Formation à l’économie politique de Marx 3ème leçon -
Nous allons aborder le chapitre 13 du Livre 3 du Capital (1977, éditions sociales), sur la loi de la baisse tendancielle du taux de profit, puis le chapitre 14, qui concerne les contre-tendances à cette loi et enfin le chapitre 15 qui concerne le développement des contradictions internes à la loi, et notamment la théorie de la suraccumulation du capital, et l’amorce de la théorie des crises. Paul Boccara à partir de 1966 a fait redécouvrir ce livre 3 du Capital si longtemps ignoré par la vulgate marxiste, il a élaboré sa théorie nouvelle de la suraccumulationdévalorisation du capital, qui constitue une théorie très originale du PCF au sein de l’ensemble des théories marxistes.
Cette loi établit une relation entre ce qu’on appelle le gonflement de la composition organique du capital (COC) et la baisse tendancielle du taux de profit. On va tenter de démystifier un certain nombre de lieux communs de la vulgate marxiste, les choses sont beaucoup plus complexes qu’on ne les présente souvent.
a) capital constant, capital variable.
Le capital est constitué en deux parties distinctes, le capital constant (CC) et le capital variable (CV).
1) Le capital constant, c’est la partie du capital concernant les moyens matériels, les machines par exemple, on l’appelle aussi capital fixe. À l’intérieur de ce capital constant, on observe aussi un capital circulant, dans l’expression de l’économie traditionnelle, il s’agit par exemple des matières premières ou des sources d’énergie qui se transforment en produits finis.
Le capital constant : il comprend particulièrement les machines, en elles-mêmes elles ne peuvent pas générer de plus-value. Elles ne créent pas de valeur supérieure à la valeur comme la force de travail. En même temps, si on prend des machines, par exemple dans le cadre de la révolution informationnelle, il y a du travail qui est cristallisé dans les moyens de productions, c’est ce qu’on appelle du travail passé, ou travail mort. La machine en elle même ne produit donc pas de valeur.
2) Le capital variable (CV) est la seconde partie du capital, cette partie est souvent omise des diverses comptabilités, que ce soit au niveau national ou des comptabilités d’entreprises. C’est la partie du capital qui sert à acheter la force de travail. Cette partie du capital va se traduire en salaires. Cette partie du capital fait varier la valeur des marchandises, elle crée une valeur supplémentaire à sa propre valeur, c’est cette partie qui redonne vie au capital constant, on parle aussi de force de travail, ou de travail vivant.
C’est le rapport entre le volume des moyens matériels le volume total du travail vivant, par travail vivant s’entend à la fois le travail nécessaire et le surtravail (donc la plus-value). Il ne faut pas oublier que lorsqu’on parle du rapport entre le volume des machines et le volume total de la force de travail, on ne parle pas seulement des salaires mais aussi du surtravail.
C’est cette composition qui est généralement la plus abordée dans les manuels d’économie marxiste ordinaires. C’est le rapport entre la valeur du capital constant C et, au dénominateur, la valeur du capital variable V, on obtient le rapport C/V que tout le monde confond en général avec la composition organique du capital. Dans le cas de la composition valeur c’est C divisé par V, V représentant les salaires, la plus-value n’est pas incluse dans le rapport.
La différence avec la composition valeur du capital c’est, pour simplifier, le rapport entre tout le travail mort au numérateur et tout le travail vivant au dénominateur. Quand on parle de travail vivant, on inclut pour le coup les profits (PL), et lorsqu’on parle de travail mort, on parle du capital constant C. La formule qui en découle est la suivante : C/V + PL, c’est dans la dernière partie de la formule que réside la différence majeure avec la composition valeur du capital.
Pour bien comprendre, il faut revenir à la journée de travail. Le capitaliste a acheté l’usage de la force de travail et l’utilise comme il l’entend, en fonction, bien sûr, des lois sociales en vigueur à l’époque. Si la journée de travail commence à un point A et finit à un point B il fait travailler le salarié pendant toute la durée séparant A et B : c’est la durée de travail total. En fait une partie de la journée sert à payer la force de travail et permet à la force de travail de reconstituer sa valeur, on ajoute donc un point C entre A et B, ce point symbolisera cette période qui est en fait ce qu’on a appelé plus haut le temps de travail socialement nécessaire à la reproduction de la force de travail. Le capitaliste, lui, fait travailler le salarié toute la journée, donc la partie C-B lui permet de réaliser une plus-value, cette période séparant le point C du point B est appelée surtravail. La quantité de travail total est A+C et C+B.
La composition organique du capital est différente de la composition valeur exprimée par la formule C/V.
a) Le mode capitaliste de progression de la productivité du travail consiste à accumuler toujours plus du capital constant et à économiser, relativement la part du capital variable. Globalement, il s'agit de diminuer la part du temps de travail socialement nécessaire, et donc, de réaliser une plus-value supplémentaire en économisant le temps de travail. L’évolution de la productivité, permet de faire cette économie du temps de travail.
Il y a là une contradiction, d’un côté les progrès de la productivité se font en accumulant du capital constant, mais, d’un autre côté elles économisent relativement le travail vivant. Le problème, exprimé de façon simple, vous avez besoin de moins de force de travail puisque celle-ci est plus productive, cela dit vous avez besoin de plus de machines et économiser sur le temps de travail. Et donc on dit que la COC, qui est le rapport entre travail mort et travail vivant, se gonfle, c’est à dire plus de travail mort (au numérateur) et moins de travail vivant (au dénominateur) car ce travail vivant devient lui même plus productif. C’est ce qui va aboutir à terme à la baisse tendancielle du taux de profit.
• Le taux de plus-value : c’est le rapport entre la masse de la plus-value au numérateur et le capital variable, autrement dit les salaires, au dénominateur.
Au fond cela exprime très bien le rapport entre la plus-value – et on verra que ce n’est pas la même chose que le profit, car le profit exprime la plus-value mais il peut y avoir des différenceset les salaires, ce qui revient au capitaliste (PL) et ce qui revient au salarié (V) : PL/V. On appelle aussi ce taux, taux d’exploitation, ou degré d’exploitation.
Quand on parle d’une meilleure répartition des richesses on parle de rééquilibrer ce rapport, mais le problème ne se situe pas seulement au niveau de la répartition des richesses mais principalement au niveau de leur production.
• Le taux de profit. Le profit est l’expression monétaire de la plus-value, c’est ce qu’on constate sur le marché, alors que la plus-value est dans la production. Le profit tourne autour de la plus value, il peut être plus haut, il peut gonfler c’est le profit commercial, le profit financier, il peut au contraire être plus bas que la valeur de la plus-value, en cas de crise financière, ou d’effondrement des marchandises par exemple. Le taux de profit est à la fois un reflet du taux de plusvalue et une expression plus ou moins approchée. Il renvoie à l’aspect phénoménal du capitalisme. D’un point de vue philosophique marxiste on distingue d’une part l’aspect phénoménal, c’est ce qu’on voit, ici le taux de profit est visible sur le marché, et l’essence, ce qui est plus fondamental.
Le taux de profit c’est le rapport entre la masse de la plus-value au numérateur (PL) et au dénominateur, l’ensemble du capital engagé, c’est à dire à la fois le capital variable (V) et le capital constant (C) : PL/ (C+V). Le capitaliste ce qu’il regarde ici, c’est quelle est sa plus-value par rapport à l’ensemble du capital qu’il a engagé.
Il faut partir de la loi de la concurrence, qui oblige le capitaliste à être le premier à exploiter un nouveau moyen de production, pour réaliser ce qu’on appelle une plus-value extra. Il y a une course sur le marché, donc le capitaliste qui arrive à être le premier à exploiter un nouveau moyen de production réalise momentanément une plus-value supplémentaire. Cette course va le pousser à accumuler des moyens de production, ce qui va accroître le travail mort, le capital constant, le travail cristallisé dans les machines. Au sein de la COC le travail mort va s’accroître tandis que le travail vivant va décroître. Le numérateur va augmenter tandis que le numérateur va diminuer.
Prenons la formule du taux de profit : PL/ (C+V), le capital constant (C) augmente, et le capital variable (V) augmente beaucoup moins rapidement. Le problème est que la plus-value (PL) est créée à partir du capital variable (V), c’est-à-dire à partir du travail vivant. Le capitaliste ne réalisera pas plus de plusvalue avec 10 ouvriers, même si ceux-ci sont très productifs, qu’avec 100. Les économies sur le capital variable vont donc faire que la plus-value va avoir du mal à s’accroître, or le capital constant lui continue d’augmenter. À terme le dénominateur de la fraction va être plus important que le numérateur, le résultat va donc être inférieur à une fraction au rapport plus équilibré. On voit bien dès lors que ce sont les mêmes facteurs qui conduisent à la fois au gonflement de la composition organique du capital et à la baisse tendancielle du taux de profit.
On peut dire que le capitalisme a à la fois développé de manière magistrale les forces productives, notamment par rapport aux modes de production antérieurs, mais que dans la façon même de développer ces forces productives, c’est à dire en favorisant le travail mort des machines au dépit du travail vivant des travailleurs, le capitalisme atteint ses limites. On en arrive donc à la tendance à la baisse du taux de profit, génératrice de crises, qui est, en tant que telle, la principale limite du capitalisme.
On a vu que cette loi est une tendance, elle ne se manifeste donc pas toujours, il y a des périodes ou au contraire il y a une hausse des taux de profits, il y a des influences contraires. Contrairement à une vision mécaniste du marxisme qui voudrait que chez Marx il y ait toujours crise, il y a des périodes d’essor et des périodes de crises, ce qu’on appelle des longues phases de difficulté. Marx n’a pas une vision simpliste ou fataliste des choses.
Nous verrons que chacun de ses facteurs freine provisoirement cette loi tout en en augmentant à terme ses effets.
1 L’augmentation du degré d’exploitation du travail : Le capitaliste va essayer de relever le rapport entre plus-value et salaires, il va essayer de s’en sortir en augmentant donc le degré d’exploitation. Les méthodes qu’il va utiliser sont diverses : il va essayer d’augmenter, s’il le peut, la journée de travail, ce qui va engendrer une usure de la force de travail. Il peut aussi essayer d’augmenter l’intensité du travail, en augmentant les cadences, réduisant les temps, mais là encore les travailleurs vont se fatiguer. Il y a une autre méthode qui consiste à essayer d’augmenter la plus-value relative, en réduisant le temps de travail socialement nécessaire : les ouvriers vont prendre moins de temps à produire les marchandises permettant à la force de travail de se reproduire. Mais le problème est que pour appliquer toutes ces méthodes-là qui vont ralentir la baisse du taux de profit voire même faire repartir ce taux à la hausse pendant un temps, il faut de nouveau accumuler des machines, et la même méthode qui pendant un temps freine la loi, va la faire repartir.
2 Baisser la valeur et les prix du capital constant : On accumule en volume, mais on va essayer d‘économiser sur la valeur et les prix du capital constant. Par exemple, si on prend les matières premières, produits agricoles, ou les sources d’énergie, il y a des périodes où il y a une possibilité que ces prix deviennent très bas, cela est lié, au commerce extérieur, à la concurrence entre grands capitalistes, cela a été vrai notamment à une époque pour ce qui est du pétrole et des produits alimentaires.
Le progrès technique permet aussi d’économiser. Si on prend le secteur public, par exemple, avait permis, avec les grandes nationalisations d’après la seconde guerre mondiale, d’énormes économies de capital constant au capital privé, l’État avait en effet pris en charge des secteurs très lourds (transports, production d’énergie…) pourtant indispensables à l’économie sans exiger de critère de rentabilité. Pour le capital privé, ce n’était que du bénéfice, puisque le secteur privé n’avait pas à prendre en charges ces questions, et pouvait donc s’investir dans d’autres activités beaucoup plus rentables.
3 Surpopulation relative
D'un côté, l'accumulation du capital engendre l'accumulation de la force de travail. D'un autre côté, le progrès technique, le progrès de la force productive de travail, engendre des économies de temps de travail pour fabriquer une marchandise, ils provoquent donc une élimination relative du travail vivant.
Une population qui voudrait travailler ne le peut pas, il y a donc concurrence entre les salariés, d'où une tendance à peser sur les salaires. Cela permet aux entreprises de résister à la baisse tendancielle du taux de profit. Il s'agit de la troisième contre-tendance.
4 Économies sur les salaires
Il s'agit de la quatrième contre-tendance à la baisse du taux de profit. Les économies sur les salaires sont liées à la concurrence sur le marché entre les travailleurs, elles renvoient à la surpopulation relative.
Le recours à l'exode rural, l'immigration le travail des jeunes, des femmes, le travail précaire, le travail au noir, tendent à accélérer la compression des salaires par tête. En même temps le progrès technique peut engendrer la baisse de la valeur de la force de travail en facilitant les économies sur le travail vivant. Mais contradictoirement les excès d'économies sur le travail vivant finissent par limiter aussi la possibilité d'extension de la plus-value.
5 Commerce extérieur
Celui-ci vise à faire entrer les subsistances, les matières premières, les sources d'énergie, à bas prix (économies sur le coût de capital constant et variable). En même temps, les débouchés extérieurs tendent à élargir la masse de profit et la plus-value réalisés sur les marchés extérieurs. Le développement du commerce extérieur constitue la cinquième contre-tendance à la baisse du taux de profit.
6 Le développement des sociétés par actions (concentration du capital)
Ceci permet aussi des économies sur le coût du capital constant, cela constitue la sixième contre-tendance à la baisse du taux de profit.
On peut, en fait, chez Marx, regrouper les contre-tendances à la baisse du taux de profit en deux catégories :
celles qui tendent à la hausse du taux de plus-value
celles qui tendant à la baisse de la composition organique du capital
Dans le prochain numéro :
III. Développement des contradictions internes à la loi : la suraccumulation et ses solutions.
(1) La troisième partie de cette leçon sera publiée dans le prochain numéro.
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