inégalitaire des mesures esquissées par le Gouvernement Fillon est clair et établi : une indécente et scandaleuse primauté est accordée aux attentes de quelques contribuables particulièrement  aisés, dont le nombre est particulièrement réduit (combien sont ils 400 000 ou moins encore ?) tandis que la grande majorité des habitant(e)s de notre pays va continuer de goûter aux délices de la TVA, de la hausse des prix des transports publics, de l’énergie, des impositions locales, comme aux effets de la dégradation des services publics induite par la réduction des dépenses budgétaires.
Notons par exemple que les 5 milliards d’euros que l’on souhaite consacrer à l’allégement des droits de succession correspondent au montant du revenu minimum d’insertion (que le Gouvernement souhaite réformer) ou encore aux sommes consacrées à l’autonomie  des personnes âgées (aujourd’hui  prise en charge par les budgets locaux dans les conditions les plus inégalitaires qui soient).

Le déficit  public risque de se creuser sans que nous n’en voyions la couleur dans notre vie quotidienne.

Mais cette offensive réactionnaire au plan fiscal va de pair avec une opération idéologique de grande envergure, visant clairement à intégrer à la politique menée par le pouvoir les couches moyennes et parfois modestes de notre peuple.

C’est donc, de la première urgence de dénoncer les véritables motivations de la politique annoncée et de poser, dès maintenant, sur la base de cette dénonciation nécessaire, les bases d’une plus grande efficacité de notre fiscalité. Car il convient de souligner, au terme de cet article, que la France a effectivement besoin d’une profonde réforme fiscale. Le tout est qu’elle doit recouvrer d’autres formes que celles qui nous sont présentées et poursuivre une finalité d’égalité devant l’impôt et d’efficacité économique du prélèvement qui semble bien éloignée de la multiplication des cadeaux prévus par Sarkozy-Fillon et consorts.

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Par Paker Alain , le 01 juin 2007

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