Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La croissance asphyxiée par la finance

La croissance du PIB a été, au second trimestre, de 0,3 %, après quatre trimestres consécutifs de baisse. Il n'en a pas fallu plus au gouvernement pour proclamer que la France est « sortie de la récession » grâce à sa politique  ! Qu'en est-il ?

Facteurs de croissance et de fragilité  :

Au deuxième trimestre 2009, c'est avant tout le commerce extérieur qui a tiré la croissance (0,9 point de PIB) avec une progression  « inattendue » des exportations de biens manufacturés, l'automobile surtout.

En effet, d'autres pays que la France (l'Allemagne notamment) ont mis en place des «  primes à la casse   » pour soutenir le marché automobile. Cela aurait un peu profité à Renault et Peugeot.

On a beaucoup causé sur la tenue de la consommation en France en prétendant  même que «  le pouvoir d'achat continue d'augmenter malgré la crise » (le Monde du 19 août 2009).

En réalité, la consommation n'a soutenu la croissance qu'à hauteur de 0,3 point, sous un triple effet :

● La prime  à la casse automobile,

● Les revenus populaires qui ne s'effondrent pas massivement parce qu'il y a des  « stabilisateurs automatiques » qui jouent un rôle d'amortisseur de crise et parce que de nombreux emplois n'ont pas été encore précarisés,●  Le recul de l'inflation devenue négative, ce qui a pu soutenir surtout le pouvoir d'achat des revenus financiers du capital, mais aussi certaines consommations avec le recul des prix relatifs des produits informationnels et alimentaires notamment. En réalité, d'importants  facteurs de rémanence des difficultés vont peser lourdement sur la conjoncture du semestre à venir.

Premier  facteur : la situation désastreuse de l'emploi  :

Les chômeurs regroupés dans la première catégorie de la nomenclature de « Pôle emploi » (A) étaient au nombre de 2.524.500 en juin, ce qui a permis au gouvernement de triompher en annonçant que le chiffre avait diminué de 0,7% en un mois.

Mais cela passait sous silence trois faits significatifs :

●  En un an cette catégorie de chômeurs a augmenté de 25,7%;

● Et le chiffre  de juin est en légère diminution  du fait, pour l'essentiel, de l'augmentation de 19,3% des « cessations d'inscription pour défaut d'actualisation  » (sic) !

● Le nombre de demandeurs d'emploi regroupés sous les nomenclatures  A+B+C a, lui, augmenté de 0,3% le mois dernier.

Les licenciements  pour motif économique tirent désormais le chômage après les suppressions d'emplois intérimaires et les non renouvellements de CDD. Quoi qu'il en soit, le taux de chômage en France métropolitaine  a connu un nouveau bond spectaculaire au deuxième trimestre, à 9,1 % de la population active (2,6 millions).

L'INSEE prévoit 698 000 destructions nettes d'emplois dans les secteurs marchands non agricoles cette année.

Les offres d'emploi, de leur côté, pour l'essentiel sur des postes temporaires (moins de 6 mois) ou occasionnels (moins d'1 mois), ont diminué de 15,6% en un an.

Le taux de chômage officiel devrait atteindre 10,1% au 4ème trimestre (10,5% DOM compris), alors qu'il était encore de 8,7% au 1er trimestre. Au total, selon l’INSEE, la France compterait  704 000 chômeurs supplémentaires  fin 2009  !

Ce chômage massif va s'accentuer sensiblement à la rentrée avec l'arrivée sur le marché du travail d'une nouvelle cohorte de jeunes sortant du système éducatif.

Cette situation, dont Christine Lagarde ne cesse, ellemême, de déclarer qu'elle va empirer ces prochains mois, « même si il y a reprise », pèse très lourdement sur les salaires et incite les familles à mettre de l’argent de côté après les vacances (pour celles qui ont pu en prendre). Le taux d'épargne des français, déjà si élevé, est appelé à battre de nouveaux records.

Au contraire de ce que prétend Le Monde, le salaire réel (défalcation faite de l'inflation) moyen par tête va de nouveau baisser en 2009 (-0,3%) et cela malgré une inflation très faible (négative actuellement).

Deuxième facteur de rémanence des difficultés : le crédit demeure rationné  :

Les dernières statistiques  de la Banque de France nous signalent que les encours de crédit aux entreprises continuent de reculer : -3,5 % en juin après -4,6 % en mai.

En fait, les banques verrouillent  le crédit, surtout au détriment des PME, et cela, malgré la détente  du marché monétaire (euribor à trois mois : 5,4 % à l'automne  2008, retombé à 0,8 % début  septembre).

Elles ont bénéficié jusqu'ici de 75 milliards d'euros de garanties d'État (SFEF) et de 20 milliards d'euros injectés en fonds propres par l'État, dans chaque cas, comme on le sait, sans changement des critères de crédit et en laissant totalement les manettes aux actionnaires des banques aidées.

Le rationnement du crédit et sa sélectivité accrue perdurant, les faillites se multiplient. Selon l'assureur-crédit Euler  Hermès,  on atteindrait un record en 2009 : 72 000 après 57 700 en 2008.

D'où aussi des perspectives très sombres sur l'investissement. Interrogés en juillet 2009, les industriels ont accentué à la baisse leurs prévisions d'investissement pour l'année en cours par rapport à celles fournies en avril dernier. Ils s'attendent désormais à une baisse de 23 % dans l'industrie manufacturière et de 21 % dans l'ensemble de l'industrie,  et cela après une année 2008 marquée déjà par un ralentissement par rapport à 2007.

Les secteurs les plus touchés sont ceux des biens d'équipement et des biens intermédiaires.  Dans l'automobile, par contre, les perspectives sont désormais à la hausse (plus 6 %) étant entendu que, selon Carlos Ghosn, l'année qui vient sera celle d'un grand retour des OPA dans le secteur  !

Troisième  cause des persistances des difficultés  : Les gestions des groupes :

Ils continuent de massacrer leurs sous-traitants, pour les contraindre à baisser leurs prix, se restructurer brutalement ou délocaliser, tandis qu'eux-mêmes se constituent d'énormes trésoreries qu'ils placent et qui attendent le moment propice pour de nouvelles OPA.

Bien sûr les bénéfices affichés reculent : ils ont atteint 21 milliards d'euros pour les sociétés du CAC 40 au premier semestre 2009, soit un recul de plus de 57 % par rapport au premier semestre 2008.

Mais ce repli, qui touche surtout les valeurs cycliques et financières, n'était aucunement jugé catastrophique par les analystes. En réalité, en dépit d'une crise sans précédent, moins d'une dizaine de groupes du CAC 40 affichent  un résultat négatif (dont Arcelor Mittal...).

Il faut voir là une conséquence de la violence des ajustements.

Ces résultats ne sont en aucun cas explicables  par une demande finale en croissance, mais par des réductions de coûts (salariaux surtout) et un arrêt du déstockage. Le consensus prévoit pour l'ensemble de l'année 2009, des bénéfices nets de l'ordre de 60 milliards  d'euros.

Les groupes industriels  du CAC-40 ont vu leur trésorerie cumulée croître de 3,42 milliards d'euros en un an.

La somme des flux de trésorerie opérationnelle (générée par l'exploitation) engrangée en 6 mois s'élève à 34 milliards d'euros.

Au premier rang de ces « machines à faire du cash » on trouve EDF (qui va bénéficier d'une nouvelle augmentation de ses tarifs),  France-Télécom (où on se suicide beaucoup sur le lieu de travail..), Sanofi-Aventis. Mais on trouve aussi des entreprises qui ont bénéficié des fonds de l'État, Renault et PSA, qui ont largement utilisé le chômage technique et ont fait rendre gorge à leurs petits sous-traitants en faisant s'effondrer leurs commandes. Peugeot, par exemple, a diminué sa consommation de trésorerie grâce à une réduction de près de 2 milliards d'euros de ses stocks  !

Quatrième  facteur : les déficits extérieurs  :

Le déficit des transactions courantes de la France a atteint 3,5 milliards d'euros en juin, après 2,3 en mai. Le seul déficit  des échanges de biens a atteint  4,3 milliards d'euros, en croissance de 16,2% sur mai. A fin juin, et en cumul sur 12 mois, ce déficit  porte sur 43,5 milliards d'euros, contre 44 milliards à fin décembre  2008 et 18,9 à fin décembre 2007.

Cet alourdissement  de la facture exprime les problèmes croissants d'efficacité du « système productif », en liaison avec le chômage durable, la précarisation, l'insuffisance des qualifications et des salaires. Il exprime l'échec catastrophique des politiques prétendant accroître la compétitivité de la France en baissant le coût salarial des emplois, avec les allègements de cotisations sociales patronales en particulier. Au cœur du déficit sur les échanges de biens, on trouve l'excès des importations en provenance d'Allemagne.

Tout cela concoure encore plus aux sorties de capitaux : fin juin 2009, les sorties nettes au titre des investissements directs atteignaient  5,6 milliards d’euros, contre 3,1 milliards un mois plus tôt (+80,6%) ; sur 12 mois cumulés, elles se montaient à 64,8 milliards d'euros contre 70,4 milliards fin décembre  2008 et 47,6 milliards fin décembre  2007. Autrement  dit, les délocalisations s'accroissent en écho à l'insuffisance de demande et d'efficacité sociale des productions et des services en France,

Cette hémorragie est compensée, pour l'heure, par la progression vive des entrées de capitaux au titre des investissements de portefeuille:  327,9 milliards fin juin 2009 sur 12 mois, contre 89,4 milliards fin décembre et une sortie nette de 121 milliards fin décembre 2007. Mais cela exprime une dépendance financière croissante de la France vis à vis de l'extérieur, sachant que ces capitaux sont attirés par l'abaissement du coût salarial de l'emploi, le recul des dépenses publiques et sociales, les promesses de hauts rendements financiers, contre l'emploi, la formation, les services publics et la croissance réelle. De plus, ce type de capitaux est, par définition très volatile.

Cinquième   facteur  : le rationnement de la dépense publique  :

Depuis avril dernier, la France fait toujours l'objet d'une procédure de la Commission européenne pour « déficit excessif » avec  l'injonction de ramener le déficit public (au sens de Maastricht) sous la barre des 3 % dès 2012. Certes, le gouvernement ne viserait plus finalement qu'un déficit entre 5 et 5,5% du PIB à cet horizon,  Sarkozy ayant déclaré qu'il reportait à 2014 l'engagement  à repasser sous les 3 %.

Pour autant, la politique budgétaire demeurerait extrêmement restrictive avec une baisse annuelle des dépenses de personnel de l'État de 1 à 1,5 % et une chute des autres dépenses de 2 à 3,5 % par an entre 2009 et 2012.

Pour 2010, le projet de loi de finances va renouveler l'objectif politique d'une croissance zéro en volume de la dépense d'État et, pour cela, il supprimerait plus de 34 000 emplois publics dont 16 500 dans l'éducation,  tandis que le projet de loi de financement de la protection sociale pourrait acter une nouvelle hausse du forfait hospitalier. La raison principale qui est avancée, outre l'habillage idéologique de la RGPP prétendant  viser une plus grande efficacité de la dépense, c'est le poids de l'endettement  public par rapport au PIB.

On note que, désormais, le pouvoir a décidé de forcer le passage là-dessus avec les collectivités territoriales dont le nombre devrait beaucoup diminuer avec la réforme Balladur, tandis que leurs gouvernances seraient plus étatisées, via les régions et les métropoles.

Cela étant on peut être surpris,  dans de telles conditions, de l'annonce d'un grand emprunt public qui, toutes choses égales par ailleurs, devrait alourdir l'endettement public. Il y a de gros efforts d'union sacrée autour de cette opération (avec M. Rocard – A. Juppé qui co-président la commission du grand emprunt national), au nom prétendument de la recherche d'une affectation optimale des fonds qui seraient empruntés.

Cela marche  de pair avec la perspective  agitée d'un soutien massif aux infrastructures,  mais aussi à l'industrie française avec la reprise par Sarkozy de la « très bonne idée de la CGT » de tenir des États généraux de l'industrie destinés à tracer les grandes lignes d'une « nouvelle politique industrielle ».

D'ailleurs chez l'équipementier automobile Faurécia, N. Sarkozy a clairement affiché ses intentions  : « il ne faut pas craindre l’endettement quand c'est au service de l’investissement », c'est-à-dire du capital  et non pas de l'emploi, de la formation, des salaires... En l’occurrence,  il s'agirait en l'espèce de l'investissement financier ou de l'investissement matériel, contre l'emploi et avec une insuffisance majeure des dépenses de formation.

Par ailleurs, ce grand emprunt public annoncé marcherait de pair avec le verrouillage maintenu du crédit bancaire. Il est manifeste, dans ces conditions,  que la question de nouvelles ressources fiscales sera posée.

Sarkozy avait annoncé son intention devant le congrès à Versailles en juillet dernier d'avancer dans la transformation des bases des prélèvements obligatoires  avec, derrière, l'obsession d'une plus grande «  compétitivité »  de ces bases. Cela renvoie à :

● Des bases permettant d'alléger les prélèvements obligatoires sur les profits dégagés des entreprises  ;

●  La recherche de nouvelles  bases des prélèvements,  «

non délocalisables ».

C'est dans cette perspective qu'a été décidée la suppression de la taxe professionnelle sur les équipements et biens mobiliers (EBM) et qu'a été reprise l'idée d'une « taxe carbone » qui frapperait la dépense des familles et introduirait en France un mécanisme approchant celui de la TVA sociale.

Et cela tout en continuant d'arrache-pied dans le sens de l'allégement des cotisations sociales patronales. Il y a un consensus droite-PS là-dessus, pour l'heure. D’où l’importance  du débat à gauche sur ces questions et nos priorités :

● Impôt sur les sociétés,

● Taxe professionnelle,

●  Crédit, cotisations  sociales patronales, Fonds publics régionaux et national...

Un dernier mot sur les luttes : pour illustrer combien il y a besoin d'une large mise en offensive des communistes sur leurs propositions cohérentes (d'autant plus que les élections régionales seront tout autrement conditionnées si le mouvement social redémarre en s'emparant de propositions.)

Nous avons tous en tête le grand mouvement du premier semestre  2009 qui est retombé pour le moment. Il faut bien voir que ce mouvement a réussi à imposer certaines choses. Je veux noter particulièrement :

● L'ouverture  du débat sur le partage de la valeur ajoutée et des profits ;

● La création du FISO qui pourrait devenir si on s'en empare l'une des institutions majeures pour sécuriser l'emploi et la formation. Sarkozy en avait repris l'idée à la CFDT, comptant ainsi pouvoir casser l'unité syndicale et détacher la CFDT du mouvement. L'unité syndicale a tenu, et le FISO a dû être créé. Certes, en l'état, cela ne va pas du tout. Il est doté de 1,3 milliard d'euros et Sarkozy a promis la même somme pour 2010. La CFDT a dit qu'il faudrait 10 fois plus. Nous nous disons qu'il faudrait  20 milliards d'euros. On voit donc que les idées de sécurité d’emploi ou de formation et de financements nouveaux pour cette sécurisation peuvent marquer des points. Il faudrait pousser beaucoup plus loin là-dessus.

Il y a besoin d'aider à une remobilisation  du mouvement social en cette rentrée. Elle n'est pas acquise.

Il y a eu en effet un manque d'objectifs de luttes après l'échec du 19 mai qui s'est conjugué sans doute au fait que les rapports de force politiques issus des élections européennes n'ont pas permis de commencer à ouvrir d'autres perspectives.

N. Sarkozy s'est, au contraire, senti autorisé de redoubler les coups, bien que la droite et l'extrême droite aient été minoritaires.

Cela a beaucoup pesé sur le climat revendicatif sans doute, d'où l'émergence de luttes plus violentes, cependant soutenues par l'opinion semble-t-il, et plus récemment de luttes, non pour sauvegarder les emplois, mais pour obtenir de meilleurs « chèques valises », comme chez Fabris.

Ces manifestations  de désespoir fortement médiatisées ont amené le gouvernement à jouer sur le registre compassionnel et essayer de se donner le rôle de prétendu médiateur – comme chez Molex ou Caterpilar  – en en faisant encore plus dans la démagogie.

Cependant cela échoue, les patrons refusant de bouger. En réalité, les médias ne parlent pas de toutes les luttes sur l'emploi. Et il en est de victorieuses comme à la S.B.F.M., sous-traitant de l'automobile, où les salariés ont refusé de rentrer dans la négociation sur le « chèque  valise  », et ont mis fortement  en cause la responsabilité des grands donneurs d'ordres. Ils ont obtenu leur reprise par Renault et aucune suppression d'emplois.

Cela souligne l'importance  des luttes pour l'emploi, le besoin d'une offensive des communistes sur ce terrain avec l'exigence de moyens financiers et de pouvoirs. A la CGT on reconnaît combien l'unité syndicale s'est faite surtout au sommet sur la base d'une importante plateforme commune énonçant des « propositions macroéconomiques » mais qui n'ont pas pu être prises en main suffisamment par les syndicats et les salariés à la base dans leurs propres luttes de terrain susceptibles de converger de façon interprofessionnelle.

Soulignons, à l'appui du besoin de développement des luttes, l'importance de l'idée du pôle public financier et de l'intervention pour un nouveau crédit sélectif avec :

●  La bataille pour les Fonds publics régionaux qui doit prendre une grande ampleur avec les élections régionales ;

● La bataille pour une nouvelle logique d'incitations  à l'emploi et aux progrès écologiques avec la nécessité de mettre un terme aux allègements de cotisations sociales patronales et de baisser, au contraire, de façon sélective les charges financières du crédit dans les régions ;

● La bataille pour une profonde réorientation  de la politique monétaire de la BCE.

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