Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Politique industrielle : les salariés et les populations avant tout

Les luttes pour la défense de l’emploi industriel sont un des éléments marquants de la période. Au-delà de la médiatisation de certaines formes d’action et actes de désespoir, il nous faut relever le fait que ces luttes ne s’arrêtent pas à une défense de l’emploi  en soi, mais posent publiquement  des questions d’intervention dans les stratégies, de rapport à la vie et au développement des territoires ou de l’utilisation de l’argent public.

L’exemple de la SBFM qui a abouti à la reprise de cette fonderie par Renault est indicateur du niveau de rapport de forces à établir pour gagner : 80 %

des salariés syndiqués à la CGT, un rassemblement dans la durée des salariés et de la population, des syndicats et des élus politiques et une perspective industrielle immédiate et claire comme débouché de la lutte.

Il faut reconnaître cependant que l’ensemble des luttes menées apparaissent globalement défensives, faute de solutions industrielles alternatives et rassembleuses. Le fatalisme qui s’ensuit conduit souvent à négocier la prime de départ en lâchant sur l’emploi.

Comment aider à ce que toutes ces luttes de résistance participent à construire une perspective pour l’immédiat et pour l’avenir ?

Un appareil productif qui ne répond plus aux besoins du pays et qui doit trouver une nouvelle dynamique Selon l’INSEE, la production industrielle est revenue à son niveau d’il y a quinze ans. Depuis le début de la crise, c’est 15 à 20 % de l’industrie qui a déjà disparu dans notre pays. 20 000 à 25 000 emplois industriels disparaissent par mois.

Depuis 2003, la France a vu les déficits du commerce extérieur se creuser avec des importations industrielles croissantes.

Le déficit cumulé du commerce extérieur depuis 2003 représente 2,5 % du PIB (chiffres 2008). 2,5 % de croissance en plus c’est 500.000 emplois de plus et 20 milliards d’euros de recettes fiscales et sociales  (50 % du déficit budgétaire).

La comparaison internationale des évolutions de la production industrielle dans les grands pays européens atteste un décrochage français, le plus caractéristique étant vis-à-vis de l’Allemagne. Cette comparaison met à mal les analyses qui font du prix du travail le facteur principal du recul de l’industrie. Les premières places ne sont pas occupées par les pays à bas salaires : États-Unis, Japon, Allemagne, Espagne. Le prix du travail en Allemagne est 10 % plus élevé qu’en France.

En dix ans, la perte de nos parts de marché atteint 16 % pour les produits manufacturés.

Pas de fatalité au recul de l'industrie

Il n’y a aucune fatalité industrielle. L’emploi industriel s’est maintenu en Allemagne. Même si la Chine voit sa

part de marché croître, l’exemple allemand ou néerlandais montre que le procès de travail n’est pas le bouc émissaire avancé. Sur 100 emplois détruits, même si elles frappent les esprits, les délocalisations n’en concernent que 5 %.

En France, il convient de revenir sur les visions d’un développement économique fondé sur les services. Il ne faut ni sous-estimer le rôle de l’industrie par rapport aux services : l’industrie fait toujours la richesse des nations ; ni sous-estimer son  poids réel qui est resté important compte tenu des services à l'industrie qui ont été externalisés, mais continuent d'en dépendre. Si on réintègre au plan statistique les services à l’industrie, l’ensemble industrie plus services pèse autour de 30 % du PIB.

L’industrie a un rôle d’entraînement décisif dans l’économie française. On est loin d’une industrie marginale qu’il faudrait abandonner aux mirages d’une économie immatérielle. Mais depuis 2001, la valeur ajoutée industrielle plafonne à 230 milliards d’euros.

La nécessité d’une nouvelle politique industrielle

La réalité est donc une France en incapacité de produire au regard des besoins de consommation. L'insuffisance des capacités de production, en France, relève, en premier lieu, de la stratégie patronale soutenue par la puissance publique. Pour augmenter la rentabilité du capital, on a délocalisé et donné la priorité aux placements financiers au détriment de l’investissement productif, de l’emploi, de la formation, de la Recherche & Développement. Aujourd’hui pratiquement un quart des richesses créées par les travailleurs dans les entreprises non financières va vers les actionnaires. En 1985, les dividendes versés aux actionnaires représentaient moins de 5 % de la valeur ajoutée. Ce ratio est passé à 10 % en 1993 et à 24 % aujourd’hui. L’emploi salarié industriel direct en France a baissé de près de 445 000 de 2000 à 2006, soit de 10,7 %.

L’absence de stratégie ou de politique industrielle depuis des années éclate au grand jour. La spécialisation sur les marchés technologiques, la concentration sur les services et le high-tech, sur le plus rentable et le plus spéculatif vont de pair avec l’abandon de secteurs entiers (machine-outil, biens d’équipement intermédiaire par exemple). À quoi sert-il d’avoir une superbe offre technologique si l’ensemble du produit nécessite d’importer tout ce qui relève de la production de chez les concurrents ?

La crise accélère les processus de dislocation de notre appareil productif. C’est la place de notre pays qui est en cause si des mesures de réorientation urgentes ne sont pas prises.

La France a une main d’œuvre qualifiée.  740 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire dont 65 % avec un niveau bac, 40 % un BTS – BUT – bac + ou plus. Mais sans une politique industrielle cohérente ces capacités sont gâchées si bien que toute hausse du pouvoir d’achat augmente les importations et accroît le déficit extérieur. Le fiasco est à la mesure de toutes les politiques menées ces dernières décennies.

Il s'agit de reconstruire une politique industrielle, dont le nom-même était tabou jusqu’à il y a peu, qui doit s'appuyer sur une sécurisation de l'emploi et de la formation avec des créations d'emplois industriels qualifiés, le développement de la recherche et des coopérations.

Une nouvelle offensive du monde du travail est indispensable

Cela doit s'articuler à une autre utilisation de l’argent et la conquête de de droits et pouvoirs nouveaux pour les salariés et les populations.

Au plan syndical, les luttes et l’action de la CGT ont remis les notions de stratégie ou de politique industrielle sur le devant de la scène. Les luttes des derniers mois, l’émotion dans l’opinion, la manifestation du 22 octobre sur le développement industriel ont amené le gouvernement à annoncer la tenue des États généraux de l’industrie qui vont se dérouler de fin octobre 2009 à février 2010.

La CGT avance de son côté cinq composantes pour une nouvelle politique industrielle :

Priorité au développement des ressources en emplois et en qualifications avec une politique industrielle territorialisée et mise en place de la sécurité sociale professionnelle ;

Accroître l’effort de recherche et d’innovation (2,12 % du PIB pour la R & D contre 2,43 % en Allemagne). La recherche en entreprise est un tiers plus faible en France qu’en Allemagne. Le taux de dépôt de brevets est deux fois moindre. Les PME doivent avoir les moyens de se développer. Les pôles de compétitivité doivent être transformés en pôle de développementcréation de fonds régionaux pour l’emploi ;

Développer une politique cohérente de l’énergie et assurer le droit à l’énergie pour tous. Notre capacité de production électrique est un levier important pour le développement de l’industrie et de l’emploi ;

Assurer le financement de la croissance des entreprises en réformant la fiscalité, en transformant la taxe professionnelle en un impôt pour l’emploi et le développement solidaire des territoires. Bâtir un grand pôle public de financement du développement industriel et de l’emploi ;

Recréer  les conditions d’une démocratie économique en France et en Europe. Articuler modernisation de l’industrie et démocratie sociale européenne (intervention sur les stratégies, nouveaux lieux d’intervention). Nicolas Sarkozy a récupéré la question du travail en 2007. Ne le laissons pas récupérer et dévoyer la question de l’industrie.

C’est un passage à l’offensive du monde du travail pour un développement industriel durable qu’il convient d’orchestrer. Il s’agit de refonder l’industrie française en s’appuyant sur ce qui existe et en l’orientant pour répondre aux défis de demain. Ce qui exige d’en faire un axe d’intervention politique majeur qui entre en cohérence avec les propositions alternatives sur les financements, la situation et les droits des salariés et de la population. La situation nécessite de réagir et d’agir de façon durable.

Pour un développement industriel durable

Les mesures gouvernementales prises depuis le début de la crise vont encore aggraver la situation.

Ainsi le soutien aux seuls constructeurs automobiles aboutit aux fermetures en cascades de sous-traitants, d’équipementiers et participe d’un processus de démantèlement de la filière.

Les orientations actuelles de promotion des niches technologiques vertes à fin spéculative ne changeront rien aux problèmes de fond de l’industrie française.

La fameuse théorie des champions nationaux indépendants des territoires  montre ses limites. Les vingt groupes français à base industrielle affichaient début 2008, 50 milliards de profits nets, alors que l’industrie française recule de façon drastique. Il y a un an, un salarié de l’industrie  sur deux estimait son emploi menacé.

La financiarisation s’est attaquée à la création de richesses en engendrant un partage encore plus inégalitaire de ces richesses. Aujourd’hui, le capital tue le travail et tue au travail. La crise révèle aujourd’hui la fragilité de notre économie en disloquant son socle productif. La gravité des problèmes posés nécessite de créer un électrochoc sur la question de l’industrie.

Il s’agit à la fois de défendre le potentiel réel productif actuel très menacé, de le consolider tout en préparant les activités et les emplois industriels de demain plus qualifiés et plus pérennes.

L’État a un rôle nouveau à jouer dans une tout autre conception de l’intervention  publique. Pendant vingt ans, sous prétexte de préparer une société postindustrielle, un doute s’est installé sur l’importance de l’industrie. Or non seulement l’industrie n’a pas vocation à disparaître, mais elle doit se conjuguer avec les services d’une façon cohérente.

Une bataille doit être menée pour contrer l’idée que l’industrie c’est fini, c’est-à-dire casser l’idée qu’industrie = productivisme tout comme l’idée qu’industrie et écologie sont contradictoires.

Un développement industriel durable renvoie à une industrie, où les aspects qualitatifs sont aussi importants que les aspects quantitatifs, et qui se conjugue avec social, environnement et démocratie.

Ni l’industrie productiviste ni l’écologie anti-industrielle  n’ont d’avenir.

D’ailleurs, l’axe « industrie-écologie même combat » se concrétise déjà, en matière de traitement des déchets industriels par exemple avec la récente nouvelle filière de déconstruction de navires en fin de vie, résultat d’une bataille syndicale qui représente un volume d’emplois très important dont une majorité de métiers qualifiés voire hautement qualifiés, contrairement à l’image véhiculée par les chantiers d’Asie.

On prétend que l’emploi qualifié payé à sa juste valeur, serait un obstacle à la compétitivité. Non seulement les comparaisons avec les autres pays prouvent le contraire mais travailler à l’attractivité de l’industrie par de bons salaires reconnaissant les qualifications est un moyen essentiel de réhabiliter l’industrie et d’offrir à la jeunesse qualifiée un cadre d’expression  de ses potentialités et de sa créativité.

Cette réhabilitation  du travail industriel comme une finalité noble et porteuse de sens passe aussi par une transformation du mode de management dans les entreprises (organisation du travail, pilotage et fonctionnement de l’entreprise, stratégie), aujourd’hui entièrement tourné vers la satisfaction de l’actionnaire. Il s’agirait de revaloriser la technicité et conjuguer développement industriel durable, social et environnemental.

Pour cela des outils nouveaux comme les GPEC, en lieu et place des GPSE (gestion plan sauvegarde emploi), doivent être mis en place et une concertation organisée avec les collectivités pour intégrer les besoins locaux.

Recherche et industrie  : changer la donne

Les pôles de compétitivité mis en place par le pouvoir ne répondent pas aux défis posés. Leur transformation en pôle de développement et de coopération suppose d’intervenir au plan territorial et dans les groupes pour forcer la prise en compte des besoins locaux et rompre avec la logique de financiarisation et de niches technologiques. Les collectivités et les représentants des salariés doivent, pour cela, participer au pilotage des pôles.

La conception globale de l’innovation, doit être disputée au capital. Est-ce que l’innovation se réduit à une technologie rentable ou est-ce qu’elle intègre un ensemble d’aspects technologiques, sociaux, productifs et environnementaux ?

L’articulation Recherche-Innovation-Industrie conçue par le capital organise un pillage et un asservissement de la recherche publique à son profit. S'y opposer implique de ne pas rester sur les coupures Recherche/Industrie ou formation/travail mais de modifier la donne en imposant les choix de moyen et long terme de la Recherche dans la logique industrielle. De même qu'il s'agit de faire rentrer l’Université dans l’entreprise pour marier science et travail en lieu et place du seul paramètre de profit financier.

Après être passé à côté de la révolution numérique, la France est en train de passer à côté de la révolution biotechnologique, faute d’investissements suffisants dans la Recherche et de traitement cohérent de l’innovation.

Dans les biotechnologies, en 2001, l’Allemagne investissait 450 millions d’euros dans la Recherche, la GrandeBretagne 530 millions d’euros, la France 60 millions. Résultat : Sanofi supprime aujourd’hui des emplois productifs en France ! Faute d'investissement de l’industrie pharmaceutique dans la Recherche et de médicaments nouveaux méritants, en 2008, la revue « Prescrire » n’attribue pas, pour la première fois depuis sa création, son prix «  La Pilule d’or ». La panne de la Recherche est patente et la France est distancée par l’Allemagne et la Grande-Bretagne sur une industrie où le financement provient pourtant indirectement de la Sécurité sociale.

Réussir la révolution biologique exige :

● l'augmentation  des investissements publics et privés,

● des critères d’efficacité sociale, avec un contrôle démocratique pour résoudre tous les problèmes éthiques posés.

La démocratie sociale au plus près du terrain au cœur d’une conception nouvelle de politique industrielle Réfléchir à un développement industriel durable passe par un travail d’ancrage et de promotion du rôle du territoire, lieu où la démocratie locale peut s’exprimer pleinement en matière de besoins.

Les PME, leur développement, un autre rôle des banques avec des fonds régionaux sont un levier pour reconstruire ou construire des filières industrielles aujourd’hui inexistantes ou implosées, notamment en matière d’activités productives. (Il n’existe plus de machines outils produites en France en dehors des PME).

Ces propositions doivent nourrir  une perspective de moyen et long terme en aidant à renforcer les exigences des salariés dans les luttes de résistance pour arrêter l’hémorragie d’emplois actuelle.

 

Un objet d’intervention politique structurant

Le développement de celle-ci passe aussi par une mise en lien des différents acteurs – syndicats, élus, associations – au plan local pour résister aux suppressions d’emplois, travailler des propositions industrielles alternatives et leur financement.

Des travaux de réflexions/initiatives par filières : aéronautique, navale, auto, TIC… sont aussi nécessaires au plan national ou au plan régional. Cela concerne :

● tous les secteurs technologiques où la production est à reconstruire, ● tous les secteurs où les changements technologiques ne doivent pas se faire contre l’emploi productif, mais aussi les filières pas forcément high-tech, exemple : le bois. Les besoins vont augmenter dans le bâtiment et l’ameublement. La France, qui a le massif forestier que l’on sait, est importatrice et déficitaire en balance extérieure. Et on est là sur une industrie forcément localisée.

Services publics et industrie, même combat

Une nouvelle conception du rôle de l’État est nécessaire, ni planificatrice, ni programmatrice mais en capacité d’impulser une véritable stratégie via une politique industrielle qu’il doit travailler avec les régions et les localités.

La refondation d’une industrie cohérente répondant aux enjeux sociaux et environnementaux, avec des filières reconstituées ou nouvelles va demander du temps et de l’argent.

La question vient à un moment où pointe la crise des finances publiques (avec l’ampleur de la dette publique).

Les services publics sont des leviers pour cette politique industrielle et leur processus de liquidation actuel doit être arrêté et inversé. Des batailles comme celle contre la privatisation de La Poste ou du fret SNCF sont donc en phase avec cette bataille d’alternatives.

Travailler à la mise en place d’une politique industrielle aujourd’hui ne peut consister à un retour à la politique des grands programmes des années 60. La question est tout autre. Elle est de savoir comment s’inscrire dans une logique d’appropriation sociale comment tout en préservant l’emploi et le potentiel actuel, passer aux activités et emplois industriels de demain, plus qualifiés,pérennes, sur des bases technologiques nouvelles.

 

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