Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Éléments sur les conditions du succès de Sarkozy

DE LA REFONDATION  À DROITE  AUX ENJEUX DES REFONDATIONS  À GAUCHE

Deux articles de Paul Boccara

Sont considérés ici certains éléments fondamentaux pouvant rendre compte du succès électoral de la droite et de Sarkozy, de la force des atouts de la refondation à droite aux insuffisances et faiblesses marquées de la gauche. À partir de ces éléments, sont examinées certaines conditions  de refondations et novations efficaces à gauche et dans ses composantes. Sur le succès de la droite comme sur des refondations profondes à gauche possibles, l'analyse se borne à trois ensembles de questions, liées entre elles, qui seraient décisives :

• les questions de la forme d'un rassemblement politique élargi ;

• les questions de fond d'un projet à la fois économique et sociétal ;

• les questions des bases sociales étendues de la construction idéologique et politique

I-Ements sur la refondation récente à droite et l'efficacité de son déploiement

Considérons d'abord la forme politique et le rassemblement

L'ampleur du rassemblement en faveur de Sarkozy renvoietout particulièrement à la récupération tout azimut d'idées et propositions, de l'extrême-droite à la gauche, par une droite se disant à la fois décomplexée  et de rupture, mais en liaison avec les propositions de libéralisme classique de faveurs aux entreprises capitalistes et aux riches, comme les réductions d'impôt sur les sociétés et sur les revenus. Ont été ainsi récupérées certaines thématiques d'extrême droite comme sur la sécurité, l'identité nationale et l'émigration, avec leur impact électoral. Mais aussi ont été récupérées, d'une certaine façon, des thématiques de gauche ou encore syndicalistes, comme sur la sécurisation des parcours professionnels et la protection de l'emploi. Ou encore certaines idées ayant pu avoir cours parmi les divers partisans du non au traité constitutionnel  européen, comme celle de la protection économique et sociale de l'Union européenne vis-à-vis de l'extérieur.
Tout particulièrement, la récupération réussie d'une partie de la clientèle populaire du Front national marque un tournant politique.
Cet amalgame de récupérations, alliées aux idées du libéralisme de droite comme un contrat de travail unique, prétendant favoriser l'embauche, aux droits progressant dans le temps, donc permettant de licencier sans motif au début tend vers une sorte de «révolution conservatrice». Cela veut dire la suppression brutale des droits acquis et des transformations sociales et politiques effectivement très profondes, mais pour renforcer les dominations existantes et casser l'opposition démocratique.  Cela prendrait la suite propre ment politique  des tentatives de refondation sociale et idéologique du MEDEF, en exacerbant le caractère présidentialiste du régime. Sarkozy a ainsi pu utiliser la volonté majoritaire de rupture et de changement de façon démagogique afin de répondre hardiment aux exigences des forces économiques et culturelles dominantes, en se présentant en leader volontariste, autoritaire et unificateur et en visant à concentrer le plus possible les pouvoirs d'État.

Le fond du projet présenté
Sa force d'attraction a pu sans doute se rapporter  à l'articulation des propositions économiques et sociales, martelées en slogans prétendant répondre à la fois à des besoins populaires et aux forces capitalistes, avec l'affirmation de valeurs morales correspondantes et d'un volontarisme politique pour les réaliser.
Il s'agit tout particulièrement du travail. Le slogan «travailler plus pour gagner plus », en supprimant cotisations sociales et impôts sur les heures supplémentaires, veut relier à sa façon le besoin et la promesse de meilleurs salaires aux valeurs d'efforts et de mérite, tout en s'opposant à la réduction du temps de travail de gauche et en prônant les réductions de charges sociales et d'impôts de droite.
Cela s'est mêlé aux propositions sur la sécurité et sur l'émigration, sur la protection  de l'Union européenne, ou encore sur la baisse des prélèvements  publics et sociaux sur les patrimoines et les entreprises.

L'extension  des bases sociales de la droite  refondée
Elle se réfère tout particulièrement à la division classique des salariés pour l'intégration d'une bonne partie d'entre eux aux forces dominantes du capital et des entreprises, et à son utilisation au maximum pour l'intégration dans la conjoncture politique sociale et politique particulière. Cela peut se rapporter aux tendances de longue durée : de persistance du chômage, mais aussi de montée des services, ou encore de l'individualisation du travail, favorisant une certaine intégration aux projets d'entreprise, de type social-libéral ou de droite libérale. Ces tendances à l'intégration se seraient accélérées, avec les suppressions d'emplois désormais également dans les services, la crainte du déclassement et de l'appauvrissement, écartant les travailleurs en emploi de l'union avec les chômeurs et les exclus, eux-mêmes largement rejetés dans une posture de culpabilisation ou de protestation, pour se rapprocher des donneurs d'emplois et donc des entreprises et des puissances d'argent. Cela a pu s'ajouter à l'attraction nouvelle des forces d'argent, avec l'expansion boursière et spéculative, pour toutes les couches moyennes, y compris des retraités. D'où l'attraction de l'idéologie de récupération par la droite pour l'intégration aux chefs d'entreprise, de certaines idées de gauche ou d'extrême droite, tout en combinant idées libérales de faveurs aux patrimoines et mesures autoritaires pour les travailleurs, y compris la démagogie sur des soutiens pour la sécurisation des parcours professionnels.

II - Élément s sur les insuffis ances et les faiblesses à gauche dans la campagne des élections présidentielles.

Ces faiblesses peuvent aussi être considérées du point de vue des trois ensembles de questions : des formes politiques du rassemblement, du fond idéologique des propositions et des bases sociales concernées.

Les formes politiques
Les divisions  exacerbées, dans toutes les composantes de la gauche, ont tendu à affaiblir  les rassemblements  tentés. Cela s'est relié à l'excès de confiance dans la poursuite des succès antérieurs, du «non de gauche» au traité européen pour «la gauche de la gauche», au succès des élections régionales pour le PS.
À l'intérieur du parti socialiste les oppositions entre les principaux dirigeants ont été acharnées derrière un rallie ment de façade, en relation non seulement avec toutes les ambitions, mais aussi avec le style non coopératif et le contenu  de la campagne de Ségolène Royal, avec ses dérives droitières et la personnalisation de séduction l'emportant sur l'argumentation.
En même temps, la division avec les formations de la gauche de la gauche s'est affirmée, sans que soient trouvées de la part de ces dernières des modalités de critique du PS rendant néanmoins crédible la possibilité d'une autre construction plus vaste et efficace. A la droite du PS, la montée d'un centrisme dit ni droite ni gauche, a pu contribuer à stériliser une partie des forces de rejet de la domination d'une UMP encore droitisée. Tandis que les appels de Ségolène Royal à ce centrisme ont encore pu brouiller son image et son message. Sa thématique de démocratie participative s'est diluée dans des débats sans portée décisionnelle.
À la gauche du PS, la grande illusion, longtemps entretenue, sur un rassemblement appuyé sur les «comités anti-libéraux», entre  le PC, les tout petits groupes de gauche radicale, la LCR et des éléments de la gauche socialiste, sur son unité et sur sa force électorale,  a accru au contraire les désillusions et les déchirements suite aux chocs des différences profondes de fond, des méfiances vis-à-vis du PCF et des ambitions personnelles.
Et les résultats ont confirmé la faiblesse de l'audience effective des divers candidats  se réclamant de l'anti-libéralisme et de leurs élaborations de sommet, coupées des mobilisations dans les actions sur le terrain.
Les appels à l'intervention directe des citoyens  ne se sont pas traduits par des propositions  concrètes et des initiatives  de luttes novatrices suffisamment soutenues.

Le fond de l'idéologie et des propositions
Ce qui est le plus remarquable, ce sont sans doute les insuffisances fondamentales de mise en avant des propositions sociales, répondant aux aspirations populaires ainsi que des syndicats de salariés et des associations, accompagnées des moyens financiers et politiques alternatifs crédibles d'une construction  de transformation  hardie à gauche.
Au contraire, la reprise par Ségolène Royal de certaines thématiques de droite comme sur la sécurité et l'ordre moral, sur la dette, ou sur les profits des entreprises et la baisse de leurs charges sociales, a pu contribuer à conforter le vote pour la droite elle-même.
La candidate du PS s'est positionnée  largement  sur ces thèmes de droite, au détriment de la mise en avant des propositions sociales les plus novatrices à gauche, comme sur l'emploi et la formation pour chacun avec la sécurité sociale professionnelle.
Cette question était fortement  posée au tout début de la campagne électorale, depuis sa revendication par le PS jusqu'à sa reprise par Borloo et Sarkozy et à la convergence de tous les syndicats sur la sécurisation des parcours professionnels. Mais, elle a de plus en plus reculé dans la campagne de la candidate socialiste, jusqu'à sonabsence dans sa bouche dans le duel télévisé du deuxième tour alors que Sarkozy l'y a quant à lui évoquée ! De même, cette candidate n'a pas mené de façon systématique la bataille sur tous les salaires ni sur les valeurs d'égalité et de justice sociale, et pas du tout sur le soutien d'un autre crédit  des banques, à l'opposé de la domination des marchés financiers, y compris une autre action de la BCE, pouvant crédibiliser des propositions sociales hardies.
On comprend  dans ces conditions que Ségolène Royal, créditée de 55 % dans les sondages du début, après les mobilisations sociales victorieuses contre le CPE, ait reculé à 47 % au vote final.
Mais il faut aussi souligner que la CGT et les autres syndicats n'ont pas non plus fortement mené la campagne sur les exigences de la sécurité sociale professionnelle. Et du côté du PCF, alors  que des assises  régionales pour élaborer une loi de sécurisation de l'emploi et de la formation y avaient été décidées et ont été organisées, la direction nationale et beaucoup dans les directions fédérales les ont largement négligées, pour ne pas dire boycottées en fait, en sous-estimant grave ment leur potentiel mobilisateur.
Enfin, de ce côté, comme de celui des autres candidatures se voulant antilibérales, la question cruciale de l'articulation, aux objectifs de sécurisation et de promotion de l'emploi, de l'incitation à un autre crédit des banques, d'autres utilisations des fonds publics, à de nouveaux pouvoirs des travailleurs  dans les entreprises, le service public de l'emploi et les localités, n'a pas été mise systématiquement  en avant.

Les bases sociales et de la majorité  salariale
Dans les campagnes des diverses composantes  de la gauche, on peut noter au moins trois faiblesses.
C'est d'abord l'insuffisance des efforts pour organiser et démontrer les solidarités salariales et la force de leur majorité mobilisable contre la domination du capital financier, avec au contraire, les hésitations ou les incohérences entre les références aux couches populaires, précaires, discriminées, comme dans les banlieues et celles aux couches salariées mieux installées dans la société. C'est ensuite, au sujet des salaires, les diverses propositions d'élévation du SMIC, mais, sans la crédibilisation des moyens (comme avec les baisses de charges financières pour les PME) et surtout sans l'insistance sur le relèvement de l'ensemble des salaires à partir du SMIC, à l'opposé de la proposition de gagner plus, en travaillant plus, pour tous les salariés en emploi, martelée par Sarkozy. Enfin, au lieu de contrer le ralliement d'une partie importante des salariés aux forces dominantes des entreprises, l'accent n'a pas été mis à gauche sur la convergence possible des oppositions des différentes catégories de salariés et des alternatives communes pour leur promotion, contre la domination du capital financier, avec la liaison de la croissance de l'économie réelle et notamment des PME, aux emplois qualifiés, à la formation des salariés et à l'expansion des services publics.

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