Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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OMC : Genève 2008 ou l’agonie salvatrice du cycle de Doha

En juillet dernier lors d’une réunion à Genève, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été, un fois de plus, incapable d’arriver à une conclusion du cycle de Doha. Pourtant Pascal Lamy (1) et son complice Peter Mandelson (2) n’avaient pas ménagé leurs efforts. Ils pensaient tenir une fenêtre de tir idéale avec une administration  Bush en fin de parcours, une Chine soucieuse de son image avant les Jeux Olympiques et une Inde en pleine crise politique. Mais heureusement pour les peuples du monde entier, le coup a manqué. L’OMC été prise au piège de sa propre logique de prédation.  Cette crise appelle d’urgence une toute autre organisation internationale du commerce, de la production et de la circulation des biens et des services.

Le cycle de Doha, lancé en novembre 2001, quelques semaines après le 11 septembre,  se voulait officiellement, être un « Programme de développement » visantà « mettre la libéralisation des échanges au service des pays pauvres ».

En réalité, après la disparition de l’URSS, il s’agissait de parachever une organisation du monde fondée sur la domination économique, militaire et culturelle américaine. En transformant la planète, en une vaste zone de libre échange où circuleraient sans entrave capitaux, marchandises, services et travailleurs, les économistes libéraux étaient persuadés qu’on amènerait « naturellement », par la magie de la main invisible du marché, chaque région du globe à se spécialiser dans l’activité où elle serait la meilleure, pour la plus grande prospérité de tous.

Selon, ce scénario les Etats-Unis, le Japon et l’Union européenne devaient se spécialiser  dans l’industrie de pointe et les services financiers à haute valeur ajoutée, l’Inde dans les services à faible valeur ajoutée, l’Asie hors Inde et Japon, se focalisant sur l’industrie manufacturière ou lourde, le reste du monde apportant soit ses matières premières, soit ses ressources agricoles.

Loin d’amener la prospérité universelle, une telle utopie mortifère ne pouvait que conduire à mettre les hommes, les territoires en concurrence exacerbée, provocant insécurités sociales, explosions des inégalités, et violences en tout genre. L’objectif réel du cycle de Doha n’était pas de permettre le développement des pays les plus pauvres, mais d’obtenir la libéralisation des marchés agricoles en échange de la liberté quasi totale de circulation des biens et services.

Le cycle de Doha, aurait dû s'achever en 2004, mais c’était sans compter les propres contradictions de l’OMC. Ainsi, en septembre  2003, la conférence de Cancun s’est déjà transformée en affrontement entre les pays émergents et les Etats-Unis autour de la question agricole. Depuis les négociations de Doha sont allées de crise en crise.

Cette crise de l’OMC a deux facettes :

• Une crise de légitimé politique et économique.
• Une crise de fonctionnement structurel.

La crise de légitimé politique et économique de l’OMC

Les deux mythes qui légitimaient la politique de l’OMC sont en train de s’effondrer.

Le premier mythe portait sur l’existence d’un lien fort entre libre échange international et croissance du PIB (3) mondial. Le second mythe concerne le caractère positif de la libéralisation des échanges commerciaux pour les pays les plus pauvres en particulier et en général pour l’ensemble de la planète.

Ces affirmations s’appuyaient sur la constatation statistique de l’augmentation parallèle de la part du commerce international dans le PIB mondial et de la forte croissance de ce PIB depuis les années 90.

Or contrairement à l’apparence statistique,  nous ne sommes pas entrés dans une période où désormais les échanges internationaux seraient le principal moteur de la hausse de la richesse produite. En réalité ce qui caractérise notre époque est d’abord et avant tout une marchandisation qui se traduit mécaniquement par des hausses des PIB mesurés et des montants des flux de commerce international, sans que ces hausses reflètent systématiquement  des phénomènes réels. De plus, la crise alimentaire a montré que les politiques de libre échange international agricole et leurs conséquences logiques la monoculture, loin d’éradiquer la pauvreté, conduisaient à des situations de disette ou de famine et engendraient, en particulier dans les pays émergents, de fortes pressions à la baisse sur le niveau des salaires en raison de l’exode rural.

En fait l’actuelle « mondialisation » résulte d’une collision et d’une imbrication entre deux processus :

• Une extension mondiale simultanée des trois révolutions industrielles : celle de la manufacture, celle du taylorisme et celle des réseaux. Ainsi la Chine (4), l’Inde, le Brésil, la Russie, la Corée du sud, ne deviennent pas seulement les ateliers de monde, ils sont en passe d’en être aussi les laboratoires. L’Afrique du Sud, la Turquie, l’Indonésie, le Vietnam, la Thaïlande, le Maroc, le Venezuela et bien d’autres nations ont déjà commencé à embrayer sur ce mouvement. Ce mouvement irréversible a permis de sortir de la misère plus de 600 millions d’êtres humains en quinze ans et non lelibre échange, mais il pose de gravissimes problèmes écologiques, sanitaires, de surexploitation des ressources naturelles et d’inégalités sociales et territoriales.

• Le second est le mouvement mondial de déréglementation financière et commerciale qui découle des politiques des gouvernements américains et aussi européens, menées depuis 1971 (5) au travers des institutions économiques internationales qu’ils ont crées, développées et imposées au reste du monde : FMI, Banque mondiale, GATT puis OMC. Ce mouvement de déréglementation ne fut rendu matériellement possible que grâce au développement des technologies de l’information et des réseaux, et au faible prix du gasoil qui a permit de rendre marginal le coût du transport des marchandises par mer et par route.

Il s’est fait sans l’assentiment  des peuples, en s’appuyant  sur le principe de gouvernance contre celui de démocratie. Il est non seulement l’obstacle majeur à la résolution des crises économiques, sociales, alimentaires et écologiques de la planète, il en est la cause principale.

Or c’est cette collision entre les deux processus qui a fait exploser les mythes fondateurs de l’OMC et qui est cause de la crise structurelle de fonctionnement de l’OMC, dont le point de départ symbolique est l’adhésion de la Chine en décembre 2001.

La crise structurelle de fonctionnement

L’OMC a été bâtie sur le principe de la prédation et de la mise en concurrence des territoires et des hommes en terme d’aides publiques, de salaires, de règlementations écologiques et de fiscalités low cost afin d’alimenter les transnationales en surprofits colossaux.

Cette règle du jeu a été mise en place par les Etats-Unis et leurs complices européens pour que cette prédation s’exerce au profit de leurs entreprises et au détriment du reste du monde. Or les pays émergents comme la Chine, l’Inde, le Brésil,…. forts des propres règles de l’OMC ont décidé de contester violement le « monopole de la prédation » que se sont arrogés les Etats-Unis et l’Union européenne.  Ces pays ont ainsi déclenché une crise structurelle de fonctionnement de l’OMC puisque la raison sociale de cette institution était d’assurer l’hégémonie commerciale des Etats Unis.

L’autre élément singulier de cette crise structurelle de fonctionnement, est le rôle joué par l’Union européenne (6), en la personne de son représentant le commissaire européen Peter Mandelson. En effet, celui ci, contrairement aux représentants de la Chine, de l’Inde, du Brésil et même des Etats Unis, ne se comporte pas comme l’avocat des intérêts des Etats-Nations dont il est sensé être le mandataire, mais en ardent défenseur des seuls intérêts des groupes industriels et financiers transnationaux européens.

C’est pourquoi Mandelson ne défend pas l’agriculture européenne mais les trusts internationaux de l’agro-alimentaire. C’est pour cette raison que Mandelson est hostile à toutes mesures anti-dumping social, écologiques et fiscales et qu’il veut démanteler les barrières de défense commerciale de l’Union Européenne. Car ces mesures et ces barrières sont préjudiciables aux profits des grands et petits groupes européens qui délocalisent leurs productions et leurs investissements.

Le fonctionnement même de l’OMC consiste à promouvoir des politiques qui écrasent délibérément les marchés intérieurs et qui poussent chaque Etat à se comporter en exportateur-prédateur vers le reste du monde.

Or à l’échelle planétaire ce jeu n’est pas à somme nulle, il est à somme négative  et conduit l’humanité à la catastrophe.

C’est pourquoi, contrairement aux affirmations hypocrites des économistes libéraux l’échec du cycle de Doha, n’est pas une catastrophe pour les pays pauvres. Il constitue au contraire une opportunité historique, dans un contexte marqué par des fluctuations importantes des cours des matières premières. De l’aveu même des calculs de la Banque mondiale, dans le cas des négociations qui viennent d’échouer, le gain que pouvaient espérer les pays les plus pauvres n’excédait pas 0,16% du PIB. Par contre, les pertes fiscales engendrées par la disparition des droits de douanes dans ces mêmes pays auraient atteint 60 milliards de dollars (7). L’échec de juillet 2008 a été provoqué par les refus des Etats-Unis d’admettre les mécanismes spéciaux de sauvegarde demandés par la Chine et l’Inde, avec le soutien de très nombreux autres pays.

Ces mécanismes  autoriseraient les gouvernements à introduire des droits de douanes sur certains produits lors de fluctuations des cours à la baisse, afin d’éviter la destruction des agricultures locales par des importations provenant de pays disposant d’excédents importants et subventionnés. En fait, la demande de très nombreux pays visait à l’introduction de mécanismes permettant de réguler les « prix de marché » quand ces derniers connaissent des fluctuations erratiques. Des périodes de fortes baisses de cours peuvent entraîner une forte contraction de la production agricole locale, là où les rendements et la productivité sont faibles.

Quand les cours remontent brutalement, comme nous le voyons aujourd’hui, les pays concernés sont alors confrontés à une dépendance alimentaire vis-à-vis des exportateurs, qui se révèle meurtrière pour les populations. Contrairement à la lame de fond du développement des pays émergents,  le mouvement de déréglementation commerciale et financière, le libre échange institutionnalisé sont le produit de décisions politiques prises par les gouvernements  des Etats membres du FMI, de l’OMC, de la Banque mondiale et de l’Union européenne. Elles sont donc parfaitement réversibles.

Il y a urgence à révolutionner en profondeur l’OMC, le FMI, la Banque mondiale, à remplacer la pratique mortifère de la gouvernance qui exclut les peuples des décisions les concernant par celle de la démocratie.

On ne peut penser la question du commerce international seulement à partir de règles de droit, en l’isolant des dynamiques démographiques, climatiques, écologiques et physiques  de notre monde.  Les règles du commerce international  ne peuvent être une affaire d’« Etat de droit » et de « gouvernance  », elles doivent être régies par la coordination des choix politiques et démocratiques des peuples souverains.

_____________________

(1) Directeur général de l’OMC depuis 2005 et ancien Commissaire européen au commerce international, membre du PS.

(2) Commissaire européen au commerce international, ancienne éminence grise de Tony Blair, grand ami de Michel Rocard et de Dominique Strauss-Kahn.

(3) Produit intérieur brut.

(4) Sur 11% de croissance annuelle de la Chine, certains économistes évaluent la part de croissance endogène à 8%, les 3% restant, étant liés à l’export.

(5) Lorsque la convertibilité du dollar en or fut abandonnée le 15 août 1971 unilatéralement par les Etats-Unis, mettant fin de fait aux accords de Bretton Woods.

(6) Les nations de l’Union européenne ne sont pas directement représentées, seul l’Union européenne siège en leur nom.

(7) RIS Policy Briefs, « Back to the Drawing Board: No Basis for Concluding the Doha Round of Negotiations », n°36, avril 2008, New Delhi.

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