Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Comment saisir l'opportunité historique ? (Editorial)

Les développements, chaque jour, de la crise financière appellent à une clarification des causes et des enjeux. Ils exigent la formulation de propositions alternatives précises et radicales pour mobiliser et mener des combats transformateurs. Résister et riposter pour changer vraiment. Car la crise systémique du capitalisme financiarisé, mondialisé et exacerbé frappe fort. L’emploi et le pouvoir d’achat souffrent dur. Très dur. Les suppressions d’emplois pleuvent dans tous les secteurs, l’automobile va jusqu’à arrêter ses usines. Et le monde entier est touché, ou en passe de l’être.

Colère et envie de comprendre pour faire, pour agir. C’est ce que l’équipe d’Economie et Politique, avec la commission économique du PCF, expérimente  depuis quelques semaines dans les plus de cent débats, exigeants, attentifs et tournés vers les luttes, à travers le pays contribuant à la campagne du PCF des
1 000 débats.

Le mouvement social, les salariés, de l’intérimaire à l’ingénieur en assant par l’infirmière, l’institutrice et les chercheurs, les jeunes en formation, les chômeurs et chômeuses, les fonctionnaires  des services publics, tous sont en recherche, ou ouverts à des contenu et des pistes d’alternative.  Quel potentiel de créativité, d’action positive, et donc de transformation sociale !

C’est dire aussi la responsabilité  du PCF dans la situation actuelle pour avancer des contenus alternatifs, réalistes, révolutionnaires, et pour engager des luttes sur des points précis : Fonds publics régionaux ; pôle public national bancaire et financier ; réorientation de la politique monétaire de la BCE vers un crédit sélectif pour les investissements en faveur de l’emploi et des services publics; transformation du FMI contre l’hégémonie du dollar.

« Changer l’action des banques », c’est essentiel tout de suite pour l’emploi, les salaires, les services publics, la planète... pour sortir de la nasse, de la récession et des difficultés sociales de façon durable. Cela peut devenir une question de masse.

Sarkozy cherche « l’union sacrée » autour  de ses propositions, prétextant qu’il faudrait soutenir le « réel » contre le financier. On doit rompre le consensus. Or S. Royal vient le relayer déclarant depuis son Poitou : « faire en sorte que tout le monde s'épaule entre les aides décidées par le gouvernement, la région et les banques », tandis que M. Aubry propose, comme lui, « la création d'un Fonds souverain qui permettrait de financer l'investissement et l'innovation et développer le tissu de nos PME, afin de restaurer la compétitivité de nos entreprises ». L’union sacrée derrière des fonds pour l’investissement  – mais pour ou contre l’emploi ? Là est la question  – et sur la compétitivité – mais pour ou contre les salaires, la formation, la recherche et les dépenses publiques et sociales  ?

Avec ou non des interventions  autonomes des travail leurs  ? Là est la question.

« Pas de chèque en blanc aux banques ! » disaient des manifestants américains cet été. L’utilisation de l’argent des banques est au cœur des enjeux. Mais elle exige un fil conducteur très précis : un crédit à taux abaissé pour les investissements qui développent l’emploi de façon efficace (y compris salaires et qualifications), et d’autant plus abaissé que l’on constate effectivement cet emploi. Cela ouvre sur des institutions démocratiques nouvelles, de suivi des crédits, sur des objectifs sociaux hardis, y compris de politique industrielle et de services, et sur les pouvoirs des travailleurs dans les entreprises et des habitants dans les territoires.

C’est tout autre chose que de réclamer, comme le fait la gauche du PS une simple  « baisse des taux d’intérêt de la BCE ». Telle quelle, celle-ci pourrait alimenter encore les emprunts pour la spéculation, pour les placements finan ciers, notamment aux États-Unis, et les délocalisations.

Il s’agit de transformations immédiates profondes au lieu d’opposer tranquillement mesures immédiates et réformes de fond, ou bien de laisser les banques tranquilles en « passant à la suite » pour parler du « reste », même  avec des rodomontades sur les besoins sociaux comme le fait O. Besancenot. Non « la messe »  ne doit pas être dite : les banques doivent utiliser tout autrement l’argent (qui est largement celui de tous), par un nouveau crédit à l’appui des contre-propositions des travailleurs et des populations.

La baisse sélective du coût du crédit est une question décisive. Le directeur  général de la Société Générale ne s’y est pas trompé :  « les banques françaises ne doivent surtout pas modifier leur politique d’octroi de crédit» (Les Échos du 4 novembre). Et il parle d’or : depuis le mois de juin 77 % des établissements ont serré la vis aux entreprises, notamment les PME, d’après une enquête de la Banque de France, et elles augmentent encore les taux d’intérêt de leurs prêts. Sarkozy et Fillon les y poussent, eux qui demandent que la nouvelle Société de refinancement rembourse l’Etat au taux de 8 %... qu’elles ne manqueront pas de répercuter sur les emprunteurs. Deux des six grandes banques françaises déclarent au Parisien (du 23 octobre) « L’objectif, c’est d’augmenter le volume des crédits, pas d’en modifier le coût ». Fermez le ban : priorité maintenue aux profits !

Dans le même temps, le mouvement social relève la tête : enseignants, services publics, Insee et statisticiens publics, mouvement contre la privatisation de la Poste, salariés de l’automobile et de l’industrie. Tous les jours une lutte se met en mouvement.

D’où l’enjeu des moyens. Les idées d’interventions  de l’État remontent. Comment utiliser ce nouveau climat historique ? Quatre chantiers sont prioritaires pour ouvrir sur tout le reste.

Soulignons la convergence forte qui se fait aujourd’hui sur un pôle public bancaire et financier national. Ceci dans toute la gauche, y compris au PS, du côté de B. Hamon et même dans une certaine  mesure  de S. Royal, de F. Hollande  et de M. Aubry. Et jusqu’à l’extrême gauche. C’est aussi une idée force dans le mouvement social et syndical. Il faut en faire un chantier de luttes et de convergence dès à présent, mais pour que ce pôle fasse un nouveau crédit  ! C’est le premier chantier.

Second point d’appui : les Fonds régionaux  comme « levier » sur les banques. Tout de suite commençons dans les régions pour un nouveau crédit ! La CGT a une proposition similaire et la gauche est majoritaire dans 20 régions sur 22. Mais, là où leur principe a été acté, le PS les a dénaturés, en faisant de cet outil des fonds d’apports aux entre prises sans conditions  sociales strictes et suivies. Il s’agit de monter des luttes à partir de cas précis de PME et de sous-traitants étranglés par des banques, de projets de développement mis sous le boisseau.  Ne nous cachons pas que la pression sur les banques est décisive. Mais c’est justement le moment  ! Il s’agit aussi de réunir des conférences départementales ou régionales avec tous les acteurs sociaux et les élus régionaux. Sarkozy prétend mettre la pression sur les banques avec les préfets

Troisième point d’appui, la campagne des européennes. Elles peut faire d’une réorientation de la politique monétaire de la BCE une question incontournable. Une BCE dont le refinancement  serait sélectif : à taux abaissé, voire zéro, pour les crédits aux investissements qui développent l’em ploi ou les services publics, à taux élevé pour les placecents financiers.

Des alliances se dessinent, des rencontres se font. Pour un plus petit dénominateur commun qui ne fait pas le poids ? Pour disserter  à l’infini sur l’éventail des alliances, tandis que la campagne d’idées émancipatrices et les luttes passent à la trappe ? Soyons nous-mêmes,  autonomes   dans  nos batailles, tout en cherchant à réaliser  des alliances, en privilégiant  les contenus et le mouvement populaire, les luttes et la construction d’alternatives. Et le potentiel de celles-ci peut aller très loin. Il doit prendre appui aussi sur nos camarades et partenaires européens, au premier rang desquels les députés communistes européens et ceux du groupe GUE/GVN. Nous pouvons formuler des propositions similaires et convergentes, voire communes, en Europe sur ces chantiers. Organisons la campagne en ce sens, à commencer par une rencontre européenne publique.

D’autant qu’en Europe, les différents plans de relance appellent la riposte. Partout, ils poussent la concurrence fiscale vers le bas (TVA...) et la baisse des recettes publiques en opposition aux dépenses nouvelles. Ils aggravent la baisse des charges sociales et salariales, et accompagnent les licenciements. Rien sur la baisse des charges bancaires, ni sur un autre crédit ! On envisage des cadeaux sectoriels au patronat sans exigence sur la création, ou même le maintien des emplois. Ces plans sont complétés par des annonces d’investissements en infrastructures  publiques. Mais avec des partenariats  publics-privés  (PPP) renforcés, donc toujours plus de revenus servis aux dividendes et aux banques. La BEI, banque publique européenne d’investissement est mobilisée dans ces plans de relance pour faire des crédits bonifiés sans garanties pour l’emploi ! Et cela à la place d’un refinancement beaucoup plus considérable de toutes les banques  par la BCE avec de nouveaux critères sociaux.

Quatrième chantier,  le monde. La réforme du FMI (droit de vote, conditionnalité...) et la recherche d’alternatives à la domination du dollar sont des exigences très fortes. Mais a été rejetée la proposition des parlementaires communistes d’exiger au G20 d’émettre tout de suite des Droits de tirages spéciaux (DTS), embryon de monnaie commune mondiale s’émancipant du dollar à partir d’un panier de monnaies, pour le crédit à l’emploi et au social. Dès à présent ce chantier peut être ouvert à partir de l’Europe ou en conjonction  avec les pays d’Amérique latine avec la Banque du Sud, voire avec la Chine qui pourrait ainsi commencer à infléchir sa relation aux États-Unis et aux multinationales.

La crise financière  et la crise systémique, s’invitent  au congrès du PCF. Il peut faire de ces chantiers des priorités de campagne et d’action. Autant d’exigences pour avoir à tous les niveaux des directions en capacité de les impulser et pour relancer la formation des militants. On s’interroge ici et là sur le besoin de « projet politique », et certains entendent par là une remise en cause de l’existence du PCF et de son originalité,  avec la recherche d’alliances de sommet.

Mais quel meilleur « projet politique » que des idées et des avancées transformatrices, des actions pour que les salariés et les habitants puissent, de par le monde, intervenir sur les décisions des entreprises et des services publics, puissent suivre la réalisation d’objectifs sociaux comme la sécurisation de l’emploi et la formation, par la maîtrise du crédit et de nouveaux pouvoirs ? Une impulsion  décisive peut être donnée à ce projet. La situation l’appelle, de même que les gens. Ayons de l’audace, de la tenacité et de l’ouverture d’esprit sans nous dénaturer et beaucoup de choses pourront changer.

Frédéric Boccara Membre du  Conseil national du  PCF

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