Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le développement des biotechnologies et l’industrie pharmaceutique en France

Si la révolution informationnelle  est désormais un concept largement utilisé, une autre révolution transforme de façon profonde la société : celle de la biologie moléculaire. Elle transforme la connaissance des mécanismes intimes de la vie, la société, la culture, l’économie industrielle, l’éthique et même la conception de ce qu’est l’Homme lui-même. Elle touche au plus profond de l’identité  de l’humanité  : elle pose la question de la conception de la personne humaine, du rapport à la maladie et à la mort, du développement, de la vie en société.

C’est une révolution fondamentale. Passant du laboratoire de recherche fondamentale à l’usine de production, elle est aujourd’hui rentrée dans les processus industriels. Le capitalisme l’a faite entrer en Bourse en ne la considérant que par le petit bout de la lorgnette : celui du profit pour quelques uns. L’industrie pharmaceutique pour une part se l’approprie et son développement en dépend largement au travers des biotechnologies : c’est donc aussi une affaire économique.

Dans la Revue de Santé Publique et de Protection Sociale, à l’automne 2005, nous écrivions : L’industrie pharmaceutique « n’investit pas dans la recherche fondamentale parce que le retour sur investissement est aléatoire et  de toute façon à long terme, bien loin des exigences immédiates de la bourse. Or ce tarissement des sources de la  connaissance porte en lui-même le blocage futur des applications et de leur développement. Ainsi peut-on constater que der rière une  production  profuse se cachent  lesprémisses  d’un blocage dans lequel nous sommes  déjà rentrés ». Quatre ans plus tard, la crise explose, incluant la crise des biotechnologies. Celles-ci sont indispensables à cette industrie même si leur intérêt global en terme de civilisation dépasse largement le cadre strictement économique. En 2008 la revue Prescrire n’a pas attribué, pour la première fois depuis sa création, son prix la « Pilule d’Or », considérant qu’il n’y avait pas de médicaments nouveaux méritants cette année-là, qui puissent constituer une réelle avancée  thérapeutique au service des malades et qui méritent d’être récompensés.

Ce qui illustre la situation de panne de la recherche appliquée consécutive à la panne de la recherche fondamentale.

En 2001 un rapport officiel (Biotechnologies et hautes technologies : le retard français, Pierre Kopp et Thierry Laurent, juillet 2001), dénonçait déjà la situation française. En mars 2009 la revue Décision Santé revient sur le sujet et consacre un numéro spécial sur le retard de croissance des « Biotechs françaises », se plaignant de ce que « la révolution n’est pas française ». Elle souligne un manque d’investissement public et privé particulièrement handicapant : « un handicap qui pourrait représenter une véritable  difficulté pour le dynamisme  des entreprises françaises dans un contexte de crise où chaque euro compte... ».

Historique.

En 2001, non seulement, la France était distancée par ses deux principaux concurrents européens, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, mais la situation s'aggravait encore. Les entreprises françaises de biotechnologies étaient alors au nombre  de 250, contre 280 outre-Manche et 340 outre-Rhin.  Ces sociétés employaient 4 500 salariés en France, contre respectivement 18 400 et 10 700 personnes.  Ce sous-dimensionnement se traduisait par des cotations en Bourse plus rares (7 contre 36 et 14) et une capitalisation globale inférieure, avec 1 551 millions d'euros pour les entreprises françaises, contre 9 000 et 22 500 environ en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Selon les termes du rapport, les pouvoirs publics apparaissaient alors comme les principaux responsables de ce bilan. Ils n'ont pas su anticiper le virage technologique avec une recherche publique dotée de moyens insuffisants,  articulièrement en sciences de la vie et avec un tissu industriel innovant. Les entreprises capitalistes ont-ellesmême une lourde responsabilité. Ainsi en 2001, alors que l'Allemagne investissait 450 millions d’euros de fonds publics, et que le Royaume-Uni en injectait 500, la France apportait 60 millions d'aides directes, puis 84 en 2003 (source : Panorama des  biotechnologies françaises, France Biotech, 2003). L'une des principales difficultés des entreprises dites « biotechs » est de disposer d'un fond d'amorçage suffisant pour financer les étapes préliminaires de leur recherche. Dans ce  code de gestion capitaliste le fonds d'amorçage constitue le premier apport en capital d'une entreprise, constitué  essentiellement par l'entrepreneur et l'État. Il est suivi par le capital-risque, investissement privé facilitant le développement de l'activité puis par l'accès au marché boursier. Alors que les allemands comptabilisaient plus de 500 millions d’euros d'investissements privés à cette époque, en France, ils plafonnaient à 155. Selon le rapport Lenoir : « Relever le défi des Biotechnologies », publié en 2002, entre 1985 et 2002, les biotechs françaises constituaient alors une industrie qualifiée d'« embr yonnaire », « sous-dotée » et « peu mature ».

La grande industrie pharmaceutique, celle des « big pharma », ne s’intéressait pas au sujet. C’était aux chercheurs de constituer leur propre entreprise et de faire leurs preuves sur le marché : or leur formation n’était pas adaptée et le nombre de petites entreprises qui ont fait faillite est considérable, créant un gâchis invraisemblable. Les « big pharma » françaises n’étaient pas motivées à prendre des risques dans ces premiers investissements : aujourd’hui elles en paient le prix fort puisque les biotechnologies sont devenues la source majeure d’approvisionnement de techniques et de molécules nouvelles. Elles sont distancées y compris par les américains qui ont signé des partenariats avec des firmes françaises. Il s’en est suivi les licenciements boursiers, la politique des fusions-acquisitions et bientôt les délocalisations.

Où en est-on aujourd’hui  ?

Le capitalisme français s’est un peu mobilisé : création du comité Biotech du Leem (Syndicat de l’industrie pharmaceutique française). Didier Hoch, président du Comité Biotech du LEEM déclare : « Le modèle pharmaceutique  classique  une  molécule,  un récepteur, une maladie a atteint ses limites, expliquant les rares médicaments nouveaux mis sur le marché ». Il reconnaît l’existence de la crise liée à la rareté des innovations.

Faisant suite à la première loi Innovation de 1999, le plan Biotech a permis la création d'un fonds d'investissement d'amorçage dédié au soutien des jeunes pousses  (60 millions en 2002). Il a mis également en place des garanties des prêts bancaires, permettant aux PME d'acquérir des technologies essentielles à leur développement. Le statut de jeune entreprise innovante (JEI) proposé dès 2002 à Jacques Chirac par France Biotech, et qui offre un statut fiscal plus favorable, est créé en 2004. De 2003 à 2006, d'autres réformes de fond prétendent doper le précédent dispositif : la création du crédit impôt recherche (CIR), celle de l'Agence nationale pour la recherche (ANR), la mise en place des pôles de compétitivité, tout l’arsenal classique de l’aide à fonds perdus aux entreprises. Le président de France Biotech, Philippe Pouletty, en veut plus et plaide pour un traitement de choc en se rapprochant du modèle américain :

• « fléchage des crédits » : c'est-à-dire diriger les crédits de recherche publique vers les objectifs immédiats des entreprises privées

• « renforcement du pouvoir de l'ANR » : c'est-à-dire renforcer le contrôle administratif sur les objectifs de recherche des laboratoires publics. Il faudrait accorder, selon Philippe Pouletty, un volet de financement plus important à l'ANR qui ne dispose aujourd'hui que d'un milliard d'euros soit 8 % du budget de la recherche académique : 40 % de la recherche devraient passer par l'Agence nationale de la recherche de façon à financer les meilleurs programmes pour l’industrie !

• « pression sélective visant l'émergence de l'excellence scientifique et d'innovations de rupture » : c'est-à-dire virer tout ce qui n’est pas immédiatement rentable.

• « épargne » : Comme le suggère le récent rapport du Conseil d'analyse économique sur le financement sur les «  jeunes pousses »  (Le financement des petites et moyennes entreprises, rapport de Grégoire Chertok, Pierre-Alain de Malleray et Philippe Pouletty, Conseil économique d'analyse. Novembre 2008.), il propose de réorienter l'épargne vers les PME.

• « Réforme de la fiscalité » en faveur du capital. C’est l’application des recettes libérales qui ont fait flores ces dernières années et qui nous ont conduits à cette situation. Certains  réclament  l’existence d’un pôle pharmaceutique puissant et ils invitent l’Etat à s’employer à sa constitution. Pour Rodolphe Renac, directeur du pôle Biotechnologies de la société de conseil Alcimed, «  l’absence de leader national, qui conditionne en partie l'attractivité  d'un pays pour les financeurs est nuisible ». « L'État devrait être là pour favoriser l'émergence d'un tel géant ». En effet, l'accélération du mouvement de concentration observé au niveau international (+87 % de transactions aux États-Unis, +600 % en Europe en 2007) continue à toucher les biotechs, ce qui demande aux entreprises françaises d'être solides, au risque de se faire avaler. Selon France Biotech, les financements en capital ont chuté de 79 % en 2008 (-98 % pour le marché boursier et -27 % pour le capital-risque).

Que proposons-nous ?

La gestion à court terme, financière et encourageant la spéculation, provoque des gâchis inouïs. Ce n’est pas en s’enfonçant dans les solutions antérieures que nous sortirons du problème.

1) il faut développer les sciences fondamentales qui alimentent la recherche appliquée dans ce domaine comme ailleurs. Sans cet effort, c’est toute la chaîne qui est appauvrie et à terme ce sera l’impasse économique. L’investissement doit donc être essentiellement public face aux carences des industries privées. La révolution biologique, indispensable au développement de l’humanité et déjà à l’œuvre, doit être gérée et soutenue avec des critères d’ efficacité sociale pour éviter tous les retards et tous les gaspillages anarchiques. Elle a besoin d’un contrôle démocratique pour résoudre tous les problèmes éthiques qui ne manquent pas de se poser. L’avenir de l’Homme est en jeu et ne peut être abandonné au marché.

2) il faut une structure publique solide, correctement dotée en financements, qui prenne en charge ce secteur, ceci implique notamment un pôle public du médicament. Il peut être national, mais il aussi y avoir des coopérations européennes. L’importance des sommes à mobiliser (4 milliards d’euros ) qui paraissait énorme il y a encore peu est bien minime eu égards aux sommes englouties à fonds perdus dans les banques depuis 6 mois.

Alors que le capitalisme depuis trente ans s’est attribué le monopole des progrès scientifiques et techniques, il est aujourd’hui  devenu un frein comme on peut le voir pour la seule révolution des biotechnologies. Le développement nécessite des fonds publics qui doivent être contrôlés, orientés vers le progrès et la satisfaction des besoins de tous. Les règles de la Bourse et des marchés financiers ont conduit à la catastrophe actuelle. La construction de pôles publics, industriels comme un pôle public du médicament, de pôles financiers et bancaires, de nouveaux services publics pour financer et développer la recherche, la santé la croissance réelle et l’emploi sont incontournables.

Ce sont les investissements après la seconde guerre mondiale dans la recherche publique qui ont créé les conditions pour que s’épanouisse l’industrie pharmaceutique. C’est la politique à courte vue de cette même industrie qui bloque aujourd’hui le développement des bases scientifiques nécessaires à la révolution biologique. C’est une politique publique de recherche et développement, appuyée sur les acteurs de terrains, à partir d’une élaboration et d’une gestion par les intéressés eux-mêmes, qui nous sortira de cette ornière.

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