Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Mondialisation et migrations internationales

BONNES FEUILLES.

Ces bonnes feuilles  sont extraites  de l’ouvrage de Jean MAGNIADAS, économiste et syndicaliste  qui sous le titre  Migrations et Mondialisation, paraît aux Editions du Temps des Cerises, dans la Collection « Espère », dirigée par Paul BOCCARA et Catherine MILLS.

 

Mouvantes dans le temps et l’espace, les migrations internationales ne sont pas un phénomène nouveau, mais la mondialisation, la crise systémique du capitalisme leur ont conféré des traits neufs.

Dans nombre de pays, depuis près d’une trentaine d’années des politiques autoritaires de contrôle, décourageantes et répressives ont été mises en oeuvre, tandis que le principe même de l’émigration était l’objet d’affrontements idéologiques et que des campagnes réactionnaires, xénophobes, racistes étaient développées, essentiellement, par les partis de droite et d’extrême-droite, qui, reprenant l’une des plus regrettables de leurs traditions, présentent, aujourd’hui, une fois encore, l’immigration  comme le bouc émissaire responsable de la crise, du chômage de masse et de l’insécurité.

Les migrations répondent essentiellement aux exigences du fonctionnement économique des pays capitalistes, mais sont aussi des conséquences de la répression politique, des conflits ethniques, tout en présentant, du côté des peuples, un aspect positif du point de vue de l’échange des cultures, de la communication des sociétés, et ce, d’autant plus qu’elles sont librement voulues et acceptées.  Ce qui n’est que rarement le cas.

Elles ont, néanmoins contribué au peuplement et à l’essor économique de plusieurs pays.

Les migrations actuelles se réalisent dans les conditions de la crise systémique et de l’état politique et économique du Monde, avec ses fractures,  ses tensions,  ses conflits, ses affrontements idéologiques. Graves déséquilibres  économiques et sociaux vont de pair avec des offensives racistes.

Vieux pays d’immigration, la France n’est pas exemptée de ces maux.

Cet ouvrage ambitionne  d’apporter des éléments d’appréciation et d’analyse pour permettre une meilleure connaissance et compréhension des mouvements de population dans le monde actuel, de leurs causes et perspectives qui tendent, avec les derniers développements des politiques migratoires à occuper une place importante  dans le débat politique.

Ces facteurs  ont influencé, avec beaucoup d’autres, les résultats de l’élection présidentielle de 2002 et on s’accorde à penser qu’ils ont influé les résultats des élections présidentielles du printemps 2007, en permettant à N. Sarkozy d’attirer sur son nom une partie de l’électorat du F.N.

Un problème majeur pour le XXIe  siècle

La migration internationale exerce une fonction de révélateur de l’évolution des sociétés. On peut y suivre les faits majeurs de l’histoire contemporaine, de la géopolitique et des évolutions structurelles de l’économie qui jouent un rôle fondamental dans sa dynamique.

Problème mondial, les flux migratoires concernent, aussi, la France. Tout en donnant une large place aux migrations dans le Monde, en Europe, cela le conduira à réserver des développements à l’émigration en France, à la politique migratoire de ses gouvernements.

Dans la plupart des pays capitalistes développés, on assiste à une évolution négative des politiques d’immigration. Les pays en développement sont exposés au pillage grandissant de leur force de travail. Ces problèmes  concernent notre siècle et vont le marquer profondément.

Telles sont les questions auxquelles cet ouvrage se confronte et d’apporter pour le débat démocratique, un certain nombre de propositions.  De la partie réservée à la France, nous présentons, ci-après, le chapitre consacré à la dure exploitation à laquelle sont soumis les immigrés et que les mesures actuellement en vigueur, initiées par Sarkozy, et celles qui vont résulter de la nouvelle loi soumise au Parlement vont encore aggraver, notamment les « migrations de travail » que le pouvoir en place entend augmenter au détriment  de l’immigration familiale.

Surexploitation des immigrés :

L’immigration est devenue un élément structurel  du fonctionnement du système capitaliste. Il a besoin d’une population d’immigrés gonflant l’armée de réserve, dont le niveau varie en fonction des structures et des perspectives d’évolution de la population de chaque pays. Nous traiterons dans ce chapitre essentiellement de la surexploitation des immigrés en France. Mais les mécanismes en sont aussi à l’œuvre dans les autres pays capitalistes.

Il s’agit, ici, de l’exploitation qui affecte les immigrés salariés, c’est à dire les migrations dites « économiques « , mais il ne faut pas oublier que d’autres catégories de migrants , tels les réfugiés et des étudiants, se retrouvent souvent, parfois après un certain laps de temps, dans le salariat, car ils ont besoin de subvenir à leurs besoins et ne peuvent généralement le faire qu’en vendant leur force de travail , même si ce n’était pas en venant en France leur premier objectif.

L’importance structurelle occupée, en France, par l’immigration dans la force de travail  salariée n’est pas séparable des caractéristiques  de la démographie de la population française, spécialement affectée par les hécatombes des deux guerres mondiales. Elle tient, aussi, à la place longtemps occupée en France, par la petite paysannerie, dont les rythmes de régression alimentant la main d’œuvre de l’industrie et des services en forces de travail, ont été lents, relativement à d’autres pays développés (Angleterre, Allemagne).

L’immigration occupe, ainsi, une place particulière et ancienne dans la reproduction de la population et de la main d’œuvre. Elle est une composante du salariat soumise à des mécanismes d’une exploitation capitaliste plus poussée, à l’exigence imposée à ces salariés de devoir, globalement, produire un taux de plus value généralement supérieur à celui obtenu des nationaux.

On est donc fondé à parler de surexploitation. Celle-ci résulte de la faiblesse de cette main d’œuvre sur le «marché du travail ». Sa vulnérabilité est étroitement liée à son statut infériorisé, à l’absence ou à l’insuffisance de garanties, à des libertés réduites, à des tracasseries administratives,  aux contrôles astreignants, avec menaces d’expulsion, aux difficultés pour acquérir la nationalité française quand elle est demandée.

Tous ces éléments forment système pour entretenir une fragilité typique. Situation d’insécurité et surexploitation font bon ménage. Elle franchit un degré supplémentaire avec les migrants clandestins. Les pays qui connaissent le travail clandestin les utilisent, contrairement à leur prétendue volonté de l’éradiquer, veulent seulement en manipuler le volume.

La soumission au pouvoir politique  et policier, la menace de renvoi, la répression,  les sanctions, la diabolisation, l’angoisse, la peur du lendemain, pèsent constamment sur cette population. Elle est entretenue par les contrôles, les mesures arbitraires  qui sont, aussi, des ingrédients de cette combinaison et le terrain de la collusion, entre l’action de l’État et la gestion de la main d’œuvre par les grandes firmes. Ces intimidations permanentes, objectives et subjectives, à travers notamment les campagnes racistes qui pèsent sur le salariat immigré favorisent, en effet, sa soumission  aux exigences du capital. La crise, les mesures régressives, déjà citées, mises en œuvre ou maintenues par les gouvernements ne vont que les aggraver

Cette place particulière  dans le système de l’exploitation capitaliste n’est assurément pas le seul élément spécifique de la fonction de la main d’œuvre étrangère Il est également visé qu’elle entretienne, par son abondance et sa disponibilité, une concurrence, directe et indirecte sur le prix et les conditions de travail de l’ensemble des forces de travail, même si c’est évidemment la partie de la main d’œuvre « nationale » la moins qualifiée, la plus fragile socialement qui, en premier, en subit l’effet.

Autrement dit, elle tend à entretenir, voire à renforcer, une concurrence sur le marché du travail, favorable aux Employeurs. Elle domine dans la course pour l’emploi qui tend à opposer les « nationaux », eux-mêmes,  déjà  rivaux entre eux, et les étrangers, dans une compétition qui peut impliquer diverses nationalités et différentes générations d’immigrés.

La main d’œuvre étrangère est recherchée par les capitalistes en tant que force de travail «surexploitable» permettant une augmentation de la plus value à la fois en occupant des emplois, essentiellement non-qualifiés, en permettant dans les phases hautes de la conjoncture ou dans certaines circonstances de répondre  aux besoins de main d’œuvre exigés, de façon plus ou moins durable, par le niveau de l’activité. Elle est soumise à des salaires , souvent inférieurs à ceux de la main d’œuvre nationale et à d’autres discriminations. Une discrimination majeure consiste à exclure les étrangers non ressortissants de l’Union Européenne de la plupart des postes de la fonction publique et de l’exercice de certaines professions libérales (avocats, titulaires de bureaux de tabac, courtiers en assurances, guides interprètes). Au total, environ 7 millions de postes : 1/3 des emplois sont soumis à une condition de nationalité.

L’agriculture recourre à l’immigration, notamment pour certains travaux saisonniers, l’industrie l’emploiera également pour faire face à des pointes saisonnières ou conjoncturelles, sans oublier l’emploi  grandissant des femmes immigrées dans les emplois de services subalternes (gens de maison, concierges, etc.)

On l’utilisera également à des postes de travail dangereux, insalubres en lui imposant des durées et des cadences de travail épuisantes, refusées quand ils le peuvent par les «nationaux». Dans les années 1970, on a pu dire des immigrés « qu’ils étaient devenus les soutiers de l’Europe ».

De l’expérience des effets néfastes des divisions, malgré les incompréhensions, les préjugés, naîtront progressivement des réactions d’une solidarité des salariés, certes toujours en construction, mais qui a démontré dans nombre de conflits toute sa capacité à lutter contre l’exploitation des Français et étrangers, à améliorer leur statut. Situation qui fait apparaître aussi les responsabilités des organisations qui se réclament du mouvement ouvrier.

La répartition des «actifs étrangers» (qu’ils soient occupés ou non) au dernier recensement, n’est pas isolable de leur surexploitation. Si elle a suivi le mouvement d’ensemble des structures de la population active, les étrangers demeurent numériquement plus fortement présents parmi les ouvriers que les français, plus faiblement dans les autres catégories du salariat. Ils sont fortement employés dans la construction et ont effectué une pénétration dans le commerce et dans certains  services. Ce que montrent les deux tableaux, ci-après :

Répartition des Français et Etrangers selon les catégories socioprofessionnelles* en %.

Catégories socioprofessionnelles

FRANÇAIS
en  %

 

ÉTRANGERS
en %

 

Ouvriers 25,8 47,5
Employés 30,1 26,0
Professions intermédiaires 22,8 11,1
Cadres 12,4 7,9
 Autres 1,9 7,5
           TOTAL 100 100
Effectifs (en milliers) 24 575 1 526

*Source : INSEE – Recensement (1/20).

Répartition des Français et des Étrangers par secteurs d’activités économiques* en %

  FRANÇAIS en %

ÉTRANGERS en %

Agriculture et Pêche 4,1 3,3
Industrie 18, 3 18,0
Construction 5,4 14,6
Commerces, services 72,2 64,1
TOTAL 100 100
Effectifs (en milliers) 21 854 1 200

*Source : INSEE – Recensement (1/20).

Le recours à cette population  permet de faire l’économie des « coûts initiaux » pour élever les enfants ; Il en est attendu aussi, une procréation plus forte, moins coûteuse, permettant de compenser les déficits démographiques et leurs répercussions sur le volume de la force de travail disponible.

Les étrangers subissent plus durement encore que les Français le chômage. Celui-ci frappe plus fortement les femmes que les hommes et davantage encore les étrangers qui n’appartiennent pas à l’Union Européenne, que ceux dont les pays n’en font pas partie. Cf. Tableau, ci après :

Taux de chômage (au sens du B.I.T.) des Français et des Étrangers, par sexe en 1999*

Nationalité Hommes Femmes Deux sexes
Français 10,2 14,3 12,1
Ensemble des Étrangers 21,9 28,6 24,2
Ressortissants de l’U.E 10,5 13,3 11,7
Étrangers hors U.E 28,6 39,7 32,4
TOTAL 11,0 15,0 12,8

*Source : INSEE – Recensement (1/20).

S’agissant des taux de chômage, l’introduction de la variable « âge » ferait ressortir des taux plus élevés pour les étrangers les plus jeunes.

Sur les 3,4 millions de personnes qui se sont déclarées au chômage en mars 1999, 383 000 sont de nationalité étrangère, représentant plus de 11 % des travailleurs  à la recherche d’une activité.

Les causes fondamentales du chômage des étrangers ne sont pas différentes de celles qui frappent les français. Mais, il est avéré qu’ils subissent en matière d’embauche des discriminations plus fortes et qu’ils sont, souvent, plus massivement exposés aux restructurations de l’appareil de production capitaliste et aux licenciements.

La surexploitation des immigrés  se manifeste également au niveau des salaires bien que les différences de salaires entre français et immigrés soient peu étudiées et les données statistiques très insuffisantes.

En 2002, le salaire net mensuel moyen des immigrés s’élevait à 1 300 euros, contre 1 500 euros pour les non-immigrés (-13,4 %). Les immigrés sont deux fois plus nombreux parmi les 10 % des salariés les moins payés que parmi les 10 % les mieux  payés (10,3 % contre 5, 7 %).

Ils sont les plus nombreux à être rémunérés au SMIC. On ne connaît pas vraiment les rémunérations des travailleurs « sans papiers », mais  on sait qu’ils sont particulièrement surexploités.  De plus, on ne peut comparer les durées du travail des immigrés, dont on sait que dans certains types d’activités et d’entreprises, s’agissant des immigrés, qu’elles sont arbitrairement imposées par l’employeur quand il n’y a pas d’organisations syndicales.

Ils ne bénéficient qu’incomplètement de la protection sociale. La part des prestations sociales dans le revenu disponible des ménages est de 36 % quand ils sont ceux de ménages immigrés contre 26 % quand il s’agit de ménages non immigrés. Cette différence est abusivement exploitée par la propagande anti-immigrés, masquant délibérément  que c’est la situation sociale et familiale des immigrés qui l’explique.

Le revenu disponible des ménages immigrés, c'est-à-dire après redistribution, est inférieur de 20 % à celui  des ménages non-immigrés. Ce chiffre ne tient pas compte de la taille de la famille.  Si on se réfère au revenu disponible par unité de consommation, selon l’échelle de l’INSEE, le niveau de vie des immigrés est inférieur de 26 %.

Difficile aussi est la situation des immigrés -retraités qui n’ont que de très faibles pensions, du fait qu’ils n’ont connu que des bas salaires et, souvent, ils n’étaient pas déclarés par les employeurs à la Sécurité Sociale et aux régimes complémentaires.

L’exploitation  des immigrés, la concurrence entre les forces de travail d’origines différentes trouve un auxiliaire idéologique de poids dans le racisme et s’accompagne d’autres discriminations.

Les discriminations subies par les immigrés ne concernent pas uniquement l’espace du travail et de l’entreprise. On les trouve aussi dans les territoires à travers notamment  le logement et l’école.

On ne peut pas dire pour autant qu’elles sont sans rapports avec le travail, notamment par l’effet du faible pouvoir d’achat de la plus grande partie des immigrés

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