Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

De nouveaux critères de financement fondés sur de nouveaux critères de gestion des entreprises

Pour empêcher le retour des crises financières, il faut priver l’inflation financière de son aliment : le financement des spéculateurs par les banques. Mais il ne faut pas qu’un écroulement du système financier entraîne toute l’économie dans sa chute ! Il faut donc, simultanément, encourager les investissements (en infrastructures, en machines, en logiciels) qui permettront, une fois réalisés, la création de richesses et d’emplois, l’élévation de la qualification des travailleurs et le développement maîtrisé des territoires. Cette double action exige une réorientation des crédits bancaires. Il ne s’agit donc pas de financer n’importe quels investissements. Il faut que les choix de gestion des entreprises et les choix de financement des banques obéissent à des critères rigoureux.

Nous ne manquons, dans ce domaine, ni de réflexions théoriques, ni d’outils opérationnels. Vingt-cinq ans d’expériences diverses depuis les premiers travaux de Paul Boccara sur ce sujet ont montré que, sans être facile, l’usage de nouveaux critères de gestion, utilisables dès aujourd’hui, dans la vie des entreprises et dans les luttes sociales, pour s’opposer aux critères actuels de la rentabilité du capital, est tout à fait nécessaire aux luttes pour la conquête de nouveaux pouvoirs par les salariés et pour la réorientation du financement de l’économie.

Il s’agit d’abord, dans chaque entreprise, d’opposer à la rentabilité capitaliste (profit rapporté au capital) un critère d’efficacité des capitaux, résumé dans le ratio VA/CMF, valeur ajoutée rapportée au capital matériel et financier : il s’agit d’économiser les moyens financiers et matériels (par exemple en profitant des nouvelles techniques qui réduisent fortement le coût des équipements ainsi que les dépenses en matières premières et en énergie) pour une création de richesses donnée.

Mais le but est bien de faire croître, sur cette base, les richesses disponibles pour les hommes et leur développement ; aussi doit-on disposer d’un critère d’efficacité sociale, mesuré par la valeur ajoutée disponible pour les salariés et les populations (Vad) : c’est la part de la valeur ajoutée qui n’est pas accumulée sous la forme de profits par les dirigeants et les propriétaires de l’entreprise. C’est donc la somme des salaires et des cotisations sociales, des dépenses de formation et de recherche, des impôts (qui contribuent à financer l’éducation, la recherche, la protection sociale). Il ne s’agit pas, cependant, d’augmenter aveuglément les salaires, sans se préoccuper de l’efficacité des dépenses, y compris des dépenses pour les hommes : les gains ainsi procurés aux salariés seraient bien vite perdus faute d’une production de richesses réelles suffisante. Il convient donc de distinguer, au sein de la VAd, une partie «nécessaire» (VAdn), correspondant aux normes en vigueur en matière de salaire à une date donnée, et une partie «supplémentaire» (VAds), qui peut être définie comme la partie des bénéfices (fruits de la productivité de tous les facteurs) qui ne se transforme pas en profits. Faire croître la VAds par une efficacité plus grande de la production permet de financer, par exemple, des augmentations de salaires qui ne soient pas illusoires. Cela incite à une forme d’amélioration de la productivité très différente de celle qu’inspire la recherche de la rentabilité capitaliste.

Enfin, ces nouveaux critères de gestion obéissent à une logique sociale, et non corporatiste. La croissance de la productivité ne doit pas bénéficier seulement aux salariés qui travaillent dans l’entreprise : fondamentalement, elle doit servir à l’ensemble de la population. Aussi la gestion de l’entreprise est-elle appelée à se guider sur ce qu’elle peut apporter au potentiel d’augmentation de la valeur ajoutée disponible dans une zone géographique donnée (un bassin d’emploi, une région, une nation, une région du monde et, le cas échéant, le monde entier), rapportée à la population qui vit dans cette zone géographique. Concrètement, ce critère trouve sa traduction dans la croissance de l’emploi, de la formation, des ressources disponibles pour le développement des services publics et des institutions sociales, sans oublier le respect de l’environnement. L’énoncé de ce dernier critère ramène très naturellement à la politique de crédit des banques. Au pilotage du crédit par la recherche de la rentabilité privée, on pourrait opposer l’ensemble des critères énoncés ici pour orienter les financements — à travers les luttes et les interventions des salariés, des citoyens et de leurs représentants — vers les investissements les plus favorables à l’élévation du potentiel de création de valeur ajoutée au service de la population. Ces critères serviraient à mesurer l’influence des financements dans une zone géographique pouvant, selon les cas, couvrir tel bassin d’emplois individuel s’il s’agit de financer le développement d’une PME, ou bien s’étendre à l’économie mondiale dans son ensemble s’il s’agit du financement d’une multinationale. «Ce ne devrait plus être essentiellement les capacités financières de remboursement, et encore moins la surface financière de l’emprunteur, mais bien davantage les effets du crédit accordé dans la production et tout particulièrement sur la production durable de VAd qui pourraient intéresser les institutions bancaires et leur financement. La garantie de remboursement ne serait plus essentiellement le patrimoine du propriétaire de l’entreprise mais encore davantage les capacités de production vendable de l’entreprise et de son collectif de travailleurs»

Bibliographie :

Boccara (Paul), Intervenir dans les gestions avec de nouveaux critères, Éditions sociales, 1985

Durand (Denis) Un autre crédit est possible ! Le Temps des Cerises, 2005.

Louchart (Jean-Claude), dir. Nouvelles approches des gestions d’entreprises, L’Harmattan, 1995.

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.