Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Place du savoir ou révolution informationnelle et partage de créativité ?

Paul  Boccara,  Maître  de conférences  honoraire  en sciences économiques, Ancien  membre  du conseil national du PCF

Je voudrais dire quelques mots sur trois points :

1er  Point : L’intitulé du débat «quelle place du savoir dans la société» semble réducteur.

La référence au «savoir» me semble réductrice par rapport à la «révolution informationnelle», pourtant évoquée dans le texte de présentation ou encore dans certaines interventions.

Déjà, quand j’ai avancé le concept de révolution informationnelle en 1983, puis en 1984, c’était, notamment,  en m’écartant  de la conception soviétique de révolution scientifique et technique considérée comme scientiste et technocratique.  De même, on peut souligner que le Sommet de Lisbonne a parlé de l’Union Européenne comme société de la connaissance la plus compétitive possible.

Au contraire, avec la révolution informationnelle, bien plus largement que «le savoir» élitiste ou même que la connaissance, c’est l’accès possible de chacun à l’information, à toutes les données et créations informationnelles (y compris artistiques). Cela est permis avec, tout particulièrement, les ordinateurs, le numérique et le télénumérique. Et surtout, à l’opposé de la scission «auteurs/public des lecteurs» de l’imprimerie, c’est la possibilité d’intervention et de transformation sur les informations par chacun, du moins comme potentiel. Enfin, c’est la prédominance désormais de l’information sous toutes ses formes et dans tous les domaines, économiques et anthroponomiques.

2ème Point : L’importance du concept de «partage», lié à celui de révolution informationnelle, avec les antagonismes mais aussi les potentialités des partages nouveaux.

Au plan économique et pour la production, c’est la montée de la prédominance des informations,  comme les résultats d’une recherche.

Or, à l’opposée d’une machine qui est ici ou là, base de la propriété capitaliste et de la concurrence marchande, une même information,  comme le résultat d’une recherche, peut être partagée jusqu’à l’échelle de l’humanité. Cela peut, en principe, s’opposer à l’échange marchand et permettre de commencer à dépasser les marchés.

Cependant dans le système capitaliste, ce partage est utilisé pour le développement formidable des entreprises multinationales privées. En effet, ces dernières peuvent davantage partager les coûts de recherches et toutes les informations qu’une entreprise publique seulement nationale. Mais aussi, elles entrent en concurrence,  avec gâchis et destructions, et elles tendent à mettre en concurrence les salariés du monde entier, pour faire pression notamment sur les salaires et sur les emplois.

D’où, le besoin, au contraire, de partages beaucoup plus complets et nouveaux, en allant jusqu’à des Services et Biens communs, publics, de toute l’humanité, avec des coopérations très intimes, émancipées des multinationales monopolistes. D’où également, le besoin de partage avec l’ensemble des travailleurs, pour leur sécurisation et leur promotion.  En effet, plus il y aura de travailleurs bien formés et en emploi, à l’opposé du chômage et de l’insuffisance de qualification, et plus on pourra partager les recherches et les informations, et réduire les coûts avec des critères d’efficacité sociale.

Au plan anthroponomique et culturel, dans le cadre du libéralisme, c’est aussi les dominations bureaucratiques et étatiques ainsi que des groupes monopolistes et de la marchandisation, y compris par la gratuité au service de la publicité commerciale, sur les logiciels, les moteurs de recherche et les services informationnels.

On peut leur opposer les avancées possibles de logiciels libres, non récupérés par les groupes monopolistes privés, de services publics et sociaux de partage, des pouvoirs nouveaux des usagers et des associations d’usagers, pour une maîtrise sociale et pour aller vers une culture d’intercréativité,  jusqu’à chacun.

3ème Point : La relation des analyses de la révolution informationnelle avec des propositions originales et ambitieuses pour un projet de société d’intercréativité, de portée révolutionnaire, sans banalisations réductrices.

Je n’indique ici que quelques éléments. Au lieu des simples «modifications du travail», évoquées dans le document introductif, il s’agirait, bien plus précisément, de l’avancée possible d’un «travail créateur» et maîtrisé par les travailleurs eux-mêmes. Cela se relierait à une véritable révolution de la formation en quantité et en qualité, ainsi qu’à de nouveaux pouvoirs et financements comme dans le projet du PCF de «sécurité d’emploi ou de formation» avec une rotation emploi/formation, et avec une sécurisation des activités professionnelles dans une mobilité de promotion. La progression extrêmement amplifiée de la formation continue ne concernerait pas seulement le travail professionnel mais la maîtrise de toute sa vie et la culture dans toutes ses dimensions.

Il s’agit aussi de novation concernant les services publics pour les personnes, avec des pouvoirs d’interventions créatrices des usagers en liaison avec leurs associations et leurs formations pour coopérer avec tous les personnels, dans toutes les opérations, depuis la santé jusqu’à même la recherche scientifique. Enfin, au lieu de parler vaguement de démocratie informationnelle et de co-constructions du savoir dans la citoyenneté, il s’agit plus précisément de faire reculer les délégations représentatives avec des partages de pouvoirs et de créativités pour l’élaboration informationnelle et les idées directrices. Cela concernerait des pouvoirs décentralisés et concertés jusqu’à chacun, du local au national, au zonal (comme l’Union Européenne) et au mondial, avec une démocratie participative  et d’intervention. Contre tous les monopoles, exclusions, discriminations (sociaux, de genre, de génération, d’origine, d’aires culturelles de l’humanité), il s’agirait d’avancer vers des institutions de partages des ressources, des pouvoirs, des informations et des rôles, pour une civilisation d’intercréativité (1).

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(1) Intervention dans le débat sur le thème : «quelle place du savoir dans la société». 16 décembre 2007.

(2) Voir article de P. Boccara à paraître en 2008 dans La Pensée : « Les ambivalences de la révolution informationnelle. Antagonismes et potentialités. »


 

 

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