Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pour une autre approche de la dette publique en Europe

Avec la reprise, l’OCDE et les autorités européennes réclament une réduction des dépenses publiques. Mais comment expliquer cette peur de la dette publique ?

I. Une explosion de l’endettement public, conséquence d’interventions massives et nouvelles

Une forte progression liée aux politiques de soutien au système financier et aux plans de relance

Dans les pays les plus avancés, la reprise de l’activité économique a été stimulée par les difrents dispositifs publics de relance et la politique monétaire accommodante de la banque centrale. Ainsi, le déficit budgétaire américain devrait-il dépasser les 12% du PIB en 2009-2010. En 2009, la dette extérieure brute des États-Unis oscille autour de 17 000 milliards de dollars et la dette nette (dette brute moins créances extérieures) autour de 7 000 milliards.

Un endettement qui résulte des déficits de la balance commerciale américaine accumulés depuis les années 1980. En Europe, la dette publique de l’ensemble de la zone euro est passée de 66% du PIB en 2007 à 69,3% fin 2008. Les déficits publics n’expliquent cependant que 36% de cette hausse. Le complément résulte notamment des emprunts levés pour apporter des capitaux ou prêter des liquidités au scteur financier.

 

Europe : 1 300 milliards d’euros de garanties apportées aux banques

Selon la Commission de Bruxelles, les subventions publiques consenties par les États de l’Union européenne ont été multipliées par cinq en 2008 par rapport à 2007 et se sont élevées à 279,6 milliards d’euros. Entre octobre 2008 et octobre 2009, le volume total des mesures de crise autorisées par la Commission a été de 3 632 milliards d’euros, soit 29% du PIB de l’Union à 27. Ce montant, cumule les mesures de garantie apportées aux banques par les États, les recapitalisations et prises de participation, la prise en charge des actifs défectueux, Ces autorisations n’ont cependant pas été utilisées complètement. Cela a été le cas du tiers des mesures de garantie et de 55% des mesures de recapitalisation. Les garanties fournies aux banques se sont ainsi élevées à quelque 1 300 milliards d’euros.

A cela il faut ajouter l’ensemble des aides publiques destinées à favoriser la consommation et la relance de l’investissement.

Les mesures adoptées en France

Avec une augmentation de 4,3 points, le ratio « dette publique /PIB » de la France a continué de croître plus vite, en 2008, que les moyennes communautaires. Atteignant

68,1 points de PIB, il a dépassé, pour la première fois dans la période récente, le ratio allemand (65,9 points).

Fin 2008, selon la Cour des comptes (1), la dette brute, au sens du traité de Maastricht, a progressé de 10%, passant de 1 209 Mds d’euros fin 2007 (63,8% du PIB) à 1 327 Mds d’euros fin 2008 (68,1% du PIB). Cette augmentation de  118 Mds d’euros a résulté pour 66 Mds d’euros du déficit public. Elle a aussi traduit, pour 25 Mds d’euros, les emprunts contractés pour le financement des banques.

La crise et le plan de relance expliquent l’essentiel de l’aggravation en 2009. Le ratio déficit public/PIB devrait atteindre 8,3% en 2009 et 8,5% en 2010.

Au total, selon le rapport intermédiaire de l’OCDE, le soutien à l’activité, atteindrait en France 6,6% du PIB en 2009 et 8,3% en 2010, contre 10,2 et 11,9% aux États-Unis mais aussi contre 4,5 et 6,8% en Allemagne ou encore 5,4 et 7,0% en moyenne dans la zone euro.

eFinances publiques déficit et dette: (voir PDF)

II. Une difficulté à réduire la dépense la dépense publique qui ouvre des opportunités à l’intervention populaire

La hausse des dépenses sociales et informationnelles : une tendance de long terme.

En France, depuis la fin des années 90, le taux de prélèvements obligatoires des administrations publiques s’est maintenu entre 43% et 44% du PIB (2).

La répartition des prélèvements obligatoires a évolué sensiblement. La part de l’État a eu tendance à reculer, alors que celle des organismes de Sécurité sociale et des administrations locales a progressé. La hausse du taux des organismes de Sécurité sociale reflète la tendance générale à l’augmentation des dépenses sociales. C’est ainsi que les dépenses de retraite ont augmenté de 10,7% du PIB en 1981 à 13,1% en 2006. Les dépenses de santé ont augmenté de 6,1% du PIB à 10,3% en 2006 sur la même période. Les dépenses publiques d’éducation et de formation, ont suivi la même courbe ascendante.

Les pays de l’OCDE ont connu une augmentation comparable à celle de la France. Cette hausse des dépenses, même si elle reste limitée, est impulsée par les mutations profondes en cours, notamment la révolution démographique.

Des prélèvements publics en concurrence avec les profits et les prélèvements financiers.

Dans la plupart des pays de l’OCDE, la crise de 2007-2008 et l’explosion des dettes publiques qui s’en est suivie, a renforcé les craintes et la volonté de réduire à la fois l’endettement, les prélèvements et les dépenses publics et plus exactement, au sein de ces dernières, les dépenses utiles (éducation, santé, …).

Prélèvements et dépenses publics sont en concurrence avec les profits et les prélèvements financiers, ils pèsent sur la rentabilité des capitaux. La progression de l’endettement public vise notamment à surmonter cette contrainte (3). En même temps, et de manière contradictoire, la dépense publique est alourdie par le soutien apporté aux profits, notamment sous la forme d’exonérations visant à baisser le coût du travail.

L’exemple de l’emploi public

L’évolution de l’emploi public illustre les contradictions qui travaillent les politiques publiques. Les effectifs physiques cumulés des trois fonctions publiques, y compris les agents des établissements publics administratifs, évalués au 31 décembre en équivalent temps plein, sont passés de 3,9 millions en 1986 à 4,9 millions en 2007, soit une augmentation de 24,9%.

La droite a réduit l’emploi dans la fonction publique d’État à partir de 2007, mais au total l’emploi public a progressé, impulsé par sa forte augmentation dans la fonction publique territoriale et hospitalière.

 





Évolution de l’emploi public

(équivalents temps plein)

 

État

Territoriale

Hospitalière

Total

1986

2 189 942

1 028 163

702 088

3 920 193

1990

2 199 803

1 067 616

727 941

3 995 360

1996

2 273 946

1 148 446

756 788

4 179 180

2000

2 336 652

1 235 612

793 561

4 365 825

2006

2 407 506

1 507 461

940 817

4 855 784

2007

2 350 922

1 590 723

955 899

4 897 544

2007/86 en %

7,4%

54,7%

36,2%

24,9%

 






Dépenses publiques de personnel

(en Mds constants, année de référence : 2000)

 

État

Territoriale

Hospitalière

Retraites

Total

1980

77,5

17,6

25,8

19,5

140

1986

86,0

25,5

29,6

23,4

165

1990

87,0

28,1

32,2

25,8

173

1996

100,1

34,3

38,1

31,5

105

2000

108,7

41,7

41,9

35,2

228

2006

126,4

56,0

52,3

42,9

278

2007

128,6

60,6

54,1

44,6

288

2007/80 en %

65,9%

244,3%

109,7%

128,7%

105,1%

eeactualité

Un « ajustement » difficile à réaliser

Dans la seconde partie de son rapport de juin 2009 « sur la situation et les perspectives des finances publiques », intitulée « un ajustement inéluctable », la Cour des comptes (4) doute de la capacité des politiques engagées (RGPP, réforme de l’hôpital) à réduire véritablement la dépense publique et considère, en revanche, que certaines dépenses connaîtront inévitablement une forte croissance. Elle cite pêle-mêle la charge de la dette, les dépenses de retraite, les dépenses ambulatoires d’assurance maladie, les retraites du régime général, Aussi appelle-t-elle à engager une réflexion afin d’anticiper les possibilités de réduction des dépenses.

Ce doute de l’institution confirme qu’il y a des espaces réels pour l’action populaire. Cependant, si les besoins sociaux bousculent les politiques néolibérales des pouvoirs en place, ils ne peuvent être spontanément satisfaits.

III. De nouveaux équilibres a construire dans le monde et en Europe

Des rapports de force entre débiteurs et créanciers qui changent

La crise a eu pour effet d’augmenter très fortement le besoin des États-Unis de faire appel aux capitaux extérieurs afin de financer leurs gigantesques plans de sauvetage des banques, de grandes entreprises et les mesures de relance. En même temps, la montée de cet endettement extérieur a fait plonger le dollar, provoquant l’inquiétude des pays disposant d’importants avoirs dans cette monnaie. 62% des réserves mondiales de change sont en dollar.

Les pays d’Asie particulièrement sont parmi les principaux détenteurs de ces réserves le plus souvent constituées de titres de dettes publiques étrangères. La Chine est ainsi le premier créancier des États-Unis avec près de 2 000 milliards de réserves libellées en dollars, et 60 à 70% de ces réserves investies en bons du Trésor américain. Cela contribue à modifier ses relations avec les États-Unis.

Des nouveaux financements, une nouvelle création monétaire

Les enjeux de l’endettement public ne sont donc pas que nationaux ou régionaux, ils sont au cœur des rapports de force internationaux et également des coopérations nécessaires. Il s’agit de créer les conditions pour soulager les pays les plus en difficulté du fardeau de leurs dettes, pour leur faciliter l’accès à des financements nouveaux leur permettant de satisfaire les besoins sociaux de leur population. Au-delà, il s’agit de mettre une nouvelle création monétaire au service du développement de l’emploi, de la formation, du développement humain de tous les peuples.

Cela appelle des réformes radicales dont la nécessité commence à être invoquée par certains gouvernements et des institutions internationales : transformation du FMI et de la Banque mondiale, nouvelle monnaie commune mondiale, nouvelle gouvernance mondiale, développement des services publics,

Face à la nouveauté et à l’ampleur de l’endettement public de crise, une volonté en Europe de comprimer la demande sociale

La dette publique et la création monétaire par les banques centrales sont venues suppléer massivement l’endettement privé qui s’est effondré. Elles ont pris le relais de celui-ci afin de soutenir la demande, permettre la relance de l’investissement et le relèvement de la rentabilité des capitaux.

Ce soutien aux capitaux privés va de paire en Europe avec la volonté de maintenir le cours élevé de la monnaie unique et de continuer à attirer les capitaux vers les places financières européennes. C’est dans cet esprit que les pouvoirs en place mettent l’accent sur la résorption des déficits. L’Allemagne n’entend pas financer les dettes des autres avec ses propres excédents. La Grèce, l’Irlande, l’Espagne, le Portugal sont rappelés à l’ordre. La France est priée de ramener son déficit dans la norme de 6% d’ici à 2012.

Trouver des solutions inédites plutôt que de préparer de nouveaux effondrements

Dans les grands pays capitalistes, les banques et les entreprises ont pu commencer à restaurer leur rentabilité grâce, d’une part, à un accès abondant à des ressources sans risques et à faible coût fournies par la puissance publique, et d’autre part, à une réduction de leurs charges de personnel par le recours au chômage partiel et aux réductions d’effectifs. Les banques ont bénéficié pleinement de l’effet de levier. Elles ont pu tirer des liquidités à très faible coût auprès des banques centrales et avec ces ressources acheter d’importants portefeuilles de titres publics afin de profiter de l’écart entre les taux directeurs très faibles des Banques centrales et les taux d’intérêt à long terme des titres publics plus élevés. Mais ce financement public ne peut être efficace que s’il est orienté, à partir de nouveaux critères, vers le développement de la richesse créée, de l’emploi et de la productivité globale de tous les facteurs. Or, c’est le contraire qui est fait et c’est un tout autre résultat qui se profile. L’intervention publique massive pour tirer l’investissement privé et relever sa rentabilité à partir de nouvelles technologies (nanotechnologies et biotechnologies) très économes en moyens matériels et humains risque à nouveau de déprimer la demande et la croissance et de rendre encore plus lourd le poids de la dette publique et de la création monétaire qui a soutenu cet endettement.

C’est grâce à cette monétisation indirecte des dettes publiques par les Banques Centrales que la hausse de l’endettement public ne se traduit pas par une hausse des taux d’intérêt des titres qui pourrait ouvrir la porte à un krach obligataire. Mais cela conduit à placer le sort d’États entre les mains des banques, des marchés financiers et des groupes. Déjà, dans la zone euro, l’écart avec le taux des emprunts allemands à 10 ans est passé, entre mai 2008 et mai 2009, de 0,4 à 1,9 points pour l’Irlande, de 0,5 à 1,8 points pour la Grèce et de 0,2 à 0,4 points pour la France.

Créer les conditions d’une solidarité de développement mutuel

Il y a pourtant des éléments de solidarité entre pays européens. En 1er lieu parce qu’ils effectuent l’essentiel de leurs échanges entre eux et qu’ils disposent d’une même monnaie ; en second lieu, parce qu’il y a pour une bonne part une sorte d’autocontrôle de la dette publique en Europe.

Aux États-Unis et au Royaume Uni, les banques centrales ont engagé des mesures non conventionnelles en achetant, s leur émission, des titres publics afin de financer les plans de relance et les mesures de soutien au système financier du gouvernement. Cette procédure interdite à la BCE offre des possibilités de financements inédites des dépenses publiques, à coûts très faibles, voire nuls, en court-circuitant les marchés financiers. Mais cela suppose que ces dépenses soient ciblées à partir de critères sélectifs et orientées vers des mesures de développement humain, aident au développement d’investissements porteurs de croissance, créateurs d’emplois. C’est d’ailleurs la condition pour qu’un tel financement ne soit pas inflationniste.

Ce nouveau dispositif de financement à partir de nouveaux critères présente plusieurs avantages, il peut :

Libérer la puissance publique de la tutelle des marchés financiers ;

Offrir des possibilités de financement considérables des besoins sociaux, à partir de la création monétaire, à l’opposé des limites des marchés financiers et des risques qu’ils font courir ;

Contribuer à contrôler les profits dans les entreprises financières et non financières, à mettre en cause un type de productivité visant avant tout à réduire le coût du travail ;

Aider au développement de nouveaux services publics ;

Contribuer à réduire considérablement la charge de la dette qui aujourd’hui avoisine le budget de l’Éducation nationale ;

Être un important accélérateur de croissance et une arme anti-chômage.

En même temps ses effets peuvent être démultipliés si des réformes de progrès sont mises en œuvre dans une série de domaines : systèmes de protection sociale, hôpital, formation.

 

(1) « Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques », juin 2009.

(2) Cf. le rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution annexé au projet de loi de Finances pour 2009.

(3) Cf. Paul Boccara : « Transformations et crise du capitalisme mondialisé : Quelle alternative ? » deuxième édition, p. 89, « Le Temps des Cerises », août 2009. (4) P. 56.

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