Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Une relance américaine à 3 500 milliards de dollars

C’est une véritable  pluie de dollars qu’entend déverser Washington sur son économie frappée par une crise financière  dont l’impact se révèle, au fil des jours, bien plus grave, bien plus profond que généralement anticipé. « Du jamais vu », relèvent désormais la plupart des observateurs  et il ne se trouve  désormais plus personne,  comme il y a quelques mois encore, pour en relativiser la dimension. Avec quelques 6,2  % de croissance en rythme annuel relevés au dernier  trimestre 2008 (sans doute pire encore au premier trimestre 2009) la récession annoncée prend  effectivement  de plus en plus la forme d’une véritable dépression.

La facture est lourde. Les États-Unis entendent consacrer plus de 3 500 milliards de dollars (2 900 milliards d’euros) à différents programmes de soutien à leur économie.

Au plan de relance de 787 milliards de dollars (618 milliards d’euros) de l’administration  Obama, adopté fin février par le Congrès, et destiné à « l’emploi  et à la stimulation de l’activité», s’ajoutent  le plan de sauvetage du système bancaire et financier d’un montant d’au moins 2 000 milliards de dollars (1 600 milliards d’euros) qui vient lui même s’additionner  aux 700 milliards  de dollars (550 milliards  d’euros) déjà avancés par l’administration Bush (le plan Paulson, du nom de l’ex-secrétaire au trésor). À cela s’ajoutent encore les aides spécifiques débloquées fin février pour l’immobilier en crise (275 milliards de dollars, 215 milliards d’euros). Et il faudra d’évidence encore adjoindre les aides nouvelles accordées à des constructeurs  automobiles en pleine débâcle – après les 13,4 milliards de dollars (11 milliards d’euros) déjà versés et prélevés sur les fonds du plan Paulson (voir également ci-contre).  Celles ci pourraient s’élever, selon les estimations, de 30 à 40 milliards de dollars (de 23 à 34 milliards d’euros) suplémentaires.

« C’est le plus grand programme de dépenses budgétaires de l’histoire de notre pays » a souligné Larry Summers, le chef économiste du staff de crise mis en place par le président Obama. C’est naturellement  la question de l’efficacité in fine de cette intervention publique massive qui se pose avec acuité. Le peu de retombées des centaines de milliards déjà versés donne le sentiment que l’on est confronté à une sorte de puits sans fond. Les nouvelles mesures avancées vont-elles permettre d’inverser cette tendance ? Le résultat semble bien loin d’être acquis. Pour une raison majeure : dans l’espoir que les marchés puissent recouvrer une dynamique capable de générer un retour à la case croissance, les divers plans restent totalement prisonniers de leurs critères de rentabilité financière.

Baisses d’impôts et grands travaux au menu du « programme de stimulation » de l’économie d’Obama

Le programme de stimulation de l’économie de 787 milliards de dollars est constitué pour près de 40 % de réductions d’impôts (environ 4 à 500 dollars pour chaque contribuable, 800 à 1 000 dollars  pour un couple).

L’objectif est de relancer la consommation. Celle-ci continue de s’effondrer (4,3 % au dernier trimestre 2008). Or elle était le principal pilier d’une croissance états-unienne, dopée ces dernières années par un crédit  facile d’accès – car assis sur la valeur de biens mobiliers ou immobiliers qui ne cessaient de croître... jusqu’à l’éclatement de l’immense bulle financière. Cet endettement massif permettait  aux citoyens moyens de compenser vaille que vaille l’érosion continue du pouvoir d’achat de leurs salaires pour maintenir, voire augmenter leur niveau de vie.

Au regard des pertes subies dans la déflagration du système financier par l’immense majorité des citoyens, la sorte de subvention fiscale prévue par le programme de la Maison Blanche apparaît bien mince. Surtout on peut parier qu’elle ne sera pas réinjectée rapidement par les ménages dans le circuit commercial et risque donc de n’avoir qu’un effet marginal sur la consommation, bien éloigné du coup de fouet espéré. Car la détérioration  accélérée de la situation de l’emploi (les États-Unis détruisent un demi-million de postes de travail chaque mois depuis l’automne 2008) invite plutôt les salariés à épargner.

L’unique stimulation pourrait venir des aides accordées aux plus pauvres qui sont enclins à dépenser immédiatement le moindre complément de revenu pour couvrir leurs besoins vitaux. Mais ce ne sont naturellement pas les 27 milliards de dollars (22 milliards d’euros) prévus pour aider les États de la fédération à relever les indemnités du nombre croissant de chômeurs qui peuvent, à eux seuls, permettre de redresser la consommation.

Pis, à la suite des compromis  passés au Congrès avec les républicains et des élus démocrates récalcitrants, les transferts de fonds de la fédération  vers les États, souvent exsangues ou même proches de la faillite comme la Californie, ont du être réduits de quelques  40 milliards de dollars (33 milliards d’euros). Un désastre pour des États dont la grande majorité affiche aujourd’hui une baisse spectaculaire de leurs rentrées fiscales et qui ne pourront donc pas être « remis à flot ». Résultat : comme la loi les oblige d’avoir un budget à l’équilibre ces États seront acculés à réduire leurs dépenses en coupant dans leurs prestations sociales ou en supprimant des milliers d’emplois de fonctionnaires. Autrement dit : on risque de reprendre d’une main ce que l’on donne de l’autre aux plus pauvres et aux classes moyennes.

L’autre grande partie du plan de relance Obama (24 % des 789 milliards de dollars de dépenses totales), consacrée à la modernisation ou à la remise en état des infrastructures, devrait avoir des effets plus significatif sur l’emploi. Environ

60 milliards de dollars (54 milliards d’euros) doivent être affectés aux autoroutes, aux ponts et au réseau électrique. Et un peu moins de 40 milliards de dollars (35 milliards d’euros) à l’informatisation des hôpitaux et au traitement  de l’eau. Une autre partie de l’enveloppe est affectée à la subvention des énergies renouvelables et des techniques permettant de limiter les émissions de CO2.

La méthode rappelle incontestablement  des techniques utilisées en son temps par Franklin Delano Roosevelt (FDR) pour combattre la grande dépression au début du siècle dernier. Elle se démarque en cela nettement des choix privilégiés depuis la contre-révolution libérale initiés dans les années 80 par Ronald Reagan qui a atteint une sorte de point culminant sous l’ère Bush. Elle paraît toutefois bien insuffisante pour enrayer vraiment la spirale du chômage. Et contribuer significativement  à l’objectif proclamé par le président Obama de créer 3,5 millions d’emplois d’ici deux ans.

Selon les estimations les plus optimistes, 200 milliards de dollars de dépenses gouvernementales de ce type seraient nécessaires, dans les conditions actuelles, pour redresser d’un point le taux de croissance (il s’effondre aujourd’hui, rappelons le, d’au moins 6 points en rythme annuel). Et le prix nobel d’économie, Paul Krugman, soulignant au passage que les grands travaux de FDR n’avaient déjà pas permis à eux seuls de sortir l’économie du marasme dans les années trente, fait remarquer dans une lettre ouverte adressée au président Obama(1), que les grands chantiers potentiels « prêts pour un premier coup de pioche dans les 6 mois », n’atteignent « probablement pas une valeur supérieure à 150 milliards de dollars (120 milliards d’euros). » D’où la nécessité de compléter ces dépenses par d’autres types d’investissements publics, pointe l’économiste dont la réflexion d’inspiration keynézienne, s’inscrit dans les approches multiples dites de refondation du système.

Un plan de stabilité financière, béquille du capital

Les contradictions sont encore plus flagrantes pour le plan de «stabilité financière». Une structure dite de défaisance, qui impliquerait des prises en charge à la fois publiques et privées, serait dotée de 500 à 1 000 milliards de dollars afin de racheter les actifs « pourris » qui pullulent dans les bilans des établissements financiers. Mais cette « bad bank », aux contours encore très flous, sera très coûteuse pour le contribuable sans que l’on soit vraiment assuré que le mécanisme puisse rétablir rapidement la confiance et dégeler le crédit. Par ailleurs, une holding (le Financial Stability Trust) va être créée pour voler au secours des banques en difficulté en leur fournissant au besoin des capitaux publics.

Ce gigantesque effort public n’empêche pas les difficultés de continuer de s’aiguiser. On vient de le voir récemment avec l’intervention pratiquée sur l’assureur AIG (American  International Group). Le Trésor l’avait déjà sauvé durant l’automne en le renflouant in extremis à trois reprises. Il a dû y injecter dans l’urgence, le 2 mars dernier, quelques 30 milliards de dollars (25 milliards d’euros) supplémentaires. Cependant une timide évolution  semble se dessiner face l’inefficacité de plus en plus patente des mesures adoptées jusqu’ici.  Une réflexion s’ébauche ainsi jusque dans le staff économique d’Obama en faveur de la création d’un... pôle financier  public.  Des nationalisations partielles ou totales avec une véritable prise de contrôle par la puissance publique sont ouvertement envisagées. Elles seraient «provisoires», préviennent  cependant aussitôt les plus hardis des économistes.

Des contradictions s’aiguisent et des idées autrefois «tabous» émergent

Si la solution demeure limitée, l’émergence du défi n’en est pas moins éloquent. Il faut dire que l’échec spectaculaire des renflouements précédents est passé par là. Tant les dizaines de milliards de dollars d’argent public déversés initialement dans le cadre du plan TARP (Troubled Assets Relief Program) du précédent secrétaire au Trésor, Paul Paulson ou ceux désormais avancés grâce au programme WFC (Reconstruction  Finance Corporation)  de Timothee Geithner, l’actuel responsable de la gestion des deniers fédéraux, se sont avérés incapables de soigner un malade qui ne cesse de rechuter et de quémander de nouvelles perfusions auprès de l’État.

L’idée, tabou jusqu’alors, d’une intervention  directe dans la gestion des établissements nationalisés ou même celle d’un conditionnement  des aides commence à faire timidement son chemin. Paul Krugman, encore lui, souligne ainsi dans son adresse à Barack Obama(1) : « si les banques ont besoin de fonds pour survivre , fournissez leur – mais demandez leur aussi qu’elles fassent leur part pour irriguer de crédits le reste de l’économie. » Les lignes bougent donc lentement sans que la contradiction  de fond entre les immenses besoins d’investissements  dans l’emploi ou des dépenses socialement utiles et l’utilisation de l’argent du contribuable comme une béquille du capital, ne soit levée. Loin s’en faut.

Le programme avancé pour faciliter le crédit aux petites entreprises ou à la consommation reste frappé des mêmes ambiguïtés. Doté potentiellement de la bagatelle de 1 000 milliards de dollars, il vise à diminuer les coûts du crédit devenus le plus souvent prohibitifs. La méthode cependant n’est pas sans réveiller de terribles souvenirs. Le gouvernement entend en effet encourager la titrisation de ces nouveaux prêts (la transformation des emprunts en titres échangeables sur les marchés) dans le but de rebooster sans doute des places boursières toujours en plein marasme. Or on sait le rôle déclencheur joué par la titrisation des subprimes (crédits immobiliers à risque) dans l’éclatement et la dissémination de la crise actuelle.

Persuadé que la sortie de la crise passe par un traitement de cheval du secteur par où elle est arrivée, la Maison Blanche avance aussi un méga-plan doté de la bagatelle de 275 milliards de dollars (210 milliards  d’euros) pour combattre la crise immobilière. L’objectif est de davantage venir au secours des simples citoyens, accédants à la propriété, menacés encore par centaines de milliers d’expulsion. « Nous allons aider entre 7 et 9 millions d’américains à restructurer ou à refinancer leurs crédits immobiliers afin qu’ils évitent la saisie », a déclaré le 18 février le président Obama à Phœnix dans l’Arizona, un État particulièrement atteint par la crise.

La menace d’une crise monétaire majeure

L’État fédéral va acheter quelques 200 milliards de dollars (170 milliards d’euros) d’actions préférentielles à Fannie Mae et Freddie Mac, les deux agences hypothécaires, pour renforcer leur capital afin qu’elles puissent supporter une opération qui doit permettre aux propriétaires de refinancer leurs emprunts à des taux plus abordables. Mais le plan vise au moins autant à rétablir la situation des emprunteurs que des « prestataires de crédits », sans  vraiment contester les règles qui ont permis à ces derniers d’extraire des profits gigantesques sur le dos des citoyens désireux d’accéder au « rêve américain ».

Le spéculateur Wilbur Ross ne s’y est d’ailleurs  pas trompé. Il vient de racheter à « moindre frais » pour 115 milliards de dollars un portefeuille de la banque Citigroup « infesté » de subprimes qu’il se dit persuadé de pouvoir faire « prospérer » grâce aux subventions de l’État fédéral. En « allégeant » la facture du crédit immobilier de nombreux ménages, celles-ci devraient  leur permettre d’honorer leurs crédits en y consacrant, non plus 50 % ou davantage de leurs revenus mensuels mais « seulement »... 30 % à 40 %. C’est dire combien les contradictions de classe pourraient s’envenimer à la faveur même de ces plans dits de relance, comme le montre en particulier le traitement réservé à l’industrie automobile (voir encart).

Au total l’exercice qui consiste à faire tomber une pluie drue de dollars sur le champ dévasté de l’économie étatsunienne, est donc bien loin d’être assuré de provoquer rapidement un retour à des récoltes « miraculeuses » et à une relance au pas de charge.

Plus grave l’opération n’est possible que compte tenu des privilèges du dollar. Autrement dit : elle revient à inviter, comme jamais, le reste du monde (en particulier la Chine, le Japon et l’Europe) à financer les plans états-uniens. Mais jusqu’à quel niveau cet endettement colossal à bon compte est-il possible? En cas de poursuite  de l’affaissement de la croissance outre atlantique tous les ingrédients semblent réunis pour l’éclatement d’une crise monétaire majeure avec un effondrement du dollar qui contraindrait les autorités US à relever drastiquement leurs taux d’intérêt à long terme. D’où la montée en puissance de la nécessité d’autres critères pour les plans de relance comme d’une alternative à l’organisation monétaire internationale

(1) Lettre ouverte au président Obama, Paul Krugman, prix Nobel d’économie et chroniqueur au New York Times (20/01/09

L’addition présentée aux salariés de l’automobile

Le plan de soutien à la restructuration du secteur automobile pourrait s’élever à environ 40 milliards de dollars (34 milliards d’euros.) Il assortit les aides publiques à des plans massifs de réduction d’emplois (47 000 chez General Motors  et au moins autant chez Ford et Chrysler).  Ces conditions sont présentées comme le seul moyen de retrouver la rentabilité financière d’ici 2011, comme  l’a indiqué Timothy Geitner le nouveau secrétaire au trésor, en dévoilant les principales clauses du plan le 18 février dernier.

La direction de General Motors qui a déjà reçu  17,4 milliards de dollars (environ 13 milliards d’euros) de l’administration, se livre à un véritable chantage vis-à-vis des pouvoirs publics états-uniens comme européens (allemand et suédois en particulier puisque se joue en même temps le sort des filiales Opel et Saab de GM) en menaçant de se déclarer en faillite . Elle réclame de nouvelles aides estimant qu’il lui faudrait jusqu’à 30 milliards de dollars (25 milliards d’euros) supplémentaires d’ici à 2011 pour faire face aux restructurations engagées. De la même manière la direction de Chrysler réclame 9 milliards de dollars (7 milliards d’euros) supplémentaires.

Le chantage à la faillite vise aussi à museler toute opposition  syndicale(1). Sous pression de la base le syndicat UAW (Union of automobil workers) a bien tenté, dans un premier temps, de « faire de la résistance » en rejetant les conditions des premiers plans de restructuration  avancés par l’administration et la direction des « big three » (les  trois grands constructeurs de Détroit). Mais la direction de l’UAW, qu’une culture syndicale très intégrée n’incite pas précisément à une opposition  frontale, a choisi, pour l’heure le «moindre mal » en acceptant finalement de rentrer dans le rang du plan approuvé par la Maison Blanche.

Ces choix stratégiques reviennent à présenter l’essentielle de la facture de la débâcle financière aux salariés. Ils vont donc exacerber les contradictions de classe. Des débats semblent d’ailleurs  s’aiguiser désormais au sein même du syndicat UAW sur le niveau de riposte qu’il conviendrait d’engager, mettant en relief le besoin d’une action beaucoup plus résolue. Jusqu’où ?

Quoiqu’il en soit, les restructurations programmées alimentent une contradiction majeure : les pertes d’emplois et les ponctions sur les salaires, la protection sociale, vont peser lourdement sur le pouvoir d’achat et donc la demande.  Ce qui ne va pas manquer d’accentuer encore la crise.

(1) Le fait de se déclarer  en faillite aurait permis aux firmes de se placer sous la protection du chapitre XI de la loi états-unienne. Ce qui aurait ouver t la voie à une réorganisation du groupe à la hache, avec séparation de ses actifs « rentables et non rentables » et autorisation concomitante d’annuler les contrats passés antérieurement avec les syndicats.

 

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