Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Crise et dynamique politique d’Amérique du Sud s’invitent au FSM de Belem

L’altermondialisme est en plein débat sur son avenir et sur celui des forums sociaux. Plus qu’un processus qui s’essouffle, le FSM reflète le contexte politique de la région qui l’ac- cueille  comme les interrogations  des forces progressistes sur leurs capacités à faire émerger une alternative au capitalisme mondialisé et financiarisé en crise. Belem a été la rencontre de l’espoir porté bien au-delà de leur continent par les avancées des gouver- nements de gauche en Amérique latine et des interrogations des formations de la gauche politique et sociale à la recherche de stratégies nouvelles et de propositions alternatives pour transformer profondément  les sociétés.

L' édition du FSM 2009 a attiré 150 000 personnes  de 142 pays. La grande majorité d’entre elles étaient des brésiliens (80 %) suivis par les latino-américains (autour de 5000), des européens, des africains et des asiatiques.

Les participants du FSM sont d’accord pour faire de cette rencontre militante un acte en faveur de la transformation sociale. Mais cet accord ne doit pas cacher un débat stratégique :

– Faut-il en finir avec l’idée d’un forum espace d’échanges ouvert et inclusif pour qu’il devienne le lieu où les mouvements et organisations les plus radicales organisent l’offensive ?

– Faut-il écarter  les ONG de son organisation ?

– Faut-il plutôt qu’il soit l’espace pluraliste où des organisations se mettent en réseau pour converger sur des objectifs communs de transformation  ?

– Faut-il passer de l’autonomie  des forums par rapport aux forces politiques à une association entre mouvements sociaux, organisations politiques et gouvernements progressistes ?

Parmi les nombreux thèmes abordés au Forum Social Mondial de Belem, ceux qui ont été les plus débattus ont concerné la crise économique et financière, la dette, l’environnement, les Droits Humains, les relations entre l’Union Européenne et l’Amérique latine, la multipolarité et le multilatéralisme, la démocratie participative, le socialisme du XXIe siècle et bien d’autres.

Par ailleurs, la très forte présence syndicale  a mis au premier plan les questions liées au travail qui étaient pour la première fois spécifiquement traitées à travers de nombreux ateliers.

Une nouveauté : le Forum des Autorités locales a fait le choix cette fois d’insérer sa rencontre dans le cadre du FSM alors qu’auparavant elle avait lieu en parallèle.

Autre fait remarquable du forum : la volonté des partis du forum de São Paulo qui rassemble les partis de la gauche latino-américaine de marquer fortement leur présence pendant les quatre jours de cette manifestation.

La participation  des présidents de la gauche latinoaméricaine

Le meeting organisé en parallèle du forum a été un grand moment politique et de solidarité. Les présidents du Brésil, du Venezuela, de l’Équateur et de la Bolivie ont reconnu le rôle joué par les mouvements sociaux et populaires dans leur élection et ont exprimé leur vision actuelle de la crise et des issues possibles. Après avoir reconnu le rôle des mouvements sociaux dans le processus qui lui a permis d’accéder à la présidence de la Bolivie, Evo Morales a proposé  quelques grands axes de bataille : des campagnes en faveur de la paix et contre les crimes de guerre, pour la transformation profonde de l’ONU, du FMI et de l’OMC, pour la fin du blocus contre Cuba, pour un nouvel ordre international fondé sur la solidarité et la complémentarité entre les pays, pour une société qui dépasse les modes de consommation propres au capitalisme, pour le respect de l’environnement et la lutte pour la dignité des êtres humains. Il a insisté sur l’action consciente du peuple bolivien qui a adopté à une large majorité une nouvelle constitution politique. Celle-ci constitue selon lui «un verrou qui empêche toute marche en arrière vers le libéralisme »

Rafael Correa, Président de l’Équateur,  a insisté sur l’urgence de l’unité des pays latino-américains pour faire face à la crise et empêcher le capitalisme de tout écraser. Il a insisté sur la nécessité d’avancer sur la mise en marche de la Banque du Sud créée en décembre  2007 mais qui est bloquée pour des raisons politiques : la dette de l’Équateur envers le Brésil est mise en question par le gouvernement équatorien, la BNDS, la banque brésilienne qui finance des projets de développement voit ses domaines d’intervention concurrencés par la création de la Banque du Sud et d’autres différends  résultant des nationalisations  d’entreprises en Bolivie dans lesquelles des capitaux brésiliens sont présents.

Quel avenir pour le Forum Social Mondial  ?

Depuis sa création, le FSM a parcouru un long chemin. Ses organisateurs, rassemblés dans un Conseil International,  ont peu à peu changé sa forme et la méthodologie. Né comme un espace d’échanges et débats, le FSM a de plus en plus donné la priorité à une forme de rassemblement qui favorise la mise en réseau des organisations désireuses de converger sur des objectifs de lutte et des mobilisations.  Des campagnes sont nées sur des thématiques  des plus diverses permettant ainsi de leur donner une nouvelle dimension : elles ne se limitent plus au cadre régional ou national mais cherchent à s’élargir sur le plan international.

La grande diversité d’approches laisse une impression d’une grande dispersion.  Ceux qui travaillent en faveur de la transformation de l’OMC ne convergent pas toujours avec ceux qui se battent contre la mise en concurrence imposée par les négociations de l’Union Européenne avec l’Amérique latine. Ceux qui luttent contre les violations des Droits de l’Homme commises par les transnationales le font souvent sans associer les syndicats. À Belem, l’assemblée thématique  qui a analysé la crise s’est limitée aux aspects financiers sans les articuler avec les éléments sociaux et environnementaux analysés dans d’autres assemblées.

La mise en réseau d’organisations est devenue l’une des priorités du Conseil International. Les grandes conférences où des spécialistes s’adressaient à la foule ont été abandonnées laissant la place à des ateliers où les organisations débattent sur des thématiques variées et essayent d’établir des stratégies communes. C’est le cas du réseau d’organisations européennes et latino-américaines « Enlazando Alternatives » (Nouer des Alternatives)  qui travaillent ensemble depuis 2004 et qui se battent pour des relations fondées sur la coopération et non pas sur la mise en concurrence entre les peuples des deux rives de l’Atlantique.

Pour permettre la mise en commun des réflexions et des initiatives proposées, 21 assemblées thématiques  ont été créées. Mais les distances entre les lieux de réunion et le manque d’information  n’ont permis qu’une participation limitée à un certain nombre organisations. C’est un problème de démocratie qui devra être corrigé par les organisateurs.

Un appel a été lancé lors de l’assemblée dédiée à la crise pour une mobilisation dans chaque pays, le 28 mars prochain, à la veille de la réunion du G 20, pour dénoncer les mesures proposées par les gouvernements face à la crise. Cet appel a le mérite de soulever de vraies questions, mais le texte proposé se limite à des mesures qui ne font référence ni aux responsabilités  dans l’origine de la crise, ni sur les politiques de démantèlement des systèmes de protection sociale, ni sur les mesures de précarisation du travail. Les alternatives  proposées demandent aussi des changements de fond dans les organisations internationales telles que l’ONU et le FMI, un contrôle  de la circulation des capitaux, un nouveau système financier international, le contrôle public et citoyen des banques. Mais ces propositions ne sont pas articulées avec l’exigence de partage des pouvoirs, y compris à l’entreprise, de développement des services publics, de la revalorisation du travail, de lutte contre la précarité.

Reste à savoir si cet appel sera entendu et enrichi dans chaque pays par les organisations en lutte ? Les syndicats présents en force à Belem inscriront-ils ces propositions dans leurs agendas ? Les organisations participantes seront-elles capables de mobiliser au delà des rangs altermondialistes ?

Le FSM : un espace en constante évolution

La Charte de Principes de Porto Alegre adoptée en 2001 a institué la règle selon laquelle les partis politiques ne peuvent participer en tant que tels au FSM. Ce refus a une raison : éviter que le FSM devienne un espace dont les forces politiques se disputent le contrôle.

Ce principe a été remis en question lors du FSM de Mumbai de 2004. La réalité de l’Inde a imposé le fait que l’organisation du FSM ne pouvait pas se passer des forces politiques puisque les organisations sociales et politiques y ont des liens quasi organiques. À Belem, la présence des présidents et des élus de tendances différentes et la forte présence de représentants des partis de gauche ont montré que la politique  est de plus en plus partie prenante des forums.

Toutefois le risque d’un contrôle politique sur le forum semble écarté car l’organisation actuelle du FSM permet une mise en réseau des organisations de manière autonome sans qu’un centre de décisions unique donne la consigne.

Lors de la réunion de son Conseil international,  le lendemain de la clôture du FSM de Belem, un rapport à fort contenu politique  a été présenté. Il y était même question de dépassement du capitalisme et de la nécessité d’alliances les plus larges. Ce rapport n’est qu’une contribution dans un débat qui n’est pas tranché mais qui ne peut être écarté.

Lors de la clôture du forum, l’« Assemblée des mouvements »

– dans laquelle se retrouvent les organisations qui souhaitent participer  à l’élaboration  d’un calendrier des mobilisations

– a présenté une déclaration qui caractérise la crise actuelle comme « une crise alimentaire, financière, économique, climatique, énergétique, migratoire…, de civilisation qui accompagne la crise de l’ordre et des structures politiques internationales »(1). Des propositions ont été avancées pour des mobilisations  dans chaque pays en faveur de mesures urgentes telles que la nationalisation des systèmes bancaires, la réduction du temps de travail, la souveraineté alimentaire, l’arrêt des guerres, la reconnaissance des droits des peuples, le droit à la terre, au travail, à l’éducation et la santé ainsi que la démocratisation des moyens de communication et des connaissances.

Ces propositions sont bien le résultat d’une mise en commun mais leur popularisation reste, avec la nécessité d’alliances larges, le défi des organisations qui se réclament de l’altermondialisme.

Le FSM évoluera  encore. Son caractère  ouvert et pluraliste doit être respecté pour qu’il ne cesse d’être un espace de convergences.

D’autres formes qui permettent le travail en commun sont à inventer pour que les forces politiques et sociales, dans toute leur diversité, puissent construire le nouvel internationalisme capable d’affronter le capitalisme d’aujourd’hui et d’ouvrir une issue de progrès à la grande crise qu’il traverse, la plus grande et la plus profonde depuis la crise des années 30

(1) Déclaration de l’Assemblée des mouvements sociaux.

 

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