Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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G20 de Pittsburgh, en attendant la prochaine crise

Le long communiqué qui a conclu la troisième réunion (à Pittsburgh, le 24 septembre) des chefs d’État du G20 depuis  la faillite de Lehman Brothers,donne l’impression d’un organisme cherchant à ressembler à une sorte de gouvernement mondial, capable d’organiser la coopération internationale qui apparaît vitale face à la crise du capitalisme financiarisé.

La montée du G20 au sommet des institutions internationales s’accompagne de décisions visant à renforcer le poids des pays émergents dans les organes de décision des organismes internationaux. Le sommet de Pittsburgh a demandé un accroissement de 5 % des droits de vote de ces pays au sein du FMI, et de 3 % à la Banque mondiale. Mais ces évolutions ne devraient pas affecter la part des États-Unis, et en particulier  leur minorité de blocage de 17 % au sein du conseil d’administration du FMI; l’ajustement,  s’il a lieu, se fera plutôt sur la part des grands pays européens.

Sur ce point comme sur les autres, en effet, plus que la coopération, c’est l’évidence des divergences d’intérêts et des tensions entre grandes puissances qui s’est manifestée dans les débats du G20, et dans les événements qui se sont produits depuis sa réunion.

Les débats préparatoires au sommet de Pittsburgh ont surtout opposé le point de vue des États-Unis à celui des principales puissances européennes, Gordon Brown ayant fini par apporter son soutien à Angela Merkel et Nicolas Sarkozy sur plusieurs points. La thèse européenne en faveur d’une modération des « bonus » versés aux traders a semblé l’emporter à Pittsburgh. Mais les banques de Wall Street se sont chargées de ridiculiser ce résultat, en annonçant trois semaines plus tard des gratifications d’un montant record, supérieur à 140 milliards de dollars. Tout cela dans le plus grand respect des décisions du G20 : celles-ci ne prévoient pas, en effet, de limiter le montant des  « bonus », encore moins d’empêcher les banques de chercher des profits faciles dans le financement d’opérations spéculatives. Au contraire, elles imposent que les bonus soient « justifiés » par la rentabilité des placements réalisés par le bénéficiaire…

Fonds propres  : le concours de beauté des financiers

En réalité, le motif majeur de tension entre les deux rives de l’Atlantique portait sur la réglementation internationale censée dissuader les banques de prendre des risques inconsidérés. Les États-Unis menaient campagne pour l’instauration d’un « ratio d’effet de levier », c’està-dire d’une obligation de maintenir un niveau de fonds propres proportionnel au total de leur bilan. En réalité, une telle règle n’inciterait pas les banques à réorienter les crédits vers le financement des investissements porteurs de progrès de l’emploi, de la formation et de la création efficace de valeur ajoutée. Elle constituerait plutôt un aiguillon puissant pour les orienter vers les opérations les plus favorables à l’accroissement du capital des banques, c’est-à-dire les plus rentables (comme la spéculation sur les titres représentatifs de prêts subprime  titrisés l’a été… jusqu’à la crise). Les Européens trouvent cet instrument trop fruste. « Une banque peut avoir un fort effet de levier tout en ayant des actifs très solides, tandis qu’une autre peut avoir un faible effet de levier, mais basé sur des actifs dangereux  », a observé Jacques de Larosière, l’ancien directeur général du FMI, qui inspire les positions de l’Union européenne sur le sujet. Les ministres des Finances et les banques centrales d’Europe préfèrent une réglementation plus perfectionnée, qui permet de moduler les exigences de fonds propres en fonction du risque présenté par les différents placements figurant à l’actif des banques : le ratio de solvabilité dit de « Bâle  2 ». Celui-ci est négocié depuis des années par les organismes de supervision bancaire des principales puissances financières et appliqué en Europe dès 2008. Concession  de Barack Obama, les États-Unis ont accepté l’entrée en vigueur de « Bâle 2 » en 2011 pour les banques américaines. En revanche, ils ont obtenu un succès tangible sur le point qui leur tenait le plus à cœur : l’instauration d’un « ratio d’effet de levier »  pour toutes les banques. Globalement, le G20 a décidé  que les exigences  de fonds propres pesant sur les banques seront renforcées, y compris dans la réglementation du comité de Bâle.

Il ne faut pas chercher plus loin les raisons qui poussent celles-ci, dans les pays anglo-saxons comme dans la zone euro, à émettre de nouvelles actions pour remplacer les fonds apportés par les États après la faillite de Lehman Brothers et pour renforcer leurs fonds propres. Chaque établissement veut pouvoir exhiber un ratio de fonds propres plus élevé que celui de ses concurrents. Non pas tant comme gage de sécurité (les banques qui ont le plus souffert de la crise des subprimes sont souvent celles qui avaient le plus de fonds propres !) mais surtout comme signe de rentabilité élevée, propre à attirer les actionnaires. Voilà qui nous promet de prochaines crises financières encore plus dangereuses que celle des subprimes.

L’épée de Damoclès du dollar

Sur les autres sujets de l’actualité – conjoncture économique, emploi sinistré, nécessité de maintenir les mesures de relance économique, dans le cadre d’une coopération pour réduire les déséquilibres internationaux – le communiqué du G20 se contente de déclarations d’intentions qui ne feront pas date dans l’histoire des sommets internationaux.

Cependant, l’une des principales menaces qui pèsent sur l’économie mondiale – le risque d’une fuite devant le dollar – n’a pas tardé à se rappeler au souvenir des marchés et des gouvernements, au point que le thème de la « guerre des monnaies » est désormais à la « une  » des journaux (1).

On sait qu’une part essentielle de responsabilité dans la crise actuelle incombe aux autorités monétaires américaines. À partir de 2002, inquiètes des menaces de krach boursier ou immobilier que l’exubérance irrationnelle des marchés financiers faisait déjà peser sur la croissance, elles ont massivement alimenté les marchés en liquidités, en stimulant une vive création de dollars.

Cette politique a beaucoup contribué à nourrir la bulle immobilière et financière qui a éclaté en 2007. Elle a aussi poussé le dollar à la baisse sur le marché des changes. L’intérêt pour les États-Unis d’un dollar bon marché résidait dans le gain de compétitivité qu’il conférait à leurs productions en comparaison de celles des autres puissances industrielles – Europe, Japon et, de plus en plus, Chine. À l’inverse, vu que leurs marchés et leurs emplois dépendent énormément de leurs exportations, les puissances asiatiques ont choisi de s’opposer à la baisse de la monnaie américaine, en inondant à leur tour l’économie de leur propre monnaie. À partir de 2005, la Chine a fait preuve d’une certaine conscience de ses responsabilités internationales, en orchestrant  une remontée régulière du cours du renminbi  – mais elle a stoppé ce mouvement au moment de la crise des subprimes.

Seulement, toutes les monnaies ne peuvent pas baisser en même temps : il a fallu que l’une d’entre elles monte, et ce fut l’euro – car l’Union européenne, elle, reste empêtrée dans une construction monétaire fondée sur le dogme de l’« euro fort ». En réalité, le maintien d’un taux de change élevé vise à rivaliser avec la place financière américaine dans l’attraction  de capitaux à la recherche de rentabilité.

Au plus fort de la crise financière, le dollar a remonté en flèche, car les financiers inquiets pour le rendement de leurs placements se sont réfugiés dans ce qui apparaît comme les valeurs les plus sûres du monde : les titres de la dette publique américaine. Mais maintenant que les marchés sont calmés, les mêmes financiers sont sensibles à un autre élément nouveau : les taux d’intérêt à court terme américains sont proches de zéro. Les actifs en dollars rapportent très peu ; il devient intéressant d’emprunter dans cette monnaie pour prêter dans une autre (l’euro, le dollar australien…), qui offre une rémunération supérieure et dont le cours tend à s’apprécier. La menace qui hante les dirigeants de l’économie mondiale depuis quarante ans, celle d’une fuite incontrôlée devant le dollar qui sert de base à tout le système monétaire international, n’a jamais semblé aussi près de se réaliser.

La solution est connue : un repli ordonné du dollar accompagnant son remplacement, dans le rôle de monnaie commune mondiale, par un nouvel instrument qui pourrait être créé en développant le rôle des droits de tirage spéciaux (DTS). Les propositions du gouverneur de la Banque populaire de Chine et d’autres responsables des pays « émergents » vont dans ce sens. Le rapport de la commission Stiglitz de l’ONU également. De fait, la crise a conduit le FMI à émettre des DTS pour un montant total de 283 milliards de dollars, pour la première fois depuis 1981. Elle a réactivé les efforts de coopération monétaire dans différentes zones (Asie, Proche-Orient et surtout Amérique latine).

Mais les Américains s’opposent farouchement à tout ce qui pourrait mettre en cause leur hégémonie monétaire. Aussi les ministres des Finances et les gouverneurs de banques centrales du G7, réunis le 3 octobre, n’ont-ils annoncé aucune mesure significative pour maîtriser les mouvements du marché des changes. La poursuite de la guerre des monnaies – avec ses conséquences potentiellement dévastatrices – reste donc, à court terme, l’hypothèse la plus probable. En attendant que les futurs développements de la crise rendent encore plus évidente la nécessité de mesures mettant radicalement en cause le fonctionnement du capitalisme financiarisé, par la conquête de nouveaux pouvoirs pour les peuples, les mettant en état de mobiliser les moyens financiers au service de nouveaux objectifs sociaux.

(1) Yves Dimicoli, « Crise du dollar et besoin de révolution monétaire »,

Économie et Politique, n° 640-641, novembre-décembre 2007.

 

Cours du dollar en euros

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