Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Protection sociale, santé : 2008, année de la déconstruction

pDécidément 2008 sera l’année de la déconstruction du système de protection sociale et de santé français. Faisons un point rapide.

Les problèmes tels qu’ils se présentent  :

1) Le point principal est que les patients renoncent de plus en plus aux soins. C’est l’effet conjugué de la crise du pouvoir d’achat et du recul de toutes les prestations sociales. C’est la nouvelle pauvreté. Selon la revue médicale « Prescrire » (1) 24% des plus pauvres déclarent avoir renoncé en 2006 à des soins pour raisons d’argent, (13% en 2004). La sécurité  sociale rembourse moins et les complémentaires  ne sont pas accessibles à tous : 5 millions  de personnes n’ont  pas de complémentaires santé. Sur les 2 millions de personnes juste au dessus du plafond de la CMU qui pourraient avoir droit à une aide à l’acquisition de cette complémentaire, seuls 300 000 en bénéficient. Aujourd’hui pour les pauvres la cotisation coûte 10% des revenus.

Le taux de renoncement atteint 32% chez ceux qui n’ont pas de complémentaires.  Les soins négligés sont des soins nécessaires pour lesquels le reste à charge de l’assuré est le plus élevé (2) : 63% en dentaire, 25% en lunetterie, 16% en médecine spécialisée, 9% en médecine générale. A cela, s’ajoutent les refus de soins CMU et les dépassements d’honoraires. Ainsi selon l’IGAS : pour le port d'une prothèse de hanche, 72% des patients doivent payer de leur poche en moyenne 225 euros à l'hôpital public, et 454 euros dans une clinique privée. Pour une opération  de la cataracte, 71% doivent  débourser  en moyenne 91 euros dans le public et 200 euros dans le privé.  Constatant que ces dépassements, qui ont augmenté "de plus de 40% en dix ans en valeur réelle", sont devenus "une pratique majoritaire  chez les spécialistes" et ont représenté 2 milliards d'euros sur un total de 19 milliards  d'honoraires,  l'IGAS (3) déclare : "Cette pratique  est devenue un obstacle à l'accès aux soins." De plus la prise en charge des dépassements d'honoraires n'est ni générale ni illimitée  et varie suivant les contrats souscrits. Une étude de l'Union nationale des organismes d'assurance-maladie complémentaire (Unocam) montre  que 40% des personnes disposant d'une couverture  complémentaire  ne sont pas du tout remboursées des dépassements. Les dépassements d'honoraires  génèrent 2 milliards  de revenus annuels pour  les médecins libéraux.  Dans les grandes villes, l'accès à des spécialistes pratiquant les tarifs de la Sécurité sociale est parfois impossible. L'IGAS estime que les dépassements d'honoraires « constituent un recul de la solidarité nationale » et « génèrent des renoncements ».

2) La question des hôpitaux publics : l’élément nouveau est leur endettement important. Devant leur retard en investissement,  ils ont eu l’autorisation d’emprunter directement auprès des banques : c’est une des mesures du Plan « Hôpital 2007 ». Les comptes 2006 des établissements publics de santé publiés par le ministère donnent à réfléchir. Nous constatons certes une relance de l’investissement hospitalier. Ces dépenses passent de 4,9 milliards d’euros en 2002 à 7,4 milliards en 2006 soit + 52%. Mais la conséquence directe a été que l’encourt de la dette a augmenté de 13,6% entre 2003 et 2004. En 2006 ce sont 13,83 milliards  d’euros  qui  ont  été empruntés  à nouveau. Fin 2006 le stock des dettes s’élève à 13,6 milliards d’euros soit 88% de plus en 10 ans. La deuxième conséquence de ce recours à l’emprunt massif est que la charge de la dette a représenté en 2006, 75% de la capacité d’autofinancement générée par les comptes d’exploitation.

Au moment du passage à la T2A (4), les déficits viennent impacter  sévèrement la capacité de remboursement. La crise financière n’est pas loin avec incapacité pour les hôpitaux  publics  de rembourser leur dette. On aurait voulu plonger les établissements publics de santé dans une crise très grave, qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Faute d’avoir été l’objet de choix politiques cohérents, l’emprunt  va plomber  l’avenir  de ces établissements.

Philippe Peyret, professeur de finances hospitalières, n’at-il pas écrit dans le N°11 de « Finances Hospitalière » de février 2008 : « Au moment du lancement du plan Hôpital 2012 et du passage à la T2A à 100%, il convient donc de rappeler que, d’un point de vue strictement financier, tout investissement hospitalier nouveau devient potentiellement  dangereux pour la pérennité de la structure s’il n’a pas pour effet d’améliorer le rapport entre le coût des soins et les recettes générées par l’activité». Une crise s’annonce, tout est programmé pour. Les cliniques privées auront le beau rôle. Le service public le mauvais. Ajoutez à cette situation : le manque de personnels, la démographie médicale catastrophique et la fuite vers le privé ; vous aurez en quelques mots, fait le tour de la question.

3) Les besoins de développement : nous savons tous que l’activité de protection sociale et de santé est aussi une activité  qui participe au développement  économique et à la création de richesses. De ce point  de vue, l’industrie pharmaceutique  et la recherche en biotechnologies ont besoin d’investissements importants qui ne sont pas à la hauteur aujourd’hui.  L’industrie  pharmaceutique soumise à la financiarisation de court terme procède de façon incohérente  à des licenciements massifs et à des fermetures de laboratoires.

Les solutions du gouvernement :

Face à tous ces besoins que nous venons de décrire, le gouvernement trouve des réponses totalement inadaptées. Rappelons brièvement  les mesures qu’il  prend:

1) Le recul de la protection sociale est organisé : après les franchises médicales mises en place en début d’année il envisage de réduire la prise en charge à 100% des maladies graves. Au 31 décembre 2006, la CNAMTS recensait 7,7 millions de bénéficiaires d’une affection de longue durée prise en charge à 100% par l'Assurance maladie. Le taux de personnes en ALD (5) est de 13,6 %. Au cours de l'année 2006 le nombre des ALD progresse de près de 265 000, soit + 3,6% par rapport à 2005, dont 0,9 point lié au vieillissement de la population. En 2006, les pathologies qui contribuent le plus à la croissance des ALD sont le diabète (+ 7,0 %) et les tumeurs malignes soumises à dépistage comme le cancer de la prostate (+ 11,7 %) et le cancer du sein (+ 5,7 %).

La Haute Autorité  de Santé a proposé une refonte de la prise en charge de ces affections reprise ensuite par le Directeur général de la Sécurité sociale. Trois solutions : soit « une simple actualisation  médicale des critères actuels » d’admission pour 19 des 30 affections prises en charge, soit « réduction drastique du périmètre de prise en charge » c'est-à-dire retrait de certaines maladies, soit une réforme encore plus sévère à étudier. On peut admirer l’effort intellectuel… En quoi est-ce une « actualisation médicale » de supprimer la prise en charge des diabètes débutants quand toutes les données scientifiques préconisent une prise en charge précoce ? Qu’estce qui justifie la non prise en charge évoquée de l’hypertension artérielle ou de la tuberculose ? Le problème est bien que 8 millions  de bénéficiaires ont accès aux soins remboursés à 100% (et encore..) et mobilisent 60% des ressources de la Sécurité sociale. Mais la Sécurité sociale n’est-elle pas faite pour cela ?

L'association  française des diabétiques  déplore  une "hiérarchisation médicalement  aberrante"  des maladies, faisant référence à des propos de la ministre de la Santé Roselyne Bachelot. L'AFD estime, dans une lettre ouverte, que ces propos  induisent  implicitement que certaines des maladies chroniques actuellement prises en charge à 100% ne le seront plus à l'avenir. "Trouble métabolique  majeur, le diabète exige une adaptation profonde, un suivi et un traitement permanents", ajoutet-elle, estimant que si les diabétiques "vivent plus longtemps aujourd'hui  qu'il y a 20 ans, (c'est) grâce à une meilleure prise en charge de la maladie et de ses complications". Les complications du diabète sont "la conséquence du mauvais suivi du traitement", rappelle l'AFD, qui craint qu'une moindre prise en charge conduise à une détérioration des pratiques  de la part des patients en difficulté  financière.

2) Pour l’hôpital,  c’est une nouvelle organisation  qui est proposée : il s’agit essentiellement de raffermir l’autorité du gouvernement sur les hôpitaux rétifs en créant de nouvelles conditions de management, en éliminant les maires des conseils d’administration et en favorisant l’entrée du privé à l’hôpital public ; bref nous sommes à mille lieues de résoudre les vrais problèmes.

3) La financiarisation par contre avance. Prenons deux exemples :

a) les pharmacies : L’Ordre des pharmaciens met en garde contre une « prise de contrôle » de la majorité des officines françaises par des groupes financiers. C’est la création de grandes chaînes de « médicaments rentables » qui est visée. «Les expériences étrangères de libéralisation de la propriété des officines le montrent  : l’introduction de chaînes aboutit  à une prise de contrôle  de la majorité  des officines du pays par de grands groupes commerciaux  ou financiers ». « Un investisseur anglosaxon a fait connaître son souhait de pouvoir  acheter 1200 pharmacies en France… ». La Commission européenne soutient  ces évolutions  : elle souhaite aussi modifier l'actionnariat des pharmacies. La France interdit jusqu'à présent qu'un même titulaire puisse posséder plus d'une officine et exige que le propriétaire soit un pharmacien, deux conditions qui empêchent les groupes de distribution de pénétrer sur le marché de la distribution de médicaments. Bachelot s’emploie à les lever.

b) les laboratoires de biologie : L'Ordre des médecins et les principaux syndicats de praticiens, dans une prise de position commune inédite, ont demandé le 3 juin au gouvernement de "protéger des appétits financiers" le secteur de la santé, menacé selon eux par un diktat de la Commission. Les médecins font notamment allusion aux demandes de Bruxelles visant à ouvrir davantage le capital des laboratoires  d'analyses français à des non professionnels. Selon le président du principal syndicat de médecins libéraux,  la CSMF, Michel Chassang, les projets de la Commission ne sont qu'un début : "On va commencer par les labos et les pharmacies, puis aller vers les centres de radiologie ou les centres de réadaptation et, progressivement, vers les cabinets médicaux de groupe".

Pour l’instant  la réglementation en France de ces laboratoires a peu évolué : ce sont des professionnels libéraux qui les possèdent et les gèrent. Aujourd’hui les conditions sont réunies pour une révolution majeure : le passage de la propriété des laboratoires à des sociétés anonymes de capitaux. L’industrialisation et l’informatisation achevées permettent  une véritable  exploitation capitaliste du secteur pourvu que la législation se transforme et que des regroupements de grande échelle se produisent. C’est à quoi s’emploie la Commission européenne qui exige que la France renonce à l’obligation pour les laboratoires d’analyse d’être la propriété des biologistes. Le Dr Cohen, président du syndicat national des biologistes déclarait  il y a peu: « Le seul objectif  de ces groupes financiers est la rentabilité de leurs placements et la réalisation d’importants profits. Voilà la réalité ! ».

Le chantier de cette réforme a été engagé le 26 novembre dernier au ministère de la Santé et veut en finir avec la Loi de 1975. La profitabilité déterminera  le destin de cette activité.

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(1) N° de Septembre 2008, N°299, page 695.

(2) Institut de recherche et documentation en économie de la santé : « enquête sur la santé et la protection sociale 2006 ».

(3) Inspection générale des affaires sociales.

(4) Tarification à l’acte.

(5) Affection de longue durée.

 

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