Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Universités : les pièges de l’« autonomie à la Sarkozy»

Pour une réforme progressiste de l’Université élaborée à partir des luttes et des propositions des acteurs

Le projet de loi dit "autonomie renforcée", avec des remaniements superficiels, vient d’être rebaptisé "liberté des universités".
À l’heure  où cet article est rédigé, le projet s’apprête à passer devan
t le parlement en plein été. Les premières réactions montrent qu’une mobilisation est peut-être en train de se dessiner. En témoignent les prises de positions du SNESUP(1) et d’autres syndicats de la FSU (SNCS, SNASUB, SNEP), appelant à faire barrage à cette loi en lui opposant des contre-propositions.  Idem pour la FERC(2) et le SNTRS-CGT. Des textes commencent  à circuler,  à l’initiative  de collectifs transversaux comme «Sauvons la recherche»(3) ou d’associations disciplinaires(4) .

Le nouveau gouvernement veut ici engager une réforme emblématique de ses conceptions de fond. Il est donc nécessaire, face à cela, d’intervenir sur les choix de société qui s’opposent : formation élitiste, du plus fort dans une société de la concurrence généralisée, ou élévation de la formation  de masse dans le cadre d’une mission de service public qui régule le système  ? Recherche  publique privatisée pour la rentabilité des capitaux ou recherche partagée pour la créativité de chacune et chacun, pour de nouvelles coopérations avec l’industrie  et les services ?
Et dans ce contexte estival commençons par informer et expliquer, pour préparer le terrain politique du débat qui va rebondir en septembre.

L«autonomie» de Sarkozy, c’est la concurrence

La phraséologie libérale du projet de loi, vise au nom de l’«autonomie» à s’attaquer à la mission de service public, au cadre commun de l’enseignement supérieur et de la recherche qui existe dans notre pays.
L’esprit de la loi, c’est de créer les conditions pour que les universités soient obligées de se faire concurrence, de rentrer dans la course sans fin à la rentabilité à court terme, au détriment de l’investissement public à long terme nécessaire pour la recherche et pour garantir dans tous les établissements une qualité de l’enseignement supérieur et de la formation à la recherche.
Ce qui ne veut pas dire que le statu quo soit souhaitable : la crise profonde de l’université appelle des transformations, mais dans un sens contraire  à celui du projet de loi.

L’«autonomie» de Sarkozy, c’est le moyen de casser la mission de service public et les instances démocratiques locales !

Il faut d’abord rappeler aux non-initiés que les universités sont actuellement dotées d’instances élues qui conduisent la politique locale en matière de recherche, d’études, d’orientation générale de chaque université et de chaque unité de formation et de recherche. Il y a beaucoup à faire pour rendre ces instances plus démocratiques, moins délégataires, pour qu’elles puissent conduire des missions de service public en fonction des contextes locaux.

Mais le projet de loi propose de faire exactement le contraire ! Toutes ces instances élues verraient leur effectif et leur pouvoir réduits (certaines d’entre elles ne seraient plus que consultatives), au profit d’un pouvoir accru du président de chaque Université, promu en chef d’entreprise.

La représentation  des enseignants, IATOSS(5)  et étudiants serait réduite en proportion et celle des «personnalités extérieures» augmentées : chefs d’entreprises intéressés par le pilotage de la recherche au profit de leurs intérêts privés, élus locaux mis dans une situation de se substituer financièrement à l’État, alors qu’elles n’ont pas toutes les mêmes richesse.

La situation actuelle, qui souffre assez souvent de petits arrangements locaux, est très loin d’être idéale, mais le projet de loi ne peut ainsi que l’aggraver.

À l’heure actuelle, les enseignants-chercheurs sont recrutés par des instances élues qui, malgré leurs dysfonctionnements, restent cadrées par les logiques scientifiques propres à chaque discipline.  Chacun est jugé par ses pairs, d’une manière qui, sans être parfaite, reste, plus que dans le reste de la société, à l’écart des pressions économiques. C’est une bataille pour la démocratie, le progrès social, le rôle de l’enseignement supérieur et de la recherche pour la société, et pas seulement technique, qui s’engage. Car le président aurait avec ce projet de loi un rôle prépondérant dans les orientations de la recherche, dans les recrutements de personnels, comme dans la distribution des primes, donc ce qui ne peut qu’exacerber les chantages économiques, les logiques de clientélisme et l’opacité des choix de recrutement.

L’«autonomie» de Sarkozy, c’est une attaque contre les statuts, donc contre les missions

Avec cette loi, fini le cadre national des statuts de la fonction publique(6).
Le président, selon le projet, pourrait recruter encore davantage de contractuels (y compris parmi les étudiants ainsi «tenus» et soumis) en lieu et place de personnels compétents pour assurer des missions qui font fonctionner le service public, notamment administratives et techniques. Ces changements  de statuts, pour désengager les financements de l’Etat, mettent en péril le bon fonctionnement de nos établissements, déjà étranglés financièrement.

Les obligations de service communes à tous les enseignantschercheurs, garanties par un statut national, seraient supprimées. Le président de chaque université aurait pouvoir de «dispenser» certains  enseignants de cours pour qu’ils se consacrent aux recherches «rentables», tandis que les autres devraient assurer plus de cours. Les enseignants-chercheurs sont déjà tiraillés entre leur mi-temps d’enseignement, leur mitemps de recherche, et toutes les tâches administratives qui ne cessent de croître. Le projet de loi sous-tend l’idée qu’enseigner (notamment en Licence) ne peut être qu’une corvée, et qu’il faudrait scinder encore davantage l’enseignement et la recherche. Pourtant, la formation parmi les étudiants d’un vivier de futurs chercheurs au niveau de ce que notre pays et l’humanité ont besoin, cela passe par une formation qui, dès le premier cycle, assure à la fois les «bases» et le lien avec la recherche donc avec des enseignants qui font de la recherche.

Les choix de financement impliquent des conceptions de l’université

Le projet de loi avance à grands pas vers des choix dangereux en matière de recherche. Notons rapidement que la multiplication des contrats précaires est une des logiques profondes, liée à la baisse de financements structurels remplacés quasi exclusivement par des financements sur projets visant uniquement la rentabilisation de la connaissance, loin d’un investissement dans la recherche pour la production  de savoirs au profit de tous.

Tout est mis en place pour que la concurrence se généralise entre Universités, entre laboratoires, entre formations… pour se disputer les petites parts distribuées sur projet, plutôt que de viser l’engagement global dans la recherche des financements publics alimentés par la taxation des profits capitalistes.

Cela a des conséquences sur la qualité de la formation.  Là où les financements seront insuffisants (c’est déjà commencé), pour sauver les postes, les salariés essaient de devenir «concurrentiels», de recruter des étudiants pour augmenter les ressources (frais d’inscription) en dépensant le moins possible. La réforme LMD(7) , selon laquelle les études sont validées non pas à partir d’heures d’enseignements suivies, mais de «crédits» (de points)  permet déjà à certaines universités de commencer à délivrer des bacs + 3 avec moins de deux ans d’études… calcul à court terme qui conduit vers la dégradation de la qualité de la formation.

La logique de fond est celle d’un enseignement supérieur à plusieurs vitesses. Quelques universités au recrutement élitiste (augmentation des frais d’inscription pour couvrir le désengagement de l’État au nom de l’autonomie) et axées vers le doctorat, seraient sponsorisées par les financements privés soit en recherche de rentabilité  à court terme, soit sur des créneaux de recherche dans lesquels les retours sur investissement sont garantis.

D’autres universités accueilleraient la masse en Licence, sans avoir les moyens ni l’objectif de former à la recherche et à l’entrée en Master. Les propos de la ministre d’Etat à la radio début juillet ne trompent pas : les formations doivent être «plus professionnalisantes»  (moins de cours «théoriques», dit-elle) dans le sens où elles doivent moins former les esprits et préparer la rentabilité immédiate des futurs salariés, comme si la formation de capacités de réflexion était contradictoire avec le fait de bien se préparer à l’emploi  !!!

Une telle politique de réduction du nombre d’étudiants formés aux logiques de recherche est suicidaire, à moyen terme, pour la recherche française.

L’UNEF a commencé à se mobiliser contre la sélection à l’entrée en Master. Aspect révélateur de la crainte des luttes : le projet de loi «concède» le maintien d’un premier cycle de Licence massifié. Mais, il déplace la sélection à l’entrée en Master. Celle-ci frappera en premier lieu les universités et filières pauvres dépourvues des moyens d’assurer la formation des étudiants pour qu’ils atteignent le niveau souhaité en Master. Outre son accès en droit, ce sont donc les conditions de la lutte contre l’échec en premier cycle, de la qualité de la formation et de l’initiation à la recherche, qui sont un enjeu politique.

Pour un engagement financier dans la recherche en vue de la rentrée

Les politiques gouvernementales veulent imposer ces réformes en s’appuyant sur l’étranglement financier qui va s’intensifier malgré les déclarations : limitation des dépenses et des emplois publics. Les conditions  d’une bonne rentrée sont indispensables pour que le débat sur l’avenir de l’université puisse se tenir sereinement. Comme le demande le SNESUP : «En reportant à la loi de finances 2008 de nouveaux crédits, le Président de la République fait l’économie de plus d’un an d’engagements budgétaires supplémentaires pour l’enseignement supérieur et la recherche, au mépris de ses promesses de campagne. Il faut soutenir le projet d’un collectif budgétaire de 600 Millions d’euros pour l’année  2007.» Et c’est un chiffre raisonnable quand on sait que 40 milliards d’euros (égal au budget de l’éducation nationale) partent tous les ans dans le seul remboursement des intérêts des emprunts de l’Etat, alors qu’un prêt à taux zéro imposé aux banques permettrait de dégager autant de moyens pour le budget national et en premier lieu pour l'enseignement et la recherche ■

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(1) www.snesup.fr

(2) http://www.ferc-sup.cgt.fr/site/

(3) http://www.sauvonslarecherche.fr

(4) par exemple le texte commun de l’Association Française de Sociologie (AFS), de l’Association des Sociologues Enseignants du Supérieur (ASES), l’Association des Enseignants et Chercheurs en Sciences de l’Education (AECSE) et la Société Française  des  sciences  de  l’Infor mation  et  Communication  (SFSIC)  : http://www.aecse.net/myfile/dcl.commune.doc

(5) Ingénieurs,Administratifs, Techniciens, Ouvriers, personnels de services et de santé

(6)  C’est le retour du «rapport Belloc» qui avait alimenté pour partie le mouvement social dans la recherche en 2000.

(7)  Licence, Master, Doctorat.

 

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