Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Face aux délocalisations : protéger les salariés, pas le capital

I-L’échec de la prétention à lutter contre les délocalisations par la baisse du coût salarial de l’emploi :

Un acharnement à baisser le coût salarial de l’emploi Depuis 1991, les différents gouvernements, en alternance, n’ont pas cessé d’exonérer les entreprises du paiement de cotisations sociales patronales au nom de l’encouragement à la création d’emplois, puis, de plus en plus ouvertement, au nom de la compétitivité et de la lutte contre les délocalisations. Entre 1991 et 2008 inclus, le total cumulé des exonérations de cotisations sociales patronales atteint 260,6 milliards d’euros, dont 221 milliards d’euros compensés par l’État et, donc, directement pris en charge par les contribuables.

La part des exonérations dans les cotisations patronales du secteur privé a beaucoup augmenté :

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

16,0 %

17,5 %

18,1 %

17,8 %

17,8 %

18,0 %

19,4 %

20,9 %

Source : ACOSS STAT – no 77 décembre 2008.

Les exportations de capitaux ne cessent d’augmenter Les investissements directs faits à l’étranger par des entreprises françaises, incluant donc les délocalisations, sont de plus en plus massifs et excèdent de plus en plus les investissements étrangers en France :

Données brutes – milliards d’euros.

 

2003

2004

2005(a)

2006(a)

2007(a)

2008(b)

Investissements français à l’étranger

 

47,1

 

45,7

 

92,5

 

96,8

 

164,1

 

159,7

Investissements

français à l’étranger net des investissements étrangers en France

 

 

9,4

 

 

19,5

 

 

24,1

 

 

34,1

 

 

48,7

 

 

73,6

Source : STATINFO – Banque de France – 11/02/ 2009.

a : chiffres semi-définitifs. b : chiffres provisoires.

Les échanges commerciaux de la France s’enfoncent dans le rouge

Évolution du solde des échanges de la France

(milliards d’eurosFAB-FAB y. c. militaires)

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

-4,39

+0,55

+5,39

+0,94

-4,81

-23,31

-28,99,

-40,56

-55,65

Source : Douanes françaises.

En réalité, la baisse du coût salarial de l’emploi qui vise à comprimer la part des salaires dans les richesses produites, comme la baisse des impôts (cf. la taxe professionnelle) qui vise à diminuer la part des richesses produites revenant aux populations via le financement des services publics :

– N’arriveront  jamais à nous ramener au niveau des coûts chinois, turcs ou indiens et donc n’arriveront jamais à contrer leur attirance pour les entreprises qui veulent baisser le coût du travail ;

– Entraînent  l’insuffisance  de la demande et des qualifications en France et, donc, minent les ressorts de la croissance réelle nationale ;

– Ce qui encourage les exportations de capitaux des groupes (et de leurs sous-traitants obligés de suivre) vers les pays où la croissance est plus forte, États-Unis en tête, mais aussi Canada (80 % des investissements directs français à l’étranger se font dans les pays les plus développés), mais aussi vers les pays émergents.

II-Derrière les délocalisations le refus de développer les capacités humaines et de réduire les coûts en capital plutôt que les coûts salariaux :

Les délocalisations  (avec substitution de production importée) visent principalement à abaisser les coûts de production par abaissement du coût salarial de l’emploi, refusant de chercher à baisser les coûts de production  par l’abaissement des autres coûts (en capital) : intérêts versés aux banques, dividendes payés aux actionnaires, gâchis d’équipement dus à l’insuffisance de formation des salariés... En France, en 2007 (Comptes de la Nation) les entreprises non financières ont :

– Investi pour quelques 200 milliards d’euros ;

– Payé des « charges sociales » pour quelques 142 milliards d’euros ;

-– Payé en charges financière » aux banques et en dividendes aux actionnaires quelques 314 milliards d’euros.

Bref, la France est un pays où pour 1 euro investi, les entreprises dépensent pour 1,6 euro en charges financières et dividendes et où pour 1 euro de « charges  sociales »acquittées, elles déboursent pour 2,21 euros en prélèvements financiers.

Les délocalisations marchent de pair avec le refus de développer les qualifications, les salaires et le débouché en France, le refus d’innovations (avec l’effort de recherche nécessaire) permettant la production de produits modernes, écologiques à bas coûts, accessibles au plus grand nombre en France.

L’exemple de l’automobile  est particulièrement parlant(1)   :

• La France possède deux des plus grands groupes automobiles au monde. Le secteur représente 13 % des exportations françaises et c’est un très important pourvoyeur d’emplois. Cependant, le solde commercial des échanges automobiles de la France est devenu négatif en 2008, ce qui ne s’était pas vu depuis au moins 25 ans : d’un excédent de 1 milliard d’euros en 2007, on est passé à un déficit de 4 milliards  d’euros en 2008.

• Les importations de véhicules ne cessent d’accélérer depuis 2003. Les importations d’équipements ont progressé de 60 % depuis 2000. La contribution nette de véhicules automobiles à la croissance des échanges totaux de la France est positive ou proche de l’équilibre de 2000 à 2004. Elle devient négative ensuite. Cela traduit l’effort considérable de délocalisation entrepris par les constructeurs français : depuis  2006, ils produisent plus d’automobiles à l’étranger qu’en France (INSEE Première no 1149).

La valeur ajoutée de l’industrie automobile française a énormément reculé, bien plus que le volume de véhicules produits, avec l’importation de plus en plus massive de composants eux aussi produits dans des pays à bas coûts salariaux (Tchéquie, Slovaquie, Roumanie, Turquie, Inde…).

Production et valeur ajoutée Industrie automobile

(en milliards d’euros)

 

Production

Valeur ajoutée

2006

88,5

13,2

2007

89,5

10,9

Source : INSEE.

L’enjeu est donc bien celui d’une nouvelle industrialisation et d’une re-localisation en France avec un essor et une refonte très audacieuse des formations, des recherches, des emplois pour produire en France, et en coopération en Europe, des véhicules à bas coût de nouvelles générations, écologiques et plus sécurisants… Bref, de nouveaux modèles très populaires et porteurs d’un bond technologique.

IIIDes protections sociales, des pouvoirs aux salariés et des coopérations mais pas le protectionnisme :

• L’impasse du protectionnisme :

Le repli sur l’Hexagone avec des barrières douanières et un rapatriement de productions en France qui serait, alors, nécessairement associé à une poussée du chômage dans les pays à bas salaires de délocalisation n’est pas la solution. Cette entrave aux échanges internationaux,  au nom d’une union sacrée entre capital et travail chez soi prétendant associer la défense de l’emploi et des salaires et la protection de rentes et pouvoirs capitalistes mènerait à une impasse noire. On prétend, dans un tel scénario, protéger les coûts salariaux et les standards sociaux en France sans du tout faire reculer les prélèvements financiers du capital sur les richesses produites ! Et on prétend défendre l’emploi chez soi en détruisant l’emploi, construit en collaboration  avec nos grands groupes, chez d’autres.

C’est un ferment de divisions et d’oppositions très graves qui pourraient conduire, non seulement à miner encore plus la croissance avec la plongée en dépression (comme dans l’entre-deux guerres) du fait du ralentissement des échanges,mais aussi à déstabiliser les relations internationales, et intraeuropéennes particulièrement, au lieu d’aider à construire de nouvelles relations.

• Dans le cas de l’automobile, il s’agirait, alors, non pas tant de chercher à rapatrier des productions déjà délocalisées qu’à obliger l’ensemble de la filière pilotée par Renault et PSA à réindustrialiser la France dans ce secteur si stratégique. Cette nouvelle industrialisation ne saurait se construire  par le rapatriement de productions traditionnelles.

Il paraît indispensable de commencer à construire une nouvelle industrie d’automobiles répondant aux attentes populaires des Français(es) et des Européen(ne)s avec de nouveaux modèles à bas coûts, économes en moyens, écologiques et sécurisées.

Il s’agirait alors, pour anticiper  et engager cet effort rendu nécessaire par la révolution informationnelle et la révolution écologique, de permettre aux salariés de toute la filière d’accéder massivement à des formations longues et de qualité, bien rémunérées à partir de prélèvements mutualisés, qui leurs permettraient d’accéder aux nouveaux emplois et nouvelles qualifications exigés par cette nouvelle industrialisation.

Ce pourrait  être là une exigence rassembleuse à faire valoir, contre les suppressions d’emplois et les mises en chômage technique.

Cette sécurisation de l’emploi, de la formation et du revenu des salariés de la filière, anticipant sur un nouveau statut commun à tous en France, mais aussi en Europe, engagerait, à partir de ce secteur, une nouvelle révolution industrielle en coopération.  Elle devrait être associée tout de suite à :

– Une lutte déterminée pour faire reculer les coûts en capital pénalisant toute la filière ;

– Un développement  de coopérations  nouvelles plus intimes pour partager les coûts et les résultats des recherches jusque dans des co-productions ;

– De nouveaux financements massifs incitatifs,  avec l’accès à un crédit sélectif dont le taux d’intérêt à moyen et long terme serait d’autant plus abaissé – jusqu’à des taux nuls, voire négatifs – que les investissements matériels et de recherche ainsi financés programmeraient plus d’emplois et de formations. C’est dans ce sens que devraient être attribués les prêts bonifiés promis par Sarkozy aux constructeurs ;

– La conquête de nouveaux pouvoirs d’intervention des salariés des entreprises de la filière, à commencer par Renault et PSA, afin de réorienter leurs gestions, en coopération, pour y faire prédominer des critères d’efficacité sociale contre la dictature de la rentabilité financière ;

C’est tout ceci qui devrait conditionner les aides apportées par l’État à la filière et donner un nouveau sens à la participation  de 15 % dont celui-ci dispose toujours chez Renault avec la visée d’une appropriation sociale et de la constitution d’un pôle public de l’automobile.

Un nouveau crédit sélectif pour faire respecter, en coopération,  des clauses sociales et environnementales dans les échanges internationaux

Il est légitime de vouloir introduire des clauses sociales et environnementales  dans les échanges, face aux politiques de dumping social menées, surtout, par des filiales de multinationales  occidentales localisées dans les pays à bas coûts salariaux.

Mais il faut chercher à la faire sans pénaliser les populations de ces pays et risquer de les exclure des courants d’échanges internationaux, alors qu’il faut les développer de façon maîtrisée et mutuellement avantageuse.

Comme le pose à juste titre Frédéric Boccara (l’Humanité du 14/02/2009), il faudrait engager une « politique massive de promotion de normes sociales et environnementales hardies avec nos pays partenaires du Sud, de l’Est ou d’ailleurs ».

Que faire pour tenter de progresser dans ce sens, au lieu de se replier ?

Il s’agirait, particulièrement, de mobiliser un nouveau crédit massif et sélectif pour les investissements dans tel ou tel secteur  sensible. Ce crédit serait ainsi conçu qu’il conduirait à sélectionner  les investissements porteurs  de meilleurs salaires, d’emplois et de formations qualifiantes supplémentaires, aussi bien en France et en Europe que dans les pays partenaires à bas coût salarial.

Le taux d’intérêt de ce crédit diminuerait d’autant plus que les investissements à financer programmeraient plus d’emplois et de formations, jusqu’à devenir nuls, voire négatifs. Il serait, par contre, relevé jusqu’à être très dissuasif pour les investissements de délocalisation à l’étranger.

Comme le propose F. Boccara,  la prise  en charge  publique (bonification) de tout ou partie des intérêts de ce crédit pourrait être financée notamment « par le produit de taxes douanières sur les produits ne respectant pas de telles normes ».

Cette politique d’incitation-dissuasion par le crédit pour le respect de normes communes sociales et environnementales ne s’opposerait pas au développement des échanges et contribuerait, au contraire, à faire reculer les prélèvements financiers pour développer toutes les capacités humaines, par une mise à niveau progressive et progressiste des appareils productifs et des systèmes sociaux(Ex. : un système de SMIC européen).

Pour cela, il y a besoin de développer hardiment des pôles publics bancaires et financiers en France, en Europe, avec une réorientation fondamentale de la BCE et de sa politique monétaire, une transformation du rôle et des missions de la BEI.

Tout de suite, en France, on peut commencer à œuvrer et intervenir dans ce sens, pare exemple à partir des enjeux cruciaux de l’automobile et en visant à construire dans chaque région concernée des Fonds publics régionaux anticipant la création d’un Fonds national d’incitation dont la dotation par la trentaine de milliards d’euros dévolue aujourd’hui aux exonérations de cotisations sociales patronales permettrait l’engagement de la politique incitative de bonification des crédits décrite plus haut

(1) Voir Paul Boccara : « Plans de relance et crise systémique, pour des alternatives à la hauteur

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