Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Formation à l’économie politique de Marx - La marchandise, sa contradiction et la théorie de la valeur chez Marx

Nous voulons dans Économie et Politique, contribuer  à la formation  théorique des militants à partir  d’un travail sur les textes marxistes. Nous découperons l’étude du Capital de Marx en 3 leçons : la première sera consacrée à l’analyse de la marchandise, de sa contradiction et à la théorie de la valeur chez Marx. La 2e portera sur la formule générale du capital et la découverte du concept de force de travail. La 3e leçon sera consacrée, à l’analyse de la Baisse tendancielle du taux de profit, à la suraccumulation du capital et à la théorie des crises.

Une formation au marxisme : pas seulement pour interpréter le monde, mais pour le transformer comme disait Marx. L’objectif  de cette formation n’est pas seulement de répéter Marx, mais de se doter d’outils d’analyse pour mieux comprendre le monde et le capitalisme d’aujourd’hui, sa crise, afin de travailler aux luttes, aux constructions alternatives pour une autre civilisation, en rupture avec le capitalisme pour son dépassement.

Il s’agit ici de remonter aux textes fondateurs avec le souci de revenir à certains concepts et surtout à une méthode d’analyse.

Nous partirons du Capital lui-même, l’œuvre majeure de Marx en nous appuyant sur quelques grands textes fondateurs. Nous ne traitons ici que de l’économie, mais l’œuvre de Marx, en tant que telle couvre d’autres champs, philosophiques ou politiques entre autres, et tous ces champs forment un tout cohérent.

Nous suivrons le plan du Capital et aborderons le chapitre 1 (la marchandise) de la section 1 (la marchandise et la monnaie) du Livre 1 du Capital. Nous partirons de la traduction du Capital des Éditions Sociales en format poche parue en 1977, et, bien qu’on ne la trouve plus en vente aujourd’hui elle est généralement accessible dans la plupart des bibliothèques.

La Marchandise, le Marché

C’est le premier chapitre  du Capital. Ceux qui disent que Marx ne parle pas du marché ont tort. Le marché et la marchandise sont au cœur du premier chapitre du Capital : «La richesse des sociétés dans lesquelles règnent le mode de production capitaliste, s’annonce comme une immense accumulation de marchandises. » C’est donc la marchandise qui est la forme élémentaire de la richesse et le point de départ de l’analyse de la production.

Alors que les néo-classiques étudient la marchandise et le marché en restant sur le marché en laissant de côté les rapports sociaux de la production,  Marx considère que c’est dans la production qu’il faut aller pour étudier les rapports sociaux.

I) Les rapports sociaux de la production marchande

1. Marx essaye de caractériser la spécificité de la production marchande. Il revient d’abord sur les modes de production antérieurs au capitalisme, c’est l’Histoire des modes de production. Il situe la production marchande par rapport aux modes de production antérieurs et notamment par rapport à l’économie  primitive.

Dans l’économie primitive le but du producteur est de directement satisfaire ses besoins : l’échange se situe directement au niveau des travaux et des besoins. On s’échange directement les travaux, les travaux des uns bénéficient aux travaux des autreset inversement…

Dans la production marchande, le but du producteur c’est l’échange – dans la société capitaliste, le profit devient le but.

Marx met en avant le fait que dans la production marchande, les produits  vont s’échanger entre eux contre de l’argent ; c’est ce qu’il appelle «le fétichisme des marchandises». Il montre que rière l’argent il y a une création  de valeur, alors que l’économie politique bourgeoise obscurcit le fait que derrière l’échange de produits il y a échange de travaux.

2. Marx étudie les conditions historiques favorisant  l’émergence de la production marchande. Il montre que cette production n’est pas éternelle ; elle n’a pas toujours existé et elle n’existera pas toujours notamment dans un autre mode de production qualifié de socialiste.

Pour que la production marchande existe, il faut des conditions historiques particulières. Il faut un certain niveau de développement des forces productives, une division du travail assez poussée. Ensuite cette production marchande ne reste pas figée, elle se développe dans le mode de production capitaliste. Dans ce qu’on a appelé le mode de production socialiste, en réalité la marchandise subsiste mais dans des formes subordonnées, le marché ne disparaît pas. À une certaine époque, il y avait des débats passionnés, notamment sur la disparition de la monnaie même si ça n’est pas aussi simple.

La production marchande implique une organisation de la production, dont Marx perçoit la nature contradictoire. Avec, d’une part, une séparation des producteurs, qui sont dans des unités de production séparées, ainsi qu’une organisation juridique de cette séparation avec la propriété privée des moyens de production et des produits eux-mêmes, (exemple de l’artisanat ou des agriculteurs à l’époque de l’émergence de la société capitaliste). En même temps, il existe, d’autre part, une spécialisation des producteurs dans le cadre d’une division sociale du travail.  Cela va aboutir à une contradiction  : les producteurs – un peu comme les artisans – sont à la fois indépendants les uns des autres car ils sont séparés dans leurs unités de production ; et dépendants les uns des autres car ils ont besoin des travaux de chacun: ils vont vendre leur marchandise sur le marché pour acheter les marchandises des autres producteurs dont ils ont besoin. Chacun produit une petite partie des marchandises dont la société à besoin.

3. Une autre contradiction va apparaître entre travail privé et travail  social. Le travail en lui-même est traversé par cette contradiction. En raison de la séparation des producteurs et de l’organisation juridique de la production, le travail est accompli sous des formes privées (par exemple, le travail de l’artisan ou du forgeron dans son unité de production séparée). Mais, en même temps, comme on a besoin des produits des autres, des travaux accomplis par les autres, chaque travail accompli en privé est un maillon du travail social, une pièce de la division sociale du travail.

Contradiction  : le but de la production marchande étant l’échange, et non la satisfaction des besoins, il y a un risque de discordance entre le besoin réel, et la production ellemême, le problème est que s’il n’y a pas d’échange le travail privé sera effectué en vain, il ne sera pas légitimé comme un maillon du travail social. Dans l’échange, s’il a lieu, se manifeste le caractère social du travail. Dans une production marchande simple, on peut tout à fait démontrer l’utilité sociale du travail. L’échange permet momentanément, et s’il a lieu, de résoudre la contradiction entre travail privé et travail social. Cela va être une source de progrès mais aussi une source de contradictions

II) La contradiction de la marchandise

1. La marchandise recèle en elle-même une contradiction. C’està la fois une valeur d’usage (VU) et une valeur tout court (V), la valeur d’échange (VE), souvent évoquée, est d’une autre nature. Marx n’est pas comme on le pense souvent un théoricien de la valeur-travail, d’autres auteurs importants l’ont étudié, les auteurs classiques (Smith, Ricardo). Marx travaille la contradiction de la marchandise.

Une marchandise a une Valeur d’usage (VU), car pour pouvoir être échangée elle doit correspondre à un besoin social, elle a une utilité pour celui qui l’achète. En tant que VU, les marchandises sont toutes de qualité différente. L’utilité est déterminée par la spécificité du corps de la marchandise. Les valeurs d’usage ne se réalisent que dans l’usage ou dans la consommation. Ces VU concrètes forment la matière de la richesse.

La valeur (V). C’est ce qui permet à des marchandises qui sont toutes différentes de s’échanger les unes contres les autres. Marx recherche ce quelque chose de commun à toutes les marchandises et qui permet l’échange. Pour ce faire, il fait abstraction de la VU et s’intéresse à la valeur en commun de ces marchandises. Qu’est-ce qui est commun à toutes ces marchandises ? C’est le travail.  Les marchandises (en tant que valeur) sont toutes le produit d’un travail humain, il s’agit d’une dépense de force humaine en général : le travail en général.

2. le double caractère du travail à la fois concret et abstrait.

Le travail concret (ou utile) est un travail particulier qui confère à la marchandise ses qualités concrètes, son utilité particulière.

Le travail concret renvoie à la valeur d’usage de la marchandise, et au travail  privé.

Le travail abstrait c’est le travail en général. Il fait abstraction du caractère particulier  de la marchandise, de la valeur d’usage. Il renvoie à la valeur. Il permet de dégager la substance de la valeur ; c’est-à-dire d’être une dépense de force humaine.

3. Substance et mesure de la valeur.

a) Substance de la valeur : travail abstrait, le travail en général, une dépense de force humaine en général.

b) Mesure de la valeur (ou grandeur de la valeur)  : les marchandises s’échangent en fonction  de la quantité de travail qu’elles contiennent. On va trouver ici une notion, qu’on rtrouvera plus tard, la mesure de la valeur équivaut au temps de travail socialement nécessaire à sa production.  Ce «socialement» renvoie aux conditions historiques et sociales.

Les progrès de la productivité : on va mettre moins de temps pour fabriquer les marchandises, on va donc avoir une diminution du temps de travail nécessaire.

Plus la société se développe, plus le coût de la marchandiseva baisser.

En même temps, le progrès technique va appeler une élévation de la formation, de la qualification, on va donc avoir un travail plus complexe (ce qui équivaut à une multiple  du travail simple), mais on reviendra sur cette question plus tard.

III) La valeur d’échange

C’est une forme d’expression de la contradiction entre la valeur et la valeur d’usage.

1. On va tout d’abord revenir à la contradiction de la marchandise et au rôle de l’échange.

Le but du producteur, dans une production marchande simple (fin du Moyen-Âge), c’est de réaliser sur le marché la valeur de la marchandise. Il a donc besoin de l’échange, il produit pour ce dernier, il ne produit pas avec l’idée qu’il va satisfaire les besoins des autres. D’un autre côté il doit trouver un acquéreur pour sa marchandise, celle-ci doit donc correspondre à un besoin social, elle doit posséder une valeur d’usage. Du coup si l’échange n’a pas lieu le caractère utile socialement de la marchandise et du travail  ne va pas être vérifié.  Le travail aura donc été effectué

en vain. L’échange permet d’affirmer le caractère utile socialement du travail.

2. La valeur d’une marchandise, sa substance, n’apparaît pas à la surface des choses ; ce qui apparaît sur le marché c’est la valeur d’échange. Cette valeur d’échange est une manifestation de la valeur, elle va tourner autour de la valeur, soit inférieure soit supérieure, selon la loi de l’offre et de la demande.  Si la marchandise correspond à un besoin social et qu’elle est demandée,

la valeur d’échange va monter au-dessus de la valeur, ou quand il y a surproduction la VE va s’effondrer.

Comment mesurer cette valeur d’échange ? On est bien obligé d’avoir un rapport d’équivalence entre deux marchandises.

La valeur d’échange va être régulée par le temps de travail pour fabriquer le produit. C’est le rapport, par exemple, entre le temps de travail nécessaire à la fabrication du pain et du vin. Dans les faits cette valeur d’échange fluctue, elle est relative. Lorsque la monnaie sert d’équivalent général à tous les échanges, la valeur d’échange devient le prix. Le prix étant l’expression  monétaire de la valeur d’échange et il y a bien sûr, des possibilités d’écart entre la valeur et le prix, comme entre la valeur et la valeur d’échange.

3. La valeur d’échange est donc à la fois l’expression mais aussi la tentative de solution de la contradiction de la marchandise entre valeur et valeur d’usage.

Lorsqu’il y a échange, cette contradiction  (VU/V) est momentanément résolue, c’est la même chose qu’entre le travail privé et le travail social. On peut dès lors vérifier  que chaque travail privé est essentiel à l’ensemble  du travail  social, dès lors cela pousse à élargir les échanges, développer la monnaie, le crédit. Dans un premier temps cela va résoudre la contradiction mais ensuite cela va l’aggraver.

La nécessité d’élargir les échanges va inciter les producteurs à développer les progrès technologiques. Mais cela va les inciter également à mettre trop de marchandises sur le marché, sans se préoccuper de savoir si elles correspondent à un besoin social. À cause des progrès de la productivité, la valeur va diminuer, en même temps que plus de valeurs d’usage sont produites et mises sur le marché. Alors, la valeur d’échange s’effondre. Le travail privé ne sera plus légitimé comme utile socialement, et donc on va assister à des destructions de marchandises, à des crises. Les mouvements de la valeur d’échange reflètent la contradiction de la marchandise.

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Karl Marx Le Capital livre 1 (1867) Éditions sociales, format poche (1971) avec une présentation de Paul Boccara, chap. premier p. 41 et s.

Voir aussi Catherine Mills ,3e éd. (2004) Économie Politique coll. AES, Montchrestien, p. 67 et s.

 

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