Nous publions ci-dessous le résumé récapitulatif du livre de Paul Boccara qui vient de sortir intitulé : « Transformations et crise du capitalisme mondialisé. Quelle alternative ? ». Comme on le voit avec la publication du sommaire, en page intérieure de couverture, ce récapitulatif ne reprend pas l'ordre du livre mais constitue une synthèse originale sur sa thématique.
Résumé récapitulatif
Sur le capitalisme contemporain, la maturation de sa crise systémique radicale et une construction alternative. Pour finir, on peut avancer quelques thèses pour résumer les éléments fondamentaux sur les transformations du capitalisme contemporain, sa crise systémique jusqu’à la maturation récente, et sur les propositions de constructions alternatives.
Les transformations très profondes du capitalisme contemporain s’inscrivent en réalité dans sa crise systémique radicale.
Il s’agirait, d’une part, d’une nouvelle longue phase de tendance aux difficultés du cycle de longue période, dit Kondratieff, mais désormais indéfiniment allongé avec la crise du capitalisme monopoliste d’Etat social et la mondialisation capitaliste.
Et, d’autre part, avec la suraccumulation de longue période de capitaux matériels, c’est la montée sans précédent de l’accumulation financière, et du chômage de masse, de la précarisation, avec les efforts d’abaissement du rapport capital/produit et d’élévation des profits relativement aux salaires dans la valeur ajoutée. Cela se relie à des transformations technologiques et sociales beaucoup plus profondes que dans la longue phase analogue précédente, celle de l’entre-deux-guerres mondiales. Cela renvoie à la révolution informationnelle, et aux autres révolutions des conditions des opérations sociales, dans le cadre de la mondialisation dominée par le capitalisme et le libéralisme exacerbés.
Ainsi, la révolution informationnelle fait prédominer les informations, comme le résultat d’une recherche, qui, à l’opposé d’une machine qui est ici ou là, peut être partagée à l’échelle du monde entier pour diminuer ses coûts par rapport à la production. Avec la montée du capital financier et la réaction du capitalisme néolibéral, les entreprises multinationales se sont aussi appuyées sur cela pour les privatisations contre les entreprises publiques nationales, à l’opposé du capitalisme monopoliste d’Etat social. En effet, elles peuvent partager les coûts informationnels à l’échelle mondiale et donc bien d’avantage qu’une entreprise publique d’échelle nationale. De même, et de façon corrélative, se sont développées des constructions zonales multinationales marchandisées, comme l’Union Européenne, tendant à faire reculer ici encore les Etats nationaux. Et c’est enfin le défi de la mondialisation dominée par le capitalisme et le libéralisme, avec l’hégémonie des Etats-Unis, malgré les progrès formidables des pays émergents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil.
La radicalité de la crise systémique provient aussi des autres révolutions liées aux conditions des opérations sociales.
Ces révolutions font monter les ambivalences des transformations récupérées par le développement du système capitaliste, mais aussi, sans aucune fatalité, la possibilité de débuts de dépassement de ce système de nos jours. C’est, comme déjà indiqué, la révolution informationnelle mettant en avant les partages. Ceux-ci sont récupérés par la monopolisation et la concurrence entre entreprises multinationales, ainsi que pour la concurrence entre salariés du monde entier, les suppressions d’emploi et leur précarisation, les rivalités entre pays et zones internationales. Mais cela s’oppose à des partages généralisés possibles bien plus efficaces entre entreprises et entre travailleurs contre la domination des marchés.
C’est la révolution écologique, non seulement des pollutions formidables jusqu’à l’effet de serre et le réchauffement climatique, mais aussi avec l’épuisement des ressources naturelles traditionnelles, mettant en cause les types de processus de production et de consommation, et encore les nouveaux domaines : l’espace, la profondeur des océans, le biologique. Mais ici aussi, aux récupérations capitalistes s’oppose l’exigence de coopération contre les concurrences monopolistiques pour une toute autre mondialisation.
C’est la révolution monétaire, du décrochement de la monnaie par rapport à l’or. C’est récupéré, pour la domination mondialisée du dollar, ainsi que pour l’accumulation financière et spéculative déchaînées. Mais cela, à l’opposé d’un tout autre crédit devenu possible, et d’une autre création monétaire avec une véritable monnaie commune mondiale, pour la primauté du développement social de chacun et pour le co-développement des peuples.
C’est aussi la révolution démographique, de la réduction drastique de la natalité, avec son décalage nord-sud, et d’élévation de la longévité ; la révolution migratoire, du retournement des masses du sud vers le nord et des métissages ; la révolution parentale, de l’émancipation féminine, des parentés recomposées, etc. ; la révolution militaire, avec les armes de destructions massives.
Tout cela fait monter le besoin de nouvelles coopérations, à l’opposé des affrontements, et d’une nouvelle civilisation de toute l’humanité, avec en particulier le besoin de nouveaux services publics socialisés et de leurs coopérations du local au mondial.
Il convient d’insister sur l’importance devenue formidable des prélèvements publics et sociaux. Ils montent depuis 40 ans dans les pays de l’OCDE, en rivalité avec la montée des profits et des prélèvements financiers. Ces deux sortes de prélèvements renvoient aux disponibilités nouvelles considérables dégagées par la révolution informationnelle et par la révolution monétaire. Tandis que les dépenses publiques et sociales dans un pays développé comme la France dépassent la moitié du P.I.B., progresse aussi une façon de limiter les prélèvements publics en faveur des prélèvements financiers par l’endettement public sur le marché financier. D’où la croissance de cet endettement dans les pays de l’O.C.D.E. Le cas le plus remarquable de ce point de vue est celui des Etats-Unis, avec leurs prélèvements obligatoires relativement faibles et l’énormité de leur dette extérieure. Il s’agit tout particulièrement des masses extraordinaires des bons du trésor en dollars, accumulées dans les banques centrales, notamment asiatiques dont la chinoise, en liaison avec les déficits commerciaux très importants des Etats-Unis. Les importations de capitaux des Etats-Unis favorisent leurs dépenses informationnelles et de recherche, notamment publique, ou encore leurs dépenses militaires, pour leur hégémonie mondiale. Mais cela renvoie encore à l’inflation du dollar et à la montée des potentiels de mise en cause de sa domination.
Les prélèvements publics et sociaux renvoient tout particulièrement au financement des dépenses publiques et sociales ainsi que des services publics. Ces derniers répondent aux besoins non seulement d’infrastructures matérielles collectives, mais, de plus en plus, de développement des capacités humaines, surtout dans le cadre de l’Etat national, mais aussi désormais au-delà. Ces services, au capital structurellement dévalorisé (c’est-àdire ne se valorisant pas, en principe, par le rapport d’un profit) ont été mis en place dès le début du capitalisme. Ils ont tendu sans cesse à se développer, y compris de nos jours, malgré les efforts pour les limiter et pour réduire les dépenses publiques.
Ils se situent dans la progression formidable, d’ensemble, de tous les services, publics et privés. On voit monter, avec la prédominance grandissante des services par rapport à l’industrie, dans les pays capitalistes développés, au côté des très importants ser vices aux personnes, la tendance à la domination des services financiers et de ceux de recherche-développement plus ou moins monopolisés. Cela favorise la domination des entreprises multinationales comme têtes de chaînes de valeur mondialisées, en même temps que le chômage massif et la précarisation accompagnent ce recul relatif de l’industrie. Cependant que l’industrie progresse massivement dans les pays dits émergents, au détriment des activités agricoles, les services s’y développent aussi désormais. Mais aussi se rapprochent les types d’activités et les convergences d’intérêt de tous les salariés.
Contrairement au prétendu épuisement du rôle historique transformateur de la classe ouvrière avec la montée des services, se développent aussi, en contradiction avec les divisions nouvelles qui sont favorisées par les couches dominantes, des potentiels de rapprochements nouveaux de tous les salariés, ouvriers, employés, techniciens, etc. de l’industrie et des services, des très qualifiés aux peu qualifiés, et à l’échelle du monde entier, à l’opposé de la mise en concurrence encore prédominante des salariés au plan planétaire. Ces potentiels de rapprochements se développent, pour ainsi dire, « par le bas », avec le chômage ou la précarisation généralisés et, « par le haut », avec les besoins grandissants partout de formation, de responsabilité et de pouvoirs nouveaux. Ces potentiels de rapprochements renvoient également aux trois grandes bases sociales de domination et aussi de luttes émancipatrices : premièrement, toutes les catégories de salariés et dans le monde entier ; deuxièmement, les femmes et les luttes pour l’égalité des genres, les jeunes, les personnes âgées et contre les dominations de génération ; troisièmement, les immigrés, toutes les nations, peuples et aires culturelles de l’humanité.
La crise financière qui a éclaté à partir des Etats-Unis à l’été 2007, avec son ampleur et sa nouveauté, serait révélatrice de la maturation actuelle des transformations profondes et de la crise systémique radicale du capitalisme financiarisé et mondialisé.
Elle est d’abord le révélateur de la gravité nouvelle de la spéculation des capitaux financiers, avec l’énorme spéculation sur la hausse des prix des logements et sur les crédits pour acheter des logements garantis par leurs hypothèques. Les montagnes de dettes ont été poussées par le placement des titres de crédits dans les banques et les fonds de placement. Mais avec le relèvement des taux d’intérêt, l’arrêt de la hausse et le début de la baisse des prix des logements, on a abouti aux non-paiements des intérêts et des remboursements et finalement aux immenses pertes des banques et des fonds, surtout aux Etats-Unis, mais aussi en Europe. Cependant, tout cela manifeste la nouveauté de la situation.
Premièrement, cela révèle les énormes disponibilités financières nouvelles (avec les révolutions informationnelle et monétaire), tandis que le système financier, en partie décroché du réel, tourne en bonne part pour luimême de façon parasitaire, en spéculant sur des besoins humains fondamentaux insatisfaits.
Deuxièmement, cela s’est poursuivi par le déplacement de l’immense spéculation sur le pétrole, les matières premières, le blé, le riz, le maïs. Mais, au – delà de certains reflux, cela percute les insuffisances de la réponse aux défis des ressources naturelles traditionnelles et les besoins de processus de production et de types de consommation fondamentalement nouveaux, avec la crise et la révolution écologiques.
Troisièmement, cela a contribué à de nouvelles émeutes de la faim, et aussi surtout aux nouvelles luttes sur le pouvoir d’achat salarial et les salaires dans le monde entier, tandis que l’insuffisance de salariés qualifiés se fait sentir partout.
Quatrièmement, cela pousse à de nouveaux produits et accumulations techniques pour économiser l’énergie et les salaires. Mais cela conduirait, probablement, à des gâchis d’équipements et d’accumulations, et à une nouvelle crise conjoncturelle de suraccumulation et de surproduction globale, comme nous avions eu la crise économique globale de 2001 après la crise financière de
1997, mais mettant plus profondément en cause le système et le besoin d’alternative.
La différenciation entre forte croissance réelle des pays émergents et moindre croissance réelle des pays industriellement développés, comme les Etats-Unis et surtout l’Union Européenne, tend à se renforcer, en même temps que les rivalités et les efforts de domination financière et culturelle mondiale, surtout par les Etats-Unis.
Tous les antagonismes fondamentaux vont être avivés. Y compris ceux liés à la domination du dollar et à son inflation, avec des risques de se défaire du dollar, notamment de la part des Banques centrales asiatiques et des Fonds dits souverains. Seraient tout particulièrement concernés les efforts probablement accrus des EtatsUnis pour maintenir leur hégémonie mondiale sur tous les plans, et notamment, au plan économique, la domination du dollar.
Avec la montée de nouveaux affrontements mondialisés, monteraient aussi partout des idées de nouvelles « gouvernances », et même d’autres inter ventions publiques nationales et internationales pour adapter le système. Mais pourrait aussi se manifester la possibilité d’avancées sociales novatrices contre l’excès de domination du capitalisme et du libéralisme, et même pour des débuts de dépassement, tout particulièrement avec un nouveau type de crédit bancaire et de nouvelles institutions monétaires et financières.
Cela renvoie encore à la possibilité de rapprochement entre l’Union Européenne et des pays émergents pour avancer vers une nouvelle construction mondiale contre l’hégémonie des Etats-Unis, au lieu de chercher à la fois à collaborer et à rivaliser avec eux.
Il s’agit, tout d’abord, des propositions concernant la maîtrise et même le début de dépassement des marchés. Elles deviennent, semble-t-il, plus crédibles désormais, face à la maturation de la crise systémique et de ses défis. Cela vise les quatre marchés fondamentaux.
Premièrement, le marché du travail : l’avancée vers une rotation entre emploi et formation pour chacun, afin d’aller vers l’éradication et le dépassement du chômage, vers une sécurité d’emploi ou de formation et, dans l’immédiat, une sécurisation effective des parcours professionnels et une véritable sécurité sociale professionnelle.
Deuxièmement, le marché monétaire et financier : un nouveau type de crédit bancaire et de création monétaire avec des taux d’intérêts abaissés, pour les crédits aux investissements matériels et de recherche, jusqu’à des taux zéro et d’autant plus que sont programmés de l’emploi et de la formation efficaces. Et cela depuis des fonds publics régionaux de bonification des intérêts, un pôle financier public national, jusqu’à une autre action de la Banque centrale européenne ou d’autres banques zonales comme la Banque du sud en Amérique Latine, et des Banques centrales dans le monde, une refonte alternative du F.M.I., émancipé de la domination des Etats-Unis et du dollar, avec une véritable monnaie commune mondiale. Troisièmement, le marché des productions : d’autres coopérations, l’avancée de critères d’efficacité sociale de gestion pour les interventions des travailleurs. Le renforcement à cette fin de la propriété publique dans une mixité évolutive, des avancées de l’appropriation sociale des entreprises, avec une contre-offensive possible contre les privatisations, pour faire reculer graduellement les sociétés multinationales, à partir des besoins des populations.
Quatrièmement, le marché mondial : outre la refonte du F.M.I., celle de la Banque Mondiale, de l’O.M.C., des institutions dépendant de l’O.N.U., et la création d’un très nouveau conseil mondial de sécurité et de promotion économique et sociale.
Il s’agit aussi d’autres propositions institutionnelles corrélatives de ces transformations radicales concernant les marchés.
Cela peut concerner l’instauration de nouvelles coopérations interzonales pour le codéveloppement, comme cela a été présenté à propos des défis d’une coopération euroméditerranéenne. Cela peut viser les rapprochements entre les pays de l’Union européenne et les pays émergents et en développement pour s’émanciper de l’hégémonie des EtatsUnis et de leurs firmes multinationales.
Cela concerne tout particulièrement une autre socialisation des services publics. D’ailleurs, la sécurité d’emploi ou de formation, ou encore un autre système de crédit bancaire renvoie à deux services publics nouveaux possibles. On viserait plus précisément la transformation fondamentale concernant un autre rôle de tous les usagers des services publics, avec des pouvoirs d’intervention pour coopérer de façon créatrice, avec tous les personnels, dans les opérations des services, au lieu d’être traités comme des objets, tel un malade objet de soins. Et cela en liaison avec leurs associations, leur formation, des sites nouveaux d’informations, des critères d’efficience sociétale.
Tous ces développements sociaux profondément novateurs, permettraient des processus d’achèvement des révolutions des opérations techniques et sociales en cours, en les émancipant progressivement des dominations du capitalisme et du libéralisme.
Ces transformations pourraient se décliner du plan local au plan national, jusqu’au zonal comme l’Union Européenne, et au mondial. Elles participeraient ainsi à la mise en place de services et biens publics communs de l’humanité : pour l’éducation et la culture, la santé, l’écologie, l’urbanisme et le logement social, l’eau et l’alimentation, l’énergie, les transports et les communications, et jusqu’à la paix.
On chercherait de la sorte à faire reculer de plus en plus l’emprise des entreprises multinationales concernées. Cela pourrait constituer un renversement de l’ordre traditionnel des transformations révolutionnaires, en partant des besoins sociaux, des pouvoirs, des opérations et de leurs règles pour aller au contrôle des moyens partagés.
Enfin, au-delà de l’économie, tout cela renvoie à l’anthroponomie, à d’autres valeurs, à un autre humanisme, et à une autre civilisation de toute l’humanité, pour le partage des pouvoirs et des rôles et pour la créativité de chacun.
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