Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L'hôpital victime du capitalisme ! Décryptage des conséquences de la marchandisation des soins

L'hôpital est malade. La maladie n'est pas nouvelle, mais elle s'aggrave chaque jour et le remède annoncé, la loi Hôpital, Patient, Santé et Territoires de N. Sarkozy, pourrait être fatal s'il était appliqué.

Manque de moyens ou désorganisation  : tels sont les termes apparents du débat actuel. Et si c'était manque de moyens et désorganisation et si tant le manque de moyens que la désorganisation n'étaient que la conséquence du capitalisme ultra-libéral.

Peu ou prou, chacune et chacun, familier  de l'hôpital, voit bien que les dysfonctionnements dépassent la simple pénurie  de personnel  et pourrait être réceptif au discours gouvernemental voulant corriger l'organisation.  Ce serait très grave, car ce serait enfoncer l'hôpital dans la crise : Sarkozy et ses sbires veulent en effet renforcer la cause de ses dysfonctionnements : la marchandisation des soins.

Après avoir fait un rapide retour sur l'histoire de l'hôpital,  ce texte a pour  but  de voir  les conséquences néfastes de la marchandisation des soins avant d'en décrypter quelques mécanismes sournois et d'illustrer le résultat final du puzzle dont  les pièces sont mises en place, les unes après les autres, depuis 20 ans.

Un peu d'histoire

L'hôpital a toujours été traversé par l'idéologie de son époque : lieu de charité, il a été nationalisé lors de la révolution française avant d'être municipalisé, mais il reste jusqu'au début de la Vème république un lieu de charité, assurant les missions sanitaires et sociales pour les classes pauvres de la société.

La réforme Debré en créant les centres hospitalo-universitaires  (CHU) et les médecins à temps plein « hospitalo-universitaires » a été la traduction d'une conception nouvelle, d'une évolution du médecin qui garantissait  son revenu en ville  et venait faire la charité  à l'hôpital,  au médecin, serviteur  de l'État.

Le statut des autres personnels a aussi évolué, de la congrégation religieuse à la fonction publique hospitalière. C'était l'époque du compromis social né de la Libération, du capitalisme monopoliste d'État, où les capitalistes s'étaient débarrassé sur l'État de tout ce qui pouvait faire baisser leur taux de profit et l'avaient chargé d'assurer la paix sociale : les personnels hospitaliers  étaient les outils  de la solidarité  nationale, payés par la Sécurité sociale à travers  le prix  de journée, puis à travers le budget global. Les salaires n'étaient pas forcément terribles, mais la reconnaissance sociale était au rendez vous, la place dans la société assurée. Entre malades et soignants, la relation historiquement teintée du paternalisme  de la religion, a évolué vers une relation d'égal à égal. La maladie était idéologiquement hors du champ de l'exploitation de l'homme par l'homme, hors du champ de l'économique, même si, bien évidemment les conditions de vie et de travail conduisaient à des inégalités de santé, mais la politique volontariste consiste à assurer l'égalité devant la maladie grâce à la Sécurité sociale.

Dans la nouvelle étape du capitalisme d'aujourd'hui, l'élément idéologique dominant  dans la santé, c'est l'entrée du soin dans le champ de l'économique proprement dit, le malade n'est plus un homme, mais un « client » et le soignant l'ouvrier d'une chaine de production de soins. Et même si, dans le secteur public  hospitalier  les soignants ne génèrent pas (encore ?) de profits, les structures  de l'exploitation se mettent en place.

Car après s'être débarrassé de la charge du maintien de la santé sur la collectivité, les tenants du capital  ont décidé que dans ce domaine aussi il y avait du profit à faire. Cela fait d'ailleurs partie d'une stratégie plus globale du patronat  français : pour surmonter les difficultés et la baisse des profits dans l'industrie, ils investissent le domaine des services, ce qui suppose aussi la privatisation des ser vices publics.

Cette transformation du soin, rentrant dans le champ marchand a de multiples conséquences :

- la transformation du soin en la production d'un service que l'on peut vendre donc parfaitement prédéfini,

- la judiciarisation,

- Une prolétarisation du personnel soignant.

Le soin est devenu une marchandise.

) Un changement de nature qui engendre une dégradation de la qualité

Le soin devient  marchandise  dès lors  qu'il  peut génèrer des profits.  Le contenu en est alors transformé. Il relève d'un contrat passé entre l'acheteur et le vendeur, déterminant  a priori le contenu du soin, reproductible, ce qui implique  la standardisation : chaque soin élémentaire doit répondre à une description  précise et être fait par un personnel dont  la qualification est certifiée. Des protocoles sont établis décrivant  les soins et leur enchaînement. Il devient ainsi possible de vendre du soin en pouvant garantir au malade devenu un client ce qu'il achète.

Sauf que  ce  que  l'on  vend n'est pas adapté au malade en  question ! Car chaque être humain est unique et le soin, même s'il s'appuie sur une technicité précise, ne peut être pratiqué que dans la relation unique entre deux êtres humains, relation qui se construit au fil du temps et est donc imprévisible, d'autant plus imprévisible que la maladie n'est jamais tout à fait la même d'un patient à l'autre. Le soin ne peut dont être défini à l'avance par contrat.

Cette standardisation du soin de qualité garantie a plusieurs traductions.

L'inadaptation  des soins aux patients grandit  ! Les protocoles se multiplient. Ils ont toujours existé : du protocole pense bête de rappel dans des cas rares aux protocoles de recherche. Mais là où ils n'étaient que des indications  utiles aux personnels, ils deviennent opposables alors que tout  protocole  mérite  d'être adapté avec intelligence  en fonction  de l'état  de chaque malade.

Chaque agent de la hiérarchie hospitalière a sa place et son rôle spécifique dans la chaîne de soins, rôle dont il ne saurait sortir sous peine de déroger à la qualification annoncée : à la clef un appauvrissement du travail d'équipe. Il n'y a plus place à des échanges de pratiques, à la solidarité  des équipes, au simple avis informel. Et lorsque l'un des maillons de la chaîne manque, c'est tout l'édifice qui s'écroule : les difficultés liées au manque de personnel sont amplifiées par ce qui est prôné comme garantie de la qualité !

Il est devenu essentiel de suivre les protocoles si ce n'est qu'aucun patient ne rentre exactement dans la case du protocole  considéré, si ce n'est que les circonstances font que le protocole ne peut être exactement suivi. Le personnel hospitalier est ainsi mis au cœur d'un dilemme : suivre le protocole  ou faire ce que l'on pense bien pour le patient. Ces dilemmes, qui se répètent à tout instant, sont une cause majeure de souffrance du personnel.

La crainte de poursuites judiciaires conduit de plus en plus à suivre le protocole  au détriment  même de la qualité des soins : on applique le protocole  plutôt que de faire preuve de ce qui est la caractéristique de l'homme, la possibilité  de faire un choix.

Il s'agit d'une déhumanisation des soins.

Non seulement le personnel souffre de devoir choisir entre suivre les règles et bien soigner, mais son travail est déqualifié et perd sa signification.

Ainsi, la marchandisation des soins est génératrice de mauvaise qualité et de souffrance des personnels !

2°) La marchandisation a pour corollaire la judiciarisation des soins

La relation soigné-soignant est devenue une relation client-fournisseur. Qui dit relation de type marchand dit contrat (et d'ailleurs de plus en plus souvent les malades signent l'acceptation  des soins proposés) et possibilité  de poursuites  judiciaire  si le contrat n'est pas rempli, sauf que la guérison n'est pas toujours  possible, que des complications existent, sans que des fautes professionnelles n'aient eu lieu. Cette judiciarisation a de nombreuses conséquences : l'augmentation des primes des assurances, que ce soit des professionnels  ou des établissements hospitaliers est sans doute la moins grave, même si ce n'est pas sans conséquence financière et un facteur d'augmentation des dépenses hospitalières  sans rapport avec les services rendus.

Le développement des plaintes est un facteur d'auto entrainement,  source de méfiance vis à vis des soignants, très durement ressentie par les personnels. Mais surtout  la crainte  de la plainte  a transformé les soins : la réflexion indispensable sur les avantages et inconvénients des traitements est entachée par la recherche du moindre risque judiciaire et paradoxalement  la judiciarisation s'accompagne d'une a-responsabilité  des professionnels  : cf. supra  sur les protocoles.

3°) Une transformation de la place des soignants dans la société

Au delà de ce qui a déjà été décrit  ci-dessus (souffrance du personnel, mise en cause de leurs compétences), les soignants ne sont plus des agents rendant un service public mais des agents de production de soins laissant craindre pour le futur le rapport d'exploitation par les actionnaires de la Générale de Santé et autres groupes, si on laisse faire !

Qualité, certification, objectifs quantifiés ... Quels rapports avec la marchandisation ?

) Cer tification des hôpitaux ou qualité des soins ?.

Les hôpitaux  doivent  maintenant  être certifiés  par l'HAS (Haute Autorité de Santé). Présentée au public comme une garantie de qualité des soins, la certification est annoncée aux personnels, plus sceptiques sur le rapport entre certification et qualité, comme de nature à valoriser leur hôpital. A l'heure de la tarification à l'activité,  ce message passe bien chez ceux qui ont peur pour leur service, leur hôpital et se laissent berner par le discours officiel prétendant répondre aux difficultés budgétaires par une augmentation de l'activité  au détriment  des établissements voisins…

Pourtant, à titre d'exemple pour montrer l'absurdité de la certification, mieux vaut pour être certifié avoir une cellule qualité que du personnel dans les services de soins !

Le vrai but, c'est de classer les établissements et d'en éliminer certains, en en éloignant les malades, sans même donner l'impression  d'y toucher  ; c'est aussi construire un référentiel prétendu de qualité, valable tant pour les établissements privés que publics.

2°) Les objectifs quantifiés

Les objectifs  quantifiés  ont été introduits avec les schémas régionaux d'organisation  sanitaire de troisième génération : ils évaluent les besoins d'un territoire, en fonction des soins réalisés dans la période précédente, permettant aux agences régionales d'hospitalisation de passer des contrats  avec les établissements hospitaliers pour qu'ils réalisent une certaine quantité  de soins. L'approche  est encore fragmentaire, mais inquiétante,  ne répondant pas à une analyse des besoins des territoires mais à une simple répartition chiffrée des soins déjà pratiqués modulée par la volonté politique de limiter  l'offre de soins au prétexte d'un manque de garantie sur la qualité.

) Un puzzle se met en place ; imaginons l'image qui se découvrira à la fin du puzzle.

Les agences régionales de santé (ARS) sont devenues les garantes de l'accès aux soins. L'État a augmenté la CSG payée par les familles, car les employeurs ont obtenu de ne plus payer de charges sociales et la Sécurité sociale est morte. La CSG est répartie par l'État entre les différentes ARS. Celles-ci achètent des prestations de soins et chaque année, elles lancent un appel d'offre : la pratique des objectifs quantifiés permet de savoir combien acheter de consultations  de premier recours urgentes et programmées, de consultations de neurologie, d'hos-pitalisations pour appendicite,  pour cancer du sein etc ... Consultations en ambulatoire et établissements de soins sont choisis par une commission  d'appel d'offre  (CAO) en fonction  de leur tarif.  Le malade peut être rassuré : la HAS a certifié le médecin libéral ou l'établissement. D'ailleurs une note compte aussi dans le choix de la CAO, fonction du taux d'application  des protocoles,  référentiels et autres cadres. Pour voir un médecin, il suffit d'appeler l'ARS : l'opératrice  téléphonique  indique un médecin, donne le code permettant  de ne payer que la moitié  de la consultation et informe le médecin concerné. Ce n'est pas forcément le médecin habituel si celui-ci a épuisé les consultations  qui lui avaient été allouées. Cela n'est pas grave car les assurances sont là pour cela : une bonne assurance garantit une consultation gratuite n'importe où tout au long de l'année. Certes, seule une petite fraction de la population a les moyens d'une telle assurance. C'est d'ailleurs plutôt la partie de la population  en bonne santé parce qu'elle se soigne et parce sa moyenne d'âge est basse, les primes augmentant avec l'âge et devenant vite rédhibitoires  ! Les mutuelles ont toutes fait faillite du fait de l'augmentation  des remboursements qu'elles avaient à assumer.

Le recours au spécialiste relève lui, toute l'année du parcours du combattant pour qui n'a pas les moyens de payer : la plupart des spécialistes se refusent en effet à répondre aux appels d'offres des ARS et en général voir un ophtalmo  ou un gynéco ne peut se faire qu'en dehors des parcours remboursés par l'assurance maladie nouvelle  mode, gérée par l'ARS. Restent les consultations  hospitalières,  bondées. L'hospitalisation s'est transformée : tout compte fait, ce sont les établissements qui ont les protocoles les plus élaborés qui rapidement ont conquis tous les marchés. Ces protocoles sont en effet suffisamment précis pour que le médecin n'ait qu'à valider l'entrée dans le protocole  : la suite est effectuée par les infirmières et autres techniciens de soins. La plupart de ces établissements ont aussi leur service première classe, non financé par l'ARS et accessibles donc uniquement aux assurés privés : là les médecins sont en permanence à ajuster les traitements.

Les ARS ont une épine dans le pied : elles ont du se résoudre à créer un forfait X pour tous les malades ne rentrant pas dans une case préétablie. Les hôpitaux universitaires ont eu l'obligation de répondre à l'appel d'offre correspondant car les établissements privés ne le faisaient pas et quelques décès médiatisés de patients non pris en charge avaient terni l'image des ARS. Dans les CHU, les médecins, surchargés par les taches de soins et d'enseignement ont abandonné la recherche et ne songent qu'à une chose : peaufiner leurs dossiers pour être embauchés par la Générale de santé.

Quelques familles possèdent les actions des chaînes des établissements hospitaliers, des assurances maladies privées et des laboratoires pharmaceutiques !

Il est évident qu'il faut mettre un terme à la construction de ce puzzle dévastateur ! La loi Bachelot en est une pièce maîtresse, inacceptable !

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