Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Contrat de travail : un accord conforme aux exigences patronales et aux vœux de Sarkozy

A l’exception notable de la CGT les syndicats ont donc signé l’accord interprofessionnel sur les contrats de travail.  La décision finale, transposition dans la loi, est maintenant  entre les mains de Sarkozy qui a mis la pression sur les syndicats en exigeant qu’ils signent une grosse partie du cahier de revendications du Medef  sous la menace d’en transcrire la totalité dans une la loi.

L’accord est dominé par les exigences du Medef qui portent sur trois questions essentielles avec comme point commun la recherche d’une flexibilité  et d’une insécurité  encore plus grandes que celles que connaissent déjà les salariés.

D’abord le patronat veut allonger les périodes d’essai.

Il s’agirait à la fois de mieux apprécier  les compétences du salarié recruté et de bénéficier d’une période de consolidation économique. Les périodes d’essai sont généralement d’une durée d’un mois et de trois mois pour les cadres, ce qui est largement suffisant pour  mesurer les qualités  professionnelles  d’un travailleur d’autant plus que l’embauche est entourée d’un luxe de précautions inouï. D’autre part, dans la pratique,  la période d’observation est (en toute illégalité) plus longue puisque le recrutement en CDI est très souvent précédé de CDD ou d’intérim. Quant à la période de consolidation économique le raisonnement patronal devrait le conduire à exiger des périodes d’essai illimitées puisque la pérennité des commandes n’est jamais certaine.

En fait l’allongement  des périodes d’essai présente deux avantages au yeux des patrons : se débarrasser quand ils le veulent des éléments jugés indésirables et pendant toutes ces périodes faire suer le burnous au maximum aux personnes embauchées à l’instar  des méthodes de cette grande surface qui prenait 20 jeunes en contrats  de qualification de deux ans en même temps et en annonçant qu’à l’arrivée  il y en aurait 5 recrutés en CDI : des mères affolées devant l’état d’épuisement de leurs fils mis ainsi en concurrence appelaient l’inspection du travail pour demander ce qu’il était possible de faire.

Il faut savoir cependant que les périodes d’essai sont fixées par les conventions  collectives  de branches, l’accord  interprofessionnel et la loi ne peuvent les abroger. Il faudra que dans chaque branche les patrons obtiennent les signatures syndicales.

Deuxième sujet mis sur la table. La séparation à l’amiable : organisation d’une vaste fraude aux Assedic incompatible avec «la France qui se lève tôt».

En fait cette modalité de rupture existe depuis toujours. La nouveauté serait qu’elle ouvrirait droit aux allocations chômage alors qu’actuellement il faut «être involontairement privé d’emploi» pour toucher les allocations.

Aujourd’hui «la séparation  à l’amiable» se pratique autrement. Les départs, le plus souvent après 57 ans, sont arrangés entre employeurs et salariés : une lettre de licenciement avec un motif imaginaire accepté par le salarié. L’entreprise réduit ainsi, ou renouvelle, ses effectifs à peu de frais, le salarié de son côté est satisfait de partir en retraite anticipée payée pendant trois ans par l’Assedic. Ces pratiques sont légion en particulier dans les plus grandes entreprises. Actuellement 450 000 personnes sont ainsi dispensées de recherche d’emploi, non comptées dans les chiffres du chômage.

L’accord conclu légaliserait donc ces pratiques frauduleuses. Mais en plus il conduira à plus de licenciements : l’employeur  qui veut se débarrasser d’un salarié pourra le pousser vers la porte en lui menant la vie dure tout en lui faisant miroiter comme issue les allocations chômage au lieu d’une hypothétique procédure prud’hommale. En quelque sorte les allocations Assedic se substitueraient aux dommages payés par l’employeur sur décision du juge.

Il s’agirait, dit le Medef, de protéger les chefs d’entreprise contre  l’insécurité  juridique que représentent les procédures devant les conseils des prud’hommes. D’où aussi l’exigence d’un plafonnement des indemnités accordées par le juge en cas de licenciement abusif. Etonnant de la part de gens qui prétendent que la caractéristique première de ces surhommes que sont les chefs d’entreprise c’est justement le goût du risque qui justifie leurs hautes rémunérations !

Mais quelle est donc dans la réalité l’ampleur du risque pris par le patron quand il licencie ? Le recoupement de diverses sources donnent ceci : bon an, mal an 800 000 licenciements par an, 140 000 procédures engagées en justice par les victimes dont 40 000 aboutissent à des condamnations en dommages et intérêts d’un montant moyen de trois mois de salaire, c'est-à-dire que chacun des 800 000 licenciements coûte en moyenne environ 250 euros au patronat  pris dans son ensemble. On voit l’urgence à protéger les chefs d’entreprise contre une telle menace !

Il y a bien sûr des cas où la condamnation  est plus lourde, 6 mois de salaire, deux ans, quatre ans dans des cas extrêmes. Il reste que ces condamnations visent les cas ou l’abus patronal  est manifeste et où le préjudice subi par le salarié est parfois considérable. En réalité le préjudice subi par un salarié de plus de 50 ans ayant fait toute sa carrière dans la même entreprise n’est jamais complètement  réparé ; nombreux  sont ceux qui, dans cette situation,  ne retrouveront plus jamais de travail. Qui donc prend les risques et doit être protégé contre l’insécurité  juridique ?

Est-ce que Sarkozy osera, d’une part légaliser les fraudes massives aux Assedic permises par l’accord et, d’autre  part, favoriser  la tâche de ces voyous qui mettent le couteau sous la gorge d’un travailleur en lui disant : «tu signes à l’amiable avec trois mois d’indemnités ou je continue  à te mener la vie dure, tu seras tout de même lourdé et je te garantis qu’alors tu ne retrouveras plus jamais de travail dans la région». Ces pratiques existent déjà mais en les légalisant on risque de les multiplier et on rend quasi impossible les contestations par les victimes.

L’homologation par les directions  départementales du travail pose enfin deux problèmes : d’abord, vu le nombre de ruptures, ces directions  ne pourront pas suivre, ensuite il semble que le gouvernement a oublié de signaler aux négociateurs qu’il a prévu, dès 2008, la disparition des directions  départementales  du travail !!!

La question se pose : peut-on en France interdire à un citoyen de demander réparation en justice quoi qu’il ait signé ? les tribunaux  ne peuvent être privé du droit d’apprécier les conditions  dans lesquelles le consentement à été obtenu, les motifs réels de la rupture, ainsi que le montant de la réparation du préjudice.

Troisième revendication patronale. Un nouveau motif de CDD : le contrat de mission ou le contrat à objet défini.

Pas si nouveau que cela. Petit rappel historique : dans le silence du Code du travail c’est le Code civil qui réglemente le contrat  de travail,  or ce Code Napoléon prévoit  qu’on peut engager ses services pour une entreprise  (un objet) déterminée. Cette possibilité  a toujours donné lieu à de nombreux abus et à une très grande précarité tempérée cependant dans ses conséquences dans les périodes de faible chômage comme celle des années 60. En 1982 une ordonnance  vient limiter  une première fois le CDD de mission en obligeant à fixer une date de fin de contrat. Puis une loi du 12 juillet  1990 interdit totalement ce type de contrat. Mais ce qu’il  ne faut pas oublier,  c’est que cette loi reprenait le contenu de l’accord  interprofessionnel du 24 mars 1990 signé par le CNPF et les syndicats, CGT comprise.  Bien que rarement,  il arrivait  encore à l’époque que le patronat signe des accords de progrès social.

Aujourd’hui le Medef récuse ce que ses prédécesseurs ont admis il n’y a pas si longtemps.  On peut se demander dès lors ce que valent les signatures patronales.

Les délégations syndicales l’ont souligné, le CDD de mission serait un mauvais coup contre  les salariés car il cumulerait les défauts du CDD c'est-à-dire l’éviction de l’entreprise  sans autre motif que la fin de la mission et les défauts du CDI à savoir la possibilité du licenciement à tout moment. Exit la durée minimum garantie du CDD mais exit aussi la nécessité d’un motif réel et sérieux pour licencier du CDI.

Les constructeurs automobiles, par exemple, recourent fréquemment  aux CDD (sous la forme intérim) lors du lancement d’un nouveau modèle et pendant toute la période de montée en charge et même au-delà. C’est le plus souvent illégal parce qu’il n’y a pas «accroissement temporaire  de l’activité», il y a toujours  en effet des nouveaux modèles. Les tribunaux, quand ils sont saisis, requalifient les contrats ainsi conclus en CDI. Avec le contrat de mission à objet précis on pourrait, en toute légalité, écrire à un salarié qu’il est recruté pour la période de lancement de tel nouveau modèle ou bien pour la période de montée en charge de tel marché à l’export, c’est le chef d’entreprise qui décréterait à tout moment que la période de lancement est terminée.

Avec 900 000 CDD et 650 000 intérimaires  en permanence (donc deux fois plus de personnes concernées puisque ces précaires ne travaillent en moyenne que 6 mois par an) l’emploi précaire est déjà à un niveau très élevé, ça ne suffit pas aux actionnaires des grands groupes qui veulent toujours plus, conformément au credo de Laurence Parisot selon laquelle «la vie, l’amour, la santé sont précaires, pourquoi  le travail échapperait-il à cette règle ?»

L’accord limite  ce nouveau CDD aux ingénieurs et cadres. Rien n’empêchera demain de l’étendre à tous comme cela s’est fait avec le forfait jour réservé aux cadres par Aubry et étendu récemment à tous les salariés.

De plus l’accord  prévoit  la légalisation du «portage salarial», cette forme extrême de l’intérim où un salarié (le porté) se cherche des missions chez des clients, un intermédiaire (l’entreprise de portage) établissant des factures au client et les transformant en salaires après avoir déduit sa commission. Du trafic de main d’œuvre actuellement illégal.

On fera un sort rapide à la promesse selon laquelle tous ces suppléments de souplesse favoriseront l’embauche et la lutte contre le chômage. Cette soupe a été servie cent fois depuis la légalisation de l’intérim en 1972 jusqu’à la dernière loi sur le rachat des RTT en passant par l’abrogation du volet anti-licenciement de la loi de modernisation sociale. On connaît les résultats.

Quant aux concessions qu’auraient arrachées les syndicats c’est la misère :

Indemnité de licenciement portée à 1/5ème de mois de salaire, c’est déjà ce que prévoit la plupart des conventions collectives et c’est très faible (deux mois pour dix ans d’ancienneté, en Espagne c’est cinq fois plus depuis longtemps). Portabilité de certains droits comme les 20 petites heures de DIF annuel. Stages des jeunes pris en compte dans la période d’essai, encore heureux puisque ces stages sont des essais, de surcroît non ou mal payés.

Dans ces conditions où, à 99 %, l’accord est favorable au patronat on peut se demander quelles peuvent être les raisons réelles des signatures ? Des pressions de toutes sortes se sont elles exercées ? Mystère !

 

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Par Morin Alain, le 01 December 2007

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