Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La fiscalité au centre de l’enjeu de classes

Un des attendus idéologiques de l’autorégulation  du marché est la réduction des prélèvements sociaux sur la richesse créée. C’est dans cette épure qu’il convient de replacer le dogme du trop d’impôts qui nous a été copieusement servi au cours des trois dernières décennies.  Mais les temps seraient-ils en train  de changer ? Depuis quelques mois, fleurit un discours aux intonations  différentes,  n’hésitant  pas à en appeler à un retour de l’impôt. On retrouve une telle évolution tant dans les propos de certains hommes d’État comme M. Philippe Séguin, Président de la Cour des Comptes, que dans divers médias. La parenthèse de la campagne des élections européennes refermée,  ce débat risque de rebondir avec en perspective la préparation de la loi de finances 2010.

Deux ans après une série de mesures dont l’unique objectif est d’alléger le poids de la fiscalité sur les entreprises et les contribuables les plus fortunés : bouclier fiscal, quasi-disparition des droits de successions et de toute imposition réelle des plus-values, réduction du nombre de tranches de l’Impôt sur le Revenu et abaissement de son taux sommital à 40 %, rétrécissement de l’Impôt sur les Sociétés (suppression des cotisations supplémentaires et de l’IFA), contraction de la base de la Taxe Professionnelle – payer de l’impôt serait-il subitement redevenu une vertu ?

En déduire une telle évolution serait sans doute aller un peu vite en besogne. Avant toute conclusion hâtive, il convient en effet d’examiner quels sont les données objectives qui poussent à une pareille reconsidération du discours fiscal ambiant.

La crise financière avec ses formidables développements économiques et sociaux rend en effet incontournable aujourd’hui ce qui était hier perçu comme une hérésie au regard du dogme libéral : l’intervention de l’État. Une intervention massive qui se chiffre par exemple en France, à quelque 458 milliards d’euros.

À l’évidence, il faudra non seulement trouver à rembourser cette somme, mais il sera également nécessaire de contrôler et d’endiguer la dérive d’un déficit public qui risque  de passer de 60 % du PIB en 2008 à environ  80 % fin

2009. Et de ce point de vue, la période de récession dans laquelle notre économie est entrée rend improbable toute perspective d’amélioration du rendement des prélèvements fiscaux assis sur une relance de la croissance réelle. Plus de 85 % de l’argent public englouti ont en effet été dirigés vers « l’investissement », il faudrait d’ailleurs plutôt dire vers le renflouement du capital et de ses détenteurs, alors que rien ou quasiment rien n’a été consenti pour redynamiser la croissance par l’emploi, les salaires et les services publics.

Les critères de gestion des banques, des entreprises, des services n’ont en rien changé, ils demeurent arrimés à la logique de la rentabilité avec comme chef d’orchestre l’omnipotente Banque Centrale Européenne.

Sans la reprise d’une activité réelle, sans le retour d’une consommation saine, non seulement aucune amélioration des recettes fiscales n’est envisageable mais c’est l’enlisement dans le cercle vicieux de la baisse des recettes et du creusement des déficits.  Ce scénario n’est pas une vague hypothèse, il est déjà à l’œuvre aujourd’hui.  Une comparaison entre le montant des rentrées fiscales du mois de janvier 2009 par rapport à la même période en 2008, fait apparaître un manque de 2 milliards d’euros dont 1,2 milliard au titre de la baisse de l’activité.

Face à une telle dérive, la droite et le patronat semblent donc avoir choisi de réactiver la pompe à impôts.

Leur remède pour obtenir une augmentation du produit des recettes fiscales serait soit une hausse des taux de certains impôts existants et/ou une révision de leurs mécanismes de calcul, soit la création de nouveaux impôts.

S’il ne saurait être question de nier le besoin d’une élévation du rendement des prélèvements fiscaux, il faut s’attacher à en mesurer l’opportunité  à l’aune des critères d’efficacité économique et de justice sociale. En effet, si l’augmentation des prélèvements fiscaux n’a pour fonction que d’endiguer  le creusement du déficit sans permettre une once de relance d’activité à partir d’incitations et de dissuasions concrètes contenues dans la loi fiscale, toute collecte supplémentaire d’impôts ne saurait au final d’aucune utilité réelle pour le pays. Au fond, elle ne servirait qu’à éponger les frasques financières, à refinancer le marché mais n’offrirait aucune marge de manœuvre nouvelle aux budgets publics et sociaux, là ou le bât blesse déjà très fortement, ce qui amputerait d’autant les possibilités de redynamisation de la croissance.

En termes de justice sociale, la dégradation qui risque d’accompagner les choix gouvernementaux n’est pas à sous-estimer. L’impôt doit rapporter plus mais l’objectif est clair : les entreprises comme les riches doivent en payer de moins en moins. Les projets dans les tiroirs ainsi que les dernières mesures prises vont en ce sens. En atteste par exemple l’adoption au Sénat, en décembre  2008, de la suppression de la demi-part supplémentaire pour parents ayant élevé seul, leurs enfants (gain en vitesse de croisière : 1,7 milliard d’euros) alors que la TVA aura été réduite pour les restaurateurs sans aucune répercussion sur les prix et effets sur l’emploi.

Quelque peu gênés aux entournures et pressés par le mouvement social, certains ténors de la droite sont allés jusqu’à se déclarer prêts à remettre en cause l’odieux bouclier fiscal qui aura permis de rembourser à chacun de quelque 2 400 contribuables les plus fortunés une somme moyenne de 50 000 euros. Par contre, pas un mot sur les mesures tout aussi injustes contenues dans le paquet fiscal et qui vont coûter plus de 12 milliards  d’euros. Mais il y a plus grave. C’est de la fiscalité locale que les plus mauvaises nouvelles pourraient parvenir. En effet, le gouvernement qui s’apprête à faire un nouveau cadeau fiscal de 22 milliards d’euros aux entreprises en sabordant la taxe professionnelle, compte bien compenser ce montant par la mise à contribution  des ménages. Plusieurs moyens combinés sont envisagés allant du transfert d’impôts d’État vers les collectivités territoriales, en passant par un nouvel impôt sur les locaux des administrations, jusqu’à une réforme de la taxe d’habitation dont le but est d’en élever le rendement et dont on peut imaginer quels en seront les principaux redevables.

Enfin, le bruit court d’une possible instauration d’une taxe exceptionnelle de type CRDS, le temps du renflouage des déficits, voire d’une augmentation de la C.S.G. Mais  aux dernières nouvelles c’est la réinstauration de la vignette auto qui tiendrait la corde. On sait qui acquitte cette taxe et l’on a déjà pu expérimenter historiquement ce qu’en la matière, le temps de renflouage des déficits voulait dire.

Si le temps de la hausse des impôts semble revenu, elle ne peut se concevoir en dehors d’une profonde réforme de la fiscalité qu’elle soit nationale ou locale, intégrant deux principes absolument inséparables : une nouvelle répartition de la richesse et l’introduction d’un fort rôle incitatif des prélèvements fiscaux à la création de richesses d’un type nouveau.  Ce n’est qu’au prix d’une telle évolution que l’impôt permettra de lutter efficacement contre l’accumulation des gâchis capitalistes et ainsi contre le creusement du déficit de l’État.

Cette réforme doit s’attaquer à l’ensemble de la sphère fiscale avec le triple  objectif :

1D’organiser  une nouvelle répartition entre le volume des prélèvements directs et celui des prélèvements indirects. Cela signifie une baisse des taxes sur la consommation, en premier lieu de la TVA et de la TIPP, et une élévation de la part de l’impôt direct sur les revenus, devenu un impôt à la progressivité redéfinie portant sur l’ensemble des revenus du travail, de la fortune et du capital.‹

2D’instaurer  une progressivité de taux de l’impôt sur les sociétés en fonction du chiffre d’affaires réalisé, et d’appliquer une modulation de l’impôt dû en fonction de l’investissement des entreprises, dans l’emploi, la formation, les salaires, la recherche. Serait soumis à cet impôt l’ensemble des revenus des entreprises.

3Une révision générale des bases des impôts locaux incluant une redéfinition des critères et des éléments servant au calcul de la valeur locative foncière avec pour la taxe d’habitation, une pondération de la cotisation due reposant sur la prise en compte de la situation économique et sociale du contribuable.  S’agissant de la taxe professionnelle celle-ci doit devenir un véritable impôt sur le capital incluant une imposition des actifs financiers des entreprises.

La fiscalité qui est un des leviers importants au service du pouvoir politique en matière d’orientation économique est un enjeu qui ne doit plus rester l’apanage de quelques spécialistes. Elle doit devenir un outil au service des salariés et de la population disposant à ce titre de réels pouvoirs de maîtrise, d’interventions et de décisions au sein des entreprises, des services publics et des collectivités publiques notamment en matière d’orientations budgétaires et d’objectifs de développement. Elle doit, articulée à une nouvelle politique du crédit, jouer un rôle décisif dans la relance d’une croissance saine, respectueuse des hommes et de leur environnement

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