Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Où va le Parti socialiste?

Les législatives ont écarté, pour le PS, un scénario catastrophe qui pouvait faire suite aux Présidentielles. Mais le sursaut du 2ème tour n’écarte  pas le besoin, pour le PS comme pour l’ensemble de la gauche, d’une remise à plat dont la nécessité est affirmée  de tous côtés : où en est le PS ? Où va le PS ? Voici deux questions qui touchent à la fois les orientations fondamentales, les stratégies et leur mise en œuvre… donc la direction et la conception même du Parti. Ségolène Royal ne fait pas mystère de son intention  de se lancer à l’assaut du leadership du PS en s’appuyant  sur son score de 17 millions de voix au second tour des présidentielles.  Ella confirme  qu’elle sera «candidate au poste de 1er secrétaire» si «son projet de rénovation est majoritaire».

Il y a nécessité, pour bien apprécier  ces données, de prendre en compte ce qui s’est produit avec la candidature de Ségolène Royal et de faire le point sur les débats et lesoptions qui s’affrontent au sein du Parti Socialiste.
Il n’est pas sans intérêt pour la réflexion de revenir sur les enquêtes d’opinion qui ont fleuri tout au long des campagnes électorales. Au-delà de leur instrumentalisation, elles contiennent des indications  intéressantes. C’est le cas en particulier du baromètre BVA/BFM/ des Echos qui permet de suivre les évolutions d’octobre 2006 à avril 2007. Une donnée forte s’en dégage : rien n’était joué au départ… la gauche et Ségolène Royal étaient en tête jusqu’en décembre 2006 et l’on peut voir comment s’est effectué le retournement d’une majorité potentielle à gauche au fil des semaines du 1er trimestre 2007.

Pourquoi Ségone Royal n’a pas gagné les Présidentielles

Le document de synthèse BVA/RFM distingue  plusieurs périodes :

Jusqu’en novembre 2006 tout sourit à Ségolène Royal dans le débat interne au PS même  sur le terrain de l’économie, à l’égard de D. Strauss Kahn ou sur l’Europe, à l’égard de L. Fabius. L’émergence de la candidature de S. Royal répondait aux déceptions antérieures des électeurs et des militants ; elle portait l’espoir d’un renouveau face aux «éléphants». Elle exprimait les «désirs d’avenir» dépassant les débats internes du PS auxquels les gens ne comprenaient rien. Elle apparaît comme une candidate «libre» proche des émotions, des envies.

En décembre-janvier les rapports  commencent à changer : Royal domine Sarkozy sur les enjeux sociaux mais elle commence à être dominée par Sarkozy sur les enjeux économiques. C’est sur les questions de fond c’est à dire les moyens d’une autre politique économique que s’opèrent ces premières évolutions. Alors que Sarkozy entame l’infléchissement de sa «rupture» brutale en une rupture «plus tranquille» et «plus humaine», S. Royal donne le sentiment de flou, de contradictions. Ceci dans un contexte où, dans l’opinion, le souhaitable et le possible s’affrontent. L’ampleur même des questions de l’emploi,  des salaires… pèse dans le sens de la recherche de réponses précises.

En janvier-mars Ségolène Royal déçoit peu à peu les sympathisants de gauche et les catégories populaires. Même sur les questions sociales Sarkozy tend à s’imposer car la «compétence» économique  paraît la condition pour tenir les promesses sociales. Le recours au thème du vote utile ne permet pas de compenser : Ségolène Royal récupère sur l’électorat  des différentes gauches mais perd systématiquement du terrain notamment auprès des ouvriers.

En avril Sarkozy accentue son avance non seulement sur le plan économique mais aussi social. C’est le noyau dur de l’électorat populaire qui est atteint. Seulement  61 % des sympathisants de la gauche juge Ségolène Royal plus crédible que Sarkozy. Le «Pacte Présidentiel»  n’a pas été jugé comme suffisant pour dégager les moyens financiers et démocratiques d’un changement souhaitable. Ségolène Royal a voulu prendre  en compte l’exigence du changement…. Elle a même pris ses distances avec des aspects des politiques menées par les gouvernements socialistes comme à l’égard des dirigeants actuels du PS. Elle a fait cette prise en compte à partir de ses conceptions : cela se traduit par «sécurisation sociale», «démocratie participative» , «jury populaire»…
Mais les exigences de changement nécessitent plus que du «donnant-donnant». Répondre aux besoins de changement nécessite de s’engager dans une autre voie avec les moyens réels financiers et démocratiques. Les réponses aux attentes des français(e)s ne peuvent en rester à «l’image» donnant le sentiment d’improvisation, d’incapacité à rendre possible le souhaitable. «La société juste» ne pouvait répondre de façon offensive au triptyque sarkozien «travail-autorité-mérite».
Cela n’avait pas un poids suffisant pour faire face à la démagogie d’une droite décomplexée. D’autant que la candidature socialiste s’inscrivait dans le droit fil de la présidentialisation amorcée par François Mitterrand et amplifiée par Lionel Jospin. Tout cela explique  qu’un espace se soit ouvert pour Bayrou ; le désastre d’une élimination au 1er tour n’a pu être évité que par une certaine fidélité politique de l’électorat de gauche qui a voté plus par antisarkozysme que par conviction profonde. Cette situation a pesé très lourdement sur le rassemblement de voix communistes et progressistes sur Marie-George Buffet.

Le PS face aux enjeux

Pourtant, il n’y avait pas de fatalité à une victoire de Sarkozy et de la droite. Pour l’expliquer,  certains avancent l’idée d’une «droitisation» de la société sous les effets de la domination d’un capitalisme financiarisé et mondialisé ; certes cette domination est réelle mais elle n’a pas des conséquences unilatérales : elle imprime ses marques à la société tout en suscitant des contradictions  et des phénomènes de rejet. La France n’est pas une pâte molle qui se coule facilement dans le moule d’une «révolution  conservatrice». Le vote majoritaire pour le «non» au référendum, la victoire contre le CPE en sont les témoignages de la persistance de traditions populaires, progressistes traversées par les conflits de classe. C’est sur le terrain  des idées que Sarkozy a gagné en surfant sur les profondes évolutions imprimées à la société par la domination du capitalisme d’aujourd’hui. Mais en rester à ce constat serait terriblement réducteur et nous priverait de penser l’avenir.

Le résultat des présidentielles et des législatives tient dans le même temps aux faiblesses de la gauche. Cela interroge toutes les forces sociales et politiques de progrès et leur font une ardente obligation de prendre à bras le corps les défis de notre temps.

Le Parti Socialiste s’engage t-il pour  sa part dans cette démarche  ?

On peut en douter ! On peut en douter en regard des dernières décennies où le PS n’a pas voulu ou pu tirer les leçons de ses insuccès et échecs successifs : insuccès de la décennie 80 avec le tournant vers le social libéralisme de 83, échec des cinq années de Jospin. Mais cette fois ci peut-il faire l’économie des questions de fond aux risques d’aller dans les impasses du centrisme ou même d’une scission  ? Le choc est rude ; sur tous les plans les choix s’imposent. Cela explique  à la fois la vigueur des affrontements internes et les difficultés à ouvrir un débat qui ne mette pas en cause les équilibres  internes. Au fond de ces choix et de ces affrontements il y a le constat que la matrice politique d’Epinay a fait son temps : le problème n’est plus de passer devant le PCF tout en s’assurant de son soutien pour accéder au pouvoir. D’autant que le concept même de social démocratie n’est plus capable d’apporter des réponses. Le bilan des gouvernements socialistes depuis 1983 le confirme : la relance Keynésienne s’avérant impossible ce sont les marchés financiers et les orientations  libérales qui ont dicté les grands choix politiques(1).

Dans les conditions d’aujourd’hui, après trois défaites électorales majeures, deux tentations s’expriment fortement : y a-t-il possibilité de «refonder  la gauche» autour d’un PS hégémonique, destructeur ou subordinateur des autres forces de gauche ou faut-il recentrer sur une nouvelle alliance avec le centre comme cela est le cas sous des formes différentes en Italie et en Allemagne.
Mais cela ne peut aller de soi facilement car une série de données dans la situation  pèse pour exiger d’autres voies. Cela la conduit à structurer les débats, les oppositions internes autour de plusieurs pôles qui reprennent, dans les conditions françaises, les grandes questions qui traversent les forces de gauche à l’échelle de l’Europe et au-delà.

Ségolène Royal semble intéressée par un schéma proche du scénario italien. Elle pense être en capacité de porter autour d’elle une force démocrate apte à rassembler la gauche, le centre gauche, la tendance libérale-libertaire des écologistes.. et même des communistes.  Cela met en cause le PS en tant que tel et cela explique ses approches envers le MODEM. «On va peut-être demain vers des convergences nouvelles». at-elle déclaré sans ambages.
Mais la mise en œuvre d’un tel schéma est difficile : Ségolène Royal sait d’expérience que l’opposition gauche-droite est plus vivace en France qu’en Italie. Les résultats électoraux prouvent que le MODEM a du plomb  dans l’aile. En s’avançant dans cette voie, Ségolène Royal va t-elle réussir –ce qui suppose la réorientation du PS sous  sa direction ou va t-elle s’essouffler ? Ségolène Royal joue l’opinion contre l’appareil et les «éléphants». «La stratégie de Ségolène Royal c’est de percuter le Parti de l’extérieur» dit fort justement le député socialiste européen Benoît Hamon. Pour cela elle réactive ses réseaux, elle prend appui sur la Région qu’elle préside comme base et tremplin, elle sait les échos qu’elle peut rencontrer dans l’ouest  de la France où la «vague rose» s’est fortement identifiée  à sa candidature. La réalisation de ses objectifs exige la rapidité dans leur exécution… sinon elle échouera. La question du calendrier, la relance d’une campagne pour recruter les nouveaux adhérents sont donc essentielles et son thème central est de sortir le PS de l’immobilisme.  Pour cela elle n’hésite pas à porter la critique sur des mesures du projet socialiste qu’elle avait pourtant repris dans son pacte présidentiel, le SMIC et les 35 heures(2).

Strauss Kahn et ses amis sont plus directement dans une démarche d’inspiration blairiste(3). Ils préconisent une rupture avec les lignes politiques antérieures du PS. La lutte de classe est devenue «caduque», la défense des acquis «condamne la gauche». D. Strauss Kahn propose «une nécessaire adaptation de notre modèle social aux défis de la mondialisation». C’est donc une «nouvelle frontière» qu’il veut construire à gauche qui n’est ni le mitterrandisme, ni le rocardisme mais un compromis social. Ce sont les bases politiques qui permettent à Sarkozy de proposer de nouvelles donnes politiques bousculant le PS avec ses «ouvertures» à l’égard de leaders comme Vedrine, Lang et Strauss Kahn. Les options politiques de Strauss Kahn prennent appui sur le courant idéologique de la troisième voie post égalitaire qui considère que les profondes mutations d’un nouveau capitalisme effaçant les frontières appelant régulation, compromis… sont la base de nouvelles formes de gouvernance des entreprises, de la société, du monde. Strauss Khan et ses amis refusent de voir que, si les évolutions profondes modifient certes les données, les antagonismes que génèrent les nouveaux développements du capitalisme financiarisé et mondialisé ne sont pas moins fortes que par le passé. Les nécessités de l’émancipation contre les dominations ne sont pas moindres, au contraire elles s’approfondissent, s’élargissent, traversant les individus, les sociétés, l’humanité toute entière. Les effets pervers ne peuvent se corriger à la marge par de simples mesures de redistribution adaptant un «Etat social actif» au cours libéral de la mondialisation. La réponse ne peut se situer que dans de nouvelles formes de partage des savoirs, des pouvoirs, des recherches : P. Boccara, dans ses analyses du nouveau capitalisme, des nouveaux rapports  de classes, donne les pistes de terrains nouveaux où des potentiels de rapprochement, de convergence, de rassemblement peuvent prendre toute leur dimension politique pour une vraie rupture.

S’il y a besoin «d’une nouvelle frontière» c’est entre les dominations du nouveau capitalisme et les potentiels de convergence des forces sociales, culturelles et humaines.

D’autres courants s’expriment de façon diversifiée. Certains veulent prolonger la démarche des Assises du Socialisme de 1974 pour un réformisme refusant le social libéralisme, prenant acte de la vigueur du clivage droite-gauche et dans ce cadre, maintenir le dialogue entre diverses composantes de la gauche. Par exemple Fabius veut en faire plus à gauche. Mais suffit-il de faire plus sur le social pour assurer la réussite d’une politique à gauche  ? Certes,  la bataille contre la TVA sociale a largement contribué  au sursaut du 2ème tour aux législatives mais cela ne peut suffire : dans sa critique de Ségolène Royal, Fabius le dit lui-même «on ne gagne pas(…) en demandant à chacun ce qu’il veut mais en proposant une vision, un dessein de faire progresser la France tout en convaincant qu’on est soi-même capable de les conduire» certainement, il faut «proposer des réponses aux grandes questions du Monde, de l’Europe, de la France».  C’est bien là la question  !

D’autres regardent vers le schéma allemand avec la création du DIE-LINKE rassemblant une gauche radicale et constructive. C’est un scénario conduisant à la scission du PS. Pour Jean-Luc Mélenchon,  c’est une des issues possibles de la crise de la gauche en France (voir l’interview de J.-L Mélenchon dans l’Humanité du 14 juin 2007 : «J’ai la conviction que nous pouvons y trouver une source d’inspiration pour notre propre travail de construction politique en France».
Il convient donc d’en observer avec intérêt et attention l’évolution, notamment sur l’affirmation de l’identité du nouveau parti issu du Congrès de Berlin : social démocrate de gauche, socialiste ou plus radicale ? La réponse de Lothar Bisky, le coprésident de DIE-LINKE est nette « ce qui s’imposera c’est la référence au socialisme démocratique». Une telle affirmation identitaire est à prendre en compte pour que le débat politique bouge en France comme en Europe.Ce n’est évidemment pas le sens dans lequel François Hollande veut aller. S’appuyant sur le sursaut électoral des législatives, le premier secrétaire du PS veut, autour d’une recomposition politique de la gauche, créer les conditions d’une ouverture au centre. Cette démarche, François Hollande l’avait déjà annoncée après la présidentielle «fédérer en une seule force l’ensemble de la gauche –un grand parti qui irait de la gauche au centre et régler une fois pour toute la question du rapport avec les électeurs du centre». Le PS doit être la «pièce maîtresse» du rassemblement à gauche et «s’adresser directement aux électeurs progressistes plutôt qu’aux états-majors du MODEM et encore moins du Nouveau Centre». La tentation de regarder vers le centre reste forte d’autant qu’elle est relayée chez les Verts. Pourtant les expériences passées comme les élections de 2007 prouvent que c’est une voie dangereuse : comment peut on penser qu’elle puisse ouvrir des horizons fructueux pour la gauche ?

Dans ce contexte la tribune publiée dans Le Monde du 5 juillet signée par différents dirigeants socialistes certains proches soit de Hollande, soit de Jospin doit retenir l’attention. Plaidant pour une «refondation» du PS sur  un projet «résolument à gauche» les signataires estiment qu’il convient de «proposer un projet de société alternatif crédible et ambitieux». La démarche  se fait sur un réformisme assumé et ancré à gauche et réfute à la fois les lignes politiques soutenues par Strauss Kahn et Ségolène Royal.
C’est la recherche d’un «nouvel Epinay» dans les conditions des enjeux d’aujourd’hui. Cette recherche pour aboutir doit en effet être à la hauteur du défi historique mais ce défi ne pose t-il pas de façon incontournable  le dépassement du réformisme par la transformation sociale ?

Différentes évolutions sont donc possibles. Ce qui est certain, c’est que la reconstruction de la gauche ne peut être efficace que sur des orientations répondant aux aspirations sociales et aux nouveaux enjeux. Elle ne peut être une version modernisée du libéralisme. Elle a besoin de convergence d’idées, d’objectifs partant des réalités et contestant les dominations quelles qu’elles soient ? Ni une édulcoration des nécessités des transformations  nécessaires, ni un isolement qui signifieraient incapacité à changer réellement. Ni tentation centriste, ni incantation radicale. Aucune force de gauche ne peut faire l’économie de ces questionnements, de ces débats.

C’est vrai pour tous et chacun. Le Parti Socialiste ne peut l’ignorer ■

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(1) Lionel Jospin a même affiché l’impuissance et le fatalisme économique théorisant sur l’idée que «le temps de l’économie administrée était terminé» et privatisant le Crédit Lyonnais, ouvrant au capital entreprises et secteurs publics ; l’agenda de Lisbonne (2000) et les accords de Barcelone (2002) consacrant cette orientation sur de grandes questions sociétales.

(2) «Le SMIC à 1500 euros brut dans 5 ans, qui est une idée phare de Laurent Fabius, ou la généralisation des 35 H, sont deux idées qui étaient dans le projet des socialistes, que j’ai du reprendre dans mon pacte présidentiel et qui n’ont pas du tout été crédibles» : Ségolène Royal émission du mercredi 20 juin LCP, Le Monde, France Info.

(3) C’est dès 1997 que le New labour décréta la fin de la lutte de classe et reformula la question sociale en termes moraux.

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