Une fois justifiées ses limitations de périmètre et son choix de période de référence, comme nous l’avons montré dans le numéro précédent (1) , le rapport Cotis s'attache à démontrer que la seule façon de sortir du « malaise salarial » sur la répartition des richesses nouvelles en France serait de réorganiser le partage entre salariés et de soulager les entreprises des « charges sociales ». Simultanément, il s'attache à minimiser le cancer des prélèvements financiers du capital. C’est ce que nous allons étudier dans les deux articles qui suivent.
J.P. Cotis cherche à accréditer l'idée qu'en matière de rémunération des salariés, employeurs et employés doivent pouvoir trouver un intérêt commun.
Celui-ci, suggère-t-il, serait de diminuer encore et toujours plus les cotisations sociales (salariales et patronales) et de rebattre la donne du partage entre salariés ayant une certaine sécurité de l'emploi et salariés précaires, voire chômeurs, quitte a écorner quelques titulaires de très hauts (et faux) salaires.
J.P. Cotis, comme beaucoup d'autres désormais, relève que la croissance des salaires nets est « extrêmement faible » depuis 20 ans.
Cela serait-il dû à des politiques salariales trop restrictives, à une insuffisance des efforts de qualification ? Pas du tout !
La première cause en serait la faiblesse de la croissance globale elle-même, laquelle, au cours des années 1990-2007 se serait imposée, comme une donnée exogène, intangible et durable au partage salaires/profits en France.
J.P. Cotis se contente donc de constater cette faiblesse, tant au travers de l'anémie des gains de productivité apparente du travail qu'à travers « la faiblesse des surplus distribuables chaque année, une fois rémunérées les quantités additionnelles de travail et de capital mises en œuvre dans la production ». Bien sûr, il n'est pas question ici de se demander dans quelle mesure la faiblesse « extrême » de la croissance des salaires ne serait pas, elle-même, unecause de la lenteur de la croissance globale nationale. Pourtant, le rapport Cotis présente un graphique montrant combien s'est creusé, au détriment des salariés, le différentiel entre la croissance de la valeur ajoutée au coût des facteurs et celle du salaire superbrut par tête, c'est-à-dire incluant les cotisations sociales salariales et patronales.
Graphique 3 Valeur ajoutée, productivité apparente du travail et salaire par tête
Indice d'évolution en euros constants, base 100 en 1959
Source : Rapport Cotis p. 45.
Surtout, rien n'est dit sur la façon dont ont été développés les services en France. Cela a pesé tant sur la croissance des salaires par tête, que sur celle de la productivité globale des facteurs.
L'efficacité de la prestation de services est très mal appréhendée par les indices de productivité apparente du travail utilisés dans l'industrie. L'emploi y est nécessairement plus nombreux et si on n'y développe pas massivement la formation et une qualification reconnue dans les salaires, c'est, au travers de la liaison services/production, l'efficacité d'ensemble qui en pâtit.
Précisément, le choix fait en France, au cours des années 1983-2007, dans une alternance de gouvernements dirigés par la droite et un PS dont les dirigeants se montrent de plus en plus sensibles aux sirènes social-libérales, a consisté à encourager massivement le développement, dans les services surtout, d'emplois précaires à bas salaires et basses qualifications, avec les politiques d'allégement des « charges sociales », de subvention de l'emploi, mais aussi de rationnement des dépenses publiques.
Or, nul ne peut méconnaître le lien de causalité entre le freinage de la productivité apparente dans l'économie et la multiplication des « emplois atypiques » (2) dont Cotis lui-même rappelle que leur part est passée de 5,4 % en 1982 à 12,1 % en 2006 (3).
Par ailleurs, J.P. Cotis ne prend en compte que la productivité apparente du travail dans l'ensemble de l'économie. Il peut ainsi faire silence sur les gains de productivité beaucoup plus rapides dans l'industrie avec le recours aux technologies informationnelles qui économisent massivement les moyens humains et matériels, dans le but d'accroître la rentabilité financière des capitaux engagés.
La deuxième raison de la croissance déficiente des salaires nets serait la hausse de la part des revenus salariaux qui va au financement de la protection sociale.
De fait, les hausses de cotisations intervenues depuis 1980, dans un contexte de croissance ralentie, ont conduit à une « quasi stagnation du salaire net entre 1980 et la fin des années 1990 », à un point tel que « le niveau de 2007 ne représente que 1,2 fois celui de 1983 » (4).
Voilà de quoi suggérer que, si on diminuait les cotisations sociales salariales, le revenu net du travail salarié serait plus élevé, ce qui est purement arithmétique.
Cette thèse, déjà ancienne, tant à passer sous silence ce qui s'est réellement passé.
Comme le rappelle un document annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2009 (5) « (...) il apparaît que la part des ménages dans (le) financement (du régime se générale) s'est progressivement accrue depuis la fin des années 1980 ».
Il y est même précisé que cela « s'accompagne d'une baisse de près de 11 points de la contribution relative des entreprises en 1983 et 2007. Le poids grandissant des exonérations de cotisations sociales patronales depuis le début des années 1990 permet ainsi d'expliquer une baisse de la contribution des entreprises de près de 11 points depuis 1992, qui se fait au dépens de celle de l'État depuis 1990 et en 2004 et 2005, de celle des ménages entre 2000 et 2005 et depuis 2006 » (6).
On comprend, dès lors, ce qu'ont été les principaux ressor ts d'une évolution qui, au cours des 20 dernières années, a fait que les salaires bruts par tête aient augmenté au même rythme que la productivité du travail avec, pour conséquence, une stabilité apparente de la part des rémunérations des salariés dans la valeur ajoutée en France.
Cette prétendue stabilité, après l'effondrement des années 1980, et deux à trois points en dessous de la moyenne des années 1950-73, recouvre deux évolutions conjuguées, sur fond de chômage massif :
● Une faiblesse « extrême » de la progression des salaires nets ;
● Une envolée des cotisations sociales des salariés, sommés par les gouvernements successifs d'appuyer un grand mouvement de déresponsabilisation sociale des entreprises, au nom prétendument de l'emploi, avec la prise en charge d'une part croissante du financement de la protection sociale dont les entreprises ont été, elles, de plus en plus déchargées.
D'ailleurs, J.P. Cotis justifie pleinement ces politiques d'allégement des cotisations sociales patronales pour « contrecarrer » l'effet « négatif sur l'emploi » des hausses du SMIC ! (7)
L'État, lui-même, a été amené à passer à la caisse avec la compensation d'exonérations de cotisations dont le coût, dans la loi de finances pour 2009, a atteint 28 milliards d'euros, ce qui n'est pas pour rien dans son déficit.
La suggestion de diminuer les cotisations sociales des salariés, censée permettre un relèvement des salaires nets, sans, au contraire, prôner une ré-implication des entreprises dans le financement mutualisé de la protection sociale relève de l'escroquerie intellectuelle.
Enfin, l'ensemble de l'opération à laquelle se livre J.P. Cotis sur ce chapitre, confirme combien on ne saurait réduire les cotisations sociales patronales à un coût pour les entreprises ou à un salaire, fût-il indirect, pour les salariés, retraités, chômeurs.
C'est, en effet, dans ce sens très étroit que sont utilisés «ad nauseam», dans le rapport Cotis, les notions de « rémunération des salariés », de « rémunération du travail » ou de «salaires super-bruts».
Tout cela renvoie au concept typiquement néoclassique de « coût salarial », lequel, assène-t-on alors, doit être encore et toujours plus abaissé face à la concurrence internationale, tandis que seuls les salariés sont présumés bénéficier des fonds sociaux. Or, les cotisations sociales patronales, loin de n'être qu'un « coût », permettent le financement mutualisé de la protection sociale. Certes, les salariés, retraités et chômeurs en bénéficient, mais, au-delà, toute la société en bénéficie aussi, ne serait-ce qu'en termes de soutien de la demande, des qualifications, de la productivité globale (8).
N. Sarkozy, lui-même, a été amené à reconnaître que le système français de protection sociale, dont le financement dépend de la progression de l'emploi en quantité et qualité, plutôt que du cours des actions en bourse, joue, malgré les attaques qui lui ont été portées, un rôle contra-cyclique d'amortisseur de crise.
C'est une des raisons pour lesquelles la récession actuelle semble être un peu moins prononcée en France que dans d'autres grands pays développés.
On sait qu'aux États-Unis, notamment, assurances maladie et retraites sont très largement privées, de lourdes cotisations devant être versées par les ménages à des sociétés d'assurances ou des fonds de retraite privée.
Par ailleurs, les cotisations patronales sont, certes, calculées en fonction des salaires versés dans chaque entreprise et, donc, de l'emploi en quantité et qualité, mais elles sont prélevées sur la valeur ajoutée hors salaires que se disputent et les profits d'exploitation et les prélèvements financiers du capital (9).
Enfin, les prestations sociales ne sont pas un « salaire indirect », c'est-à-dire un prix de vente de la force de travail « indirect », mais des revenus mutualisés. Par exemple, dans le cas de la couverture santé, elles permettent aux salariés et à leur famille, dans une France où plus de 90 % de la population active est salariée, de cotiser, en principe, selon leurs moyens mais de pouvoir recevoir bien au-delà, en cas de besoin.
J.P. Cotis suggère, finalement, que les difficultés proviendraient du fait que les inégalités entre les salariés auraient beaucoup trop augmenté.
Certes, il est obligé de reconnaître la faiblesse de la progression du salaire net par tête. Mais il ajoute que ce constat « doit être nuancé » parce que « les statistiques de salaire par tête tendent à masquer la croissance des rémunérations des salariés déjà en emploi ». Les salariés ayant travaillé à temps complet toute l'année, à la fois en 2001 et en 2006, précise-t-il, « ont vu leur salaire net moyen progresser de 2,1 % en euros constants entre ces deux dates, alors que, dans le même temps, le salaire net moyen par tête de l'ensemble des salariés n'augmentait que de 0,9 % l'an » (10).
Rapport COTIS :
Et l'auteur de dénoncer l'écart entre la progression « relativement soutenue » de la rémunération par tête « des salariés déjà en emploi » et « celle plus faible, de l'ensemble des salariés (…) encore plus prononcée si l'on utilise le concept de revenu salarial » (11).
Après avoir souligné le rôle joué par la montée des emplois à temps partiels,il ajoute qu'il faut « faire la part du temps partiel subi et du temps partiel choisi, il faut voir si la croissance de l'instabilité s'est faite au détriment ou en complément des emplois stables » (12).
On voit poindre ici la vieille hypothèse néoclassique de l'opposition entre les «insiders », en l'occurrence ici ceux qui ont pu travailler à plein temps, et les « outsiders » qui, ici, ne sont pas les chômeurs (négligés par Cotis) mais les salariés qui n'ont pas pu travailler à plein temps. Dans cette vision, les «privilèges» que chercheraient à garder les premiers joueraient contre la possibilité d'accéder à un emploi normal des seconds.
Autre source « d'inégalités salariales » montrée du doigt par le rapport Cotis : l'augmentation du SMIC qui serait destructrice d'emplois et justifierait, donc, les allégements de cotisations sociales patronales (13).
Elle serait, en plus, responsable du sentiment de « déclassement » des couches moyennes salariées, talonnées par la « smicardisation », dans le même moment où explosent les revenus des titulaires des « salaires » les plus élevés dont, précise l'auteur au détour d'une phrase, la part la plus importante « s'explique aussi par la forte croissance des revenus financiers » (14).
Cachez ces ponctions financières ... (2)
Après avoir exonéré la rentabilité financière et les gestions capitalistes de toute responsabilité dans les évolutions de la répartition primaire de la valeur ajoutée, après avoir expliqué que les charges sociales sont l'ennemi de l'emploi et des salaires, J.P. Cotis, pour terminer, « se fend » de 11 pages – dans un rapport qui en compte 78 – sur « répartition et utilisation du profit ».
J.P. Cotis affirme que « le pic de déformation du partage de la valeur ajoutée au début des années 1980 s'est accompagné d'une forte montée de l'endettement des entreprises qui s'est résorbée depuis ». Et il ajoute : « la charge d'intérêts s'est ainsi réduite, essentiellement au profit des versements de dividendes » (15).
Cette présentation, dans les conclusions du rapport, comporte de sérieuses inexactitudes.
D'abord, le rôle du crédit et son gâchis grandissant par les entreprises a été au cœur de la tendance à l'essor de la sur-accumulation du capital et à sa manifestation dans l'inflation accélérée des années 1970 (16).
La réalité est contraire, donc, aux suggestions de J.P. Cotis qui cherche à rendre la résistance de la part salariale dans la valeur ajoutée, et les luttes qui l'ont portée, responsables de la fuite en avant dans le crédit, appelé ici « endettement », et ses gâchis.
Cette présentation méconnaît combien ces gâchis inflationnistes ont conduit à la hausse des taux d'intérêt et, surtout, combien celle-ci a été stimulée, à partir de la fin des années 1970, par la politique monétaire des États-Unis et le suivisme de la France, derrière l'Allemagne, avec la politique de « désinflation compétitive». Cela a fait exploser la charge des intérêts dans la valeur ajoutée des sociétés non financières.
Tableau 3 : Intérêts versés par les sociétés non financières (en milliards d'euros)
Source : Comptes de la nation. INSEE
Le choix fait délibérément en France d'aider au basculement du financement des grandes entreprises de l'appel au crédit bancaire à l'appel aux marchés financiers caractérise les années 1980-1990.
Ce choix n'est pas de pure circonstance, comme tente de l'accréditer J.P. Cotis. Il renvoie à des enjeux fondamentaux.
Il s'agit de la montée des exigences de partages des débuts de la révolution informationnelle qui place au défi les gestions pour la rentabilité financière des groupes. La tendance à la hausse irrépressible des coûts de recherche-développement et de fidélisation de la maind'œuvre très hautement qualifiée, dans un contexte d'insuffisance rémanente de la demande globale mondiale et de hauts taux d'intérêt nominaux, oblige les entreprises à essayer de partager ces coûts informationnels.
Le faisant dans un but de rentabilité financière, elles cherchent alors à se constituer, par fusions-acquisitions, des réseaux mondiaux de domination (oligopoles géants) au sein desquels, de façon privative, elles procèdent à de tels partages, mais pour pouvoir mieux rivaliser et dominer face aux concurrents (17).
Cela a entraîné une explosion des dépenses de domination (18) et l'appel massif aux marchés financiers pour les financer.
Dans le même temps, les banques elles-mêmes, se sont trouvées confrontées à la montée de l'immatériel et dans l'incapacité, sous exigence de rentabilité financière, d'accompagner ce mouvement avec le crédit traditionnel, lequel a besoin d'autant plus de garanties matérielles que le rendement de l'investissement qu'il finance est aléatoire.
Simultanément, l'attaque massive contre l'emploi et la pression permanente sur les salaires, accentuant l'insuffisance de formation avec l'encouragement des emplois précaires, a tendu à déprimer la croissance des ressources quasi gratuites des banques à partir des dépôts en comptes courants des salariés, des retraités, des chômeurs.
Face à la montée du coût de leurs ressources et face au déport de leurs principaux clients vers les marchés financiers, les banques elles-mêmes se sont mises à emprunter sur ces marchés.
L'essor considérable des charges d'intérêts et des dividendes dans les comptes des grandes entreprises a fait écho à ce mouvement d'ensemble.
J.P. Cotis suggère qu'il y aurait eu, purement et simplement, une substitution des prélèvements sur la valeur ajoutée des SNF par les dividendes aux prélèvements par les intérêts, et cela parce que les sociétés se seraient désendettées.
Une telle présentation comporte deux omissions graves. La première concerne l'évolution de la somme des prélèvements par les dividendes et par les intérêts sur les richesses nouvelles produites. Ce total n'a pas cessé d'augmenter tout au long des années 1980-90 et 2000, en rivalité avec les prélèvements publics et sociaux (voir le tableau 4).
Tableau 4 Prélèvement des intérêts et dividendes dans les SNF ( milliards d'euros)
Source : Comptes nationaux annuels. I.N.S.E.E..
Ainsi, les revenus de la propriété versés (dividendes + intérêts) représentaient 66,4 % de l'excédent brut d'exploitation en 1982. En 2008, après une ascension quasi continuelle, ils en représentaient 115,8 %.
La seconde omission grave concerne l'évolution de l'endettement des entreprises.
Celui-ci a changé de forme et le poids apparent de l'endettement a reculé du fait de taux d'intérêts nominaux bas pour les groupes, tandis que le rationnement du crédit bancaire vis-à-vis des PME a commencé de
s'accentuer.
Surtout, les comportements associés à ce « désendettement » ont conduit, dans les années 2000, à une nouvelle explosion de la dette, laquelle a concouru alors à l'accélération de la croissance des dividendeset, aussi, des charges d'intérêts.
Comme le souligne une étude de la division « Marchés et stratégies d'entreprise » de l'INSEE (19), « outre l'accroissement des dividendes distribués aux actionnaires, les entreprises françaises ont vu égalementaugmenter ces dernières années les charges d'intérêts liés à l'endettement, mesurés ici par le ratio d'insolvabilité » (20).
Graphique 4 Ratio d'insolvabilité des SNF et taux d'intérêts (en % la valeur ajoutée)
Source : L'économie française. Éd. 2008. p. 76
Les auteurs notent que « de 1998 à 2001, l'endettement des SNF a nettement progressé (…). Le surcroît d'endettement a surtout été le fait des grands groupes engagés dans les opérations de fusions-acquisitions accompagnant leur internationalisation ».
Ce processus a été interrompu par l'éclatement de la crise conjoncturelle de 2002-2003 après un krach boursier (bulle Internet).
Le retour à une conjoncture plus favorable à partir de 2004, notent les auteurs, « a conduit à une reprise de l'endettement financier des entreprises » (21).
Graphique 5 Taux d'endettement des SNF (en % de la valeur ajoutée)
Tableau 6 Prélèvements et revenus financiers sur les SNF (en milliards d'euros)
Source : Comptes nationaux annuels.
Et l'examen des « comptes de patrimoine » des sociétés non financières permet de montrer le poids pris par les actifs financiers sur la période 1982-2008, en liaison avec une croissance de plus en plus financière et mondialisée des capitaux, au détriment de l'investissement et de la croissance réels.
Tableau 7 Poids des actifs financiers des sociétés non financières (en milliards d'euros)
Source : Comptes des patrimoines (S.11).
Le rapport Cotis minimise considérablement l'ampleur du cancer financier qui ronge les entreprises.
C'est particulièrement le cas lorsqu'il choisit de ne retenir que les versements d'intérêts nets reçus et la distribution de dividendes nets des dividendes reçus.
Il reconnaît qu'il fait le choix de mesures sous-estimant la réalité de ces prélèvements financiers en pleine connaissance de cause.
Ainsi, il souligne, par exemple, que l'explosion des flux bruts des dividendes, qui passe de 40 à 196 milliards d'euros entre 1993 et 2007, pourrait être dûe, pour une part significative, à « la croissance des flux financiers intragroupes ». Et il précise que « le rôle de ces flux intragroupes est plus limité lorsqu'on raisonne en net puisque ceci a pour effet de neutraliser tous les flux croisés entre sociétés non financières et, donc, les flux entre sociétés non financières appartenant à un même groupe » (22).
Ceci confirme alors que, pour prendre un peu la vraie mesure de l'ampleur des prélèvements financiers, il faut mettre en avant spécifiquement les flux bruts. Au-delà, une petite mise en perspective sur l'ensemble de la période 1950-2008, et non pas seulement sur la sous période 1990-2007, indique combien c'est l'augmentation des intérêts et dividendes versés par les entreprises qui a conduit leurs gestionnaires, confrontés à la crise de rentabilité, à rechercher des produits financiers. Pour cela ils ont réalisé de plus en plus de placements financiers, au détriment de l'emploi, de la formation, des salaires et de l'investissement réel en France.
Certes, J.P. Cotis est amené à souligner l'énorme progression des flux bruts et nets de dividendes versés par les sociétés et il relève, à juste titre, que cette expansion « a été associée à une baisse de l'autofinancement ». Mais c'est, aussitôt, pour fataliser ce processus en ne le reliant qu'à la hausse de la capitalisation boursière relativement au produit intérieur brut (23) qui, elle, tomberait du ciel en quelque sorte.
Or, la progression formidable des dividendes est aussi à associer à l'endettement des grandes entreprises qui les distribuent, au lieu de la fable de leur « désendettement ».
C'est, bien sûr, l'endettement pour financer des fusionsacquisitions à tour de bras, en profitant de bas taux d'intérêt sur les marchés. Cela s'accompagne, en retour, d'une augmentation du périmètre des groupes concernés et, plus encore, du fait de la spéculation que ces opérations occasionnent, de leur capitalisation boursière. Et il faut alors assurer le rendement de l'action avec un dividende proportionné à l'augmentation de cette capitalisation. Mais il s'agit aussi, sur les cinq années écoulées, de l'endettement accru auprès des banques, à nouveau, finançant rachats d'actions et opérations de L.B.O. (Leverage buy out).
C'est ce que relate avec force l'étude déjà citée de la division « Marchés et stratégie d'entreprise » de l'INSEE. Ses auteurs insistent sur le fait que l'accroissement des flux nets de revenus distribués sous forme de dividendes versés ne s'explique que « partiellement » par la reprise d'activité entre 2004 et 2008 (24).
Ils expliquent par quel processus « cette progression notable des dividendes peut résulter des exigences accrues des actionnaires », et n'est pas seulement le fait des investisseurs institutionnels (fonds de pension, compagnies d'assurances, fonds communs de placement) communément mis en cause, à juste titre.
● C'est d'abord « l'essor des dividendes (qui) s'est accompagné d'une augmentation des rachats d'actions qui constituent également un moyen indirect pour les sociétés cotées de rémunérer leurs actionnaires en favorisant la montée du cours des actions ». En France, notent les auteurs, les rachats d'actions pour les sociétés du CAC 40 ont atteint un montant annuel « proche de 8 milliards d'euros en moyenne entre 2003 et 2006, soit près de 1 % de la capitalisation boursière moyenne chaque année ». Un fait complètement ignoré par le directeur général de l'INSEE dans son rapport.
● C'est aussi « le développement spectaculaire des Leverage buy out (L.B.O) sur la dernière décennie (qui) constituent un exemple extrême de mécanismes venant accentuer les flux nets des dividendes versés par les sociétés non financières ».
Dans ces opérations, « une entreprise cible est achetée par le recours à des emprunts auprès d'établissements de crédit. Cet endettement est porté par le biais d'une holding (...) créée pour l'occasion. L'emprunt est alors remboursé par les dividendes versés par l'entreprise ayant fait l'objet d'un rachat ».
Et cela se traduit, au bout du compte, par une augmentation des flux nets de dividendes versés par les sociétés non financières en direction des sociétés financières qui, elles, ne rentrent pas dans le champ retenu par J.P. Cotis dans son rapport.
● C'est enfin le résultat du « développement de marchés de capitaux internes au sein des groupes » par lesquels des filiales se financent auprès de leur maison mère ou d'autres entreprises du groupe. C'est ainsi, soulignent les auteurs, que « les dividendes versés servent en partie à rembourser les emprunts du groupe (...) ce qui peut éventuellement générer des flux bruts de dividendes plus importants » (25).
Le rapport Cotis reconnaît la difficulté à laquelle sont confrontées les PME dans l'accès au crédit. Il souligne ainsi, en contradiction avec la thèse du « désendettement », que « quatre PME sur dix n'ont pas versé de charges d'intérêts en 2006, alors que la quasi-totalité des grandes entreprises intermédiaires était endettée ». Et ceci est à relier, comme le suggère J.P. Cotis lui-même, à
« un accès aux financements bancaires difficiles des PME ». Celles-ci sont alors contraintes d'autant plus de faire de la trésorerie, au détriment de l'élévation des qualifications, de la recherche-développement et de l'investissement réel qu'elles subissent les prélèvements écrasants de la domination des grands groupes.
Au final, J.P. Cotis livre un chiffrage, sur ces bases, de la répartition actuelle des profits des entreprises, réduit à l'excédent brut d'exploitation des sociétés non financières, lui-même réduit « aux revenus du capital et à l'épargne de l'entreprise ».
Moyennant toutes ces restrictions, il arrive à la clef de répartition suivante : 36 % iraient aux revenus du capital, 57 % à l'épargne et 7 % à la participation et l'intéressement.
Alors, y aurait-il une marge pour développer la participation et l'intéressement, comme l'a proclamé le 29 janvier dernier, Nicolas Sarkozy après avoir signifié qu'il il n'y aurait aucune marge pour une augmentation générale des salaires à partir d'un sensible relèvement du SMIC ?
On voit que, toutes choses égales d'ailleurs, il s'agirait de faire participer et intéresser les salariés à la croissance financière des capitaux, la spéculation, la fuite en avant dans la mondialisation actuelle, contre l'emploi, la formation, les services publics, la protection sociale et les salaires.
Le rapport Cotis, par ses béances, ses omissions, ses inexactitudes, son dogmatisme néolibéral et ses tours de passe-passe, montre, en réalité, que si l'on veut construire un tout nouveau partage des richesses, il faut les produire et financer autrement. Et cela exige, à l'appui des luttes populaires, l'avancée de critères d'efficacité sociale des gestions, de nouveaux pouvoirs décisionnels pour les salariés et les populations sur le crédit, les entreprises et les services publics, en visant un autre rapport de la France et de ses régions à l'Europe et au monde.
(1) Dimicoli Y. : « Partage de la valeur ajoutée : Les tours de passe passe du rapport Cotis (1ère partie) », Économie et Politique, juilletaoût 2009 (660-661).
(2) OCDE : « Des emplois plus nombreux mais moins productifs ? L'impact des politiques du marché du travail sur la productivité », in Perspectives de l'emploi de l'OCDE, 2007, pp, 59-112.
(3) Rapport Jean-Philippe Cotis p. 51 « Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunération en France ». INSEE, 13 mai 2009.
(4) Op. cit. p. 46.
(5) Programmes de qualité et d'efficience « financement » – Projet de loi de financement de la sécurité sociale (2009) Sécurité sociale, (www. securite-sociale.fr).
(6) Op. cit. ibid. (7) Op. cit. p. 49.
(8) Mills C. avec Caudron J. (2009) : Protection sociale. Économie et politique, débats actuels et réformes. Troisième édition. Gualino – Lextenso éditions. 320 pages.
(9) Intérêts payés aux créanciers et dividendes versés aux actionnaires (sans parler des plus-values réalisées) si minimisés dans le rapport Cotis.
(10) Op. p. 50. (11) Ibid.
(12) Ibid. p. 55. (13) Ibid. p. 49. (14) Ibid. p. 60. (15) Op. Cit. p. 78.
(16) Boccara P. (2008) «Transformations et crise du capitalisme mondialisé. Quelle alternative ? ». Le Temps des Cerises et (2009) 2ème édition.
(17) Boccara P. (2008), 2009.
(18) L'année 2007, au cours de laquelle a éclaté la crise des «subprimes» masque un nouveau record après l'an 2000 en matière de fusions et acquisitions...
(19) Givord P., Picart C. Et Toutlemonde F. « La situation financière des entreprises » vues d'ensemble situation relative des PME », dans « L'économie française ». Édition 2008 , INSEE, pp.76-77.
(20) Solde des intérêts reçus et versés par les sociétés non financières rapporté à l'excédent brut d'exploitation. Un ratio plus élevé signale un alourdissement de la charge d'intérêt.
(21) Op. Cit. Ibid. p. 77. (22) Ibid. p. 70.
(23) Op. Cit. Ibid. p. 70.
(24) Op. Cit. pp. 74 et 75. Les auteurs signalent que « proche de 18 % de l'excédent brut d'exploitation en moyenne entre 1995 et 2001, la distribution de dividendes s'amplifie depuis 2002, pour s'élever à plus de 25 % en moyenne sur les deux dernières années ».
(25) Op. cit. p. 76.
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