Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Retraites des gaziers et électriciens : où en est-on ?

Dans un contexte politique particulièrement  défavorable (2) les salariés, avec leurs organisations syndicales, sont parvenus à mettre sur la place publique  les exigences sociales du monde du travail.

Début septembre, le premier ministre, François Fillon, annonçait  sa volonté  de publier  rapidement les décrets pour  entériner  les trois axes de la réforme des régimes spéciaux.

La forte mobilisation des salariés a permis de modifier l’ordre  établi puisqu’à ce jour les négociations tripartites vont se poursuivre  jusqu’à fin février sur l’ensemble des revendications exprimées. Alors que les négociations sont toujours  en cours, le gouvernement tente un passage en force en publiant  les décrets.

Ces décrets portent les principes définis par le gouver nement dans les deux documents d’orientation du 10 octobre et du 6 novembre, à savoir :

  • L’allongement de la durée de cotisation,
  • La mise en place d’un système de décote/surcote,
  • L’indexation des pensions sur les prix,
  • La suppression  des bonifications  pour les agentsrecrutés après le 1er janvier 2009. La mise en place d’unnouveau dispositif  de prise en compte de la spécificité des métiers définis dans le cadre d’une négociation de branche ou d’entreprise durant l’année 2008.

Cette volonté de passage en force du gouvernement est jugée inacceptable par les organisations syndicales dans la mesure où les négociations professionnelles ne sont pas achevées et pour ce qui concerne les IEG ces questions n’ont toujours  pas été discutées.

 Cette formidable mobilsation est, à mon sens, le fait politique majeur depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République ! Cela démontre que la droite n’est pas inébranlable et que nous avons, non seulement, la possibilité  de résister, d’ouvrir des alternatives progressistes mais également de bousculer rapidement les rapports de force existants dans notre pays.

Des salariés ayant voté Sarkozy lors de la présidentielle se retrouvent, quatre mois plus tard, à battre le pavé avec leurs collègues de travail  pour défendre leurs intérêts et dénoncer, ce qu’il faut bien appeler, une rupture  unilatérale du compromis  social scellé entre les salariés, les entreprises de ces secteurs et la nation tout entière, il y a 60 ans.

Un «Pacte social» qui combine, dans le cadre d’un équilibre  fragile, garanties sociales de haut niveau pour les salariés et contraintes de mobilité, de disponibilité et de formation  professionnelle tout au long de sa vie active, liées à la finalité des entreprises et aux missions de service public qui leur sont conférées pour répondre, toujours mieux, aux besoins des populations.

Politique sociale et finalités économiques sont les deux faces d’un même projet de société façonné dans le mouvement et au gré des rapports  de force pour répondre aux besoins de la nation en terme d’énergie. Les communistes n’ont pas ménagé leur peine, dans chaque entreprise  du secteur des industries  électriques et gazières (IEG), pour favoriser l’intervention des salariés et générer le débat d’idées nécessaire à la compréhension des enjeux globaux de ce dossier. Des efforts  très importants ont été produits  pour engendrer de vraies convergences de luttes entre le public  et le privé  car, il est évident,  que cette

«réforme» des régimes spéciaux participe de la volonté du MEDEF et du gouvernement d’affaiblir le régime général par répartition et de poursuivre son opération de dépeçage des entreprises  de service public  en s’attachant  à modifier  leurs finalités  et le sens du travail pour les salariés.

Au travers cette «réforme» le gouvernement vise deux objectifs politiques :

D’une part, démontrer que dans notre pays on peut imposer des réformes régressives, y compris dans les secteurs où la résistance est la plus forte et, d’autre part, répondre aux exigences de rentabilité financière en permettant  aux entreprises  de se désengager de leurs responsabilités vis-à-vis du financement des acquis sociaux contenus dans les statuts.
P. Gadonneix, le PDG d’EDF, n’a-t-il pas annoncé que cette réforme des régimes spéciaux lui permettrait de provisionner 2 milliards  d’euros au bilan ?

Pour mettre en échec ces objectifs, les salariés ont cherché en permanence à déjouer les pièges tendus par le capital.
Entre l’acceptation  de cette réforme, sous prétexte d’équité, et la focalisation autour de la seule question des 37,5 annuités, les salariés ont été capables d’ouvrir  une voie liant  contestation  et propositions en luttant,  au fond, pour faire bouger le curseur de la redistribution des richesses dans le sens de l’intérêt du monde du travail.

Le fait que toutes les revendications soient sur la table des négociations tripartites et que les salariés soient fortement  mobilisés  pour  les faire aboutir peuvent permettre de faire bouger le curseur dans le bon sens.

Le desserrement du calendrier de négociations peut aider à cela, il résulte des luttes.

Ces négociations tripartites permettent  aux organisations syndicales de réaffirmer l’opposition des salariés au cadre de la réforme (l’allongement de la durée des cotisations,  la surcote/décote,  l’indexation des pensions sur les prix  et le double statut)  tout  en exigeant la prise  en compte  des revendications sociales touchant aux salaires et aux rémunérations, à la validation des années d’études et d’apprentissage, à la prise en compte des périodes de précarité, à l’intégration  des primes dans le calcul de la retraite. Au stade actuel des négociations des avancées importantes ont été engrangées notamment sur les questions relatives aux salaires, aux rémunérations, au pouvoir  d’achat, seules revendications traitées à ce jour pour les IEG :

  • Augmentation du salaire national de base de 0,2% au 1/01/07, de 1,6% en masse en 2008 avec l’acceptation par le patronat d’une clause de revoyure au cas où l’inflation serait supérieure aux prévisions.
  • Augmentation de 2,85% du salaire au 1/01/2008 pour compenser l’augmentation de la cotisation retraite (de 7,85% à 12%) suite à la réforme de financement du régime intervenu il y a 4 ans.
  • Hausse  de 15% des avancements aux choix (récompensant l’investissement  du salariés au travail)  et création d’un contingent spécial pour les jeunes en exécution. 40 à 70% des salariés, suivant les collèges, pourront  prétendre obtenir un avancement au choix représentant +2,5%, à minima, du salaire en 2008.
  • Revalorisation  de 5% du salaire de base pour les agents embauchés sans diplôme (1357 euros), avec un CAP/BEP(1410 euros) ou un bac pro (1467 euros).
  • Augmentation des coefficients hiérarchiques  dans une plage comprise  entre 0,4% et 0,8% selon les niveaux de rémunération.
  • Création d’échelons d’ancienneté supplémentaires permettant  de mieux reconnaître, au cours d’une carrière, l’apport de productivité inhérent  à l’expérience professionnelle acquise au fil des ans.
  • Versement d’une prime  de 660 euros au 1/01/08.
  • Augmentation  de l’indemnité de fin de carrièrenotamment  pour  les agents ayant eu une carrièrelongue. Versement de 5 mois de salaires pour 40 ans,4 mois pour 35 ans de service, pour 3 mois versésauparavant.
  • Revalorisation des minimums de pension : 800 euros pour 15 ans d’ancienneté, 900 euros pour 30ans et 1000 euros pour 35 ans.

Bien évidemment de nombreux points restent sur la table des négociations et les sujets les plus fondamentaux, touchant à la retraite, n’ont pas encore été évoqués.

C’est bien d’ailleurs ce qui agace le gouvernement qui entend, d’en haut, légiférer en publiant  les décrets.

Si le calendrier des négociations est respecté, début janvier, nous allons «rentrer dans le dur» de ces négociations en abordant, entre autres, les questions relatives à l’indexation des pensions sur les prix,  à la validation  des temps d’activité,  à la décote/surcote, à la reconnaissance des contraintes et de la pénibilité au travail.

Il est encore trop tôt pour tirer les enseignements sur ce conflit dans la mesure où le coup de sifflet final n’a pas retenti mais ce qui est certain c’est que la mobilisation a permis de faire bouger les lignes.

Cela peut contribuer à appréhender l’échéance de 2008, qui concernera tous les salariés de notre pays, de manièr e of fensive et avec esprit de conquête.

Je pense qu’en 2008, si nous nous y mettons tous et dans l’unité la plus large, nous pouvons faire en sorte que le curseur  de la redistribution des richesses bouge dans le sens de l’intérêt des salariés et que nous imposions des réformes profondes allant dans le sens de l’intérêt de la classe sur laquelle nous voulons nous appuyer politiquement.

Pour cela je pense qu’il faut appréhender cette étape en visant grand angle afin d’être  en capacité d’actionner tous les leviers nous permettant de reprendre au capital  ce qu’il  nous a volé au cours des 25 dernières années.

Le mouvement engagé depuis des mois au sein des entreprises  de la branche IEG a permis de consolider un rapport de force plus favorable pour les salariés : des liens de solidarité  et de fraternité  se sont solidifiés  entre les différentes  générations de salariés, les jeunes se sont particulièrement investis dans ce conflit

Ce mouvement est porteur  de valeurs de progrès et de transformation sociale

Les deux questions fondamentales qui sont posées par les salariés sont : A quel âge je peux prétendre partir en retraite et avec quel niveau de pension, questions auxquelles on ne peut répondre sans traiter celle de leur financement.

Pour y répondre, je considère que nous avons besoin de produire  des réponses neuves en phase avec les réalités d’aujourd’hui.

Au cours des dernières décennies la société a fortement évolué.

L’âge moyen d’embauche recule (26 ans dans les IEG) sous l’effet de l’allongement de la durée des années d’étude, des périodes de précarité  et de chômage qui précèdent souvent l’embauche en CDI.

Pour répondre à cela ne faut-il pas inventer  un nouveau système, renforçant le concept de répartition, ouvrant  la possibilité  d’intégrer  ces périodes d’études, de formation  et de galère dans le calcul des années de cotisations et dans la détermination du niveau de pension ?

Ne restons pas enfermés dans un cadre préétabli par le capital. Est-ce que, par exemple, le taux de remplacement à 75% doit  rester un horizon  indépassable ?

L’allongement de la durée de vie, généré par l’évolution  des sciences et des technologies,  ne doit-il pas nous permettre  d’appréhender  l’apport des retraites à la société de manière fondamentalement différente ?

Concernant le financement du régime particulier des salariés des IEG : les «réformes» mises en œuvre par le gouvernement visent, en fait, à réduire la part de financement des entreprises en vue de diminuer  les

«charges sociales» qui soi-disant pèsent sur la compétitivité, peut-on se résigner à cela ? A l’évidence non ! Les entreprises du secteur de l’énergie réalisent des milliards de profit, les dividendes versés aux actionnaires sont faramineux  et les sommes englouties dans les opérations de concentration dépassent l’entendement.

La question d’utiliser l’argent autrement est, à mon sens, posée.

Les entreprises de ce secteur peuvent maintenir leur niveau de participation financière pour assurer l’équilibre du régime particulier des salariés des IEG, voire l’augmenter, sans handicaper leur compétitivité.

La particularité du financement  du régime spécial des IEG repose sur le fait que les entreprises  de la branche professionnelle  versent une contribution financière permettant d’équilibrer le système de solidarité en temps réel.

Jusqu’alors l’équilibre du régime n’était pas réalisé à partir de la réduction des droits des salariés mais par un apport financier supplémentaire des entreprises. La participation financière  des entreprises  de la branche IEG étant nettement supérieure aux entreprises cotisant pour le régime général.

C’est bien ce système progressiste  qui permet de puiser dans la valeur ajoutée les ressources nécessaires au financement du droit  à la retraite que les directions  et le gouvernement veulent remettre en cause.

L’objectif  recherché est que l’équilibre financier du système, comme pour le régime général, soit réalisé sur la base de la réduction des droits.  La seule variable d’ajustement acceptable pour le capital c’est les droits sociaux du personnel.

Pourtant la participation financière des entreprises de la branche professionnelle, en constante évolution, n’a ni entravé la compétitivité ni le développement de ces entreprises.

Plus largement est-ce que notre pays, les pays d’Europe et du Monde acceptent de mettre  quelques points de PIB en plus pour assurer le financement des retraites ou pas ?

C’est cette question politique renvoyant à des choix de société que nous devons travailler avec le peuple. En soulevant ces questions j’ai conscience que j’alimente le débat qui agite la gauche : Quelle gauche voulons-nous ?

Une  gauche  qui  accompagne  socialement  les «réformes» induites par le capital, une gauche qui ne fait que contester ces choix en s’accrochant à l’existant ou une gauche qui a le courage de s’engager dans un processus de réformes profondes  de la société pour enclencher une dynamique de dépassement du système capitaliste.

Beaucoup de salariés dans ce conflit  prennent conscience que le mouvement social ne peut pas tout régler et qu’il y a donc nécessité de faire de la politique.

Dans ce cadre l’apport des communistes  est plus nécessaire que jamais. Il doit être réalisé sur la base de contre-propositions crédibles  et radicales s’inscrivant dans un projet de société visant le dépassement du capitalisme tout en cherchant à favoriser des rassemblements d’idées, d’actions  sur le terrain comme dans les institutions sur fond de bataille idéologique acharnée contre la droite et Sarkozy.

Les décisions prises par les délégués réunis les 8 et 9 décembre à La Défense me semblent être de nature à ouvrir  des perspectives  politiques  porteuses d’avenir pour notre pays et en phase avec les attentes émises par les salariés lors de ce mouvement social qui est loin d’être fini.

 

Eric Roulot(1)

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(1) militant communiste à EDF

(2) Une droite triomphante, un PS qui, par «pragmatisme», accepte le fond de cette réforme, un pilonnage médiatique de culpabilisation sans précédent.

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