Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Débattre et agir pour une réorientation radicale des banques

Face à la crise financière  la plus spectaculaire depuis des décennies, les autorités se veulent à la fois prudentes et sereines. « Dans un environnement difficile  en 2007, le système bancaire français a démontré sa capacité de résistance », affirme sobrement le rapport 2007 de la Commission bancaire, publié en juin dernier.  « On ne peut prétendre que le système bancaire soit plus immunisé qu’un autre contre les développements négatifs de la crise, même s’il est incontestable que son exposition directe et indirecte aux produits  financiers  issus des subprimes reste en tout état de cause contenue.  Aussi, malgré le recul des perspectives en termes de rentabilité, son assise financière demeuret-elle solide ». Il est vrai que, jusqu’à présent, la France n’a pas connu de sinistre bancaire comparable à la faillite de Northern Rock en Grande-Bretagne, ou aux difficultés d’IKB en Allemagne, de Bear Stearns, Lehmann, Fanny Mae ou Freddy Mac aux Etats-Unis.

 

Cependant, la crise financière  est présentée comme un « choc externe » subi par les banques françaises sans qu’elles y aient leur part de responsabilité. Voilà une affirmation  un peu rapide. Tout de même, c’est bien BNP-Paribas qui a donné le signal de la panique générale, en août 2007, lorsqu’elle a annoncé qu’elle suspendait les opérations de deux de ses fonds spécialisés dans les opérations sur les subprimes. Quant à la Société générale, si les agissements de Jérôme Kerviel n’ont  pas eu pour théâtre  le marché des crédits  immobiliers américains, le choc qu’ils ont causé tient à ce que le département où il travaillait était connu comme le pionnier des opérations spéculatives sur les « dérivés actions » (l’achat et la vente de contrats à terme et d’options matérialisant des paris sur l’évolution future du cours des actions de sociétés cotées), donc un vecteur majeur de l’inflation financière  généralisée dans laquelle toute la puissance des banques a été mise au service de la croissance des marchés financiers, et qui est à l’origine  des crises successives qui agitent, depuis vingt ans, la planète financière.

Il n’est donc pas surprenant  que les banques françaises soient touchées, elles aussi, par les pertes occasionnées par la défaillance des fonds spécialisés dans la spéculation sur les crédits immobiliers américains titrisés  (c’est-à-dire regroupés en « paquets » vendables sur des marchés de titres négociables).

Lorsqu’au  début de l’année le FMI a évalué à 945 milliards  de dollars  le montant  global de tous ces dégâts à l’échelle  du monde, la somme pouvait paraître exagérée. Aujourd’hui, les pertes recensées dépassent 500 milliards et il est certain que d’autres cadavres vont sortir des placards. Preuve en est le blocage persistant  du marché monétaire  : alors qu’avant la crise il était proche du taux d’intérêt au jour le jour contrôlé  par la banque centrale, le taux

des prêts entre banques à trois mois d’échéance reste supérieur de trois quarts de points au taux au jour le jour. Cet écart tout à fait anormal veut dire que les banques ne se font pas confiance entre elles, soupçonnant que leurs confrères sont susceptibles d’annoncer  de nouvelles  per tes au cours  des prochains mois.

Dans l’état  actuel des informations  disponibles,  le seul système bancaire français est officiellement touché pour 16 milliards  d’euros. Pour les comptes arrêtés à décembre 2007, analysés dans le rapport de la Commission bancaire, le résultat net des huit principaux groupes bancaires s’inscrit  déjà en recul de 20,3 % par rapport à l’année précédente, soit 5,6 milliards  d’euros.

En-dehors du cas particulier de la Société Générale (voir  dans ce numéro l’article d’Yves Dimicoli),  la répartition des pertes liées à la crise financière fait apparaître un phénomène frappant : contrairement à ce qui s’était  produit lors de la précédente crise immobilière, au début des années quatre-vingt-dix, ce sont les banques mutualistes qui sont les plus touchées. Natixis (l’ancien département Marchés de capitaux  de la Caisse des dépôts passé sous le contrôle  des Banques populaires  et des caisses d’épargne en janvier 2006) affiche une perte de 948 millions d’euros au premier semestre 2008 et connaît l’humiliation de devoir  en rabattre  de 40 % sur le prix  de ses actions pour le rendre intéressant  aux souscripteurs de l’augmentation de capital dont elle a besoin pour rééquilibrer son bilan. Mais le groupe le plus touché est celui du Crédit agricole, qui affiche un total de pertes de 6,5 milliards d’euros au titre des subprimes et de leurs conséquences plus ou moins directes. Le résultat net a été ramené pratiquement à zéro au deuxième trimestre 2008 et de sérieux remous ont agité la direction du réseau mutualiste, le directeur général allant jusqu’à mettre en jeu sa démission. On peut donc dire que, tournant le dos à ce qui a fait leur utilité  sociale – et leur succès jusqu’à  ces dernières années  les banques mutualistes payent un prix  particulièrement élevé pour  la stratégie d’expansion sur les marchés financiers dans laquelle elles se sont lancées depuis quelques années avec un enthousiasme de nouveaux convertis.

L’ennui, c’est que nombreux seront ceux qui vont en supporter  les conséquences. Les salariés de ces établissements d’abord  car, bien loin de réorienter leurs stratégies vers le financement de projets ancrés dans l’économie réelle et vers la coopération avec les multiples acteurs économiques et sociaux qui ont besoin de leur soutien, les banques réagissent à la crise en durcissant encore les exigences de rentabilité qui inspirent leur gestion. Ainsi, Natixis veut faire passer le rendement de ses fonds propres à 12 % en

2010 et à 14 % à terme : 800 emplois sont menacés. Mais aussi l’ensemble des agents économiques pour qui les crédits  dispensés par ces établissements jouent un rôle vital. Déjà, les banques américaines et européennes ont durci  leurs critères  d’attribution des crédits  (voir  le numéro précédent d’Economie et politique). Il n’y a pas de raison que les choses s’améliorent  de ce point de vue dans les prochains mois. Alors que le PIB a reculé en France comme dans la zone euro au deuxième trimestre,  le durcissement de la politique monétaire de la BCE (son principal taux directeur  est passé de 4 % à 4,25 % en juillet) et le maintien d’un cours élevé de l’euro (même si la baisse du dollar semble avoir atteint un palier) pèsent sur les perspectives  d’activité  et d’emploi. Le dilemme des banques centrales reste entier  :

comment protéger l’économie des excès de la finance (en limitant l’orgie de crédits dont les spéculations et les crises se nourrissent) sans étouffer la croissance réelle ? Sans aller jusqu’à évoquer une sélectivité de la politique monétaire visant à modifier  le comportement des banques et les critères présidant au choix des projets qu’elles financent, les milieux dirigeants réfléchissent aux leçons à tirer de la crise.

Au séminaire de Jackson Hole, qui rassemble chaque année dans le Wyoming des banquiers centraux du monde entier, le président de la Réserve fédérale a revendiqué une extension des pouvoirs de son institution  en matière de «  macrosurveillance  prudentielle » ; ce terme barbare signifie qu’en plus d’examiner au cas par cas la situation de chaque banque individuelle, les responsables monétaires devraient pouvoir  se préoccuper  du comportement collectif des établissements  financiers,  par exemple, en matière d’évaluation de tel ou tel type de risques ou des limites à apporter à l’usage de l’« effet de levier ». Les responsables du Trésor ont répliqué que l’idée était bonne sur le papier mais que la banque centrale manquait des moyens en personnel nécessaires pour la mettre en pratique.

En France, les évolutions en préparation  portent sur l’organisation des institutions de surveillance  des différentes institutions financières : la Commission bancaire (présidée par le gouverneur de la Banque de France qui assure toutes les tâches techniques  et administratives liées à la préparation  de ses décisions), l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM), davantage liée au ministère  des Finances, et l’Autorité des marchés financiers,  où domine le poids des professionnels de la Bourse euxmêmes. Un amendement parlementaire  à la Loi de modernisation  de l’économie  adoptée en juillet dernier habilite le gouvernement à légiférer par ordonnances sur ce sujet. Certains, dans la majorité, sont tentés d’imposer  en France le modèle britannique dans lequel les trois institutions sont fusionnées, la surveillance  des banques échappant à la Banque d’Angleterre. Ce type d’organisation étant clairement l’une des causes du désastre Northern Rock, l’adopter en France serait évidemment une folie. On se dirige donc plutôt  vers un rapprochement plus ou moins poussé de l’ACAM et de la Commission bancaire. Christine Lagarde a lancé une étude de l’Inspection des Finances sur le sujet. Ces réformes ne seront pas sans conséquences sur le fonctionnement du système financier et donc sur l’emploi et la situation  de nos concitoyens.

Le renforcement de l’intervention publique que l’on sent se dessiner après la crise se fera-t-il au service de la croissance financière et de la rentabilité des placements ? Ou bien l’occasion s’offrira-t-elle d’un débat public inédit sur l’organisation d’un véritable service public du crédit, au service de la croissance réelle et de l’emploi  ? C’est le moment  de faire entendre les exigences de l’appel de la rencontre du 15 mai dernier,  particulièrement en matière  de contrôles nouveaux sur les banques et les fonds d’investissement (1).

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(1) Voir le texte complet de l’appel dans le numéro 646-647 d’Économie et Politique (mai-juin 2008).

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Par Denis Durand, le 31 juillet 2008

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