Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Plan Sarkozy : un soutien au capital avant tout

En novembre dernier, la production industrielle,  hors énergie et industrie agroalimentaire (NES cvs-cjo), s’est établie  à l’indice  93,2 après 96,2 en octobre (base 100 en 2000). La baisse en novembre  est demeurée  donc très marquée (3,1 % par rapport à octobre). Sur un an la chute est de 6,5 %. C’est dans l’industrie automobile (2,6 %) et les biens intermédiaires (9,6 %) que le recul annuel est le plus fort. Simultanément, et malgré la mobilisation de marges d’intervention  considérables (360 milliards d’euros) et la multiplication de grands coups de menton en direction  des banques, la production  de crédit accordé par ces dernières a de nouveau marqué le pas en novembre, selon la Banque de France.

C'est pour le crédit aux particuliers que le freinage est le plus sensible : 167,3 milliards d’euros accordés en cumul  sur 12 mois, contre  171,7 milliards en octobre  et 202,7 milliards d’euros un an plus tôt.

Mais la production du crédit aux entreprises a également continué de fléchir septembre : 304,4 milliards d’euros ont été accordés en novembre  2008 (cumul sur 12 mois), contre 309,8 milliards d’euros un an plus tôt.

Tous les analystes s’attendent à un recul des crédits nouveaux et à un ralentissement net de la croissance des encours pour 2009.

En réalité, alors que le chômage progresse très vivement (+ 3,4 % sur un mois en novembre, soit 64 000 chômeurs supplémentaires)  frappant massivement les jeunes, les mesures lourdes prises pour « sauver les banques et maintenir le crédit», et les dispositifs institutionnels mis en place pour en surveiller la réalisation, ne marchent pas. Les défaillances d’entreprises se multiplient : elles ont augmenté de 10,2 % en 2008 sur 2007, « les défaillances des PME de plus de 20 salariés ayant cru de 25 % sur l’année et de près de 50 % sur les trois derniers mois » , selon Altares.

Et le « médiateur du crédit » est saisi d’une masse croissante de demande d’intervention d’entreprises prises en tenailles entre retards de paiement des clients, suspension des commandes de donneurs d’ordre et intransigeance des banquiers. Et pour cause, ce plan pour les banques vise, avant tout, à les encourager à accumuler des capitaux et à relever leur rentabilité financière. Il ne change en rien les critères et la sélectivité pro-placements financiers et anti-emploi , anticroissance réelle du crédit.

C’est dans ce contexte qu’a été annoncé, le 4 décembre  dernier à Denain, par N. Sarkozy le lancement d’un nouveau plan censé, lui, « contrer la récession et freiner l’envolée du chômage ».

Mobilisant quelque 26 milliards d’euros (1,3 % du PIB) pour 2009, soit par des mesures nouvelles, soit, surtout, par l’accélération de dispositions déjà prises, ce plan est censé « générer entre 80 000 et 110 000 emplois ».

Rappelons que l’INSEE dans sa dernière note de conjoncture (décembre 2008) précise que les secteurs marchands non agricoles perdraient 150 000 emplois  nets au deuxième trimestre

2008 et plus de 210 000 au premier semestre 2009, portant le taux de chômage officiel  à 8 % au deuxième trimestre  de la nouvelle année.

On peut douter fortement de l’efficacité de ce « plan de relance » dont, cependant, l’Élysée attend un impact positif de 0,6 point de PIB sur la croissance nationale pour 2009.

Selon N. Sarkozy, lui-même, il traduit une « priorité en faveur de l’investissement », complétant deux décisions prises antérieurement : l’exonération de taxe professionnelle pour les investissements réalisés entre octobre 2008 et le 1er janvier 2010 et la création d’un Fonds d’investissement stratégique (FIS) doté par la CDC et l’État.

Cette indication suggère, d’emblée, que l’affichage officiel du soutien à l’investissement cache, en réalité, un soutien prioritaire à la profitabilité des capitaux censés éventuellement s’investir.

Le «théorème de Schmidt » osait postuler naguère que « les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». Aujourd’hui,  N. Sarkozy, cachant ces profits qu’on ne saurait voir (plus de 90 milliards d’euros sans doute pour les bénéfices nets des groupes  du CAC-40), assure que « plus d’investissement, c’est plus d’activité, de valeur ajoutée et d’emplois sur notre sol ». Et, simultanément, pour justifier le refus de toute politique de relance générale des salaires et des qualifications – ce qui maintient leur part dégradée dans la valeur ajoutée produite – le président de la République récuse toute « relance de la consommation » car, dit-il, elle « se perdrait en grande partie dans les importations». Fermez le ban !

De fait, ce « plan de relance » présente un formidable biais en faveur des profits, au nom prétendument du soutien de l’investissement en France.

Il se caractérise, en effet, par trois grandes séries de mesures : beaucoup de volontarisme affiché sur l’investissement public, des cadeaux multiples pour les entreprises, des miettes pour les plus défavorisés.

L’accélération  d’investissements publics en cours :

Il s’agit, en effet, d’accélérer ces investissements autour de quelques grands projets d’infrastructures (lignes TGV, liaison Lyon-Turin, tramways RATP, Canal Seine-Nord...), université (plan Campus) et défense (accélération de programmes d’armement).

En fait, moins de la moitié  de ces projets correspond à des investissements de l’État (4 milliards d’euros). Il est demandé aussi aux entreprises publiques d’anticiper  à hauteur de 4 milliards d’euros leurs investissements futurs. Le reste (2,5 milliards d’euros) serait supporté par les collectivités locales. Elles y seraient encouragées, assure-t-on, malgré leurs difficultés accrues, dans le cadre d’un contrat avec l’État par lequel le remboursement de la dette de TVA serait anticipé d’un an, en contrepartie d’investissements locaux et d’une réduction des délais de paiements des collectivités concernées. N. Sarkozy est même allé jusqu’à affirmer que des entreprises déjà largement privatisées, comme GDF-Suez, ou privées s’engageraient dans cet effort.

En fait, il y a une grande part de volontarisme,  et même d’illusionnisme, dans cet affichage qui pourrait fort bien déboucher sur des déceptions, la réalisation des objectifs ne s’avérant que partielle, et sur un nouveau freinage de l’activité ultérieurement, les sommes ainsi engagées étant détournées d’une programmation décidée pour 2010 et 2011.

Mais c’est surtout sur l’emploi, les qualifications et les salaires que la déconvenue risque d’être la plus forte, puisque aucun objectif quantifié en ce domaine n’accompagne ces projets.  En réalité, on sait combien les investissements d’infrastructures peuvent entraîner de gâchis de moyens et être assortis d’un précarité accrue de l’emploi et d’une insuffisance accentuée des qualifications si, au bout du compte, les critères de rentabilité financière prédominent. Sans parler de la façon dont la valeur ajoutée ainsi produite risque, sans pouvoirs  nouveaux des salariés et critères  d’efficacité sociale des fonds, d’être « préemptée » au profit des prélèvements financiers.

Un soutien accru au capital privé :

Une deuxième catégorie de mesures vise à soutenir les profits des entreprises au nom soit du soutien des investissements, soit du soutien des trésoreries, soit du soutien de la compétitivité,  soit, enfin, au nom de l’emploi.

Il s’agit d’abord de mesures de remboursement par l’État de « dettes sur l’économie » :

– En matière de crédit d’impôt recherche (C. I. R.), soit 3,8 milliards  d’euros  en 2009. Cela concerne  beaucoup  de grandes entreprises, soit directement, soit par l’intermédiaire  de filiales ;

– En matière de report en arrière de déficits d’impôt sur les sociétés (1,8 milliard d’euros) ce qui concerne beaucoup de PME, mais aussi quelques  grandes sociétés.

– En matière  de mensualisation du remboursement de la TVA : cela devrait concerner notamment plus de 1000 grandes entreprises qui capteront  une large part des 3,6 milliards d’euros d’effet de trésorerie positif ainsi engendré dès le premier trimestre 2009.

Il s’agit aussi de mesures d’augmentation  des coefficients d’amortissement  accéléré des investissements réalisés en 2009 et de leur extension aux entreprises commerciales possédant des « immobilisations de type industriel » : cette mesure très traditionnelle d’aide au capital devrait coûter 660 millions d’euros  en 2010 et 800 millions d’euros en 2011.

Il s’agit, encore, de l’augmentation des avances versées sur les marchés publics de l’État en 2009 (20 % sur tous  les marchés supérieurs à 20 000 €) pour un coût d’un milliard d’euros, anticipant les versements prévus les années suivantes.

Il s’agit aussi du soutien à la profitabilité des entreprises de la filière automobile et du bâtiment.

Pour l’automobile, il a été institué,  notamment  à compter du 4 décembre  2008 et jusqu’à fin de 2009, un dispositif de soutien au remplacement des véhicules plus anciens (prime  à la casse), tandis que les filiales financières des constructeurs  se sont vues accorder l’accès à un milliard d’euros de refinancement  à 3,75 %.

Au nom du soutien au logement et à la construction, un programme de 70 000 logements supplémentaires (30 000 sociaux, 40 000 intermédiaires) est envisagé, en complément de l’achat public de 30 000 logements que les promoteurs privés n’ont pas pu vendre du fait de la dégradation de la crise financière.

Le gouvernement, lui-même, souligne que « cette mesure permet d’anticiper utilement des investissements que l’on aurait réalisés tôt ou tard pour répondre à la demande non satisfaite de logements à loyer bon marché »!

S’ajoute à cela, un doublement du prêt à taux zéro en 2009 pour l’achat de logements neufs pour les primo-accédants sous conditions de ressources. Sont notamment visés des ménages « qui n’ont pas d’apport personnel ». Autrement dit, pour soutenir le marché de l’immobilier et les profits des entreprises et des banques du secteur, sans du tout inciter à l’augmentation des salaires, à la baisse des loyers et à un effort exceptionnel de construction  de logements sociaux de qualité, on redouble dans la fuite en avant dans l’endettement des personnes aux revenus modestes et moyens... malgré la crise des « subprimes ».

Enfin, au nom du soutien de l’emploi, toutes les nouvelles embauches réalisées en 2009 par des entreprises de moins de 100 salariés  seront aidées à hauteur de l’intégralité des charges sociales patronales au niveau du SMIC. Cette aide, financée par l’État, sera dégressive avec le salaire : maximum au niveau  du SMIC (180 € par mois), elle s’éteindra à 1,6 SMIC.

À Denain, N. Sarkozy a bien confirmé sa philosophie  en la matière : « Il faut encourager les entreprises à embaucher alors que leurs débouchés se réduisent et que leurs marges diminuent. On ne peut y parvenir qu’en diminuant le coût du travail ».

Cette mesure très traditionnelle  d’exonération des cotisations sociales patronales sur les bas salaires coûtera 700 millions d’euros. Elle renforcera la pression à la baisse des salaires par accentuation de la mise en concurrence des salariés. Elle étendra la précarité de l’emploi et envenimera l’insuffisance des qualifications,  tandis que les profits supplémentaires qu’elle rendra disponibles iront surtout vers les placements financiers, les exportations de capitaux, les paiements d’intérêts et de dividendes.

Au nom prétendument  de l’emploi, on baisse le « coût du travail », au lieu de s’attaquer aux coûts en capital, ce qui va encourager les prélèvements financiers sur les richesses produites et les gâchis de profits.

Au nom du pouvoir d’achat, des miettes pour les plus défavorisés

Le troisième type de mesures est censé soutenir le pouvoir d’achat et la demande. Elles occupent une place résiduelle. Il s’agit d’abord du versement d’une prime exceptionnelle de solidarité active de 200 € servie à 3,8 millions de ménages les plus modestes, en avril 2009. Coûtant 760 millions d’euros, cette mesure ne fait qu’anticiper sur la mise en place du revenu de solidarité active (R. S. A.). À compter du 1er juin 2009, celui-ci remplacera les deux principaux minima sociaux que sont le revenu minimum d’insertion (R. M. I.) et l’allocation de parent isolé (API).

On sait combien le R. S. A. – et donc cette prime exceptionnelle – s’inscrit dans une politique d’ensemble visant à faire la chasse aux chômeurs en les obligeant à accepter n’importe quel emploi à coût salarial très abaissé, tandis que les licenciements sont facilités.

C’est, d’ailleurs, dans cette perspective  que se situent aussi les 500 millions d’euros supplémentaires qui seront affectés au financement des « politiques actives d’emploi » avec,  notamment, l’extension du contrat de transition professionnelle (CTP) à 18 bassins supplémentaires (contre 7 actuellement) et une revalorisation de l’indemnisation du chômage partiel (montant minimum porté au SMIC) pour en faire accepter le recours massif.

À côté de cela, on relève une série de petites mesures se présentant comme cherchant, dans les difficultés, à maintenir la tête hors de l’eau pour les plus défavorisés : augmentation du minimum vieillesse, des aides au logement pour les plus modestes, de l’allocation des adultes handicapés et de celle de parent isolé, de l’aide à la cuve de fioul…

En réalité toutes ces mesurettes participeront du mouvement d’ensemble qui pousse au recul du pouvoir d’achat par le pression sur le taux de salaire avec l’extension du chômage et de la précarité, plus qu’elles ne permettront de le contrer. Loin, donc, de soutenir la consommation le plan Sarkozy pourrait au contraire créer les conditions pour un nouveau bond en avant de l’épargne de précaution des familles.

Hausse de l’endettement public et casse des services publiques

Ce plan dit de relance s’inscrit dans une concertation européenne de plans nationaux ayant tous, peu ou prou, la même philosophie(1): avant tout stabiliser les marchés financiers.

Les conclusions de la présidence du sommet européen de décembre dernier soulignent, notamment, que « les mesures de soutien à la demande (…) seront accompagnées  d’un effort accru de mise en œuvre des réformes structurelles dans le cadre de la stratégie de Lisbonne ». Elles ajoutent que «le Pacte de stabilité et de croissance révisé demeure la pierre angulaire du cadre budgétaire de l’UE » précisant significativement, que « le Conseil européen (...) appelle les États membres à revenir s que possible, conformément au Pacte, et au rythme du redressement économique, vers leurs objectifs budgétaires de moyen terme »(2).

Le plan Sarkozy s’inscrit donc bien dans la confirmation des principes  de discipline  du Pacte de stabilité et donc, malgré les évidentes difficultés, d’un retour à l’équilibre des finances publiques à moyen terme avec, au cœur, le redoublement des pressions sur les dépenses publiques  et sociales. Jamais, du reste, le gouvernement n’a, d’une quelconque façon, envisagé l’idée de surseoir à son projet de suppression de plus de 30 000 emplois  publics  cette année. L’hôpital public et l’école sont particulièrement en ligne de mire.

Du reste, le chef du gouvernement, F. Fillon, a affirmé, mardi 9 décembre  2008, que l’objectif d’un retour à l’équilibre budgétaire, impossible pour 2012 comme  prévu initialement, n’est cependant que reporté à 2014.

Le déficit public pour 2009, que Bercy chiffrait à 3,1 %, passe à 3,9 % du PIB. Cela tient au freinage des recettes, du fait de la récession, mais, du côté des dépenses, la hausse, selon le ministère du Budget, « s’explique essentiellement par l’augmentation de la charge de la dette (...) ».

Ce plan de « relance » s’inscrit dans un mixte entre cette politique budgétaire de soutien prioritaire au capital et une politique monétaire de la BCE au service  de l’attractivité financière de l’euro : les taux d’intérêt sont certes abaissés(3), mais toujours en gardant un différentiel positif par rapport au taux d’intérêt de la Réserve fédérale des ÉtatsUnis désormais porté, lui, au niveau zéro. D’ailleurs, J.-C. Trichet a tenu a préciser qu’il excluait l’hypothèse d’un taux d’intérêt nul de la BCE.

Surtout, cette baisse suiviste est uniforme. C’est-à-dire que, dans la pratique et plus encore avec la conjoncture actuelle, elle favorise le crédit pour les opérations financières et les exportations  de capitaux. Or ces dernières demeurent très importantes si l’on en juge par les sorties nettes de la zone euro au titre de l’investissement direct étranger : elles ont atteint, en cumul sur douze mois, 217,5 milliards d’euros en octobre 2008, contre 90,4 milliards en décembre 2007 et 156,7 milliards en décembre 2006(4).

Tout cela, en réalité, devrait contribuer  à accroître les difficultés de la France, comme de l’Europe, confrontée  à la perspective d’une récession particulièrement  sévère. Et cela, alors même que s’accentuent les divisions intra-européennes et la concurrence pour l’accès au financement des États de la zone euro, ainsi qu’en atteste le creusement, au profit de l’Allemagne, des différentiels de coût d’accès de chaque État aux financements du marché obligataire.

Cela confirme  combien il est légitime et urgent de faire grandir l’exigence d’une tout autre utilisation par l’État et les entreprises des marges de manœuvres et des fonds publics ainsi mobilisés avec, au cœur, la nécessité d’un nouveau crédit.

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(1) Conclusions de la présidence du sommet de l’Union européenne – Bruxelles, 11 et 12 décembre 2008.

(2) Idem, attendu no 13, p. 7.

(3) Le taux directeur de la BCE vient d’être abaissé à 2 % soit le niveau le plus bas depuis le lancement de l’euro.

(4) « La balance des paiements de la zone euro en octobre 2008 », STATINFO, 23 décembre 2008.

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