Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Sécurisation des parcours professionnels Réforme du licenciement : l’enjeu de la sécurisation des parcours professionnels

Sarkozy, devant l’AJIS(1), a souligné que l’un des grands enjeux des réformes sociales à venir « c’est la conciliation de la mobilité et de la sécurité,  pour les salariés comme pour les entreprises ».
Outre la réforme  du contrat, N. Sarkozy a aussi repris l’idée de la « promotion  de modes de rupture négociée (...) de même que des procédures simplifiées devant les prud’hommes ». Ce point d’appui politique permet aux patrons de proclamer leur hostilité à la possibilité du recours au juge qui peut, le cas échéant, déclarer  sans cause réelle  et sérieuse le licenciement (ce qui peut coûter à l’employeur six mois de salaire, au minimum, si le salarié a au moins deux ans d’ancienneté).  C’est cette «rigidité», affirment les patrons, qui constituerait le principal frein à l’embauche en France.

 

En fait, les négociations engagées sur la modernisation du marché du travail traduisent une double volonté obsessionnelle du patronat :

  • Limiter au maximum les possibilités de contestation juridique des licenciements ;
  • Réduire au maximum le coût des licenciements.

Le patronat a formulé  sur ce chapitre deux propositions :

a) Un « nouveau mode de rupture » : il bénéficierait d’un encadrement collectif et serait assorti d’un «droit de rétractation pour le salarié au cours d’un délai de réflexion de quatre jours », d’une indemnité et des allocations chômage ;

b) La contestation en justice par le salarié ne serait plus possible qu’en cas de « vice de consentement ».

En réalité, le prétendu «principe de séparation à l’amiable », ou d’un «commun accord», ressemblerait à une arnaque car il part de l’hypothèse que le salarié et son employeur peuvent traiter d’égal à égal comme dans une transaction relevant du droit commercial.On sait, au contraire, qu’il y a une énorme asymétrie de pouvoir, de droit, d’informations entre le salarié et son employeur, puisqu’il lui est en quelque sorte soumis contractuellement par un lien de subordination. Et cette asymétrie est d’autant plus forte que le chômage et la précarité et, donc, les risques de déclassement en cas de rupture sont importants. La CGT conteste radicalement l’idée que la rupture de contrat puisse être considérée comme prononcée

«de gré à gré». Elle récuse totalement la proposition du MEDEF. Elle propose que, quelles que soient les modalités de rupture, il y ait obligation d’en préciser les motifs et la possibilité pour le salarié de recourir au juge. Elle affirme que les responsabilités économiques et sociales de l’entreprise doivent rester engagées. Les institutions représentatives du personnel doivent être consultées, dit-elle, en amont et en aval, compte tenu des évolutions globales de l’emploi et des conditions de travail que tout départ de salarié provoque,  suggérant ainsi, sans le préciser, un tout autre rôle et contenu de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

Elle réclame des garanties interprofessionnelles permettant que les droits des salariés se constituent dès l’entrée dans l’emploi (salaires, progression de carrière et de qualification, formation continue, protection sociale complémentaire, etc.) et puissent être transférés au fur et à mesure des changements d’emploi. Elle demande l’institution de « la sécurité sociale professionnelle » qui devrait, dit-elle, rendre « les ruptures de contrat de travail moins dramatiques et conflictuelles ».

Du côté de FO on ne voit rien venir de public.

La CFDT, quant  à elle, réclame un cadre collectif pour toutes les ruptures individuelles de contrats autour de quatre axes :

1 – Tout licenciement doit être motivé ;

2 – Une indemnisation plus progressive et plus équitable en cas de licenciement économique doit être instaurée ;

3 – Quel que soit le mode de rupture, un cadre collectif doit préciser : les modalités  à respecter; les garanties pour les salariés ;

4 – Dans ce cadre collectif, les modalités du licenciement économique peuvent être adaptées « pour répondre à des conditions économiques particulières telles celles évoquées en référence à un manque de visibilité économique», notamment dans les PME moyennant quatre conditions :

• Les salariés doivent être embauchés en CDI ;
• Les particularités liées à l’incertitude  quant à la pérennité de l’emploi et à sa durée doivent être indiquées au salarié à son embauche ;
• L’employeur  s’engage, au moment de l’embauche, à faire bénéficier le salarié de garanties particulières en cas de rupture de contrat pour cause économique ;
• Les conditions  de recours à ces conditions  particulières doivent être clairement définies.

La CGC « n’est pas opposée à une réflexion sur les ruptures négociées », même si elle souligne le « déséquilibre inhérent au contrat de travail ». Elle se prononce pour un mode de rupture négocié initié par l’employeur et supposant le consentement du salarié à titre de validité.

Ce mécanisme  serait assorti :

• de garanties procédurales (deux entretiens successifs, droit à l’assistance du salarié,...)
• de garanties substantielles (convention écrite, indemnités de rupture majorées, le bénéfice de droit à la formation spécifique et de droit à l’assurance-chômage).

C’est ainsi, conclut la CGC, que « la convention de rupture aurait alors les effets juridiques d’une transaction ».

Les questions relatives à la rupture du contrat de travail, au licenciement, sont au cœur du bras de fer entre, d’un côté, le gouvernement et le Medef, de l’autre les syndicats. L’enjeu fondamental est celui de la Sécurisation des parcours professionnels revendiquée par tout le front syndical.  En cohérence avec les enjeux propres aux contrats de travail, ce front s’insurge, contre l’idée d’une rupture « de gré à gré » ou de rupture sans recours, sans motivation. Toutes les organisations insistent sur l’énorme déséquilibre entre le patron et le salarié, du fait-même du caractère fondamentalement précaire du contrat de travail et du lien de subordination qu’il entraîne pour le salarié. Mais on peut repérer aussi des éléments de fragilité, à partir desquels gouvernement et Medef vont chercher à diviser en exerçant un chantage au nom du besoin de souplesse et de réactivité des entreprises dans l’univers hyperconcurrentiel,  associant souplesse à flexibilité de rejet des salariés.

Mais face à ces risques on peut, au contraire, appuyer fortement, avec des contre-propositions,  l’exigence unitaire de «sécurisation des parcours professionnels». L’offensive patronale sur ce chapitre de la «séparation à l’amiable », s’inscrit dans un contexte qui a vu déjà reculer nombre d’éléments de sécurisation des salariés, soit par recul des garanties existantes, soit par contournement de ces garanties, tandis qu’objectivement progressent les besoins de mobilité et de sécurité des salariés en liaison avec les changements technologiques et l’utilisation qu’en font les patrons contre l’emploi.

Chaque année 5 millions  de salariés – sur un peu moins de20 millions – changent d’emploi en dehors des fins de CDD et des contrats d’intérim  :

• 73 % démissionnent  ou rompent « à l’amiable » avec  les employeurs ;
• 18 % sont licenciés pour motif personnel ;
• 9 % seulement  subissent  un licenciement économique. En réalité, le motif de licenciement économique ne cesse de reculer au profit du licenciement pour motif personnel : ceux-ci représentent 48 % des licenciements en 1997 et 66 % en 2004.

Précisément, outre que le droit du licenciement économique a fait l’objet d’attaques réactionnaires depuis le début des années 2000, les licenciements et les ruptures dites « à l’amiable » se déroulent dans un face-à-face extrêmement déséquilibré entre employeurs et salariés. Ils conduisent, le cas échéant, à des transactions financières plus ou moins compensatrices et les salariés les plus démunis n’ont, dans ce cadre, aucun pouvoir de négociation. C’est en cela que l’ouverture faite par la CGC à la proposition du MEDEF est un facteur de fragilité du front syndical car, partant du principe qu’un cadre aurait plus de facilité de faire monnayer son

départ, n’est-ce pas aussi illusoire... en réalité le risque de déclassement pour nombre de cadres est désormais très

important. Les propositions  du MEDEF visent à pousser beaucoup plus loin encore, en les systématisant, ce type d’évolution.  Cela permettrait, en réalité, de faire basculer tout un pan relevant actuellement du droit du travail vers le droit commercial en opposant salariés peu qualifiés et salariés très qualifiés. La manœuvre est d’autant plus dangereuse que le patronat a réussi à maintenir hors du champ de l’actuelle négociation les questions relatives à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences qui demeurent, pour l’heure, totalement  entre ses mains comme outil d’anticipation et de consensus sur les suppressions d’emplois. Et la CGC a condamné vigoureusement, et à bon droit, cette exclusion de la négociation. On peut mesurer, dans ces conditions, combien il serait utile de faire connaître, d’aider à prendre en main et développer la partie IV de la proposition de loi de sécurisation de l’emploi et de la formation avançant concrètement de nouveaux droits et pouvoirs des travailleurs dans les entreprises. On pense ici, tout particulièrement, à une refonte du droit et de la pratique des licenciements économiques associant :

• L’avancée d’exigences pour une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences démocratisées et considérablement développées ;

• Une véritable sécurisation des parcours professionnels ;
• Une responsabilisation  sociale et territoriale des entreprises.

On peut particulièrement examiner comment passer à l’action, à propos d’affaires comme celle plan «Power 8» sur Airbus, par exemple, sur les enjeux de sécurisation des parcours professionnels avec :

• Une nouvelle définition du licenciement économique obligeant l’employeur à envisager la réduction d’autres coûts que le coût du travail au nom de la compétitivité  ; 
• De nouvelles conditions  au plan de sauvegarde de l’emploi avec, notamment, l’enjeu de droits très étendus d’opposition, de suspension et de contre-propositions des comités d’entreprise et des délégués du personnel aux choix de suppressions d’emplois ;
• Une sécurité de reclassement choisi ;
• Une sécurisation de redéveloppement des bassins touchés par les licenciements collectifs ;
• Le droit effectif à la réintégration des salariés abusivement victimes de licenciements individuels.

En réalité, la thématique de « sécurisation des parcours professionnels », que cherche à récupérer Nicolas Sarkozy pour appuyer un projet de précarisation généralisée des salariés cher au Medef, pourrait constituer le cœur de la consolidation et du développement de l’unité syndicale et, au-delà, du rapprochement de tous les salariés dans leur diversité.

Les enjeux de sécurisation avec des propositions  précises peuvent pousser, en effet, à l’essor de grandes exigences sur les gestions des entreprises  elles-mêmes. Ils pourraient faire grandir la revendication, pour les salariés, de droits et de pouvoirs d’intervention et d’anticipation, permettant une responsabilisation effective des entreprises en matière sociale, territoriale et environnementale, avec une toute autre relation aux banques, de profondes transformations du système d’incitation de l’État, un tout autre rôle du service public de l’emploi et de la formation

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(1) AJIS : Association des journalistes de la formation

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Par Yves Dimicoli, le 30 September 2007

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