Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le sarkozisme en voie de constitutionnalisation

Nicolas Sarkozy n’a pas de l’État de droit une conviction chevillée au corps. En témoigne le peu de cas qu’il a fait depuis son élection  du texte en vigueur  (art. 20 de la constitution  :
« Le Gouvernement  détermine  et conduit la politique  de la Nation ») et la désinvolture 
avec laquelle il a traité le Parlement  (39 projets de lois débattus dans des conditions détestables). Il se veut pragmatique  avant tout. Aussi ne faut-il pas s’attacher excessivement à l’exégèse du texte adopté par le Congrès, pour dégager plutôt la signification politique de la réforme.

Une opération de légitimation opportuniste

Cette réforme portant  sur la constitution elle-même doit  être replacée dans le champ plus large des réformes tendant  à restructurer la France pour  la mettre en compatibilité avec les lois du marché. C’est une réforme parmi  d’autres dont la spécificité  est d’accroître la légitimité du Président. Tous les moyens de l’État et du parti majoritaire, même les plus discutables et les plus indignes, ont été mobilisés pour assurer un succès dont l’étroitesse même souligne le risque soi-disant encouru et la figure de gagneur de son initiateur.

C’est aussi un «coup politique» car a été mis en avant l’objectif paradoxal de renforcement des droits  du Parlement alors que celui-ci est tenu pour  secondaire dans la logique des institutions de la Vème République en dépit de ses concepteurs qui y voyaient un «parlementarisme rationalisé», vite contredit par l’institution de l’élection du Président de la République au suffrage universel  en 1962, ultérieurement par la réforme du quinquennat en 2000 confortant la prééminence de l’élection  présidentielle.  Et c’est aujourd’hui l’omniprésent Président de la République, celui qui a le plus personnalisé le pouvoir exécutif, qui se pose  en promoteur de la représentation nationale ! La portée politique de la réforme tient  également aux dégâts qu’elle cause à gauche. Le Parti socialiste sort ébranlé de cette séquence après avoir fait la démonstration de son inconséquence pour avoir refusé des mesures qu’il préconisait sans remettre en cause les fondamentaux de la Vème  République. Les autres partis de gauche n’ont guère pu faire entendre leur voix, l’opération favorisant la bipolarisation et les mettant  par là hors-jeu. Notons encore qu’il  a été peu question de VIème République, la démonstration étant ainsi faite de l’inconsistance du slogan.

Le trompe l’oeil du renforcement  des droits du Parlement

D’éminents constitutionnalistes, notamment  ceux qui comme Jack Lang ou Guy Carcassonne participaient à la commission Balladur, se sont évertués à nous démontrer que le projet de loi constitutionnelle renforçait les droits du Parlement. Isolées du contexte et en choisissant  d’ignorer  leur usage prévisible, certaines dispositions du projet peuvent en effet être ainsi présentées. Mais c’est porter sur la réforme un regard de myope que de la considérer  sur le seul terrain du droit positif.

Certaines des mesures adoptées vont même dans le sens d’une restriction ou d’un usage plus malaisé des droits  du Parlement : ainsi le droit  d’amendement sera dorénavant strictement circonscrit. Mais, surtout, il est possible de contester point par point l’effectivité des prétendues avancées. Les limitations apportées à l’exercice de l’article 49-3 n’emportent pas de changement notable par rapport à l’usage qui en a été fait jusqu’à présent par les gouvernements ; la maîtrise de l’ordre du jour ne laissera en réalité qu’un jour  par mois à la disposition  de l’opposition, la nouvelle partition introduite entre le Gouvernement et sa majorité  parlementaire  ne changeant rien au fond puisqu’ils sont ensemble sous la tutelle du président ; le contrôle  renforcé de l’exécutif   est sans portée avec une majorité aux ordres, de même que les pseudo limitations apportées au pouvoir  de nomination  du président,  etc. S’agissant de nouveaux droits  qui seraient accordés aux citoyens, le référendum d’initiative populaire n’a rien à voir avec une réelle initiative populaire des lois. Pour le pouvoir, l’essentiel est dans l’apparence.

Une caractéristique peu soulignée de la révision est le renvoi de l’explicitation des dispositions constitutionnelles  à une dizaine de lois organiques ou aux règlements des assemblées sous un encadrement constitutionnel très faible. Cela veut dire qu’il  sera possible de revenir de manière restrictive, à la majorité simple des assemblées, sur nombre des dispositions adoptées.

L’important est dans la mise en perspective présidentialiste

Et d’abord  dans la pratique  des institutions ainsi réformées. On ne voit  pas pourquoi  l’actuel  Président de la République prendrait plus de soin a l’égard des institutions modifiées qu’il  n’en a témoigné jusqu’à présent vis-à-vis de celles en vigueur, qu’il s’agisse de sa conception du rôle de Premier ministre réduit à celui d’un simple collaborateur,  des attributions dévolues au secrétaire général de l’Élysée et à ses collaborateurs, de la tentative de contournement du Conseil constitutionnel à l’occasion de la rétroactivité  de la loi sur la justice, de la précipitation dans l’élaboration de multiples  textes législatifs ou réglementaire empêchant le débat contradictoire et la concertation, de sa présence quotidienne dans les médias, de l’utilisation du compassionnel et de sa vie privée dans les affaires publiques. On ne voit pas davantage pourquoi sa majorité parlementaire qui a accepté tout cela changerait de comportement dans un contexte modifié de manière aussi ambiguë, ce que certains commentateurs traduisent par une question faussement ingénue : le Parlement voudra-t-il se servir de ses nouveaux droits ?

Mais la remarque principale tient sans doute dans la réponse à la question suivante : la réforme qui a été approuvée de justesse par le Parlement ne serait-telle qu’une étape vers un modèle plus significatif d’un pouvoir plus franchement présidentiel ? On a noté que le Président de la République avait dû, pour faire passer la réforme dans une situation incertaine,

en rabattre sur certaines de ses propositions tenant en particulier au rôle du Premier ministre. Édouard Balladur, dont la commission qu’il présidait a inspiré l’actuelle  réforme, n’a pas caché qu’il  ne s’agissait pour lui que d’une étape vers un vrai régime présidentiel. Pour y parvenir il faudrait à la fois supprimer la responsabilité du pouvoir exécutif devant le Parlement et le droit de dissolution  de l’Assemblée nationale du Président de la République. Nous y sommes presque. Sur le premier  point,  l’affaiblissement  du Premier ministre  met dès maintenant face à face le Président de la République et le Parlement devant lequel il n’est pas lui-même responsable ; la condition est donc pratiquement réalisée. Sur le second, rien ne presse le Président de se priver du droit de dissolution.

La voie est ainsi ouverte à un pragmatisme qui s’affranchirait aisément d’un encadrement institutionnel aussi ambivalent. Robert Badinter a parlé de «monocratie», j’ai pour ma part évoqué la « dérive bonapartiste » qui caractérisait  l’action  de Nicolas Sarkozy dans les mois suivant son élection. L’expérience permettra pour l’avenir de choisir la qualification  la plus pertinente. L’important est aujourd’hui  de prendre acte d’une évolution de la pratique du pouvoir qui tourne le dos à l’exercice par les citoyens et leurs représentants de la souveraineté nationale et populaire. Les défenseurs de la réforme qui vient d’être adoptée minorent l’importance  de la disposition sur laquelle le Président de la République n’est pas revenu et à laquelle il attache, lui, la plus grande importance : la possibilité  qui lui est désormais ouverte de s’exprimer quand il le voudra devant le Parlement réuni en Congrès ; réforme hautement symbolique et par là fortement politique. L’un d’eux, Guy Carcassonne, a dû cependant reconnaître  et avertir  : avant Nicolas Sarkozy, trois chefs de l’exécutif  se sont exprimés devant des assemblées parlementaires, Louis XVI devant les États généraux, Thiers et Mac-Mahon sous la IIIème  République. Et à chaque fois ça s’est mal terminé …

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