Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Grand Paris : les enjeux pour le Service Public de transport

Selon une méthode bien rodée, l’annonce du projet du Grand Paris par N. Sarkozy au printemps dernier a été précédée d’une intense campagne idéologique prenant appui sur les difficultés de transport des Franciliens. Celles-ci ont effectivement tendance à s’accentuer, en raison de la saturation du réseau dont les lignes 13 du métro et A du RER sont les exemples les plus emblématiques. Les populations de la banlieue sont les plus pénalisées, beaucoup étant contraintes à des trajets banlieueParis-banlieue par le manque de liaisons directes en rocade.

Cette situation ne tombe pas du ciel.

 

Elle est la conséquence à la fois d’un développement urbain rejetant les couches populaires toujours plus loin à la périphérie de la région et du sous-investissement pratiqué dans les transports collectifs pendant 30 ans, notamment dans les modes lourds. Les communistes et leurs élus ont été les premiers et pendant longtemps les seuls à dénoncer l’asphyxie à laquelle conduisait cette politique et à exiger le développement des réseaux de transports collectifs comme seule solution durable. Avec la bataille victorieuse du tramway en Seine-Saint-Denis, ils ont donné corps à cette volonté. Aujourd’hui, devant l’évidence, plus aucune force, y compris à Droite, n’ose défendre le « tout-voiture ».

Depuis 1998, l’action de la nouvelle majorité régionale (au sein de laquelle les élus communistes ont joué un rôle particulièrement actif) a permis d’inverser la tendance en engageant un plan de renforcement de l’offre. Pour poursuivre cet effort, le Schéma Directeur de la région (SDRIF) a prévu divers projets, au premier rang desquels la construction d’un métro en rocade (Arc Express) à la frontière des première et deuxième couronnes. Ce tracé, issu de l’ancien projet Orbitale, serait susceptible de répondre aux besoins de déplacement de banlieue à banlieue et de désengorger par voie de conséquence les liaisons radiales existantes. Un tel projet, dans la lignée des CPER (Contrats de Projet Etat-Région), nécessite un co-financement par l’Etat, mais le gouvernement a refusé de ratifier le SDRIF et de s’engager dans cette voie. L’émergence du Grand Paris explique pourquoi.

L’opposition entre ces deux projets ne relève pas d’un débat technique, mais bien politique. Les choix difrents concernant les tracés à réaliser, les distances inter-gares et les priorités d’investissement renvoient à des visions antagonistes de l’évolution de la région : d’un côté un développement solidaire  conduit par et pour les populations, de l’autre le remodelage autoritaire de la région parisienne au service des intérêts de la grande bourgeoisie d’affaires.

Le fait que le projet de loi en cours de discussion au Parlement soit focalisé sur l’aspect transport ne doit pas en effet faire perdre de vue l’ambition plus large du pouvoir sarkozyen : faire de Paris une grande place économique et financière internationale pouvant damer le pion à New-York, Londres ou Tokyo, en attirant les capitaux par de nouvelles opportunités de rentabilisation. Le réseau de transport envisagé se voit assigné un rôle structurant dans ce cadre. L’objectif est de favoriser l’émergence de pôles économiques concentrés sur des activités à haute valeur ajoutée en créant une infrastructure qui permettra de les relier entre eux ainsi qu’aux deux roports en moins de 30 minutes. On est évidemment à l’opposé d’une réponse aux besoins les plus criants des Franciliens. Avec la création de la Société du Grand Paris (SGP) chargée de la maîtrise d’ouvrage et l’Etat sera majoritaire, celui-ci se donne les moyens d’orienter le projet dans le sens de ses objectifs, quel que soit le résultat des prochaines élections régionales. Les dispositions prévues par le texte de loi sur l’utilisation du foncier montrent qu’il s’agit d’aller bien au-delà du traitement des seuls problèmes de déplacement, puisqu’en bénéficiant d’un droit de préemption sur un périmètre étendu autour des gares (le texte initial parlait d’un rayon de 1,5 km !), la SGP se verra confier des prérogatives très étendues en matière d’aménagement du territoire.

La place de la RATP dans le Grand Paris

Une bataille dont l’issue n’est pas écrite s’engage donc sur le contenu des extensions du réseau de transport collectif. Mais quelle que soient celles-ci, il est clair que nous sommes à la veille d’une troisième phase d’essor des transports collectifs franciliens, après la naissance du métro parisien au début du

20e siècle et la création du RER dans les années 1960. Ces évolutions concerneront d’abord le réseau de métro (le projet de C. Blanc prévoyant 130 kms supplémentaires en mode automatique), mais aussi le réseau de surface (les deux-tiers des lignes de bus actuelles devant être impactées dans leurs itinéraires). Une telle perspective excite naturellement les appétits des groupes privés, et parmi les questions politiques majeures posées se trouve le choix des entreprises qui seront en charge de la réalisation des nouvelles lignes, puis de leur exploitation.

régions

Or, nous sommes entrés depuis le 3 décembre 2009 dans un contexte nouveau, avec l’entrée en vigueur du règlement européen OSP (Obligations de Service Public). Ce règlement est la déclinaison pour le transport urbain de voyageurs des traités libéraux de l’Union européenne. Il prévoît l’obligation de mise en concurrence pour l’exploitation des réseaux de transport de voyageurs. Dans un « cavalier parlementaire » voté à la va-vite en septembre dernier, le gouvernement a défini les modalités d’application de ce règlement à l’Ile-de-France :

Pour les lignes du réseau historique, la concurrence s’appliquera en 2024 pour le bus, 2029 pour le tramway, 2039 pour le métro et le RER ; l’exclusivité actuelle sur les droits de ligne continue par conséquent de s’appliquer jusqu’à ces dates, tant pour les lignes RATP que pour celles des opérateurs privés. Pour toute nouvelle ligne créée, la mise en concurrence s’applique immédiatement, alors qu’une période de latence de 10 ans était possible (c’est ce dernier choix qu’ont fait Berlin, Vienne, et même Londres pour son métro).

La RATP sera propriétaire et gestionnaire des infrastructures du réseau souterrain (tunnels et gares) sans limitation de date. La propriété des matériels roulants sera transférée aux dates indiquées au STIF, qui pourra aussi récupérer s’il le souhaite la propriété des infrastructures du réseau de surface (dépôts et ateliers).

Dans sa lettre de mission au PDG P. Mongin, N. Sarkozy a désigné la RATP comme « un des acteurs majeurs des projets transport du Grand Paris ». Le projet de loi dans sa mouture actuelle lui attribue effectivement (comme à RFF et à la SNCF pour leur partie) un rôle important en matière d’études préalables, de maîtrise d’ouvrage déléguée et de maîtrise d’œuvre, en cohérence avec la mission de gestionnaire des futures infrastructures. Cette volonté de privilégier le recours aux entreprises publiques pour réaliser le nouveau réseau est d’abord l’expression d’un positionnement pragmatique : l’importance politique que revêt pour ses initiateurs le Grand Paris (et son volet transport qui en est le point de départ) nécessite des gages de réussite que le privé et les PPP (partenariat public-privé) ne sont pas nécessairement en mesure de fournir. Les récentes faillites de Railtrack (gestionnaire des infrastructures du réseau ferroviaire national) et de Metronet (gestionnaire des infrastructures du métro londonien) en GrandeBretagne en sont le témoin. On peut ajouter à cela les incertitudes sur la rentabilité et le devenir même de l’opération CDG-Express pilotée par Vinci. Dans le contexte actuel de crise et sans écarter l’hypothèse des PPP, le pouvoir semble privilégier à ce stade le recours aux entreprises publiques qui offrent davantage de garanties.

Cependant, il faut noter que l’attribution du rôle de gestionnaire d’infrastructures à la RATP n’a pas été sans soulever de nombreux remous. La partie la plus libérale de la droite, mais aussi la gauche social-libérale (voir encadré) ont cherché et cherchent encore à la remettre en cause. La polémique engagée par  J.-P. Huchon, le président  S de la région, autour de la propriété des actifs en a été un des épisodes. Une autre manifestation en a été l’amendement déposé par deux députés UMP, P. Albarello (rapporteur du projet de loi sur le Grand Paris) et G. Carrez (rapporteur du Budget national et par ailleurs administrateur de la RATP !) visant à scinder la RATP sur le modèle RFFSNCF. Cela alors que l’expérience des dysfonctionnements obsers dans l’organisation du réseau ferroviaire national plaide au contraire pour préserver l’atout qu’est l’entreprise intégrée. Les motifs invoqués étaient à chaque fois similaires : cette disposition conférerait à la RATP un avantage vis-à-vis de ses concurrents privés pour l’exploitation des lignes. L’éclatement de l’entreprise publique a été repoussé à ce stade du débat parlementaire au profit d’une simple séparation comptable des activités, mais la menace n’en est certainement pas définitivement écartée.

En revanche, en cohérence avec la lecture gouvernementale du règlement OSP, rien n’est dit dans le texte de loi quant au choix du ou des futurs exploitants ; c’est la mise en concurrence qui s’appliquera en l’espèce. Ainsi, par le biais du bouleversement de la structure du réseau qu’il va entraîner, le Grand Paris peut être le cheval de Troie par lequel une partie significative des transports franciliens pourrait tomber demain dans les mains de groupes privés.

Quels axes d'intervention, quelles propositions avancer à l’occasion des élections régionales ?

En Ile-de-France, encore plus que les fois précédentes, la question des transports sera au cœur des enjeux de l’élection régionale, à la fois en raison de l’importance et de l’urgence des attentes des populations, et parce que la perspective du Grand Paris et les débats qu’elle ouvre représentent un enjeu supplémentaire. Ajoutons que la majorité qui dirigera la région demain dirigera aussi l’autorité organisatrice des transports qu’est le STIF (Syndicat des Transports en Ile-deFrance). Le scrutin de mars prochain est ainsi l’occasion rêvée de porter quelques exigences qui permettent de sortir des difficultés actuelles et de dessiner un modèle d’organisation du transport en Ilede-France efficace et renne :

1. Combattre la logique libérale de concurrence :

Affirmer la nécessité d’une exploitation par l’entreprise publique comme condition nécessaire à un vrai Service Public.

Au lieu d’aligner les agents de la RATP sur ceux du privé, avancer l’idée qu’il faut agir pour faire l’inverse et prendre des mesures anti-dumping social, en premier lieu dans le futur contrat RATP-STIF, et au-delà à travers une traduction législative. En imposant à tout nouvel opérateur entrant sur le « marché » un statut harmonisé par le haut commun à tous les salariés du secteur des transports de voyageurs (le statut des personnels de la RATP pouvant servir de référence). Et en intégrant dans tous les appels d’offres un prix du transport incompressible correspondant à des normes de salaires, de conditions de travail et d’emplois.

Continuer à exiger le gel des textes de libéralisation comme le règlement OSP dans la perspective de la réorientation de l’Europe.

 

2. Exiger une réorientation profonde des choix de gestion de la RATP (qui doit conserver son statut d’EPIC et d’entreprise nationale intégrée) :

En donnant la priorité à la réponse aux besoins en Ile-de-France, notamment en banlieue. Dans ce but, le rachat par Véolia de Transdev (dont la RATP possède

25%) doit se faire en privilégiant le rachat d’actifs en Ile-de-France, afin d’y renforcer sa présence et de contrer l’extension des opérateurs privés.

En abandonnant l’actuel plan d’économies de 2% par an, qui sert à alimenter la croissance externe et se traduit chaque année par des centaines de suppressions d’emplois, le développement de la précarité, la mise en cause des conditions de travail et des acquis sociaux des agents.

En repensant le développement hors Ile-de-France sur les valeurs du Service Public (droit à la mobilité et à l’accessibilité des territoires pour tous).

En coopérant avec la SNCF dans un Pôle Public du Transport à l’échelle nationale pour apporter des réponses coordonnées aux besoins de déplacement des collectivités et porter un modèle de gestion alternatif à celui des groupes privés.

En concrétisant une véritable appropriation sociale des entreprises publiques comme la RATP, en démocratisant la composition de leur Conseil d’Administration : 1/3 d’élus du Parlement, 1/3 de représentants des usagers du transport, 1/3 de représentants des salariés de l’entreprise.

3. Elargir et démocratiser la composition du STIF :

Les représentants des usagers et des salariés de la région doivent y siéger.

Ce STIF démocratisé doit prendre en charge le pilotage du projet Grand Paris, à la place de la SGP prévue dans le projet de loi.

4. Dégager les moyens financiers indispensables :

L’État doit contribuer de façon plus significative.

Il faut faire payer davantage les bénéficiaires réels des transports (entreprises, grandes surfaces commerciales, promoteurs immobiliers, compagnies d’assurance automobile) et les poids lourds.

La création d’un Pôle Public Financier regroupant les structures publiques du secteur du crédit (élargi à des banques nationalisées) permettrait de lancer à taux très bas un grand emprunt pour financer l’extension et l’exploitation des réseaux.

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