Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’imposture des « PPP »

Les montages en « PPP » recourent à une ingénierie financière moderne qui, si elle ne peut orchestrer l’exercice du Service public sans que celui-ci ne perde son essence, pourrait être mobilisée par la puissance publique qui améliorerait ainsi l’efficacité de l’utilisation des deniers publics. Les « PPP », porteurs de risques importants, sont présentés, de manière abusive, comme l’unique moyen de mobiliser cette ingénierie innovante. De plus, la justification économique de l’intérêt des « PPP » est aujourd’hui largement fallacieuse.

 

Pour réaliser un équipement public, un commanditaire public comme l’État, peut recourir à la procédure règlementée dite « maîtrise d’ouvrage publique » dans laquelle la personne publique passe elle-même les difrents contrats et finance le projet sur fonds publics. Il peut également réaliser un partenariat public privé : un « PPP », avec lequel la réalisation et le financement du projet, mais aussi la future exploitation de l’équipement, sont globalement délégués à un groupement d’entreprises qui va notamment s’endetter à la place de la personne publique. Il existe deux grands types de « PPP » : d’abord les délégations de service public avec lesquelles une facturation est directement appliquée aux usagers-clients pour rembourser et payer l’entreprise ayant fourni l’équipement (typiquement : une autoroute concédée à péage), ensuite les nouveaux contrats de partenariat où c’est l’acteur public qui verse directement un loyer pendant plusieurs décennies au groupement d’entreprises en charge de l’exploitation (c’est le cas avec les hôpitaux ou les prisons). L’analyse suivante s’attache à cette deuxième forme de « PPP ».

Les « PPP » ont aujourd’hui le vent en poupe

Les lobbyistes du « PPP » vous indiqueront, comme une source de légitimation et de rationalisation, que ce mode de commande publique existe depuis l’Antiquité et que la France y a déjà recouru sans difficulté ( sous l’Ancien régime). Force est de constater qu’en dépit des interrogations du Conseil constitutionnel ou du Conseil d’Etat qui, dans son rapport public en 1993, s’interrogeait de ce que les « PPP » « relèvent, chaque fois, plus ou moins, du coup de force juridique et de l’épreuve de force avec les autorités chargées du contrôle de légalité » nous constatons que ces derniers reviennent aujourd’hui pleinement sur le devant de la scène. Ceci est très simple à comprendre : l’État ne se donne aujourd’hui plus les moyens d’honorer directement le financement de projets très coûteux. Le court-termisme des arbitrages budgétaires calibrés sur la durée des mandats des gouvernants et l’incertitude des rallonges budgétaires soumises aux soubresauts politiciens ont des conséquences désastreuses pour les projets financés en « maîtrise d’ouvrage publique » : ces derniers conduisent au « gavage » de certaines entreprises. Au lieu de se prendre en main pour corriger ses mauvaises pratiques, l’acteur public va ainsi préférer déléguer sa maîtrise d’ouvrage au secteur privé, qui, comme nous l’ont appris nos voisins grand-bretons, est un modèle supérieur en tout, particulièrement pour la gestion des services publics…

Le « coup de force juridique » (Conseil d’État, rapport public 1993 décentralisation et ordre juridique) Les incompatibilités des « PPP » avec les grands principes de la commande publique, dont le but est de protéger les contribuables, sont nombreuses. Ainsi le principe d’annualité de la dette publique est-il battu en brèche, du fait de l’étalement du remboursement qui ne donne pas lieu à une inscription dans le budget de la personne publique, constituant un endettement« aveugle » pour les générations futures.

Comme annoncé plus haut, le Conseil d’Etat avait d’abord condamné les ancêtres des « PPP » : les marchés d’entreprises de travaux publics (« METP »). Le Conseil constitutionnel les a finalement tolérés en leur accordant un statut rogatoire et en les envisageant avec parcimonie, uniquement quand une situation d « urgence » ou de « complexité » les justifiait. Depuis, la tâche des politiques n’a consisté qu’à étendre le champ de cette « rogation » en cherchant à banaliser le « PPP », notamment en intégrant le nouveau critère d « optimisation économique ». Comment le politique parvient-il donc à établir la « supériorité économique » des « PPP » ?

Le paradigme : « le privé sait mieux faire » comme source de la légitimation des « PPP »

Depuis les années 80, la tendance s’est imposée de manière presque globale de considérer comme généralement inefficace la gestion des affaires publiques, en utilisant le secteur privé comme contre-modèle. La transplantation des mécanismes de marché et des logiques managériales dans la sphère publique est devenue un objectif, en vue d’injecter dans cette dernière rationalité et efficacité : le New public Management était né.

Le risque de détournement d’un tel adage est important. Prenons l’exemple d’un chantier passé sous maîtrise d’ouvrage publique et non en PPP il est vrai que, sauf à tomber sur une équipe projet particulièrement scrupuleuse, l’étude des surcoûts potentiels attachés aux divers scénarios n’est pas systématiquement réalisée, parce que l’acteur public se sait en mesure de faire face à des imprévus susceptibles de générer des surcoûts importants. Toutes les entreprises ont alors leurs techniques pour « faire suer les contrats » (termes rapportés). Elles sont alors conscientes de la situation de relative captivité dans laquelle se trouve le maître d’ouvrage public lorsqu’un chantier « politiquement urgent » est interrompu et entendent bien en profiter.

Partant de ce constat, il n’est certes pas inexact de conclure à la meilleure « efficience » de la gestion privée que l’on trouve en « PPP » par rapport à la gestion publique. En effet, le groupement d’entreprises va rer son budget en évaluant en permanence les surcoûts attachés aux difrentes solutions. Cela est d’ailleurs une question de survie sur un marché concurrentiel. On pourrait, en revanche, décemment s’interroger sur les conséquences de ce qu’une gestion aussi serrée des budgets dont l’objectif ultime est la rentabilité de l’investissement peut entraîner sur la qualité du service public rendu. Rappelons que les entreprises titulaires d’un « PPP » ont la responsabilité d’exploiter un service public (comme un hôpital) et sont aux commandes de son exploitation pour plusieurs décennies. Puisque la politique d’investissement doit demeurer rentable, quelle sera la prise en compte de la qualité du service public rendu aux usagers ? Cette dernière, en plus d’être par essence coûteuse sans générer de retour sur investissement, est, en outre, quasiment impossible à monétariser. Cela ne permet pas à l’acteur public de valoriser sa bonne prise en compte par le privé qui pourrait alors trouver un intérêt économique à l’assurer. Si nos voisins grand-bretons nous ont transmis les valeurs du New public Management et dans son flot, les « PPP », force est de constater que les conséquences sur la gestion de leurs services publics font tout simplement trembler.

En fait, la puissance publique a tout à fait les moyens d’améliorer la qualité de sa gestion sans présenter les « PPP » comme l’unique rempart contre les mauvaises pratiques peu économes. Les raisons poussant le politique à recourir aux « PPP », plutôt qu’à résoudre les difficultés identifiées en son sein, sont d’une autre nature.

Ce que la nouvelle ingénierie financière peut appor ter d’objectivement intér essant pour la commande publique

A travers les « PPP » se retrouve déployée une nouvelle ingénierie d’optimisation des coûts visant à obtenir de meilleurs résultats par rapport à l’argent dépensé. Par exemple, le « partage des risques » est un concept intéressant. Il s’agit d’attribuer le paiement des surcoûts à l’acteur le mieux disposé à l’assumer financièrement. Exemple : l’entreprise chare du terrassement tombe sur un gisement archéologique : il faut arrêter le chantier plusieurs mois pour laisser les archéologues travailler. Qui paye le surcoût entraîné par l’immobilisation du matériel ? L’acteur public, parce que la survenance d’un tel événement n’est de la responsabilité de personne. En revanche, si le béton, livré en retard, n’est pas utilisable, l’entreprise, qui avait une parfaite maîtrise du processus, paiera à ses frais le nouveau béton. Une telle pratique vise notamment à responsabiliser les acteurs privés sur leurs engagements contractuels. Par ailleurs, l’ensemble des « risques » fait l’objet d’une étude probabilisée pour prévoir le budget adapté à leur probabilité d’occurrence et choisir le meilleur scénario.

Un autre exemple : le « dialogue compétitif » : avec une procédure en maîtrise d’ouvrage publique, les entreprises ne sont pas confrontées au maître d’ouvrage qui ne peut exprimer son besoin qu’une seule fois, au moment de l’appel d’offre, au nom du respect de la concurrence. Les entreprises remettent chacune directement leur offre qui ne peut faire l’objet d’aucune négociation. Avec le « dialogue compétitif », l’acteur public peut échanger avec l’ensemble des candidats pour faire évoluer les offres, ce qui revient à améliorer la future prestation avant même d’avoir retenu le prestataire.

Une question : si aujourd’hui seul le « PPP » recourt à ces nouveaux dispositifs, ne pourrait-on pas les étendre aux contrats en maîtrise d’ouvrage publique (le code des marchés publics permet, par exemple, le recours au dialogue compétitif). En fait, on présente comme « propres aux PPP » des dispositions que le politique choisit sciemment de ne pas étendre aux autres formes de la commande publique.

L’évaluation préalable : une imposture

Tout recours à un « PPP » doit être justifié économiquement par une évaluation préalable visant à démontrer, par le biais d’un calcul exclusivement financier, que la solution du marché public traditionnel est une solution qui serait moins favorable que la solution du « PPP ». L « évaluation » réalise deux scénarios financiers comparant les coûts actualisés des deux solutions. Lorsqu’on examine de près la construction de ses coûts, on se rend systématiquement compte de vastes supercheries, comme l’attribution arbitraire de surcoûts à la solution du marché public traditionnel, qu’on est en fait incapable de déterminer, mais qui sont attribués en arguant que l’acteur public rera toujours « moins bien » que le privé s lors, après avoir imputé un surcoût de 20% à la solution traditionnelle sur cette unique considération, il n’est pas très difficile de faire apparaître le « PPP » comme la solution financièrement optimale.

Conclusion

Les « PPP » sont présentés comme un concept novateur portant sa légitimité à travers le panel de dispositifs d’ingénierie financière dont les résultats sur le rendement de la commande publique sont démontrés. Toutefois, on peut s’interroger sur l’acharnement du politique à restreindre l’utilisation de ces outils modernes d’optimisation des coûts à une forme particulière de la commande publique déléguant globalement la prestation. En fait, derrière cet habillage objectivant et la fumeuse et fallacieuse « évaluation préalable » se joue la question, plus politique, d’une société qui organise le transfert aux grands consortiums privés de la « rente » que représente l’exploitation de ses services publics : autoroutes, hôpitaux, écoles, prisons Si l’on peut acter que les « PPP » résolvent le problème du financement public de projets extrêmement coûteux, en mobilisant des capitaux qui ne sont pas immédiatement ceux du contribuable, la participation de ces derniers est pourtant bien envisagée pour assurer, de manière aveugle, le paiement public des intérêts colossaux générés par le financement privé, de même que celle de ses enfants, petits enfants et arrières petits enfants.

 

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