Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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« Grand Paris » du capital ou pari d’une capitale pour chacune et chacun

Interview de Dominique Adenot (1),

Economie  et Politique : Comment  appréciez-vous le projet de grand Paris de Nicolas Sarkozy  ?

Au Trocadéro, en avril 2009, N. Sarkozy prononçait un discours affichant plein d’ambitions pour l'Île-de-France, pour la ville de ses voeux : le « grand Paris ». Il parlait de vrais problèmes auxquels sont confrontés les gens : transports, déséquilibres en région parisienne, besoins des habitants de vivre une ville agréable, non ségrégative. Il prétendait aussi faire de Paris une ville qui réponde aux normes écologiques.

Mais dès son premier acte, celui de l’annonce du projet d’un million de mètres carrés de bureaux à la Défense, il dévoile son objectif de faire de la région une place financière au service des grandes multinationales (reprenant les grands thèmes et objectifs du grand Paris d’avant 1996).

Alors que les contributions des 10 équipes d’architectes, portaient de vraies réflexions sur l'avenir, qui méritaient d'être confrontées aux exigences des salariés, des usagers et des habitants dans le cadre d'un grand débat démocratique, celles-ci ont été instrumentalisées pour un projet qui continue à banaliser le fait que matin et soir les gens doivent consacrer 80 minutes aux déplacements domicile/travail.

Le « Grand Paris » de N. Sarkozy, c'est une fuite en avant où tous les transports vont converger vers le pôle de la Défense déjà engorgé. Un pôle qu’on veut surdimensionner au prix de spoliations de communes comme Nanterre qui se voient confisquer leurs droits à gérer les sols. Le Président de la république, s'est appuyé sur ce qui est le plus fédérateur en Île-de-France : le droit à la mobilité. Mais, avec la construction du « Grand Huit », un métro de 130 kilomètres reliant la Défense, les grands aéroports et quelques pôles (ce qui ne concerne que 1,7% des transports actuels), les conditions de transport entre domicile et travail, (45% du trafic actuel), ne seront pas forcément améliorées. Le « Grand Huit » éloignera encore plus les populations modestes des gares. Le développement inégalitaire et ségrégatif de l’agglomération sera accentué (développement en « peau  de léopard ») . Pendant 40 ans, au nom du retrait de l’État en Ile-de-France, on a favorisé la régression de l’industrie et du rôle moteur de la région pour la France. Le retour annoncé de l’État ne signifie pas la discussion, le dialogue, une construction commune et partagée mais, au contraire, le dictat de choix ultra-libéraux.

Ainsi, le projet contenu dans la loi du Grand Paris, adoptée à l'assemblée nationale, ne se limite pas à la question d'un mode de transport, mais tente d’imposer un tout autre modèle de développement de l'Île-de-France. Avec la nomination d’un secrétaire d'État, ce n'est pas le retour d'un État pour répondre aux besoins de chacun, pour favoriser des péréquations et faire régresser les déséquilibres et les inégalités, mais celui de l'État autoritaire qui impose, avec l'argent des autres collectivités, ses choix au service des grands groupes capitalistes.

Main basse sur les sols :

Le projet de construction du « Grand huit» est le prétexte pour créer la « société du grand Paris » qui prendra le pas sur le droit des sols des communes (droit attribué aux élus et aux populations dans le cadre des lois de décentralisation de 1975 et de 1983-1985) et sur les plans locaux d'urbanisme.

Les terrains que cette société pourrait préempter autour du chapelet de gares du grand Paris représentent quatre fois la surface de Paris, Une société dans laquelle les élus sont exclus (un seul maire pour représenter les 180 villes concernées). Ainsi l'État est le seul qui va décider la stratégie.

Cela se fait en hostilité aux projets et réalisations en cours comme dans les transports à l'initiative  du syndicat des transports d'Île-de-France pour améliorer le maillage des transports. Or la loi du Grand Paris prévoit déjà de bloquer la consultation sur les projets prévoyant des liaisons de banlieue à banlieue.

A Champigny, on a plébiscité Orbival, un métro qui s'arrête tous les 2 ou 3 kilomètres afin de relier quartiers, zones d'activités, villes, et départements entre eux. Cela dans le cadre du service public avec l'exigence d'un tarif unique. Alors qu’Orbival desservirait 16 gares dans le Val-de-Marne, le métro de Christian Blanc ne s’y arrêterait que dans 4.

Celui-ci relierait le quartier de la Défense les grands aéroports parisiens, quelques « clusters » (2) et centres culturels, (notamment le musée actuel de l'aéronautique au Bourget qui serait transformé en vitrine aéronautique de la France sur le modèle américain et à proximité de l'aéroport d'affaires). Tandis qu'à l'Est, une branche par Marne-la-Vallée est envisagée. Celle-ci sans être dénuée de tout intérêt, ne répond pas aux besoins immédiats. Quant aux « clusters », ils visent à mobiliser la puissance publique avec l’argent des collectivités pour mettre la recherche au service des multinationales. Ainsi, à proximité, un Cluster sur le développement durable est envisagé associant l’université de Marne-laVallée, avec ses 1200 chercheurs. Le cluster donnerait aux groupes installés sur ce pôle les moyens de piloter les recherches afin d'en assurer la valorisation financière. Et pour cela, on fait main basse sur les réserves foncières et les financements des aménagements réalisés par les collectivités territoriales.

Nicolas Sarkozy prétend que 850 000 emplois pourraient ainsi être attirés dans le cadre de ce projet, mais ceuxci ne seront en rien des créations mais des transferts d'emplois existants. En fait, on va offrir à la charge des contribuables des bureaux « haute qualité environnementale » et pas chers à des multinationales et leurs sous traitants pour le plus grand profit des majors du BTP. Certaines promesses prennent l'allure de miroirs aux alouettes : en effet ce projet nécessiterait que l'Île-deFrance réalise un taux de croissance annuelle de 8,5 %. Est-ce sérieux  ?

Il en va de même pour les 75 000 logements promis mais qui ne risquent pas de répondre aux besoins populaires car il s'agit en premier lieu de faire de l'argent autour des gares et ce ne sont pas des HLM qui répondront à ces exigences (3).

En effet le financement du grand Paris, et de son « Grand Huit » est envisagé à partir d'une monumentale spéculation sur les terrains autour des gares accaparés par la « société du Grand Paris » ; 35 % des 35 milliards nécessaires pourraient provenir de taxe sur les constructions immobilières réalisées autour des gares. Ce projet est en fait une promesse incertaine d’investissement à plus ou moins long terme qui dédouanerait l’État de ses responsabilités actuelles en matière de remise à niveau du réseau actuel des transports franciliens. Parallèlement, les réformes institutionnelles sur les collectivités locales visant la suppression des départements et le regroupement forcé des communes tendent à imposer l'État stratège décidant de tout. Le retour des pouvoirs concentrés de l’État avec confiscation des pouvoirs locaux.

Et cela sans aucune ressource nouvelle puisque la valorisation des sols ne rapportera qu'à la «  société du Grand Paris ». Les communes, elles, devront s'endetter pour réaliser les équipements publics.

Les conventions d'aménagement par projet entre la « société du Grand Paris » et les communes concédées dans la loi sont un simulacre de concertation : rien n'est prévu en cas de désaccord. Et de toute façon, c'est le préfet qui tranchera en dernier ressort. Ajoutez à cela la réforme des collectivités prévue au Sénat en avril : tout est fait pour transformer les collectivités en services déconcentrés de l’État.

Au lieu de cette fuite en avant dans l'ultralibéralisme il faudrait s’attaquer aux vraies questions.

On ne peut plus accentuer les déséquilibres, les dysfonctionnements. Les moyens existent, par exemple, en Ile de France pour contribuer à éviter le réchauffement de la planète comme le montrent les projets des 10 architectes qui ont travaillé sur le « Grand Paris » et dont les réflexions semblent aujourd’hui écartées dans les choix retenus.

Economie  et Politique : Avant  la crise financière, on a mis fortement en avant le projet de « Paris place financière », une région attractive pour les capitaux internationaux.  Ce choix structurant du grand Paris est-il remis en cause? Cette matrice traverse-t-elle aussi les autres projets comme par exemple le Paris métropole  ?

Dominique  Adenot :

Même si une incertitude plane sur la possibilité de faire de Paris une grande place financière concurrençant Londres et si un doute monte sur la vente des mètres carrés de la Défense, on assiste à une fuite en avant vers cet objectif, quitte à brader nos vrais atouts

Faute d’alternatives économiques « Paris place financière » n’est nullement écarté de tous les projets aujourd’hui sur la table.

Quelle serait la logique de développement économique visée dans le projet de Nicolas Sarkozy pour une ville comme Champigny qui accueille de nombreuses entreprises de la construction ?

Alors qu’un pôle de développement consacré au développement durable sera aux portes de notre ville, rien n’est envisagé pour dispenser des formations aux salariés et aux PME ni pour travailler avec celles-ci sur de nouvelles technologies dans le bâtiment pour économiser de l'énergie.

La stratégie du gouvernement et des grands groupes est surtout axée sur les moyens à mettre en œuvre pour piller la recherche publique et la mettre au service de la rentabilité.

Face à ce projet, le schéma régional de l'Île-de-France, a permis, pour la première fois, de mettre autour d'une table un certain nombre d'acteurs concernés par l'avenir de l'Île-de-France. Le Val-de-Marne y a contribué en élaborant un schéma départemental s'appuyant sur les atouts industriels et de service public, notamment autour de la chimie et de la santé pour alimenter les projets régionaux. Alors que les activités financières ont montré leur fragilité et les incertitudes, la région dispose d'autres atouts pour son développement qu'il s'agisse de ses potentiels dans les domaines de l'industrie, la culture, le tourisme, ...

Mais, il faut bien constater que le « schéma régional d'Île-de-France » est fragilisé faute d'un ancrage populaire ainsi que d'une insuffisance de rééquilibrage entre l'Est et l'Ouest parisien.

On avait un problème ancien qui remonte aux années 1960 70 : il fallait surmonter l’idée d’un Paris tout puissant, le Paris contre la banlieue assumant les servitudes et les contingences de la grande ville. Ce système a été contrebalancé par les politiques sociales des départements notamment dirigés par des élus communistes. Aujourd'hui le développement local s'est surtout constitué dans le cadre de coopérations entre les communes et le département. La région est restée plus lointaine, c'est pourquoi ce niveau territorial  n’est pas devenue une référence populaire. Dans le Val de Marne l’essentiel des réalisations (routes, petite enfance, aide au logement et même le développement économique) ont été impulsées par le Conseil Général.

Il y avait un grand besoin d'arrêter de mettre en opposition Paris et sa banlieue. La « conférence métropolitaine » a été mise en place à cet effet.

Le passage en syndicat mixte d’étude de « Paris  métropole » a été rassembleur dès lors qu’il a affirmé le principe que toutes les villes sont à égalité et que les départements et la région sont considérés comme des partenaires en tant que tels. 105 collectivités y ont adhéré.

Le « millefeuille » n'est pas considéré comme un obstacle. Au contraire, les niveaux institutionnels jouent le jeu de la diversité des étapes du processus démocratique pour parvenir à des décisions qui favorisent la prise en compte de l’intérêt public. « Paris Métropole » deviendra-t-il incontournable face à l’autoritarisme de Sarkozy  ? Le problème central est d'avoir un projet qui réponde aux besoins de tous les franciliens.

Sur la question des transports, on discute largement sur des projets qui sortent du plan fermé de Christian Blanc. Avec la contribution  des élus communistes, le bureau de Paris Métropole vient d'inviter les 10 architectes afin d'aborder avec eux toutes les questions de fond de la ville (développement durable, réponses aux besoins des populations, formes et fonctions urbaines,

…).

On rouvre le débat qu'ils avaient provoqué et que Nicolas Sarkozy avait tenté de clore avec son projet de loi. Face à un État qui, avec le Grand Paris, veut décider sans payer, « Paris Métropole » n’est certes pas le contrepoids, mais cela pourrait être un endroit de partage et de rassemblement sur certains points prouvant que les collectivités peuvent travailler ensemble. Encore qu’à l’intérieur, pressés d’obtenir une gouvernance, des forces prétendent encore que faire la région capitale obligerait à la fusion de communes et de départements. Or, les départements, premiers remis en cause, font la preuve de leur pertinence comme services publics locaux : en attestent les 30 000 pétitions signées pour défendre celui du Val de Marne.

Ainsi, c’est le département qui a été leader pour organiser la bataille pour les transports de banlieue à banlieue, avec de vraies gares. Le couple département/ville fonctionne et doit garder sa place. Ce qui ne s'oppose pas à l'examen de l'avenir de la métropole mais la question est celle d'une métropole pour qui et pourquoi et non pas la métropole en soi.

Il y a une période où pour faire de la ville sur de la ville, on a cherché un simple rapprochement de Paris avec des villes limitrophes. Mais aujourd’hui l’idée grandit que tout le monde doit avoir son mot à dire dans l’agglomération dense de 6 millions d’habitants sans s’opposer à la grande couronne et au reste de l’Ile-de-France.

Le syndicat mixte a un peu évolué aujourd'hui et on ne pose plus les questions en termes de cercles concentriques. Il y a une résistance aux tentations de centralisation. On est dans une période d'observation où le mouvement populaire doit se saisir des problèmes. Il faut aussi que les forces syndicales fassent des propositions notamment sur les questions de réindustrialisation.

Economie  et Politique : quelles propositions  alternatives du PCF ?

L’idée directrice c’est qu’il faut des fonctions différentes dans la ville, mais pas de zones d'excellence et de zones à l'abandon, nous voulons l'excellence pour tous. Bien sûr il y aura des diversifications. Mais spécialiser les lycéens de Champigny sur les BTS tandis que ceux de St Maur préparent les grandes écoles conduit à l’impasse. Il y a bien une question de fond à traiter.

Le blocage de l'Île-de-France : c'est d'abord un problème de classe. Qui a le droit de vivre dans telle ou telle partie de l'Île-de-France  ? La ségrégation sociale s'est ajoutée à la ségrégation géographique.

La réalisation d'un nouveau transport, comme le « Grand Huit », n'a pas, à elle seule, la capacité de répondre aux besoins de transport en Île-de-France. Si les patrons gagnent 20 minutes pour aller à Roissy et que le reste continue à mal-vivre, on n'aura pas la métropole attractive que l'on prétend. C’est une diversité des transports avec un maillage développé dont on a besoin. Et le transport ne réglera pas non plus à lui seul tous les problèmes, notamment celui des localisations d’activités, de la nature des emplois, de la formation.

Et puis, il y a un énorme besoin de financement. Il faut un autre mode de péréquation au sein de la région, comme entre les régions impliquant le développement de tous, et aussi un autre type de rapport entre l'État et la région. L'État veut diriger, mais ne veut mettre aucun moyen financier. Par exemple, le grand emprunt ne servira pas aux nouveaux transports d’Ile-de-France. Nous avons droit à la péréquation nationale et à des financements régionaux, nationaux et européens pour construire un projet solidaire. Cette question est taboue.

Plutôt que sa suppression, il faut une réforme de progrès et d'efficacité d'une taxe professionnelle dynamique. Celle-ci pourrait instaurer la taxation de 0,5 % sur les actifs financiers des entreprises qui rapporteraient 400 euros par habitant.

Cela permettrait aux collectivités locales de trouver leur place dans un autre type de métropolisation.

De même pour les banques : A l'opposé des gâchis actuels de ressources dans des opérations de spéculation ou de financement des multinationales, il faut inciter à orienter autrement le crédit bancaire, notamment en s'appuyant sur un Fonds régional pour l'emploi et la formation. Celui-ci permettrait de répondre aux attentes des petites et moyennes entreprises, aux exigences massives de formation, aux besoins de financement des propositions alternatives des salariés qui s'opposent à la désindustrialisation de l'Île-de-France.

Démocratie, participation des habitants, réforme de progrès des institutions, financements pour le développement de la région devraient être au cœur des débats des élections régionales. Pour une réponse alternative au « Paris place financière ».

(1) Maire de Champigny sur Marne, secrétaire de l’Association des élus communistes et républicains du Val de Marne.

(2) Groupe d'entreprises et d'institutions associées, géographiquement proches et entretenant des relations de complémentarité entre elles ...

(3) Ces projets sont inspirés par le modèle de Singapour.

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