Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Suppression de la taxe professionnelle : le choix du capital

La décision de supprimer la taxe professionnelle est une nouvelle preuve de la volonté élyséenne d’encourager l’accumulation du capital au détriment de la réponse aux besoins sociaux. Pour l’occasion la crise constitue un excellent prétexte à la liquidation  d’un impôt tant décrié par le Medef.

Il faut dire que la suppression de cette taxe pour surprenante qu’elle puisse paraître ne constitue cependant pas un événement totalement  iconoclaste. Le terrain étaitdéjà passablement miné et cela ne date pas d’hier. Du plafonnement valeur ajoutée en passant par la suppression de l’élément salaire et le changement des règles de compensation jusqu’à la décision courant  2008 de ne plus retenir dans la base, les investissements nouveaux, la situation de cet impôt devenait de plus en plus précaire.

Si rayer d’un trait de plume une recette fiscale ne demande pas d’effort particulier, compenser le manque à gagner est chose beaucoup moins aisée, à moins de faire le choix de réduire proportionnellement la dépense. Et c’est bien ce genre de scénario vers lequel on semble s’orienter, sachant qu’il ne sera pas sans conséquences.

La taxe professionnelle c’est tout d’abord 29 milliards d’euros dont environ 10 milliards sont compensés par l’État notamment au titre du plafonnement de la valeur ajoutée. C’est aussi  plus  de 44 % des recettes fiscales des collectivités territoriales et 27 % du total de leurs recettes, recettes indirectes et dotations d’État comprises. La taxe professionnelle c’est encore 100 % des recettes fiscales des EPCI (Communautés de communes, ou d’agglomération) ayant choisi la TPU(1).

Supprimer un tel volume de rentrées fiscales donc de recettes budgétaires des collectivités territoriales, n’est donc pas anecdotique. Rien à voir avec le montant de huit milliards annoncé par le Président de la république lors de son intervention le 5 février, qui, à quelque chose près, représente la compensation versée par l’État. Il n’y avait sans doute aucune erreur ni confusion  de sa part mais certainement le souci de minimiser les chiffres pour mieux faire passer la pilule.

Pas besoin d’être grand clerc en effet pour prendre la mesure de l’ampleur des répercussions d’une telle décision et de ses effets concrets sur la vie locale, son organisation et la qualité des services rendus la population. Il est possible d’en dénombrer cinq grandes catégories :

Un recul des solidarités.

De façon ostensible,  le choix de la droite répond à une exigence sans cesse réaffirmée du  Medef d’en finir avec cet impôt et de s’inscrire dans la poursuite du désengagement des entreprises de l’œuvre de financement collectif nécessaire au développement des capacités  humaines.  Ce nouveau  cadeau au patronat, contrairement au discours libéral, va contribuer à aggraver les difficultés des territoires et de leur population par une nouvelle mise en cause des moyens de la solidarité et par une réduction sensible des capacités de développement de l’activité économique.

Une baisse des investissements efficaces et de l’incitation à l’efficacité sociale.

Faire disparaître  la taxe professionnelle c’est aussi se priver de son produit. À court terme, cela peut se révéler un très mauvais calcul pour les entreprises elles-mêmes. En ne voyant que l’allègement fiscal immédiat, elles risquent en effet de perdre beaucoup plus. Les collectivités territoriales disposant de capacités d’investissement réduites limiteront d’autant l’ouverture de chantiers et le lancement de marchés publics. Dans une période déjà difficile pour les entreprises, au moment où le mot relance est sur toutes les lèvres, y compris sur celles des représentants gouvernementaux, se priver d’une telle manne d’investissements publics revient à se tirer une balle dans le pied. Rappelons que les collectivités  territoriales réalisent 73 % de l’investissement public dont les entreprises tirent bénéfice.

L’encouragement à une réforme régressive de l’organisation territoriale  de l’État.

En réduisant les rentrées fiscales, donc en modifiant profondément la structure de la fiscalité locale et de son produit, la droite se comporte en fait comme si elle voulait donner un grand coup d’accélérateur à sa réforme de l’organisation territoriale de l’État. D’un effet quasi immédiat, cette décision va très rapidement conduire les élu(e)s territoriaux placés face à des situations intenables, à se poser la question de la pertinence de certaines structures et services locaux voire, de collectivités dans leur ensemble. Pousser à devoir agir et décider dans l’urgence, certains pourraient  même être amenés à devoir effectuer des choix contre nature. En ce sens, la suppression de la taxe professionnelle procède d’une logique de coup de force.

Une attaque contre l’emploi  public.

Pas de taxe professionnelle ce sont des services, des structures,  des collectivités supprimées.  Ce sont des missions publiques donc des services à la population souvent essentiels qui vont disparaître. En filigrane est la suppression de milliers d’emplois publics de fonctionnaires territoriaux. Une manière comme une autre de faire entrer  la RGPP(2) et son objectif de réduction drastique de l’emploi public au sein de la fonction publique territoriale. C’est en effet un objectif majeur du gouvernement qui au fond n’a pas renoncé à satisfaire aux critères  du pacte de stabilité, même si le discours a dû évoluer avec la crise mais pour courir au devant du capital financier et des grands groupes, non pour répondre aux besoins sociaux.

Un coin dans la bataille idéologique.

En faisant le choix d’abattre  la TP, le Président Sarkozy et son gouvernement enfoncent le clou dans la croisade qu’ils mènent pour l’allègement des charges des entreprises. Pourtant, les milliards d’exonération  accordés au cours de ces dernières années, que ce soit au titre de la taxe professionnelle, de l’impôt sur les sociétés, de l’imposition  du capital et de la fortune ou des cotisations  sociales, n’auront amené aucune amélioration en termes d’emplois, de salaires, de conditions de travail et de vie. Au contraire il a pu être observé une dégradation symétrique de la situation économique et sociale jusqu’à l’explosion de la crise systémique que l’on connaît. Supprimer la taxe professionnelle, c’est ouvrir encore un peu plus les vannes à la dérive financière spéculative, c’est participer à enfoncer l’ensemble de la société dans une crise économique et sociale ravageuse.

Conscient qu’il n’est pas aisé de se passer du produit d’une telle taxe, le gouvernement propose en substitution l’instauration d’une taxe écologique qui pour le coup serait baptisée taxe carbone. Or, le propre d’une taxe écologique n’est-elle pas d’inciter à modifier les comportements  dans un sens plus respectueux de l’environnement ? Donc finalement à devoir assez rapidement ne plus rien rapporter. Deux choses l’une, soit la taxe carbone serait une taxe efficace et son rendement se réduirait jusqu’à devenir nul, mettant à nouveau les budgets des collectivités locales en péril, soit il s’agit d’une fausse taxe écologique. Une supercherie  de plus pour organiser le transfert d’imposition  des entreprises vers les ménages.

La décision présidentielle a un mérite, celui d’obliger à une réflexion sur un impôt qui depuis longtemps pose question. En précisant que la plupart des pays européens ont un impôt local sur les entreprises, le cœur du problème est d’en définir la véritable nature. Toujours entre deux eaux la taxe professionnelle devrait évoluer vers un véritable impôt sur le capital dont l’assiette reposerait sur trois éléments, par exemple : les actifs fonciers, les actifs corporels immobilisés non fonciers ainsi que les placements financiers des entreprises. Cette première approche nécessite d’être affinée et traiter dans une perspective d’ensemble de refonte de la structure de la fiscalité locale et des divers impôts qui la caractérise

(1) TPU : Taxe Professionnelle Unique.

(2) RGPP : révision générale des politiques publiques.

 

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