Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Des propositions concrètes pour l’action immédiate face à la crise

Je me félicite de cette séance d’auditions. Elle révèle de gros potentiels de convergence. Elle signale aussi des différences sur lesquelles nous devons travailler ensemble pour nous rapprocher. Plus que jamais il y a besoin de confrontation coopérative de tous les hétérodoxes, en liaison avec l’action. Nous pouvons avancer ensemble, dans une saine émulation, non pour chercher à se mettre d’accord sur un «plus petit commun dénominateur», mais pour aider au développement d’un mouvement populaire large et efficace prenant en main de grands axes de transformation sociale et sociétale radicale.

Ne pourrait-on pas déboucher en conclusion sur des décisions de principe ? Un groupe de travail «ad hoc» pourrait alors être constitué dés aujourd’hui qui serait chargé d’élaborer, à partir de ces décisions de principe, des propositions précises d’initiative avec un calendrier qui seraient présentés.

 

Trois remarques liminaires

Première remarque, la crise financière s’impose à tous. Elle apporte un cinglant démenti à ceux qui postulaient que la bataille idéologique était définitivement gagnée par Sarkozy. Elle place les communistes et toute la gauche devant des opportunités nouvelles et d’immenses responsabilités. En effet, en France, en Europe et dans le monde, les droites, les défenseurs du capitalisme «en crise systémique» cherchent une «union sacrée» autour de mesures d’État, engageant des fonds considérables de façon concertée, prises au nom de l’urgence et de la nécessité de conjurer la catastrophe.

En réalité, la gauche est face à un défi formidable car, dans un même mouvement, ces mesures dites d’urgence s’inscrivent dans une fuite en avant fondamentale au service de la domination des marchés financiers.

On voit l’énorme malaise du PS avec ce défi. N’exprime-t-il pas à quel point l’heure n’est plus à la recherche de «solutions de moindre mal», ce qui a été, ces trente dernières années, le fond de commerce et la base de crédibilité de ce parti ?

La crise financière s’invite avec fracas à tous les congrès, obligeant à rebattre les cartes, à celui du PS comme au notre. De même, elle va peser lourd dans le débat des élections européennes.

Plus que jamais elle nous place devant la nécessité de relier le projet politique aux luttes immédiates et à une visée transformatrice d’ensemble qui devrait être celle d’un dépassement graduel mais effectif du capitalisme.

Deuxième remarque, dans cette situation, il me semble que nous devons être attentifs à ne pas laisser découpler la question des mesures d’urgence de l’enjeu politique de réformes structurelles et institutionnelles très profondes. C’est au nom de la rupture avec les «dogmes périmés» et de la nécessité d’être «révolutionnaires» (sic), pour reprendre les mots de Gordon Brown, que les États interviennent massivement, jusqu’à prendre des mesures ponctuelles et transitoires de nationalisation visant à socialiser les pertes. Mais, dans l’urgence et au nom de l’urgence, ce sont des mesures de fond qui sont prises.

La nécessité d’une intervention concertée des États était devenue incontournable. Elle était attendue de partout, même si l’ampleur des fonds qu’elle mobilise a pu entraîner de la sidération quand, dans le même temps, on ne cesse d’entendre qu’il n’y a pas d’argent pour les salaires, les services publics, les retraites, l’emploi et la formation, le logement social…

Le problème n’est pas tant le principe d’une intervention publique et d’État que celui de ses buts, de ses contenus, de sa sélectivité, de sa maîtrise sociale.

Le rejet justifié du plan Sarkozy, le refus de l’union sacrée et de l’hyper délégation à Sarkozy, placent alors devant la nécessité de travailler à des ripostes rassemblées pour une alternative inscrivant l’exigence d’autres mesures d’urgence dans l’avancée de réformes structurelles et institutionnelles profondes, alternatives à celles de Sarkozy.

La remontée de l’intervention publique et d’État jusqu’à des nationalisations peut ouvrir un boulevard à la gauche et, singulièrement, au PCF s’ils s’en saisissent bien.

Bien au-delà de nos rangs grandit l’idée que c’est le capitalisme lui-même qui est en cause et que c’est donc sa logique qu’il faut oser affronter, comme l’a indiqué le récent sondage de l’Humanité Dimanche.

Il y a du scepticisme autour de l’idée que la crise ne serait que financière, qu’elle ne serait que la crise de la «finance dérégulée» anglo-saxonne. Et, à ce propos, on peut légitimement critiquer les termes du communiqué commun PCF-PS-Verts-MRG annonçant le forum public de la gauche du 21/10 en se contentant de mettre en cause «le système de la finance dérégulée».

En réalité, à la lumière des efforts actuels d’union sacrée, on peut mesurer combien ces idées sont erronées et s’inscrivent, en fait, dans toute une tentative visant à ravauder le système capitaliste si ébranlé, à le maintenir lui et ses maux aggravés et grandissants.

Le changement de climat idéologique est favorable à la promotion dans l’action de propositions de transformations précises pour maîtriser dans l’action le marché et, ainsi, commencer à s’émanciper du capitalisme devenu fou.

Troisième remarque, il faut aider la gauche à ne pas se laisser paralyser sur le couplage État/marché.

La mobilité des dirigeants capitalistes et des droites dans la crise financière, la hardiesse apparente de leurs initiatives concertées en Europe pour mobiliser les États et les moyens publics face au risque de collapsus des marchés et des économies rendent encore moins crédible la prétention à gauche de faire du neuf dans le réglage du couplage entre l’État et le marché

La soi-disant alternative du «plus d’État» face au marché, du «plus d’État» pour corriger le partage de la valeur ajoutée, le partage des richesses, pour compenser les dégâts sociaux et sociétaux du marché, prend un sacré coup de vieux.

Il y a une opportunité pour arracher la gauche à cette visée qui, des années durant, a permis de créditer la seule droite du souci de l’efficacité économique, et le seul PS de la capacité à peser pour la justice sociale.

La période se prête à ce que nous jouions à fond notre novation :

Du côté de l’État, nous ne saurions nous contenter de saluer son retour. Et d’ailleurs, nous contestons le contenu qu’y donne la droite. N’est-ce pas le moment de faire très fort sur l’exigence de pouvoirs de contrôle et d’intervention des travailleurs et des populations depuis les entreprises et les services, au-delà des délégations traditionnelles, et pour ressourcer le travail des élus ? Nous parlons de la nécessité, en pratique, d’avancer dans la conquête d’une démocratie participative et d’intervention.

Simultanément, il s’agit de chercher à maîtriser tous les marchés, en prenant appui sur de grandes exigences sociales et sociétales, par l’avancée de règles, de critères, d’institutions nouvelles, de services publics novateurs. Cela concerne le marché du travail en sécurisant l’emploi, la formation, le revenu au lieu de la «fléxicurité». Cela concerne le marché des produits avec la bataille, non pas pour limiter les exigences de rentabilité financière comme le propose Frédéric Lordon avec le «SLAM»(1), mais pour faire avancer de nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale contre les rejets sociaux du chômage, de la non-qualification et des pollutions, avec de nouvelles entreprises publiques... Enfin, cela concerne le marché de la monnaie et de la finance avec la modernité, confirmée par la crise, du combat pour que la monnaie, le crédit soient traités comme des biens communs de l’humanité.

Deux ensembles à articuler

Précisément, c’est la nécessité de maîtriser ce marché que fait saillir la crise financière. Elle invite à articuler deux ensembles en liaison étroite avec les exigences sociales et sociétales de transformation.

1er ensemble, un nouveau crédit bancaire mis en œuvre par un pôle financier public. Il faut absolument changer le crédit et son utilisation. Il doit devenir le carburant d’un nouveau type de croissance économisant sur les gâchis de capital matériel et financier et développant toujours plus toutes les capacités humaines.

Cela exige de se battre pour de nouvelles règles, un nouveau mécanisme du crédit. Nous avançons précisément le principe d’un crédit sélectif et à long terme pour les investissements matériels et de recherche des entreprises, avec des taux d’intérêt pouvant être très abaissés, jusqu’à devenir nuls, voire négatifs (diminution des remboursements pour l’emprunteur), en fonction des emplois de qualité bien rémunérés et des formations programmés.

Il ne s’agit pas seulement de moduler les taux d’intérêt du crédit, mais de le faire pour promouvoir de nouveaux critères du crédit. Une telle sélectivité inciterait les entreprises à de nouvelles pratiques de gestion, en liaison avec les luttes des salariés et des citoyens.

Et, particulièrement, elle les pousserait à diminuer d’autres coûts que les seuls «coûts salariaux», les coûts en capital matériels et financiers, tout en encourageant à développer la qualification et le revenu des salariés.

Pour mettre en œuvre ce nouveau crédit, nous proposons la constitution d’un pôle financier public (PFP) qui, ainsi, serait appelé à déployer une grande mission de service public du crédit pour sécuriser et promouvoir les capacités humaines sur tous les territoires.

2e ensemble : de nouvelles institutions. En effet, il est nécessaire d’inciter toutes les banques, au-delà du PFP, à participer à l’essor du nouveau crédit pour faire reculer l’emprise du marché financier. Et cela à tous les niveaux de la construction politique nouvelle que nous ambitionnons : le local et régional (Fonds publics régionaux), le national (Fonds public national et PFP), l’européen (réorientation de la BCE et suppression du pacte de stabilité) et le mondial (refonte du FMI et de la Banque mondiale, monnaie commune mondiale faisant reculer le rôle du dollar).

Je veux tout particulièrement insister sur la nécessité d’intervenir sans attendre au niveau local et régional. Nous avançons l’idée de Fonds publics régionaux qui prendraient en charge tout ou partie des intérêts des crédits des entreprises (les PME surtout) pour leurs investissements réels avec des taux d’intérêt d’autant plus abaissés qu’elles programmeraient de bons emplois, bien rémunérés, avec de bonnes formations.

Mener une telle bataille présenterait de nombreux avantages au plan politique.

Le premier c’est qu’on peut l’engager tout de suite, sans avoir au préalable à virer Sarkozy ou changer le traité européen.

Deuxième avantage : Il existe des majorités possibles sur cette proposition dans les nombreuses régions dirigées par la gauche.

Plein de PME, d’artisans et leurs salariés vont s’inquiéter du rationnement du crédit par les banques. Chaque salarié, chaque retraité a un compte courant bancaire ou un compte d’épargne et peut comprendre, si on le lui fait découvrir, combien cette ressource stable, peu coûteuse est la base de la sécurité pour les banques, alors que le marché financier est si volatil.

Donc, tout ce qui concourre à l’augmentation de l’emploi, des salaires, des qualifications sur le territoire concourre à sécuriser les banques, au lieu des sacrifices sociaux et salariaux pour soutenir le marché financier. Cela peut compter pour rassembler dans l’action pour que, tout de suite, les banques développent un nouveau crédit.

Et nous pouvons interpeller toute la gauche dans les régions qu’elle dirige : est-ce qu’elle va attendre que Sarkozy s’en aille pour engager la bataille sur les banques et le crédit ? Va-t-elle rester sans rien faire face à la tentative de Sarkozy de faire croire que seuls de nouveaux sacrifices sociaux et salariaux seraient capables de «sécuriser» les dépôts des épargnants dans les banques ?

Le troisième avantage politique n’est pas le moindre. L’action et les débats que nous pourrions engager sur cette proposition pourraient remplir un véritable rôle d’éducation populaire au sens le plus noble du terme.

Les gens ont envie de comprendre et d’apprendre. Ils sont torturés entre, d’un côté, la nécessité dans laquelle ils se trouvent, par défaut, de déléguer au sommet les décisions pour conjurer la catastrophe, et, de l’autre, leur profond scepticisme dans la capacité des décideurs, des politiques à le faire en répondant à leurs attentes.

En réalité, ils ont besoin d’accéder à des pouvoirs décisionnels. Mais les pouvoirs sans culture, ça ne sert à rien. Les gens savent que ce n’est pas avec des lance-pierre que l’on pourra renverser la domination de la finance. Ils ont donc besoin d’apprendre dans des luttes politiques concrètes.

Trois propositions d’initiatives politiques

Elles concernent les niveaux local, national et européen.

Premièrement, on pourrait commencer à organiser dans chaque région une grande campagne sur les Fonds publics régionaux face aux risques énormes qui se profilent pour l’emploi, les faillites d’entreprises, le financement des collectivités territoriales dans chaque territoire.

Il s’agirait, à cette occasion, de pleinement déployer la force de tous nos élus (locaux, régionaux, nationaux et européens), de nous adresser systématiquement aux syndicats, notamment la CGT qui elle aussi est sur l’idée de «Fonds régionaux», au mouvement associatif dans sa diversité.

On pourrait s’adresser très largement aux PME, aux artisans et aux commerçants qui vont être confrontés à un bras de fer sans précédent et inégal avec leurs banquiers. Une grande alliance nouvelle, contre la finance prédatrice et pour que le crédit et les banques soient responsabilisés socialement et territorialement, pourrait être recherchée dès le terrain.

Et nous pourrions appeler à une mobilisation de la gauche en plaçant toutes ses composantes et ses représentants devant leurs responsabilités, en les appelant à ne pas se laisser emporter par la recherche d’union sacrée et en nous appuyant sur la gauche socialiste contre les sociaux libéraux.

On pourrait mener cette campagne politique décentralisée en articulation étroite avec les luttes et les angoisses sur le terrain dans chaque entreprise, chaque localité.

Et on peut s’appuyer sur ce qui a déjà été engagé dans le sens de l’intervention sur l’utilisation de l’argent public dans les régions.

Bien sûr, on sait que ces premières tentatives, conduites pour l’essentiel par des élus, ont abouti à des dispositifs insatisfaisants. Dans certains cas, ils dorment : c’est les commissions de contrôle des fonds publics. Dans d’autres cas (Fonds régionaux), l’idée a été instrumentalisée par le PS et des technocrates au service, en réalité, du soutien à la rentabilité financière et aux opérations du marché financier.

Il ne faut pas baisser les bras. De nouvelles conditions existent pour repartir à la bataille, de façon systématique, et en nous formant nous-mêmes.

La période est propice à ce que nous comprenions mieux ce qu’il faut faire et que nous soyons mieux compris aussi, côté syndical notamment.

Les Fonds régionaux c’est une base pour riposter sans attendre à la tentative d’union sacrée pour la Finance par la construction, dès le terrain, d’une Union populaire agissante cherchant à maîtriser le crédit et les banques.

Deuxièmement, il s’agirait d’organiser une grande rencontre nationale pour la création d’un Pôle financier public. Cela s’adresserait aux partis politiques de gauche, aux syndicats de salariés, au mouvement associatif, aux élus territoriaux, nationaux et européens, mais aussi aux responsables de grands comités d’entreprise.

Mesurons combien une telle initiative pourrait rencontrer l’intérêt des élus territoriaux alors que vont grandir les difficultés du financement pour nombre de communes et de départements. Mesurons aussi l’importance d’une telle initiative pour conforter et aider à politiser le mouvement en cours contre la privatisation de la Poste.

Et il s’agirait de ne pas circonscrire l’ambition de la délibération citoyenne sur ce PFP aux seules banques en difficulté comme Dexia, mais de l’élargir à des banques stratégiques comme la BNP-Paribas, le Crédit agricole, la Société générale.

Troisième proposition, une grande campagne européenne.

Il s’agirait de contribuer à ce que s’exprime, jusque dans des exigences alternatives, le ras-le-bol contre la BCE, son «indépendance», et les dogmatismes de Trichet et de «l’euro fort», le rejet du pacte de stabilité européen avec, en vue, l’appel à la promotion coopérative de grands pôles et services publics novateurs en Europe. Une telle campagne pourrait être articulée aux initiatives nationales et locales.

Elle permettrait de contribuer à ce que se lève, en Europe, une union pour la promotion d’un nouveau «modèle social européen» au lieu du modèle anglo-saxon, un nouveau type de développement, contre le dollar et le marché financier, pour une transformation profonde des institutions internationales.

Une union populaire qui chercherait à se conjuguer avec les voix et les luttes des peuples des pays émergents et en développement pour construire un nouvel ordre mondial solidaire, coopératif, pacifique et non aligné.

 

(1) Shareholder Limited Authorized Margin ou marge actionnariale limite autorisée, une proposition visant à imposer un plafond sur la rénumération des actions.

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