Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’État et le marché

Dans les colonnes des journaux, sur les ondes radios et télévisuelles, des journalistes particulièrement bien informés, des hommes politiques  subtilemenperspicaces et des économistes étonnements clairvoyants ont fait une découverte extraordinaire : L’État est de retour! Fichtre, le diable ressort de sa boîte ! Mais était-il parti ? Au siècle dernier, au début des années trente, traitant des idées des libéraux de son époque, le dirigeant et théoricien communiste italien Antonio Gramsci, s’en prenait à la séparation absolue qu’ils effectuent entre État et société civile et répondait : « Il faut bien convenir que le système du libre-échange est lui aussi une « réglementation » qui porte l’empreinte  de l’État, introduite et maintenue par les lois et la contrainte : c’est le fait d’une volonté consciente de ses propres fins et non l’expression spontanée, automatique du fait économique »(1)   ; Gramsci expliquait en fait, dans son langage et avec en arrière fond les problématiques de son temps qu’il n’y a jamais eu de marché sans État.

Aujourd’hui, nos beaux libéraux au pouvoir, pour certains adeptes du tout marché, ou du « marché régulé », oublient par exemple de rappeler que les prélèvements obligatoires des administrations publiques s’ils représentaient 41 % du produit intérieur brut en 1982, un an après la constitution  d’un gouvernement de gauche, ont culminé à 43,9 % en 2006 après plusieurs passages de la droite au pouvoir. Par ailleurs, la propriété publique est encore effective dans de grandes entreprises industrielles et de services (EDF, France Télécom, la Poste...), dans des banques et des institutions financières. Dans la crise, l’exigence d’une intervention  publique s’impose à tous.

À des degrés divers, en dépit des privatisations, cette prégnance du public dans la vie des sociétés est une donnée irréductible des États modernes. Même dans le temple du libéralisme, aux États-Unis, l’État et le public jouent un rôle essentiel. La mixité public-privé est une réalité de notre monde, mais elle est aujourd’hui dominée par les critères de la rentabilité financière.

Est-ce à dire que l’on va pouvoir se libérer du marché capitaliste uniquement grâce à l’État, en avançant tranquillement ses pions ? Sans revenir sur l’histoire douloureuse et souvent tragique des pays dits du « socialisme réel », en France, la gauche peut tirer aussi quelques leçons de ses échecs en ce domaine. Si l’expérience engagée en 1981 s’est brisée dans les tourbillons de la rigueur du milieu des années quatre-vingt, ce n’est pas seulement parce que les socialistes ont fait un mauvais usage de l’État même s’il y a là du vrai.

Des questions aussi essentielles que les conditions de l’utilisation des fonds dans la production,  des critères de financement des activités, du rôle du crédit par opposition aux marchés financiers, et, en parallèle, celui des salariés, dans leur diversité, ont été au mieux sous-estimées, en fait laissées en l’état c’est-à-dire sous la domination culturelle du capital. Cela dit, cette présence du public constitue un atout considérable qui est à la fois à élargir et surtout à bonifier. Le but n’est pas de tout nationaliser, encore moins d’étatiser. L’une des vertus de la propriété publique rénovée est qu’elle peut épauler un changement du privé. Dans le cadre d’une nouvelle mixité à prédominance publique et sociale, il ne s’agit pas en effet de permettre au capital de continuer comme devant. Dans le privé, comme dans le public, on peut faire prévaloir d’autres finalités de gestion, d’autres critères, en partant des besoins sociaux, d’imposer d’autres droits et pouvoirs des salariés et des populations.  Une véritable révolution sociale, économique et culturelle en quelque sorte !

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(1) Antonio Gramsci, « Notes sur Machiavel, sur la politique et sur le Prince moderne », in « Gramsci dans le texte », Éditions sociales, février 1975.

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