Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le Contrat de partenariat : nouveau mode de gestion privée des besoins publics

Malgré un bilan mitigé, les Contrats de partenariat (CDP) bénéficient d’une forte impulsion politique. Leur contexte juridique et procédural, comme leur périmètre, ont été desserrés. Face à « une double contrainte de tension sur les finances publiques et de besoins d’investissements critiques dans des secteurs clés » (1), il s’agit de forcer l’intervention privée dans la gestion de secteurs publics dont les marchés présentent de forts potentiels de croissance pour les opérateurs. « Le recours au partenariat public-privé (PPP) doit devenir la règle » (2), en dépit des risques qu’il emporte.

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Un cadre on ne peut plus attractif !

Les PPP ont été promus « comme outil essentiel du développement économique de l’Union européenne » dans le cadre de son « Initiative pour la croissance » (3). Les besoins en financement de grands réseaux de transports et infrastructures environnementales (eau, assainissement, déchets) y furent évalués à 1 200 milliards d’euros ! Ce cadre a été privilégié pour équiper rapidement une Europe élargie, « comme les États et les collectivités locales n’ont pas de ressources publiques suffisantes pour financer leurs ambitions », selon José-Manuel Barroso.

En France, le recours au CDP (4) est aussi avancé dans une situation où les difficultés de financement d’infrastructures et d’équipements jugés indispensables à l’aménagement, aux besoins sociaux et aux impératifs environnementaux, sont criantes. Comment affirmer le rôle d’un État désargenté face aux retards, aux besoins à satisfaire et à anticiper ? « Faire en sorte que des projets qui correspondent à des besoins réels ne tardent pas à être mis en œuvre et soient conduits en pleine responsabilité par des acteurs privés » (5) ! L’impulsion politique est ciblée sur des secteurs « l’état d’urgence » est autoproclamé.

Une loi dédiée en juillet 2006 facilite le recours au CDP (6), pour en faire un instrument de droit commun et non plus un outil d’exception. Ce basculement élargit les conditions et les champs d’application du CDP par un affranchissement de son régime juridique et fiscal. « Forme la plus aboutie des PPP » (7), le CDP s’en distingue pour devenir une alternative au code des marchés publics.

Dispositif essentiel pour accomplir la Réforme de l’État, les CDP sont appelés à s’étendre. La couverture de l’essentiel des infrastructures de service public est d’autant plus envisagée que la « crise » des finances publiques permet un recours plus systématique, voire obligé (cf. le Plan de relance).

Une émancipation des règles des marchés publics

Les circonstances contribuent à la structuration d’un nouveau marché. Le CDP s’avère un outil d’investissements privés sur des infrastructures d’utilité publique dans des domaines captifs, la profitabilité (8) sur le long terme s’apparente à une rente. Les majors du BTP s’organisent en conséquence. Ils s’acoquinent avec des sociétés de services logistiques disposant de fonds propres importants, nourris des programmes publics et de la délégation de service public (9) (DSP). Ils s’associent avec des fonds bancaires dédiés. En position de force, ces opérateurs sont à même de proposer « spontanément », auprès des personnes publiques, la conclusion de CDP clés en main (10). En déplaçant le curseur de plus en plus vers l’opérateur privé, le CDP se distingue des traditionnelles relations partenariales public-privé (régies, concessions ou DSP).

Une substance porteuse d’une logique difrenciée

Loin d’être une simple prestation de ser vice, une

« commande » où le maître d’ouvrage garde l’expertise et la main, le CDP opère une externalisation de fonctions publiques. Conçu comme un contrat global sans limite (conception, financement, réalisation, exploitation, gestion, maintenance, services à la personne, etc.), il induit une substitution du mode de réalisation et de gestion d’équipements et de services publics via la maîtrise d’ouvrage privée intégrée dans le contrat s l’origine. Ce transfert de responsabilité opérationnelle comporte le risque de perdre de vue les objectifs sociaux et environnementaux, en affaiblissant la maîtrise publique. Pour tenter de faire jeu égal, la collectivité doit s’adjoindre une « task force » de conseillers ou de personnels spécialisés.

L’opérateur dispose de droits réels sur les ouvrages et équipements qu’il réalise. En pleine gestation des CDP, un « nouveau code général de la propriété des personnes publiques » est venu pour les faciliter dans les aspects  « privatisation et rentabilisation de l’espace public », avec la possibilité de s’approprier l’espace public pour y développer une exploitation alternative par des activités propres, commerciales ou immobilières. Ces recettes annexes sont vivement recommandées pour « mijoter un bon PPP » (11). Ce transfert insidieux de propriété est une condition nécessairement reconnue comme élément de la bancabilité de l’opérateur. Celle-ci est assurée au CDP, à la structure financière complexe, afin de sécuriser les investisseurs transnationaux, tout en disposant aussi de fonds publics dsans subir les suspicions européennes d’entorse à la concurrence (12).

Le CDP peut être une opportunité pour des collectivités publiques dans une situation financière pour le moins délicate. L’opérateur contribue au financement du projet en se substituant à la personne publique, en contrepartie de versements réguliers garantis sur de longues périodes. L’engagement à long terme des collectivités publiques est propice à exercer un effet de levier sur les capitaux.

Mais ce CDP est loin de n’être qu’un mode de financement de projets publics.

Le coût du financement : un enjeu clé

En effet, si on le limite à ça, « toutes choses égales par ailleurs, le coût du financement sera toujours plus élevé que celui qu’obtiendrait la collectivité maître d’ouvrage… ne serait-ce que pour des raisons prudentielles ! » convient le directeur du développement des PPP à la Caisse d’Épargne pour lever toute ambiguïté.

Présenté comme une solution « indolore » pour les finances publiques, le résultat cumulé est bien loin des économies promises. Censée bénéficier de « la rigueur de gestion, de la performance et de la créativité de son partenaire privé, la collectivité publique habituée à des taux représentatifs de la qualité de sa signature, doit admettre un surenchérissement du financement en structure-projet » (13).

La globalité de l’opération, mais pas des risques

Pour border ses risques, le partenaire privé tendra à calibrer correctement le contrat dès sa préparation, l’évaluation préalable puis le dialogue compétitif, pour atteindre son objectif explicite : la meilleure rentabilité des capitaux investis. Il se réassure pour ainsi dire sur la personne publique, « qui doit accepter de payer un supplément de prix en contrepartie du risque transféré » (14) en supportant

« les frais financiers à un taux majoré ».

Si le CDP crée une profitabilité durable pour l’opérateur privé, il fait supporter au public une dette difrée dans le temps, dont la collectivité et ses contribuables auront le plus grand mal à s’affranchir. Le CDP ne débarrasse la personne publique ni de ses engagements ni de ses conséquences. Au contraire, au lieu de s’endetter pour 10 ou 20 ans avec un emprunt classique à un taux plus favorable, elle le fera pour une durée bien plus longue (30 ans, 40 ans, voire plus) à un taux plus élevé. L’État ou la collectivité publique territoriale vivra davantage à crédit.

Un désendettement illusoire

La succession des loyers sur des décennies constitue un engagement financier de facto. À l’externalisation de la maîtrise d’ouvrage et de la jouissance de propriété s’ajoute celle de la dette. La charge d’un loyer, très étalée dans le temps, peut avoir un effet réducteur du coût de l’investissement public. Les actifs ne sont plus enregistrés au patrimoine des collectivités, mais doivent être classés comme actifs privés pour ne pas être intégrés au calcul de la dette publique. (15) Ce point de fuite budgétaire fait soupçonner fortement les CDP d’être une dette dissimulée dont la collectivité ne s’exonère pas, même si elle n’en assure plus directement le portage financier. En revanche, ses possibilités d’autofinancement vont être réduites par les loyers qui viendront ponctionner les ressources, au point d’obérer ses marges de manœuvre, ou de conduire à un surendettement en cas d’accumulation d’opérations en CDP !

Plan de relance du Contrat de partenariat

La loi du 17 février 2009, relative à la relance de l’investissement public par l’accélération des programmes, est une nouvelle occasion d’adapter le régime des Contrats de partenariat. De nouvelles dispositions facilitent leur financement et renforcent l’attractivité de leur recours.

Les groupements privés candidats ont la possibilité de présenter un financement « ajustable » afin de « surmonter leurs difficultés » (16). Le Code général des collectivités locales (article L 1414-1) est modifié en conséquence pour que ce financement puisse être aussi « partiel » ! Sous-entendu que la personne publique est incitée à combler l’autre partie, et ce sans pouvoir prétendre à une participation au capital de la société-projet prohibée.

Cette « inflexion de la philosophie » du CDP ne modifie en rien la place centrale tenue par ladite société, qui « reste directement intéressée au bon roulement de l’opération ». Cette disposition n’étant pas limitée à la durée du Plan de relance, les parlementaires ont tenu à mettre un bémol : « le financement définitif d’un projet doit être majoritairement assuré par le titulaire du contrat, sauf pour les projets d’un montant supérieur à un seuil fixé par décret » le 20 août 2009, à 40 millionsd’euros HT !

Dans le même élan de générosité publique envers le privé, l’assiette de cession éventuelle de créance (limitée à 80%) a été cassée pour permettre une cession totale (article 12).

Si la loi de juillet 2008 avait posé l’éligibilité des CDP aux mêmes subventions qu’en cas de maîtrise d’ouvrage déléguée et de maîtrise d’œuvre privée (MOP), l’article 17 du Plan de relance y rajoute « les redevances et autres participations financières », autorisant ainsi le captage de la participation EDF à l’investissement en matière d’éclairage public, par exemple. Cerise sur le gâteau, l’article 15 permet de transférer « la qualité d’expropriant pour cause d’utilité publique » à l’opérateur privé, « pour acquérir les biens nécessaires à la réalisation de l’opération ».

(1) Partenariats public-privé autour du monde, Enquête Ernst &Young, novembre 2006.

(2) Nicolas Sarkozy lors de la présentation de la nouvelle organisation sanitaire et hospitalière, janvier 2008.

(3) Décembre 2003.

(4) Consacré par le Conseil interministériel de l’Aménagement et de la Compétitivité du Territoire en mars 2006.

(5) Le Commissaire général au Plan CIACT de mars 2006

« compétitivité » a remplacé « développement ».

(6) Créé par ordonnance en 2007, le CDP est une appellation qui gomme pudiquement le qualificatif « privé » très sensible, du PPP. (7) Robert Statowski, MAPPP, septembre 2008, à propos de la loi relative aux Contrats de partenariat.

(8) Estimée à 10 à 20% par EIFFAGE, compte-rendu d’activité 2007, Le Monde. (9) Bouygues, Vinci, Eiffage, Veolia, Suez, avec leurs filiales se sont partagé les premières opérations.

(10) « CDP d’initiative ».

(11) Le Moniteur, 21 janvier 2008, dans un article présentant le projet de loi.

(12) Le décret du 20 août 2009 précise que les collectivités peuvent assurer la majorité du financement du projet (sic).

(13) Soulignés par l’enquête PPP International, menée par Ernst & Young, novembre 2006.

(14) Ernst & Young, résultats de l’enquête PPP International.

(15) Selon les principes de la LOLF et les préconisations d’Eurostat. (16) Fiche argumentaire de la Mission d’appui à la réalisation des Contrats de partenariat, MAPPP, 5 septembre 2009.

 

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