Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Projet de loi «en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat» Mettre la société au pas des marchés financiers

Le projet de loi «en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat» prétend aider à une «relance de l’économie». Il part du postulat que «l’augmentation de la durée moyenne du travail  est une condition  essentielle à la baisse durable du chômage et à l’augmentation de notre rythme de croissance». Il vise à créer les conditions d’une «union sacrée» des français pour rallonger la durée du temps de travail des salariés insérés dans l’emploi, tout en réduisant le coût, pour les patrons, des heures supplémentaires ainsi travaillées. Simultanément, il prévoit un certain nombre de mesures pour favoriser une croissance accrûe des revenus financiers et immobiliers du capital et augmenter les privilèges fiscaux dont bénéficient les titulaires  des revenus les plus élevés et de grandes fortunes. S’il est adopté, ce projet mettrait  en cause très profondément les 35 heures et l’impôt de solidarité sur les fortunes sans avoir à décréter leur abrogation. Surtout, il porterait  un nouveau coup au système de financement mutualisé de la protection  sociale à partir des entreprises, préparant  une nouvelle étape de sa fiscalisation.

L’argumentaire du projet veut accréditer l’idée que nos problèmes de chômage et de croissance trouveraient leur cause essentielle dans le fait que la durée du travail en France serait trop faible.
En réalité, pour une durée légale du travail  de 35 heures par semaine, la durée effective  moyenne  est de 39 heures pour les emplois à temps plein et 36,3 heures pour l’ensemble des emplois. Par comparaison  ces durées sont inférieures en Grande-Bretagne : 37,2 heures pour les emplois à temps complet et 31,7 heures pour l’ensemble des emplois. Mais c’est aussi le cas en Allemagne où la durée du travail de l’ensemble des emplois est de 33,6 heures par semaine, au Danemark ( 35,1 heures), en Espagne ( 33,2 heures), en Italie (36,2 heures), aux Pays-bas (29,2 heures)…
De même, si en France, selon l’OCDE, le nombre moyen d’heures annuelles ouvrées par personne ayant un emploi(1) a été de 1468 en 2006 (en progression de 27 heures sur 2003), il n’a été, à la même date, que de 1460 en Belgique ( +11 heures sur 2003), de 1423 heures au Danemark  (+1 heure),  de 1355 heures en Allemagne (-5 heures), de 1340 heures en Allemagne occidentale (-1 heure), de 1336 heures aux PaysBas (+27 heures).
La focalisation sur la durée moyenne du travail fait passer sous silence la question majeure du taux d’emploi(2)  . Selon Eurostat, il est particulièrement bas en France en 2006 : 63% seulement  (-0,3 point sur 2003), contre 66% dans l’Union européenne  à 15 (+1,7 point sur 2003), 77,4% au Danemark (+2,3 points),  67,2% en Allemagne  ( +2,2 points), 74,3% aux Pays-Bas (+ 0,7 point), 71,5% au Royaume-Uni (+ 0 point). A cela, il faut ajouter l’insuffisance criante de la formation en France, l’effort relatif des entreprises tendant à reculer depuis le début des années 2000. Selon Eurostat  toujours, seuls 7,2% des hommes et 7,8% des femmes de 25 à 64 ans ont participé à une formation ou à un enseignement en 2006. La moyenne dans l’Union européenne à 15 s’établissait  alors à 10,2% pour  les hommes  et 11% pour  les femmes. L’écart est encore plus accentué avec les pays en situation proche du «plein emploi» (taux de chômage officiel de l’ordre de 5%). Pour les hommes, par exemple, les pourcentages étaient respectivement de 24,6% au Danemark, 19,3% en Finlande, 15% aux Pays-Bas, 27,9% en Suède, 22% au Royaume-Uni et 17,2% en Norvège.
C’est ce triple décrochage de notre pays en matière de chômage, de taux d’emploi, et de formation, accentué depuis 2003, comme vient de le souligner  l’OCDE dans son étude spéciale sur la France, qui explique, la faiblesse singulière de la croissance. L’OCDE note ainsi que c’est à partir de 2003 que «l’avance modeste mais persistante dont disposait la France depuis plus de dix ans en matière de croissance par rapport à des partenaires commerciaux importants, tels l’Allemagne et l’Italie, semble s’être réduite à néant, voire transformée en retard». Ainsi, en effet, la croissance est mise en cause, tant au niveau des facteurs de soutien de la demande, le chômage élevé et persistant pesant en permanence sur le taux de salaire, que des facteurs d’efficacité de l’offre, la formation insuffisante entraînant un manque à gagner en matière de qualifications freinant le recours aux nouvelles technologies et accentuant les gâchis dans leur utilisation.

Alors un rallongement de la durée du travail des salariés ayant un emploi permettrait-il d’augmenter le taux d’emploi et de faire structurellement reculer le taux de chômage ? C’est le contraire qui est vrai. En effet, les entreprises seraient encouragées, face à un éventuel surcroît d’activité, à imposer des heures supplémentaires à leurs salariés plutôt qu’à créer des emplois et former. Au demeurant, l’insuffisance de formation continue qui caractérise la France risquerait  encore de s’accentuer, le temps de travail augmentant, en liaison avec un éventuel rebond de l’activité, au détriment du temps passé en formation.  Et cela frapperait  d’abord ceux qui ont le plus besoin de se former, les salariés les plus modestes, c’est à dire ceux-là mêmes qui chercheront le plus à faire des heures supplémentaires.

De plus, nombre d’entreprises ne seront pas à même de faire faire des heures supplémentaires pour répondre à un accroissement de l’activité. Depuis le troisième trimestre 2003, les enquêtes de l’INSEE sur l’utilisation des capacités de production dans l’industrie manufacturière traduisent une montée des tensions. Quatre ans plus tôt, en effet, moins de 15% des entreprises y déclaraient ne pas pouvoir produire plus sans embaucher (goulots de capacité). A la fin du premier trimestre 2007, elles sont près de 30% à déclarer être dans ce cas.
En réalité ce projet de loi fait écho au refus absolu de Sarkozy d’engager quoi que ce soit qui puisse amener les employeurs à accorder des hausses générales de salaire.
D’ailleurs, il s’est interdit de donner un «coup de pouce» au SMIC pour le 1er juillet, comme cela a toujours été le cas après l’élection d’un nouveau Président de la République.
Et ce projet de loi est là pour donner le change en faisant croire que seuls les salariés qui le méritent, en acceptant de travailler plus, auront le droit de bénéficier d’une augmentation de leur revenu.
En fait, il vise, avant tout, à accroître la surexploitation des salariés ayant un emploi, à commencer par ceux dont les salaires sont les plus bas et sont donc les plus disposés à accepter de faire des heures supplémentaires, l’initiative, cependant, n’appartenant en ce domaine qu’aux seuls patrons.
Certes, le projet Sarkozy porterait la majoration des heures supplémentaires à 25% pour tous les salariés (c’est déjà le cas dans les entreprises de plus de 20 salariés) dans le secteur privé comme dans le secteur public.

Cependant, il affirme, dès son article Ier, qu’il «vise à diminuer le coût du travail pour les entreprises qui augmentent la durée

du travail de leurs salariés». Il entend, pour cela, redoubler dans les abaissements de cotisations sociales et d’impôts. En d’autres  termes, c’est la force de travail  ainsi utilisée dont le gouvernement va encourager la perte de valeur pour les entreprises qui l’emploient, bien loin de la prétendue «réhabilitation du travail comme valeur» qu’il prétend promouvoir avec ce projet. Mais, cette dévalorisation-surexploitation, serait d’autant moins perçue par les salariés concernés qu’elle s’accompagnerait d’une exonération d’impôt sur le revenu (crédit d’impôt) et d’un allégement de cotisations sociales des salaires.

L’accroissement apparent du revenu salarial net sur chaque heure supplémentaire effectuée masquerait ainsi, dans l’immédiat, l’affaiblissement accru du financement par les entreprises des revenus mutualisés distribués par le système de protection sociale à tous ceux qui n’ont que leur force de travail pour vivre, qu’ils soient ou non dans l’emploi, des plus démunis aux plus qualifiés. La contreparties en serait un prélèvement accru sur leur revenu, une détérioration  de leur niveau de vie, via l’impôt pour financer la protection sociale, un rationnement des couvertures offertes et une dégradation des services publics.
Ce projet  cherche à diviser  les salariés, à les intégrer  à cette entreprise de déresponsabilisation  sociale nouvelle des entreprises, à les opposer aux chômeurs et aux RMIstes stigmatisés comme «assistés».
Certes, les salariés dans l’emploi qui ont le plus vitalement besoin d’améliorer leur revenu pourraient accéder à un petit plus pour chaque heure supplémentaire acceptée, bien venu pour eux, mais somme toute misérable, et au prix de leur santé, de leur vie de famille et de leur qualification.
Mais les salariés dont les revenus demeureraient trop bas pour être assujettis à l’impôt ne devraient pas bénéficier du crédit d’impôt prévu. Par contre, cette rémunération supplémentaire serait prise en compte pour le calcul des prestations versées sous condition de ressources, comme l’aide au logement, ainsi que la prime pour l’emploi (PPE). Bref, pour ces salariés ayant un emploi, les plus à la peine et les plus mal payés, à commencer par les jeunes, les femmes et les immigrés, l’opération consisterait à se faire reprendre d’une main ce qui leur était tendu de l’autre.
Mais, en même temps, des tas de gens ne pourraient pas accéder à ce «privilège» : les privés d’emploi, les salariés à temps de travail annualisé (automobile, IAA..) pour lesquels la pratique des heures supplémentaires a été remplacée par des systèmes de modulations ( par exemple, la possibilité  de travailler 48 heures par semaine sans heures supplémentaires, les périodes de basse activité «compensant» celles de haute activité), ou bien encore, les salariés de branches d’activité, telles celle des «hôtels-cafés-restaurants» dans laquelle la majoration des heures supplémentaires restera limitée à 10%, en vertu d’un accord collectif dérogatoire à la règle des 25%.

Au-delà, ce projet vise à :

  • Obliger des tas de salariés, les plus pauvres en réalité, à se résigner à ne jamais pouvoir  bénéficier des 35 heures et à donner toujours plus de leur temps à leur patron sans espérer pouvoir, par la formation, s’arracher à leur condition, avec, en ligne de mire, la mise en cause de la notion même de «durée légale du temps de travail», non reconnue dans les textes européens qui ne retiennent que celle de «durée maximum», aujourd’hui de 48 heures par semaine ;
  • Et, à partir de cette masse de salariés surexploités et, enpartie, leurrés, à avancer dans la mise en cause du financement de la protection sociale de tous les salariés et deleurs familles par un prélèvement mutualisé sur la valeurajoutée de chaque entreprise. L’objectif est, ce faisant,d’avancer dans la fiscalisation du système avec l’hypothèse, désormais, d’une augmentation de la TVA correspondant à la diminution recherchée des cotisations socialespatronales (TVA dite «sociale» ou «anti-délocalisation»).

Sur ce socle, le projet de loi présente une série de mesures visant à sécuriser  un nouvel essor des plus hauts revenus en favorisant la croissance des revenus financiers du capital, à réaliser une «union sacrée» pour le soutien  du marché immobilier confronté au risque de rupture (sur le thème d’une «France de propriétaires»), à rassembler derrière les plus grands héritiers tous ceux qui attendent héritage en diminuant l’impôt sur les donations, à mettre en cause l’impôt de solidarité sur les fortunes.
L’extension du «bouclier fiscal» et la possibilité ouverte aux contribuables de l’ISF de bénéficier de nouvelles réductions d’impôt, s’ils placent leur fortune dans le capital de PME ou effectuent des dons «au profit d’organismes d’intérêt général», réduiraient comme peau de chagrin l’impôt sur la fortune qui avait été institué pour financer le RMI.
Au nom de la lutte contre l’assistance, Sarkozy décide de ne pas augmenter le SMIC. Il compte, simultanément, mener une chasse beaucoup plus intense aux chômeurs et aux RMIstes pour qu’ils acceptent n’importe quel type d’emploi et d’activité à très bas coût salarial. L’expérimentation du «revenu social d’activité»  (RSA), qui serait réservé aux seules personnes percevant le RMI ou l’Allocation parent isolé, encouragera le refus des patrons d’augmenter les salaires ainsi que le manque d’empressement  des entreprises  à créer des emplois et à former.
Face à ce déferlement de faveurs accordées aux plus riches et aux profits, le projet essaye de se donner bonne conscience en prétendant introduire un peu de moralisation  dans les pratiques scandaleuses de rémunération des grands patrons.
Les «parachutes  dorés» feront l’objet «d’une plus grande transparence et d’un strict encadrement tout en mettant fin aux parachutes automatiques : les versements seront conditionnés à la performance du dirigeant»…Quelle révolution !

Ce projet de loi vise à créer de premières bases pour une sorte d’union sacrée des français derrière  tout ce qui domine dans l’Hexagone et contre les pauvres. Il traduit, avec l’hyperprésidentialisation et le populisme, une volonté acharnée de mettre encore plus l’Etat au service de la domination des marchés financiers.

Sarkozy fait le pari que les faveurs très importantes accordées aux détenteurs de capitaux et à tous ceux qui disposent d’un pouvoir effectif de subordination  dans la vie économique, au détriment  de l’immense majorité des salariés, à commencer par les plus exploités, au détriment des chômeurs, des RMIstes, et en jouant sur leurs divisions, vont accroître l’attractivité financière du pays. Il affirme pouvoir faire «reconquérir» ainsi par la France, contre ses partenaires européens, «le point de croissance qui lui manque», via une reprise de l’investissement.

Certes, un léger soutien de la croissance pourrait résulter d’un revenu un peu accru pour une partie des salariés, avec les heures supplémentaires  exonérées, les plus démunis le consommant immédiatement. Pour d’autres, cependant, ce revenu supplémentaire irait rejoindre une épargne de précaution. Au total, ce seraient, avant tout, les profits et leur placement en Bourse et sur le marché de l’immobilier qui repartiraient de plus belle, tandis que s’accentuerait la guerre concurrentielle entre pays européens, sur fond de relèvement des taux d’intérêt et de rationnement obsessionnel de la dépense publique.

Si cette tentative pourrait faire un temps illusion en bénéficiant de la croissance mondiale, elle contribuerait surtout à accentuer tous les facteurs de faiblesse et de retard de la France en la déprimant tant du côté de la demande, avec la pression aux bas salaires et au freinage des dépenses publiques et sociales, que de l’offre, avec l’insuffisance  de formation.  Sur cette base, les incitations à délocaliser des capitaux vers les pays à haut potentiel  technologique, comme les Etats-Unis, dans le domaine des productions à forte intensité  de recherche et de qualification, et vers les pays à bas coûts salariaux, dans le domaine de productions  plus banalisées, loin de reculer, risqueraient en réalité de redoubler.

C’est dire s’il faut organiser la lutte contre ce projet avec des propositions pour augmenter les salaires, accroître l’implication des entreprises dans le financement de la protection sociale, de la formation et des services publics, s’opposer aux licenciements et à la précarisation, créer des emplois. Avec la perspective de négociations entre syndicats de salariés, MEDEF et gouvernement, sur la «fléxicurité» et pour un«contrat unique de travail», Sarkozy espère pouvoir intégrer le salariat à tout un nouveau système de relations sociales déresponsabilisant les entreprises dans la mondialisation, soutenant la domination  des marchés financiers et généralisant la précarisation de tous les moments de la vie. La bataille contre le projet de loi «en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat» appelle bien un rassemblement dans les luttes sur des propositions  pour sécuriser et promouvoir l’emploi, la formation, les revenus, ainsi que pour la défense et le développement des services publics, avec les moyens financiers et les pouvoirs nécessaires ■

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(1) On rapporte le nombre d’heures totales travaillées pendant l’année au nombre moyen de personnes ayant un emploi.

(2) Il rapporte le nombre de personnes occupées âgées de 15 à 64 ans à la population totale de la même classe d’âge.

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