Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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III. L'ambivalente évolution de la relation Chine - États-Unis

La croissance très rapide de la Chine demeure en effet très dépendante de la conjoncture des Etats-Unis, pays en direction  duquel elle exporte massivement mais qui entend, ce faisant, l’en- fermer dans un statut de fournisseur à bas prix relatifs et faible valeur ajoutée, tout en ambitionnant d’exporter  plus largement des produits et services à forte valeur ajoutée vers son marché domestique aux potentiels si considérables.

La Chine, ce faisant, accumule de formidables excédents commerciaux et, simultanément, sa Banque centrale, la Banque populaire de Chine (BPC), accumule de très impressionnantes réserves de change.
L’excédent commercial  des 11 premiers mois 2007, avec 238,1 milliards  de dollars,  est déjà largement supérieur  au record historique de 177,5 milliards enregistré pour toute l’année 2006.
Les réserves de change de la BPC dépassent, désormais, 1000 dollars  par habitant  (1400 milliards  de dollars).  Sans les rachats massifs de dollars  de la BPC, pour éviter  une appréciation  non désirée du yuan vis à vis de cette devise, le billet  vert s’effondrerait.  Quelque 70% de réserves en dollars  de la BPC sont aujourd’hui placés en bons du Trésor américain.
Cela exprime, bien sûr, une dépendance de la Chine dont la croissance, encore si extravertie, est dominée, pour  l’heure, par les multinationales  américaines, japonaises et taiwanaises particulièrement. Cette dépendance est associée, certes, à une croissance très rapide, mais en réalité beaucoup trop peu créatrice d’emplois, de qualifications,  de pouvoir  d’achat, de progrès  du bien-être pour  la grande masse des Chinois, tandis qu’elle est grevée de gâchis de moyens matériels et financiers.
En contrepartie des énormes réserves de la BCP, et malgré les efforts de cette dernière pour en « stériliser » une part(22), le crédit explose, alimentant souvent la spéculation boursière et immobilière  ou des capacités de production insuffisamment efficaces.
Cela entretient des tensions inflationnistes. Elles sont d’autant plus problématiques que la Chine est obligée d’importer massivement des produits  pétroliers et alimentaires dont les prix en dollars s’envolent aujourd’hui.  Les signes de «  surchauffe  »  s’accentuent d’année en année, l’inflation des prix ayant atteint, en novembre, son plus haut niveau depuis 11 ans (6,9%).
Sous la pression sociale intérieure, mais aussi parce qu’ils refusent cette dépendance extérieure, les dirigeants chinois  cherchent  à réorienter toutes ces tendances.
Des dispositions  récentes ont été prises pour faire reculer la précarité  des salariés et accroître  leur revenu disponible  afin de stimuler  la demande de consommation et d’équipement des ménages aujourd’hui si insuffisante et dualiste (23).

Ces efforts de réorientation de la demande, de changement du contenu de la croissance s’accompagnent d’une évolution  des politiques  monétaire  et de changes cherchant à maîtriser l’inflation, sans casser le moteur des exportations  dont l’activité chinoise demeure, pour l’heure, si dépendante.

Depuis juillet 2005, le Yuan est arrimé non plus seulement au dollar, mais à un panier de monnaies. Et une certaine flexibilité a été introduite dans le taux de change. Par rapport au dollar, qui libelle les importations chinoises les plus inflationnistes, le Yuan s’est apprécié de plus de 10% en deux ans avec un taux de change très encadré par la BCP autour d’un pivot de 7,4 Yuans pour 1 dollar. Cependant, calculé en fonction d’un panier constituant les monnaies des principaux partenaires commerciaux de la Chine, le Yuan a peu évolué. Il a même continué de se déprécier, de concert avec le yen, face à l’euro, ce qui ne va pas sans accentuer les problèmes des européens. Simultanément, la BPC a relevé ses taux d’intérêt à six reprises en 2007, les portant à leur plus haut niveau depuis 9 ans.

Tout cela se produit dans un contexte de pressions très fortes exercées par Washington et ses «alliés», menaces protectionnistes à l’appui, pour tenter d’imposer aux Chinois une réévaluation brutale du Yuan. Cela ne va pas sans rappeler, d’ailleurs, les «Endaka» (réévaluation du Yen) imposées aux japonais en 1985 et 1995, à la suite desquelles le Japon a sombré dans une déflation dont il ne s’est toujours pas relevé, ses très bas taux d’intérêt servant depuis, non à relancer la croissance, mais à alimenter un «carry trade» (24) concourrant à l’appréciation étouffante de l’euro vis à vis du dollar.

Au contraire  de ce qu’exigent d’eux les dirigeants américains  et européens, les autorités  chinoises semblent chercher  à avancer, de la façon la plus maîtrisée possible, sur la voie d’une appréciation progressive du Yuan. Contraintes de développer la demande intérieure  sociale, après une poussée des inégalités, du sous-emploi, des gâchis de capital matériel et financier, et de luttes diverses, elles semblent viser un changement de politique monétaire accompagnant un double effort de promotion des capacités humaines et de diminution de la dépendance aux exportations  vers les Etats-Unis.

Simultanément, la Chine s’est engagée dans une politique  active de diversification du placement des réserves en dollars de la BCP. Certes, les achats de bon du Trésor des Etats-Unis demeurent  le grand vecteur de soutien de la monnaie américaine. Mais, depuis peu, les autorités chinoises ont décidé d’avoir une gestion beaucoup plus active de leurs avoirs en prenant directement des participations dans le capital d’entreprises ou de banques américaines, aidant ainsi ces dernières à ne pas sombrer  avec la crise des «subprimes».

Un Fonds souverain, China Investment Corporation, gérant 200 milliards  de dollars, a été constitué pour cela. En juin 2007, il a investi  pour  3 milliards  de dollars dans Blackstone, société américaine de capital investissement,  préalablement  à l’introduction de celle-ci en Bourse. Six mois plus tard, il a souscrit, pour 5 milliards de dollars, à l’émission d’obligations convertibles  en actions par la banque américaine d’investissement Morgan Stanley mise gravement en difficulté  par l’effondrement  des «subprimes». De même, le courtier chinois CITIC a conclu, fin octobre 2007, un partenariat stratégique avec la banque new-yorkaise Bearn Stearns en bute au même type de problèmes.

Ces décisions annoncent une nouvelle phase. En leur absence, en effet, le système financier des Etats-Unis aurait été beaucoup plus gravement secoué qu’il ne l’a été jusqu’ici par la crise des «subprimes» du fait du risque de faillite retentissante de fleurons.

Elles rendent encore plus ambivalente l’évolution de la relation Chine – Etats-Unis. Car tout  se passe comme si le grand créancier extérieur des Etats-Unis intervenait  à la place de l’Etat américain lui-même dans le sauvetage d’institutions financières américaines de poids. Bien sûr, cela peut déboucher sur la

recherche de compromis de combat, éventuellement sur le dos de l’Union européenne, surtout si ses dirigeants s’acharnent à faire de la Chine la cause principale de tous les maux, au lieu d’essayer de faire jonction avec elle pour une émancipation commune des dominations américaines.

Mais ce peut être aussi, poussée par les exigences fébriles de développement des capacités humaines chinoises, la recherche d’une réorientation des gestions et du mode de coopération  des grandes entreprises  et des banques ainsi contrôlées.  Ce mouvement serait d’autant plus déterminé et créatif que l’Union européenne, poussée elle-même par les exigences de sécurisation et de promotion de tous les moments de la vie de ses populations, chercherait à coopérer avec la Chine dans le sens d’une maîtrise de la monnaie et du crédit, vers une émancipation commune des dominations américaines et du marché financier. L’enjeu d’une réorientation radicale de la BCE et des institutions monétaires internationales prendrait alors une tout  autre dimension pratique. Ce mouvement de prises de participation, encore embryonnaire,  pourrait,  se développer,  en liaison avec la découverte  de nouveaux cadavres dans le placard des «subprimes». Sans doute, pourrait-il aller aussi au-delà du seul secteur financier dans lequel les Chinois sont, aujourd’hui, soucieux d’acquérir une expertise. La perspective  pourrait alors prendre forme, en principe,  de grandes entreprises multinationales à base américaine amenées, dans leur gestion pratique, à tenir compte des exigences de développement social et culturel de milliards d’êtres humains. Cette potentialité pourrait alors se conjuguer avec la recherche dans les luttes, en France et en Europe, d’une responsabilisation sociale, territoriale, nationale et zonale des grands groupes, associée à une volonté  déterminée  de promotion des ser vices publics, jusque dans la gestion de biens communs à toute l’humanité

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(22) Quand les montants accumulés de réserves dépassent très largement les besoins liés aux opérations commerciales et financières, grandit le risque que l’augmentation ainsi induite de l’offre de monnaie alimente de façon non désirée la distribution de crédit et, du fait de son utilisation insuffisamment efficace, des pressions inflationnistes sur les marchés des biens et des actifs. Pour éviter ce risque, les banques centrales « stérilisent » la hausse des réserves en vendant des titres de la dette publique ou en baissant le refinancement aux banques, ou encore en émettant des titres pour maintenir constante l’offre de monnaie.

(23) C’est le cas, notamment, depuis le 1er janvier, avec l’entrée en vigueur d’éléments d’une véritable législation du travail : réduction de la précarité des salariés, versement d’indemnités en cas de licenciements, obligation pour les employeurs de payer des « charges sociales » pour la santé, le chômage, la retraite. De même, le seuil d’imposition à l’impôt sur le revenu va passer de 1600 yuans à 2000 yuans, ce qui devrait exempter 70% des salariés, contre 50% aujourd’hui. Enfin, des dispositifs de soutien ciblé de la demande en biens d’équipement des ménages sont expérimentés dans diverses provinces ( cf. A. Faujas : «Que ferions-nous sans la Chine ?», Le Monde du 4 janvier 2008 et Chine-Informations du même jour

(24) Le « carry trade » est une pratique spéculative qui consiste à emprunter dans une monnaie dont les taux d’intérêt sont bas (comme le Yen) et de placer cette somme dans des pays où les taux d’intérêt sont plus élevés et, donc, rapportent plus (comme l’Union européenne).

 

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