Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La bataille du savoir : poursuivre dans la crise ou développer les hommes ?

Recherche, université, IUFM, lycée, école, formation continue : tous dans la rue

La série de réformes gouvernementales en cours, prétendant adapter la recherche, l’Université et l’école à la crise, fait l’objet d’une protestation rare. Le gouvernement

voudrait faire croire qu’il s’agit d’une coïncidence dans l’agenda des réformes pour répondre à des « problèmes » différents. Au contraire, ce qui se cache derrière, c’est non seulement une attaque contre le caractère de service public de la recherche et de l’éducation nationale, mais aussi la « construction » d’une organisation de la société, à laquelle travaillent les gouvernants européens et occidentaux sous l’impulsion du patronat, dans une période inédite de l’histoire de la société.

La situation est inédite notamment parce que d’un côté le savoir et les informations prennent une place de plus en plus importante dans la société, tandis que d’un autre côté les logiques du capitalisme, de l’argent pour l’argent, sont poussées à l’extrême en sacrifiant la réponse aux besoins sociaux alors même que ces logiques conduisent à des effondrements financiers sans précédents.

Alors que dans la vie citoyenne, le pouvoir d’agir sur le monde pour le transformer impose de plus en plus de pouvoir le comprendre.

C’est aussi le cas dans l’économie, dans la production des richesses matérielles (agriculture,  industrie), comme des services : dans la révolution informationnelle, avec des possibilités techniques de remplacer une partie des opérations intellectuelles de l’humain en développant les potentialités de calcul et d’informations stockées, triées et accessibles, les humains créent des savoirs comme jamais. La place de la connaissance, les progrès des sciences et des techniques développent comme jamais les potentialités d’action.

Mais tout dépend du choix de société face à cette situation. Les choix liés à la production des savoirs (donc de la recherche) et à leur diffusion (éducation, formation et formation des enseignants) sont donc aujourd’hui au cœur de l’une des batailles décisives qui sont en cours pour l’avenir de la société. Surtout dans une situation où la crise économique accroit l’opposition des choix.

Du côté de la recherche : non à la captation de la production des savoirs au service de la rentabilité financière, oui à une réforme de progrès du service public pour sortir de la crise du système.

Le système capitaliste  essaie de capter la production de la recherche dans des logiques de profits financiers à court terme pour une minorité.

Cette captation est pourtant au cœur de la crise systémique du système capitaliste en devenant de plus en plus prégnante avec les stratégies de « l’économie de la connaissance » développées par l’OCDE et les gouvernements occidentaux, notamment européens, sous l’impulsion du patronat. Produire des savoirs qui puissent rapidement être traduits en invention technologique marchandisable, limiter les investissements pour leur création selon le profit et la rentabilité financière qui peuvent en être dégagés à court terme : c’est là ce qui a provoqué la crise et ne fera que l’empirer.

Les réformes ont ainsi pour toile de fond de permettre au profit de piloter les choix de recherche : en remplaçant les budgets sur fonctionnements en budgets sur des objectifs qui échappent aux chercheurs et aux citoyens, pour obéir aux intérêts privés. Cela place les enseignants chercheurs  sous tutelle hiérarchique (d’un président d’université converti en patron-manager) du fait de contrats précaires ou d’un nouveau statut remplaçant l’évaluation par les pairs par l’évaluation par le patron, en mettant les organismes de production de statistiques sous la coupe de la commande politicienne.

C’est contradictoire avec la place croissante des savoirs dans la société, qui ouvre des possibilités  et des besoins inédits. Produire des recherches qui ne soient pas sous la coupe des résultats immédiats et de son utilité sociale et économique aurait d’autant plus de chances de produire des connaissances qui, sans s’enfermer  dans cet objectif, pourraient ensuite être réutilisées au service de la société, du développement des hommes, du partage économique et social.  Si leur évolution est bien sûr souhaitable comme toute institution, les grands organismes publics de recherche sont un acquis, un point d’appui considérable dans notre pays. Les relations avec la recherche industrielle ne sont pas un tabou mais les décisions ne doivent pas être imposées par les forces dominantes ou par la pénurie, car c’est contraire à l’intérêt du pays, de la société, des citoyens.

La crise économique et financière accélère les choix opposés : une production de savoir sous tutelle accrue de la rentabilité pour quelques uns, ou une production de savoir dans une logique de service public qui mise sur le long terme pour que les progrès de la connaissance servent l’humain.

Il y a encore quelques mois, ces questions  étaient inaudibles. Aujourd’hui, elles rencontrent les préoccupations de nos concitoyens pour sortir de la crise, qui s’interrogent sur la façon dont fonctionne notre société.

Du côté de l’enseignement  : le savoir  est un pouvoir. Développer  sa transmission  (et la formation d’enseignants) pour une civilisation émancipée du profit, pour une sortie progressiste de la crise.

Si l’arsenal des réformes est particulièrement  lourd depuis plusieurs années de la maternelle à l’université et jusqu’à la formation continue, c’est que la question est fondamentale pour le patronat et les gouvernements qui le servent. Ce qu’ils cherchent depuis plus de 10 ans : transformer des connaissances produites en marchandises pour les vendre et les utiliser ; réorienter le système scolaire (qui était à un stade de compromis entre démocratisation  des études et sélection sociale) pour dégager des salariés conformes aux intérêts à court terme du patronat. Cela se traduit par un sousfinancement, par l’individualisation et la modularisation.

Modularisation  : les formations sont revues pour éclater les savoirs en petits objets « utiles » sur un poste de travail et une compétence précise, mais déconnectés de la compréhension réelle des phénomènes pour éviter des esprits critiques. Alors que les citoyens, mais aussi une économie non soumise au seul profit et à la rentabilité financière immédiate, auraient tant à gagner avec des adultes qui soient davantage en maîtrise du monde et des armes de leur émancipation intellectuelle, comme de la possibilité de développer leur carrière et de progresser. Alors que la société a tant besoin de citoyens suffisamment instruits  des logiques de la recherche pour pouvoir orienter le débat public sur l’éthique.

Individualisation  : ils créent des formations avec des « niveaux de sorties » revus (BEP, Bac pro, généraux et technique, Licence, Master), avec des « référentiels de compétences » individualisés, donc à terme sans diplôme  commun.

Ils garantissent ainsi à l’employeur un niveau de formation sans garantir  au salarié la reconnaissance d’une qualification commune : la mise en concurrence  des individus conduisant à tirer les salaires vers le bas. Derrière une frange de privilégiés, le patronat veut 50 % d’une génération de salariés exploitables avec une formation à bac+3, et le reste se répartissant dans les diplômes inférieurs selon les calculs des besoins de main d’œuvre. La mise en place de diplômes locaux est l’une des étapes pour diviser les salariés, et à terme supprimer les diplômes communs donc la reconnaissance des qualifications.

Cela concerne  tous les salariés actuels, tous les parents, tous les jeunes, et tous les éducateurs. Car dans la logique que l’on veut nous imposer il n’y a rien d’étonnant à la réforme du socle commun : elle minimise la part d’enseignement pour tous durant la scolarité obligatoire et prépare le futur « tri social ». Pas de surprise non plus dans la volonté de suppression de la maternelle. Ni dans la suppression de la formation spécifique des enseignants quand l’objectif gouvernemental tend à ne pas permettre l’émancipation intellectuelle de tous les élèves.

Bref, rien d’étonnant quand ce qui guide leur choix, c’est la loi de la rentabilité financière qui impose la fabrication de salariés suffisamment instruits pour être performants dans leur travail, mais pas trop instruits quand même pour éviter les esprits critiques tout en évitant également de les payer à hauteur de leur formation.

Les réformes de l’école participent  ainsi au remodelage du salariat au service du capitalisme d’aujourd’hui.

Voila pourquoi le gouvernement engage de front les réformes de la production de savoir et celles de son enseignement obéissant  à la même logique. Mais sa marge de manœuvre  est complexe. D’un côté la crise et le patronat le poussent à aller vite dans leur intérêt.

De l’autre,  il va falloir faire accepter au pays, à la jeunesse et aux enseignants qu’il faut étudier davantage mais sous contrainte de l’exploitation future, de l’insécurité sociale, et de la docilité.  Les mouvements lycéen, étudiant, enseignant, celui des IUFM et de la recherche ne l’entendent pas ainsi.

La situation empêche de se contenter de se défendre. La pression est trop grande avec la crise, tandis que les insuffisances du système précédent de recherche et d’éducation, déjà malmené par les choix précédents et le manque de politique de réelle démocratisation scolaire, ne le permettent pas. La place du savoir dans la société est trop importante pour qu’on puisse imaginer le statu quo ou pour croire naïvement que le capitalisme peut être domestiqué : la crise exacerbe sa fuite en avant. Le dépassement de ce système capitaliste va de pair avec la réorientation de la place du savoir dans la société, à l’heure où le système économique mais aussi la société reposent de plus en plus sur les informations, les savoirs, leur intégration dans l’organisation de la société.

Pour sortir de la crise, il faut changer de logique, préparer une génération de futurs adultes qui soient en maîtrise des savoirs qui se développent et peuvent profiter au développement des hommes. Préparer des travailleurs  qui soient en maîtrise des savoirs qui structurent  leur métier en évolution comme l’organisation économique et sociale au lieu d’être exploités par leur intermédiaire.

Le PCF entend mettre son potentiel militant  et intellectuel à contribution pour l’incontournable alternative qu’il faut dès à présent mettre en chantier avec la communauté scientifique, les étudiants, la communauté scolaire, les citoyens, et l’ensemble  des forces progressistes qui le souhaitent.

Pour contribuer  à cette alternative, le PCF met ses analyses et propositions au service des luttes :

1) développement de la recherche publique (financement élevé, durable et sécurisé de l’activité et des emplois de fonctionnaires ; statut renforcé), sans pression politicienne ou privée ; développement du débat public et citoyen sur les finalités de la recherche,

2) transformation du système scolaire pour transmettre à tous les élèves des savoirs ambitieux (et communs dans la scolarité unique), des savoirs compris et non pas pour obéir, ce qui nécessite la mise en œuvre d’un plan massif de lutte contre les inégalités sociales de réussite scolaire qui ne sont pas une fatalité mais le résultat des insuffisances des politiques précédentes,

3) transformation (et non liquidation) des IUFM pour réformer et développer la formation des enseignants pour leur permettre de remplir ces missions ; maintien, extension et transformation de la formation continue, en lien avec des organismes de recherches en éducation redynamisés au lieu d’être liquidés pour permettre aux enseignants d’être coconcepteurs de leurs pratiques, sur statut de fonctionnaire maintenu et revalorisé afin de pouvoir se consacrer  à cette mission hors de la précarité,

4) sécurisation des parcours d’alternance entre l’emploi et la formation des salariés, maitrise publique (et pas seulement patronale) des contenus et des modalités de formation, avec intervention des salariés dès les entreprises  et les institutions,

5) engagement financier massif de la dépense dans l’éducation, la formation et la recherche

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